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Trois questions à Vincent Aubelle, auteur de l’ouvrage La loi sur le divan

Trois questions à Vincent Aubelle, auteur de l’ouvrage La loi sur le divan
Publié le 17/05/2019 à 15:01


Vincent Aubelle est professeur de droit public et psychanalyste. Dans son nouvel ouvrage, La loi sur le divan, il interroge notre usage de la loi. Il dénonce la « boulimie législative » dans notre société, qui consiste à créer une nouvelle loi dès qu’un nouveau problème agite l’opinion publique. Névrose obsessionnelle, paranoïa… il y traduit les termes psychanalytiques dans le domaine juridique et propose de dépasser ces pathologies en redonnant à la loi une force prescriptive.


 


Comment vous est venue l’idée de cet essai ? En quoi les fondements de la psychanalyse peuvent-ils nous aider à dépasser les pathologies que vous citez ?


Cet essai est l’une des intersections d’un parcours, celui de professeur de droit et de psychanalyste. Ces deux champs disciplinaires présentent la particularité d’avoir un vocabulaire commun : celui de la règle et ses interdits, celui d’un dedans et d’un dehors. Or, au vu de l’évolution du droit – rappelons que le stock de lois existant avoisine le chiffre de 100 000 – il était intéressant de s’interroger sur cette inflation législative. Gardons en mémoire que la loi n’est pas le mal : elle ne fait que le codifier. Par ailleurs, mon engagement quotidien depuis près de 20 ans dans une fonction de conseil auprès des élus locaux n’a pas été sans lien avec ce projet ; comprendre le manque d’audace et d’envie dont ils font parfois preuve n’est pas sans entretenir de lien avec certaines névroses.  


 


Vous y révélez un paradoxe : alors que nous critiquons l’ampleur de l’ « inflation législative », nous souhaitons cependant que chaque problème soit solutionné par des lois. Comment l’expliquez-vous ?


Nous entretenons effectivement avec la loi un rapport paradoxal, celui de la brocarder tout en ne cessant de solliciter le législateur. En prenant un exemple issu de l’actualité la plus récente, et même s’il ne s’agit pas d’une loi mais d’un décret, prenons le droit promis aux trottinettes électriques. Celui-ci illustre à l’envie cette tension entre l’absolu du désir de liberté individuelle, et la nécessité de poser des règles lorsque le sujet, pétri de sa seule jouissance, en vient à ignorer l’autre. Pour autant, laisser croire que la seule magie du verbe – cette croyance collective suivant laquelle le seul agencement des mots vaut résolution fabriquera le réel – est une illusion. L’intensité de ce désir de lois n’est pas autre chose que l’expression de nos pathologies collectives, de nos peurs, de nos angoisses dans le rapport que nous entretenons avec l’autre. Or, admettons que la mise en mots qu’effectue le législateur n’arrivera jamais à embrasser la totalité du réel. Deux raisons distinctes y contribuent : d’une part, le risque et le mal sont constitutifs de la nature humaine. D’autre part, le réel va beaucoup plus vite que l’écriture de la loi. Il est désormais temps d’admettre que l’obsession normative puisse céder la place à la confiance, ou bien encore au désir : encore fallait-il que la loi prenne place sur le divan.


 


Vous dites que cet ouvrage est conçu comme une psychanalyse. Comment avez-vous appliqué une grille de lecture psychanalytique à un tel sujet ?


La psychanalyse se fonde sur trois mouvements : celui de la rencontre entre le psychanalyste et son patient, afin de fixer le cadre de l’analyse ; le second terme, le plus long, celui de la cure qui n’est autre que l’espace de la liberté de la parole – celle de pouvoir dire n’importe quoi au sein de cet espace de liberté – qui ressemble, en reprenant le constat de Freud, au travail d’un archéologue. Il faut chercher, explorer avec patience ce qui fonde au sein de l’inconscient les blocages constitutifs des tourments de l’âme. Enfin, la cure ne saurait être un procès sans fin. Il doit y avoir une assomption du sujet, car, en faisant nôtre l’expression à laquelle eut recours Jacques Lacan, « ce qu’on nous demande, il faut l’appeler d’un mot simple, c’est le bonheur ». Sans prétendre atteindre le bonheur législatif, la structure de l’ouvrage reprend cette construction ternaire. Avec le souci de ne pas s’en tenir à la seule spéculation.


Sa fécondité est celle de dégager des perspectives quant à l’écriture de la loi pour laquelle certains des éléments constitutifs d’une psychanalyse sont porteurs d’avenir. Ainsi du silence où son rétablissement est précisément ce qui permet de faire advenir la confiance. Mais également de la durée de la cure qui, appliquée au droit exclut les approches circonstancielles que la loi privilégie aujourd’hui trop souvent ou comment sortir de ce mauvais goût qui consiste à faire des lois tout le temps, des lois pour tout. Il faut désormais que le législateur apprenne à féconder l’ennui. Enfin l’autorité, qui contrairement à la société que décrivait Boris Vian dans Vercoquin et le plancton ne se réduit pas à celle d’un conseil national de l’unification et dans l’irrépressible envie de faire des nœuds. L’autorité consiste à fonder des principes et d’intervenir uniquement si les individus n’arrivent pas à les mettre en œuvre. C’est à ce prix que la majesté de la loi retrouvera toute l’autorité qui s’y rattache.


 


Propos recueillis par Constance Périn


 


 


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