Le 15 janvier dernier, à l’occasion de
l’audience de rentrée du tribunal de commerce d’Évry, Sonia Arrouas, sa présidente,
et Caroline Nisand, procureure de la République, ont livré un bilan positif de
l’année écoulée, notamment marquée par un recul de 10 % des procédures
collectives.
C’est dans un tribunal bondé que Sonia Arrouas a
inauguré l’audience solennelle de rentrée du 15 janvier dernier. La
présidente du tribunal de commerce (TC) d’Évry a, en préambule, remercié
« tous [s]es juges » d’avoir renouvelé son mandat de
présidente : « C’est un grand honneur que d’avoir été reconduite
dans mes fonctions », s’est-elle réjouie, avant d’évoquer
l’installation de dix nouveaux juges et le départ de trois magistrats – Patrice
Houel, Gérard Bretel et Jean-Marie Nicolas. La présidente a en outre indiqué
avoir cette année choisi deux vice-présidents, « un homme et une femme,
ainsi la parité est respectée », a-t-elle souligné : Nathalie
Lasternas, pour la partie entreprises en difficulté et procédures collectives,
et Alexandre Dehé en contentieux général. « Il y a plus d’idées dans
deux têtes que dans une, disait Jacques Chirac ! », a-t-elle
évoqué dans un sourire.
Un tribunal « reconnu »
qui doit « inculquer la culture de l’anticipation »
Sonia Arrouas s’en est félicitée, le TC d’Évry est devenu un tribunal
« reconnu » et « souvent cité en exemple ».
À ce titre, Caroline Nisand, procureure de la République près le TGI
d’Évry, a rappelé que le tribunal de commerce faisait partie des
19 tribunaux de commerce spécialisés institués par la loi du 6 août
2015, « ce qui permet de mesurer l’ampleur et la complexité du
contentieux qu'il traite, ainsi que l’intérêt porté à ses décisions par tous
les acteurs économiques et juridiques », a-t-elle appuyé, « chacun
a en mémoire l'impact médiatique du dossier Aigle Azur en septembre dernier, la
partie pénale suivant son cours quant à elle au parquet de Créteil ».
De son côté, la présidente n’a pas tari d’éloges sur les différents
acteurs officiant au TC, saluant un greffe « efficace », des
auxiliaires de justice « à la hauteur de [leurs] attentes »,
un parquet « participatif », sans oublier « la
compétence de ses juges » et « la qualité des
jugements ». « Les nombreux juges que je côtoie ont conscience
d’accomplir une mission importante au profit de l’intérêt général, ils en sont
fiers », a également affirmé Sonia Arrouas.
Pas question cependant que ces derniers se reposent sur leurs
lauriers : « Votre expérience professionnelle est avérée, mais la
grandeur d’une carrière ne doit pas faire oublier la nécessaire humilité (...)
Nos obligations sont à la hauteur de notre enrichissement intellectuel. Nous
avons le devoir d’apprendre constamment pour être toujours plus performants »
leur a signifié la présidente du tribunal de commerce.
Cette dernière est par ailleurs revenue sur la mission des
magistrats : inculquer la culture de l’anticipation aux chefs
d’entreprise. « Les chefs d’entreprise en difficulté ont fréquemment
pour attitude de fuir le tribunal. Leur inaction est certainement due à une
peur ancestrale : à l’époque où faire faillite était considéré comme une
infamie. Mais, également, à la peur du vide, la peur du rien. Or, ils doivent
prendre conscience que les juges consulaires ont une expérience de la réalité
de la vie économique. Les chefs d’entreprises doivent assimiler le fait qu’ils
peuvent se mettre sous la protection du tribunal. »
Sonia
Arrouas, présidente du tribunal de commerce d’Évry, entourée du personnel
judiciaire
Un bilan 2019 relativement dense
Dressant un
bilan de l’année écoulée, Sonia Arrouas est
revenue sur l’ouverture du TC d’Évry à de nouveaux mandataires, administrateurs
et commissaires-priseurs judiciaires.
« Cette ouverture a apporté beaucoup, tant aux justiciables qu’à
nos juges. Les dossiers TCS (tribunal de commerce spécialisé) ont été gérés de
façon magistrale (...) La collaboration entre nos partenaires historiques et
les auxiliaires de justice nouvellement entrés a été faite en grande intelligence »,
a considéré la présidente, qui a de plus témoigné que la mise en place de juges
taxateurs avait apporté « une vision plus concrète et réaliste »
de la proportion des honoraires présentés pour validation. « Pour
éviter l’accumulation des dossiers, en 2020, nous en doublerons l’effectif »,
a-t-elle annoncé.
Parmi les autres améliorations apportées, la présidente du TC d’Évry a
mentionné la création de trois chambres de procédures collectives « pour
répondre dans les meilleures conditions aux demandes des chefs d’entreprises »,
la mise en place d’une « Charte qualité » motivée par la volonté
« encore renforcée de rendre la meilleure justice dans les plus brefs
délais » ainsi que d’une plaquette d’information destinée à
sensibiliser le public et augmenter les chances de survie des entreprises.
Enfin, plusieurs actions ont été menées – à la Maison des polytechniciens, à
l’association française de banque, ou encore au Sénat – « dans le cadre
de l’ouverture du tribunal vers le monde extérieur et dans la volonté d’initier
les chefs d’entreprises ».
Niveau chiffres, Sonia Arrouas a dévoilé que près de
8 600 décisions avaient été rendues en 2019 : 192 ont d’ailleurs
fait l’objet d’arrêts de la cour d’appel, « dont très peu infirmés »,
a-t-elle assuré. En outre, le TC d’Évry a connu l'an passé un peu plus de
800 ouvertures de procédures collectives et 723 dossiers en
prévention des difficultés.
« Il
faut souligner deux mouvements en sens inverse qui témoignent d'un glissement
vers le traitement en amont des difficultés des entreprises », a par
ailleurs mentionné Caroline Nisand. Ainsi, les procédures collectives ont
reculé de plus de 10 %, et les procédures de prévention se sont
considérablement accrues. La prévention, à l'initiative du tribunal comme à
l'initiative du parquet, s'est donc remarquablement développée, passant de 505
dossiers à 648, soit près de 30 % d'augmentation. « Ce chiffre
confirme la tendance lourde qui a été souhaitée par le législateur et qui
s'applique sur le terrain, notamment à Évry : la prévention est devenue le
cœur du droit des entreprises en difficulté », s’est réjouie la
procureure.
Citant quelques éléments de contexte, Caroline Nisand a ajouté que, d’un
point de vue juridique, 2019 avait été placée sous le signe de la loi PACTE,
soulignant l'automaticité plus importante de la liquidation judiciaire
simplifiée, ainsi que la modification de l'article 768 du Code de procédure
pénale, avec la suppression de la mention des liquidations judiciaires dans le
casier judiciaire des personnes physiques.
D’un point de vue économique, l’année passée a été « un bon cru
pour les entreprises du ressort », a affirmé la procureure, notamment
si l’on en croit la hausse du nombre d’immatriculations au greffe du tribunal
de commerce d'Évry : plus de 45 000 aujourd’hui, soit une augmentation
d'environ 2 % en un an. Le RCS a en outre enregistré
2 835 inscriptions de personnes physiques, contre 2 125 en 2018,
« ce qui traduit l'attrait du statut d'auto entrepreneur », et
5 601 inscriptions de personnes morales contre 5 292 en 2018, « ce
qui révèle là aussi une dynamique importante », a estimé Caroline
Nisand.
La
procureure a cependant souligné l'hétérogénéité du ressort sur le plan
économique, « allant du développement de la recherche sur le
plateau de Saclay, avec l'extraordinaire concentration d'écoles et
d'organismes de recherche, l'essaimage des “start-up", et le
commerce à caractère informel dans des zones particulièrement défavorisées,
puisque le taux de pauvreté en Essonne est très supérieur à celui de l'Île-de-France »,
qui se traduit, au TC d’Évry, par « des start-up au passif
impressionnant, sans chiffre d'affaires, vivant de levées de fonds, et de
l'autre côté, des entreprises informelles, qui maîtrisent peu le commerce et
pas du tout la comptabilité », a-t-elle regretté. « Il
faut donc, et c'est l'engagement de mon parquet auprès du tribunal de commerce,
ramener ces excès de toute nature vers un fonctionnement commercial normal, tel
qu'il est prévu par les textes », a insisté Caroline Nisand.
Quels objectifs pour 2020 ?
Après un bilan 2019 déjà riche en évolutions, l’audience de rentrée a
également été l’occasion d’évoquer les perspectives pour l’année tout juste
commencée. Objectif, pour 2020 : une plus grande dématérialisation.
« La mise en œuvre d'un coffre-fort électronique, initiée en 2019 entre
le greffe du tribunal de commerce et mon parquet, a permis une
dématérialisation accrue des échanges (...) [mais] il conviendra pour 2020
d'accroître le nombre de documents pouvant basculer sur le coffre-fort
électronique, et également de généraliser l'information dématérialisée par les
administrateurs et mandataires de justice. (...) Il paraît incongru, au 21e siècle,
d'imprimer de nombreuses pages qui ne seront plus jamais consultées, attendant
d'être passées au pilon », a jugé Caroline Nisand. La procureure a
également affiché l’ambition que soient analysés plus finement les liens entre
les entreprises en difficulté et le droit pénal lorsque des fraudes sont
suspectées.
« Ce n'est pas parce que le "restructuring" et
le "droit au rebond" ont remplacé la faillite honteuse du 19e siècle
qu'il ne faut pas sanctionner les écarts de conduite.
Il est indispensable pour le bon fonctionnement de l'économie que les
dirigeants malhonnêtes soient écartés de la vie des affaires. C’est la raison
pour laquelle la politique de sanctions doit faire et fera l’objet d’une
attention croissante pour s’assurer de son effectivité et donc de son
efficacité. (...) Il faut se féliciter à cet égard de l'augmentation du nombre
de jugements prononçant des sanctions : 178 en 2019 soit une augmentation de
36 % par rapport à 2018. C'est dans ce sens qu'il faut continuer à obtenir
des avancées », a incité la procureure.
Pour sa part, Sonia Arrouas a évoqué « un défi d’importance » :
réduire les délais de procédure. Si la durée moyenne des dossiers traités est
de 5,4 mois pour les tribunaux de commerce contre 13,5 mois pour la cour
d’appel et 14,6 mois pour le conseil des prudhommes, la présidente a estimé
qu’il fallait « faire mieux », en continuant notamment à
davantage développer les Modes Alternatifs de Règlement des Différends (MARD),
destinés à alléger la charge des tribunaux « en réduisant le temps de
solution d’un litige ». « Nous soutenons toute mesure
permettant la conciliation, le mandat ad hoc et la prévention, toutes
procédures amiables visant à aider les entreprises en difficulté. Préserver
l’emploi et la structure économique d’un département est l’une des missions
fondamentales d’un bon tribunal de commerce », a certifié Sonia
Arrouas, qui a ajouté que l’équipe de conciliateurs, qui peut intervenir en
amont des audiences de contentieux, « s’étoff[ait] pour 2020 »,
passant de 3 à 4 personnes.
La présidente a encore évoqué la création, sous l’impulsion du TC d’Évry,
d’un CIP (Centre d’Information sur la Prévention des difficultés des
entreprises) 91, qui va « prochainement ouvrir ses portes »,
ainsi que d’APESA 91. L’association, qui viendra en aide aux chefs
d’entreprises en souffrance psychologique, devrait également voir le jour en
Essonne en 2020.
Hormis ces projets, Sonia Arrouas s’est étendue sur l’importance des
échanges avec les instances et les élus locaux. La « coopération
quotidienne » avec le parquet contribue en outre, selon la présidente,
« à une gestion des dossiers de plus en plus efficace » :
« une véritable collaboration s'est installée pour agir dans l’intérêt de
l’économie et des entreprises, en préservant l’ordre public du département. En
2020, nous allons poursuivre dans ce sens », a-t-elle
garanti. « L’individualité dans un tribunal ne sert à rien ! C’est
la force du travail collectif qui crée la puissance de frappe et l’excellence.
Comme disait Henry Ford : “Se réunir est un début, rester ensemble, un
progrès et travailler ensemble, la réussite.” »
Enfin, Sonia Arrouas a considéré que les tribunaux de commerce, exception
française, a-t-elle mis en exergue, étaient « au centre d’enjeux
essentiels pour notre pays ». « Leur évolution doit être
réalisée dans le cadre de la construction européenne en concertation avec les
acteurs du monde judiciaire. C’est grâce à la participation et à l’engagement
de tous les acteurs que nous aboutirons à une justice commerciale de grande
qualité », a ajouté la présidente. En la matière, cette dernière a
mentionné le travail réalisé par la Conférence générale des juges consulaires
de France, association qui a pour vocation de permettre à ses adhérents de
disposer des formations et des documents nécessaires à l’exercice de leurs
missions de juge. « Avec la contribution des présidents de tribunaux,
la Conférence permet d’engager un dialogue et d’être actifs auprès de
toutes les instances politiques », a-t-elle estimé. L’association a
ainsi contribué à la réforme de la procédure civile, au projet de décret
unifiant les modes de saisine, mais également aux modifications apportées par
la loi PACTE, notamment sur l’éligibilité des juges consulaires. « L’évolution
de la justice commerciale vers une justice des affaires économiques est en
cours. C’est un des axes privilégiés actuels de la Conférence Générale »,
a observé Sonia Arrouas.
Plus globalement, la présidente s’est réjouie d’une « évolution
importante » de la justice consulaire, et a rappelé, en clôture de son
discours, l’importance de l’acte de juger. À ce titre, Sonia Arrouas a cité un
passage du serment d’Hippocrate : « La vie est courte, l’art est
long, l’occasion fugitive, l’expérience trompeuse et le jugement difficile. »
Bérengère Margaritelli