DROIT

SÉRIE « DROIT ET ANIMAUX DE LA RUE » (4). La gestion des chats errants progresse à pas de fourmi

SÉRIE « DROIT ET ANIMAUX DE LA RUE » (4). La gestion des chats errants progresse à pas de fourmi
Publié le 26/04/2024 à 16:51

Notre série « Droit et animaux de la rue » s’appuie sur un ensemble d’interventions ayant eu lieu lors d’un webinaire organisé par la commission « Droit et animaux » du barreau de Paris. Elle  part du constat que les animaux errants sont estimés à 300 à 500 millions dans le monde. Si aux Pays-Bas, la politique et la réglementation en place permettent aujourd’hui de placer le pays en tête des États comptabilisant le moins d’animaux errants, en France, environ 49 000 chiens et 42 000 chats seraient concernés. De quoi présenter un certain nombre d’enjeux juridiques et judiciaires, comme le souligne l’avocate Marie-Bénédicte Desvallon, responsable de la commission. Et en particulier, au-delà des problématiques liées à la biodiversité, à l’ordre public, à la sécurité, voire à la salubrité publique, qui se posent de façon légitime, quid de la question de la protection de ces animaux ? 

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Certes, des avancées ont été permises par la loi de 2021, et la dernière loi de finances a attribué trois millions d'euros pour aider les communes à stériliser ces félins dont la prolifération n’est pas sans conséquences. Mais Sandra Guillaumot, responsable de la mission « Animal en ville » à la Ville de Paris, plaide pour un financement plus important de l’Etat et une stérilisation obligatoire. 

Il y aurait aujourd’hui environ 15 millions de chats domestiques en France… et certainement un nombre équivalent à l’état sauvage. C’est ce que nous apprend Sandra Guillaumot, responsable, à la Ville de Paris, de la mission « Animal en ville », un service créé en 2018 pour dresser un état des lieux des conditions de vie des animaux au sein de la capitale et pour recueillir les propositions des élus, des habitants et des acteurs du territoire. « Certainement », car « en réalité, on n’est pas vraiment capables de savoir le nombre exact de chats errants » indique-t-elle lors du webinaire organisé par la Commission ouverte « Droit et Animaux » du barreau de Paris.

En réalisant des calculs sur la reproduction, des associations ont en effet mis en exergue qu’un « couple » de chats pouvait engendrer en quatre ans une descendance de plus de 20 000 chatons, lesquels « vont occuper l’espace public et engendrer des dégradations des espaces verts, des nuisances sonores et olfactives, un impact fort sur la biodiversité ; car ce sont des chasseurs » rappelle Sandra Guillaumot. Au total, les félins s'attaqueraient à plus de 50 espèces en Europe, selon la ligue protectrice des animaux (LPO), qui se fonde sur une étude participative du Museum national d'histoire naturelle. En 2017, plus de 11 % des animaux accueillis en centres de sauvegarde LPO étaient blessés par des chats. 

A cela, s’ajoute le fait que les chats à l’état sauvage sont « rarement en bonne santé », précise la responsable de la mission « Animal en ville ». Entre les accidents et les maladies, l’espérance de vie d'un chat sauvage est même 2 à 3 fois inférieure à celle d’un chat disposant d’un foyer, et dépasse rarement les 7 ans, selon la SPA. 

Autant de raisons qui poussent Sandra Guillaumot à plaider pour « stériliser au maximum les chats ». Car si les associations sont mobilisées sur le sujet, en France, la stérilisation des chats n’est pas encore obligatoire ; l’occasion a d’ailleurs été manquée récemment. « C’est un sujet qui est beaucoup revenu dans la discussion sur la loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale, mais la décision n’a finalement pas été prise », souligne Sandra Guillaumot. La Belgique a quant à elle mis en place, depuis 2016, un système de stérilisation obligatoire de tous les chats, errants ou non, avant l'âge de 6 mois.

A Paris, la préfecture a la main

A Paris, sur 250 000 chats, 500 à 1 000 chats errants sont estimés au sein de la capitale, selon les chiffres de la Ville. 

Par « errants », on entend normalement sans maîtres, non identifiés et vivant à plus de 200 mètres des habitations, par opposition aux chats dits « libres », soit ceux qui sont identifiés au nom de la commune ou d’une association, stérilisés, et relâchés sur le site où ils ont été préalablement capturés, tous les chats n’étant pas adoptables car trop sauvages. Problème : « A Paris, vu la densité urbaine, il n’y a pas de chats à plus de 200 mètres des habitations. C’est un gros biais pour la gestion des chats errants », pointe Sandra Guillaumot.

Autre spécificité parisienne : alors que le maire est normalement compétent pour faire procéder, par arrêté, à la capture de chats errants, en vue de leur stérilisation et de leur identification, dans le 75, ce rôle revient au préfet de police, comme le prévoit l’article L. 211-28 du Code rural et de la pêche maritime. « [A la ville de Paris], nous n’avons donc pas la main, explique Sandra Guillaumot. Sur le terrain, nous sommes en lien avec les associations qui trappent et qui s’occupent des chats errants, mais nous ne pouvons pas autoriser les opérations de trappage, précise-t-elle. Nous devons nous associer à la préfecture ».

Une meilleure gestion des chats errants depuis 2021

Malgré la multiplication des chats errants et une nécessaire coordination à plusieurs niveaux à Paris, la responsable de la mission « Animal en ville » se félicite « de récentes avancées allant dans le bon sens » permises par la loi du 30 novembre 2021.

A l’instar, par exemple, de l’autorisation de nourrissage sur les lieux de capture. « Auparavant, nous n’avions pas le droit de nourrir des animaux dans l’espace public : c’est encore le cas, sauf pour les opérations de trappage, ce qui facilite nettement les choses pour les associations qui, avant cela, pouvaient être verbalisées ». En attirant les chats dans les cages avec un peu de nourriture, les personnes habilitées ont ainsi moins de mal à capturer et stériliser ces animaux.

Le texte permet par ailleurs aux collectivités locales et aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, à titre expérimental et pour une durée de cinq ans, d'articuler leurs actions dans le cadre d'une convention de gestion des populations des chats errants, pour fixer des engagements dans la gestion et le suivi des chats errants.

« Cela a débloqué notre travail et a permis d’améliorer nettement la gestion des chats errants. Grâce à cette nouvelle disposition, la préfecture a été d’accord pour diffuser des arrêtés de trappage. C’est une grande avancée, une reconnaissance pour les associations de pouvoir justifier qu’elles agissent sous l’ordre du service public », témoigne Sandra Guillaumot. 

La Ville de Paris a également mis en place des conventions de suivi des chats errants et d’identification des points de nourrissage avec des associations et la préfecture de police, et signé un partenariat avec 30 millions d’amis « qui finance une partie de la stérilisation des chats errants », relate la responsable de la mission « Animal en ville ».

Des améliorations du côté des fourrières

Par ailleurs, alors que le Code rural et de la pêche maritime prévoit que chaque commune doit disposer d’une fourrière communale, la loi de 2021 apporte, selon Sandra Guillaumot, des « ajouts intéressants » sur la gestion des fourrières. En particulier, la dimension de la santé et du bien-être des animaux dans les fourrières a été intégrée, avec une obligation de formation du gestionnaire de l’établissement.

Autre nouveauté en la matière : le service de fourrière peut désormais être confié à des associations de protection animale qui disposent d’un refuge, et les policiers municipaux ont la possibilité de restituer un animal errant identifié directement à son maître s’il n'est pas encore entré dans la fourrière, moyennant un « versement libératoire forfaitaire ». « Cela simplifie les démarches aussi bien pour les associations que pour les maîtres, et désengorge la fourrière », se réjouit Sandra Guillaumot. 

Car si la fourrière a l’obligation de rechercher les propriétaires, les délais de garde sont de 8 jours ouvrés. A la fin de cette période, si l'animal n'a pas été réclamé par son propriétaire, il est considéré comme abandonné et devient la propriété du gestionnaire. Or, « il y a une suspicion d’euthanasie quasi-systématique de la part des fourrières », indique la responsable de la mission « Animal en ville », ce qui ne facilite pas le travail entre les fourrières et les associations. 

« Les associations sont débordées »

Parmi les avancées promises, certaines tardent cependant à se concrétiser. Notons que la loi du novembre 2021 avait demandé au Gouvernement la rédaction de deux rapports sur le sujet des chats errants. « Le premier, présentant un diagnostic chiffré de la population de chats errants en France et contenant des nouvelles recommandations et des propositions de financement, est en cours d’élaboration (...) Le second portera sur des actions conduites à l’échelle intercommunale ; les travaux débuteront au premier semestre 2023 » avait indiqué le ministère de l’Agriculture en avril 2023. Un an plus tard, statu quo. 

De la même façon, trois ans après la création de l’Observatoire de la protection des animaux carnivores domestiques, qui fait partie des dispositifs mis en place via le plan France Relance et avait pour objectif de « mieux orienter les politiques publiques en matière de protection animale pour ces espèces », ce dernier « n’a toujours rien rendu », observe Sandra Guillaumot.

Un certain nombre de freins restent par ailleurs à lever. « Tout n’est pas encore rose », juge la responsable de la mission « Animal en ville ». Parmi les principaux points noirs, la gestion des chats errants repose en grande partie sur les associations et les dons des particuliers. « Les associations sont débordées, il y a beaucoup de chats dans les refuges, beaucoup d’associations qui ne travaillent qu’avec des familles d'accueil qui n’ont que peu de places », rapporte Sandra Guillaumot, ce nombre étant réglementé. 

La responsable de la mission « Animal en ville » dépeint des associations « pleines de bonne volonté » mais « vite débordées », et déplore la pénurie de lieux de convalescence après les stérilisations des félins. Autre hic : ces associations manquent de visibilité et s’avèrent « peu structurées ». « A Paris, les associations, ce sont quelques personnes sur un arrondissement particulier, un quartier, et qui gèrent des populations de chats errants plus ou moins grandes. Comme elles manquent de moyens et de temps, elles ont des difficultés à se structurer », pointe Sandra Guillaumot, pour qui le sujet n’est « pas simple » et les collectivités « peu engagées ».

Par ailleurs, si le plan France relance, qui a permis de dédier une enveloppe de 20 millions d’euros à la lutte contre les abandons, dont 14 millions dédiés aux investissements dans les refuges et aux campagnes de stérilisation, a permis de soutenir les associations avec refuge, « quid des associations sans refuge ? » s’interroge Sandra Guillaumot.

L’Etat et les collectivités appelés à mettre la main au portefeuille

La responsable de mission rappelle donc l’importance de l’engagement de l’Etat et des collectivités et la nécessité d’un financement plus important dédié à la question de la stérilisation. Financement d’autant plus indispensable que les frais vétérinaires s’envolent, estime-t-elle. « Le premier obstacle à la stérilisation aujourd’hui est bien son coût, variable jusqu’à plus de 200 € pour un chat en fonction des localités », comme le précisait le rapporteur spécial Joël Giraud dans le texte d’un amendement au dernier projet de loi de finances. 

En parallèle, Sandra Guillaumot souligne que « peu de vétérinaires sont impliqués » dans la gestion des chats errants, et que la loi ne permet pas aux vétérinaires de proposer aux associations des tarifs à moindre coût - ce qui serait un « levier fort » pour les aider, selon elle. Au-delà, la responsable de la mission « Animal en ville » appelle à rendre la stérilisation obligatoire : « C’est inévitable, car cela aurait un impact direct sur le nombre d’abandons et de chats errants ».

Sandra Guillaumot prend l’exemple de la ville de Montpellier, qui dispose d’un service en régie avec une brigade de capture dédiée, de 10 agents assermentés et formés aux techniques de capture, qui organisent des campagnes de trappage. « Il y a aussi des marchés avec des vétérinaires qui prennent en charge des chats récupérés par la commune, identifiés et stérilisés à leurs frais, ce qui pèse beaucoup moins sur le dos des associations », affirme-t-elle.

Reste qu’en décembre dernier, la loi de finances pour 2024 a attribué trois millions d'euros pour aider les communes à stériliser les chats errants. Alors que 3 millions de chats ne sont pas stérilisés, le budget alloué devrait permettre de stériliser « environ 30 000 chats ». Si « aucune directive n'a été communiquée concernant la procédure pour bénéficier de cette dotation exceptionnelle », comme l’a fait remarquer le sénateur Jean-Raymond Hugonet fin mars devant la chambre haute, « le texte de cette réponse est en cours de publication », lui a-t-on répondu en séance publique début avril.

Bérengère Margaritelli

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