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Rentrée judiciaire du tribunal de commerce d’Évry : « La prévention est devenue le cœur du droit des entreprises en difficulté »

Rentrée judiciaire du tribunal de commerce d’Évry : « La prévention est devenue le cœur du droit des entreprises en difficulté »
Publié le 28/01/2020 à 11:01

Le 15 janvier dernier, à l’occasion de l’audience de rentrée du tribunal de commerce d’Évry, Sonia Arrouas, sa présidente, et Caroline Nisand, procureure de la République, ont livré un bilan positif de l’année écoulée, notamment marquée par un recul de 10 % des procédures collectives. 





C’est dans un tribunal bondé que Sonia Arrouas a inauguré l’audience solennelle de rentrée du 15 janvier dernier. La présidente du tribunal de commerce (TC) d’Évry a, en préambule, remercié « tous [s]es juges » d’avoir renouvelé son mandat de présidente : « C’est un grand honneur que d’avoir été reconduite dans mes fonctions », s’est-elle réjouie, avant d’évoquer l’installation de dix nouveaux juges et le départ de trois magistrats – Patrice Houel, Gérard Bretel et Jean-Marie Nicolas. La présidente a en outre indiqué avoir cette année choisi deux vice-présidents, « un homme et une femme, ainsi la parité est respectée », a-t-elle souligné : Nathalie Lasternas, pour la partie entreprises en difficulté et procédures collectives, et Alexandre Dehé en contentieux général. « Il y a plus d’idées dans deux têtes que dans une, disait Jacques Chirac ! », a-t-elle évoqué dans un sourire. 


 


Un tribunal « reconnu » qui doit « inculquer la culture de l’anticipation »


Sonia Arrouas s’en est félicitée, le TC d’Évry est devenu un tribunal « reconnu » et « souvent cité en exemple ». 


À ce titre, Caroline Nisand, procureure de la République près le TGI d’Évry, a rappelé que le tribunal de commerce faisait partie des 19 tribunaux de commerce spécialisés institués par la loi du 6 août 2015, « ce qui permet de mesurer l’ampleur et la complexité du contentieux qu'il traite, ainsi que l’intérêt porté à ses décisions par tous les acteurs économiques et juridiques », a-t-elle appuyé, « chacun a en mémoire l'impact médiatique du dossier Aigle Azur en septembre dernier, la partie pénale suivant son cours quant à elle au parquet de Créteil ». 


De son côté, la présidente n’a pas tari d’éloges sur les différents acteurs officiant au TC, saluant un greffe « efficace », des auxiliaires de justice « à la hauteur de [leurs] attentes », un parquet « participatif », sans oublier « la compétence de ses juges » et « la qualité des jugements ». « Les nombreux juges que je côtoie ont conscience d’accomplir une mission importante au profit de l’intérêt général, ils en sont fiers », a également affirmé Sonia Arrouas. 


Pas question cependant que ces derniers se reposent sur leurs lauriers : « Votre expérience professionnelle est avérée, mais la grandeur d’une carrière ne doit pas faire oublier la nécessaire humilité (...) Nos obligations sont à la hauteur de notre enrichissement intellectuel. Nous avons le devoir d’apprendre constamment pour être toujours plus performants » leur a signifié la présidente du tribunal de commerce. 


Cette dernière est par ailleurs revenue sur la mission des magistrats : inculquer la culture de l’anticipation aux chefs d’entreprise. « Les chefs d’entreprise en difficulté ont fréquemment pour attitude de fuir le tribunal. Leur inaction est certainement due à une peur ancestrale : à l’époque où faire faillite était considéré comme une infamie. Mais, également, à la peur du vide, la peur du rien. Or, ils doivent prendre conscience que les juges consulaires ont une expérience de la réalité de la vie économique. Les chefs d’entreprises doivent assimiler le fait qu’ils peuvent se mettre sous la protection du tribunal. »



 

Sonia Arrouas, présidente du tribunal de commerce d’Évry, entourée du personnel judiciaire



Un bilan 2019 relativement dense


Dressant un bilan de l’année écoulée, Sonia Arrouas est revenue sur l’ouverture du TC d’Évry à de nouveaux mandataires, administrateurs et commissaires-priseurs judiciaires. 


« Cette ouverture a apporté beaucoup, tant aux justiciables qu’à nos juges. Les dossiers TCS (tribunal de commerce spécialisé) ont été gérés de façon magistrale (...) La collaboration entre nos partenaires historiques et les auxiliaires de justice nouvellement entrés a été faite en grande intelligence », a considéré la présidente, qui a de plus témoigné que la mise en place de juges taxateurs avait apporté « une vision plus concrète et réaliste » de la proportion des honoraires présentés pour validation. « Pour éviter l’accumulation des dossiers, en 2020, nous en doublerons l’effectif », a-t-elle annoncé. 


Parmi les autres améliorations apportées, la présidente du TC d’Évry a mentionné la création de trois chambres de procédures collectives « pour répondre dans les meilleures conditions aux demandes des chefs d’entreprises », la mise en place d’une « Charte qualité » motivée par la volonté « encore renforcée de rendre la meilleure justice dans les plus brefs délais » ainsi que d’une plaquette d’information destinée à sensibiliser le public et augmenter les chances de survie des entreprises. Enfin, plusieurs actions ont été menées – à la Maison des polytechniciens, à l’association française de banque, ou encore au Sénat – « dans le cadre de l’ouverture du tribunal vers le monde extérieur et dans la volonté d’initier les chefs d’entreprises ».


Niveau chiffres, Sonia Arrouas a dévoilé que près de 8 600 décisions avaient été rendues en 2019 : 192 ont d’ailleurs fait l’objet d’arrêts de la cour d’appel, « dont très peu infirmés », a-t-elle assuré. En outre, le TC d’Évry a connu l'an passé un peu plus de 800 ouvertures de procédures collectives et 723 dossiers en prévention des difficultés.


« Il faut souligner deux mouvements en sens inverse qui témoignent d'un glissement vers le traitement en amont des difficultés des entreprises », a par ailleurs mentionné Caroline Nisand. Ainsi, les procédures collectives ont reculé de plus de 10 %, et les procédures de prévention se sont considérablement accrues. La prévention, à l'initiative du tribunal comme à l'initiative du parquet, s'est donc remarquablement développée, passant de 505 dossiers à 648, soit près de 30 % d'augmentation. « Ce chiffre confirme la tendance lourde qui a été souhaitée par le législateur et qui s'applique sur le terrain, notamment à Évry : la prévention est devenue le cœur du droit des entreprises en difficulté », s’est réjouie la procureure.


Citant quelques éléments de contexte, Caroline Nisand a ajouté que, d’un point de vue juridique, 2019 avait été placée sous le signe de la loi PACTE, soulignant l'automaticité plus importante de la liquidation judiciaire simplifiée, ainsi que la modification de l'article 768 du Code de procédure pénale, avec la suppression de la mention des liquidations judiciaires dans le casier judiciaire des personnes physiques. 


D’un point de vue économique, l’année passée a été « un bon cru pour les entreprises du ressort », a affirmé la procureure, notamment si l’on en croit la hausse du nombre d’immatriculations au greffe du tribunal de commerce d'Évry : plus de 45 000 aujourd’hui, soit une augmentation d'environ 2 % en un an. Le RCS a en outre enregistré 2 835 inscriptions de personnes physiques, contre 2 125 en 2018, « ce qui traduit l'attrait du statut d'auto entrepreneur », et 5 601 inscriptions de personnes morales contre 5 292 en 2018, « ce qui révèle là aussi une dynamique importante », a estimé Caroline Nisand. 


La procureure a cependant souligné l'hétérogénéité du ressort sur le plan économique, « allant du développement de la recherche sur le plateau de Saclay, avec l'extraordinaire concentration d'écoles et d'organismes de recherche, l'essaimage des “start-up", et le commerce à caractère informel dans des zones particulièrement défavorisées, puisque le taux de pauvreté en Essonne est très supérieur à celui de l'Île-de-France », qui se traduit, au TC d’Évry, par « des start-up au passif impressionnant, sans chiffre d'affaires, vivant de levées de fonds, et de l'autre côté, des entreprises informelles, qui maîtrisent peu le commerce et pas du tout la comptabilité », a-t-elle regretté. « Il faut donc, et c'est l'engagement de mon parquet auprès du tribunal de commerce, ramener ces excès de toute nature vers un fonctionnement commercial normal, tel qu'il est prévu par les textes », a insisté Caroline Nisand. 


 


Quels objectifs pour 2020 ?


Après un bilan 2019 déjà riche en évolutions, l’audience de rentrée a également été l’occasion d’évoquer les perspectives pour l’année tout juste commencée. Objectif, pour 2020 : une plus grande dématérialisation. « La mise en œuvre d'un coffre-fort électronique, initiée en 2019 entre le greffe du tribunal de commerce et  mon parquet, a permis une dématérialisation accrue des échanges (...) [mais] il conviendra pour 2020 d'accroître le nombre de documents pouvant basculer sur le coffre-fort électronique, et également de généraliser l'information dématérialisée par les administrateurs et mandataires de justice. (...) Il paraît incongru, au 21e siècle, d'imprimer de nombreuses pages qui ne seront plus jamais consultées, attendant d'être passées au pilon », a jugé Caroline Nisand. La procureure a également affiché l’ambition que soient analysés plus finement les liens entre les entreprises en difficulté et le droit pénal lorsque des fraudes sont suspectées.


« Ce n'est pas parce que le "restructuring" et le "droit au rebond" ont remplacé la faillite honteuse du 19e siècle qu'il ne faut pas sanctionner les écarts de conduite.


Il est indispensable pour le bon fonctionnement de l'économie que les dirigeants malhonnêtes soient écartés de la vie des affaires. C’est la raison pour laquelle la politique de sanctions doit faire et fera l’objet d’une attention croissante pour s’assurer de son effectivité et donc de son efficacité. (...) Il faut se féliciter à cet égard de l'augmentation du nombre de jugements prononçant des sanctions : 178 en 2019 soit une augmentation de 36 % par rapport à 2018. C'est dans ce sens qu'il faut continuer à obtenir des avancées », a incité la procureure. 


Pour sa part, Sonia Arrouas a évoqué « un défi d’importance » : réduire les délais de procédure. Si la durée moyenne des dossiers traités est de 5,4 mois pour les tribunaux de commerce contre 13,5 mois pour la cour d’appel et 14,6 mois pour le conseil des prudhommes, la présidente a estimé qu’il fallait « faire mieux », en continuant notamment à davantage développer les Modes Alternatifs de Règlement des Différends (MARD), destinés à alléger la charge des tribunaux « en réduisant le temps de solution d’un litige ». « Nous soutenons toute mesure permettant la conciliation, le mandat ad hoc et la prévention, toutes procédures amiables visant à aider les entreprises en difficulté. Préserver l’emploi et la structure économique d’un département est l’une des missions fondamentales d’un bon tribunal de commerce », a certifié Sonia Arrouas, qui a ajouté que l’équipe de conciliateurs, qui peut intervenir en amont des audiences de contentieux, « s’étoff[ait] pour 2020 », passant de 3 à 4 personnes. 


La présidente a encore évoqué la création, sous l’impulsion du TC d’Évry, d’un CIP (Centre d’Information sur la Prévention des difficultés des entreprises) 91, qui va « prochainement ouvrir ses portes », ainsi que d’APESA 91. L’association, qui viendra en aide aux chefs d’entreprises en souffrance psychologique, devrait également voir le jour en Essonne en 2020. 


Hormis ces projets, Sonia Arrouas s’est étendue sur l’importance des échanges avec les instances et les élus locaux. La « coopération quotidienne » avec le parquet contribue en outre, selon la présidente, « à une gestion des dossiers de plus en plus efficace » : « une véritable collaboration s'est installée pour agir dans l’intérêt de l’économie et des entreprises, en préservant l’ordre public du département. En 2020, nous allons poursuivre dans ce sens », a-t-elle
garanti. « L’individualité dans un tribunal ne sert à rien ! C’est la force du travail collectif qui crée la puissance de frappe et l’excellence. Comme disait Henry Ford : “Se réunir est un début, rester ensemble, un progrès et travailler ensemble, la réussite.” » 


Enfin, Sonia Arrouas a considéré que les tribunaux de commerce, exception française, a-t-elle mis en exergue, étaient « au centre d’enjeux essentiels pour notre pays ». « Leur évolution doit être réalisée dans le cadre de la construction européenne en concertation avec les acteurs du monde judiciaire. C’est grâce à la participation et à l’engagement de tous les acteurs que nous aboutirons à une justice commerciale de grande qualité », a ajouté la présidente. En la matière, cette dernière a mentionné le travail réalisé par la Conférence générale des juges consulaires de France, association qui a pour vocation de permettre à ses adhérents de disposer des formations et des documents nécessaires à l’exercice de leurs missions de juge. « Avec la contribution des présidents de tribunaux, la Conférence permet d’engager un dialogue et d’être actifs auprès de toutes les instances politiques », a-t-elle estimé. L’association a ainsi contribué à la réforme de la procédure civile, au projet de décret unifiant les modes de saisine, mais également aux modifications apportées par la loi PACTE, notamment sur l’éligibilité des juges consulaires. « L’évolution de la justice commerciale vers une justice des affaires économiques est en cours. C’est un des axes privilégiés actuels de la Conférence Générale », a observé Sonia Arrouas. 


Plus globalement, la présidente s’est réjouie d’une « évolution importante » de la justice consulaire, et a rappelé, en clôture de son discours, l’importance de l’acte de juger. À ce titre, Sonia Arrouas a cité un passage du serment d’Hippocrate : « La vie est courte, l’art est long, l’occasion fugitive, l’expérience trompeuse et le jugement difficile. »



Bérengère Margaritelli


 


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