Ce qui caractérise particulièrement Aminata Niakate, c’est son
engagement. Engagée syndicalement d’abord, en étant présidente de l’UJA Paris
en 2015, puis présidente de la FNUJA en 2018. Engagée pour l’égalité ensuite,
notamment en tant que présidente de la Commission Égalité du CNB de 2018 à 2020. Un engagement politique
et citoyen enfin, puisqu’Aminata Niakate est actuellement membre du CESE et
conseillère de Paris. Mais c’est en tant que nouvelle présidente de
l’association Ensemble contre la peine de mort (ECPM) que nous avons souhaité
nous entretenir avec l’avocate ; l’occasion d’aborder avec elle les
priorités de son mandat, bien sûr, mais aussi de faire un état des lieux sur la
situation de la peine de mort dans le monde, et de revenir sur le débat en
France qui, aujourd’hui encore, continue à diviser l’opinion publique, 40 ans
après son abolition.
Tout d’abord, pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez souhaité
vous engager à la tête d’ECPM ?
Tout a
commencé à la fin de mon parcours universitaire. J’avais envie de m’engager
dans un combat associatif, de m’engager pour les autres, et de rendre aussi à
la République ce qu’elle m’avait apporté. Je ne savais pas réellement quelle
cause défendre. Puis je suis tombée, par hasard dans la presse, sur un article, consacré à Troy Davis, condamné à mort en
Géorgie après avoir toujours clamé son innocence, et devenu aujourd’hui, un
symbole de la lutte contre la peine capitale. En 2008, quelques heures à peine
avant son exécution, il apprenait que celle-ci était repoussée [ndlr : la date de son exécution a été
repoussée à trois reprises. Après avoir passé plus de 20 ans dans les couloirs
de la mort, il a finalement été exécuté, le 21 septembre 2011]. J’ai trouvé cette situation terrible, inhumaine. Qu’il soit coupable
ou non, d’ailleurs.
J’ai donc
commencé à me renseigner plus profondément sur le sujet et sur les associations
engagées pour l’abolition de la peine de mort. J’ai particulièrement été séduite par l’orientation d’ECPM, son engagement international et la compétence de
ses équipes. Dès 2008, je me suis donc engagée bénévolement au sein de
l’association et ai participé en son nom à la Fête de l’Huma, à la Gay Pride
(car dans de nombreux pays, le simple fait d’être homosexuel est passible de la
peine de mort), et aux congrès mondiaux au cours desquels la communauté
abolitionniste se réunit (les congrès ont lieu tous les trois ans ; le
prochain se déroulera à Berlin, en novembre 2022, ndlr).
En 2017,
j’ai rejoint le conseil d’administration d’ECPM, puis l’année dernière, le
conseil d’administration a suggéré ma candidature en tant que présidente. J’ai
été extrêmement touchée par leur confiance, mais reconnais avoir eu, au départ,
une petite appréhension, car étant déjà très occupée, je ne voulais ni mal
faire les choses ni décevoir. Le conseil m’a rassurée, et je me suis vite rendu
compte que je pouvais compter sur toute une équipe très professionnelle.
C’est ainsi que j’ai pris la présidence d’ECPM en novembre 2020, en plein
confinement, pour un mandat de deux ans.
« J’aspire à l’abolition
universelle de la peine de mort ! »
Quelles orientations entendez-vous donner à votre mandature ?
En tant que présidente, je souhaite m’inscrire dans la continuité de
l’association qui connaît une forte croissance. Continuer à convaincre les
institutionnels, les États, les ONG. Nous travaillons avec un réseau de
journalistes et de parlementaires au Moyen-Orient, en Afrique, en Asie... Nous
entendons également organiser un hackathon pour mobilier les jeunes à travers
le monde, car il ne faut rien lâcher, et toujours continuer à convaincre.
Le site
Internet d’ECPM présente une cartographie interactive de la peine de mort dans
le monde, allant du bleu, pays abolitionnistes, au rouge, pays où la peine de
mort est pratiquée, qu’importent les crimes. Durant mon mandat, je ferai en
sorte que le bleu se déploie le plus possible sur cette carte. En d’autres
termes, j’aspire à l’abolition universelle de la peine de mort !
49 États appliquent
toujours la peine de mort dans le monde. La Chine, l’Iran, l’Égypte, l’Irak et
l’Arabie saoudite sont les pays qui exécutent le plus. L’Inde, Oman, le Qatar
et Taïwan ont de leur côté repris les exécutions en 2020. Qu’est-ce que cela
vous inspire ?
Qu’est ce
que cela dit de notre humanité ? Comment un pays peut-il tuer au nom de la
justice, elle-même rendue au nom du peuple ? Comment un État peut-il
réprimer le crime, mais reproduire à son tour la même violence ? Cela n’a-t-il pas pour
effet, au contraire, de légitimer la violence ? C’est inhumain et
incompréhensible.
Dans le
détail, dans le monde, 106 États sont abolitionnistes pour tous les crimes, neuf États sont abolitionnistes pour les crimes de
droit commun (crimes très graves), 34 États sont en moratoire sur les exécutions (pas d’exécution depuis au
moins dix ans) et comme vous le disiez, 49 États appliquent toujours la peine de mort dans le monde (chiffres au 10 octobre 2020).
Concernant
la Chine, il est en effet très difficile d’obtenir des données officielles.
Cela se compte en milliers d’exécutions [même si les chiffres ne sont pas
officiels, la Chine compterait plus d’exécutions que tous les autres pays
réunis, ndlr]. Mais plus largement, le pays interroge en matière de droits
de l’homme. Il semblerait que la peine de mort y soit assez « banalisée », tant les motifs la justifiant peuvent être divers. On
se demande alors quelle est la valeur d’une vie humaine. Le chemin vers
l’abolition est encore long…
On exécute
également beaucoup au Moyen-Orient, particulièrement en Iran, qui est le pays
qui a le taux d’exécution par habitant le plus élevé. Selon le rapport annuel
mené par l’Iran Human rights et l’observatoire d’ECPM, plus de 250 personnes ont été exécutées en 2019. ECPM de
concert avec les partenaires locaux travaillent également sur les conditions de
détention en Iran, et à travers les rapports réalisés, espèrent rendre visible
la situation, le regard des autres nations pouvant influencer sur les décisions
du pays.
Les choses
tendent toutefois à évoluer, notamment en Afrique. En 2020, le Tchad a aboli la
peine de mort pour tous les crimes, marchant dans les pas du Burkina Faso
(2018) et de la République du Congo. Il devient ainsi le 22e État africain et le 106e État
abolitionniste dans le monde.
En mars
2021, la Virginie (États-Unis) est devenu de son côté le 23e État américain à abolir officiellement la peine de mort, et le Soudan a
décidé de la supprimer pour les personnes homosexuelles (au 1er octobre
2020, 11 États dans le monde continuent de condamner à
mort l’homosexualité. ndlr).
Aussi, ECPM
souhaite être au cœur du plaidoyer mondial pour l’abolition auprès des
gouvernements rétentionnistes et dans les grandes instances internationales.
Amnesty International a recensé 483 exécutions dans 18 pays
en 2020, soit une baisse de 26 % par rapport aux 657 exécutions enregistrées en 2019. Quel regard portez-vous sur ces
chiffres ?
Les chiffres
parlent d’eux-mêmes : malgré une baisse des chiffres et la désorganisation
due à la pandémie, en 2020, la peine de mort n’a pas été confinée dans le
monde.
Avec le
Covid, nous avons tous vécu l’enfermement, l’isolement. Nous aurions alors pu
croire que cette situation exceptionnelle allait provoquer un sursaut de
sensibilisation pour la cause des personnes détenues et la peine de mort auprès
des populations. Il n’en est rien, car malheureusement, je n’ai pas constaté de
réel engagement à ce sujet.
Cela
questionne sur le rôle de la détention, qui a un aspect répressif, mais aussi
de réhabilitation, un volet fondamental mais totalement abandonné par les pays
qui pratiquent la peine de mort. Les personnes condamnées, n’ont définitivement
plus leur place dans la société. Aujourd’hui, 20 000 personnes sont détenues dans les couloirs de
la mort. L’isolement apparaît comme une mort sociale, avant l’exécution ultime.
Certaines y restent 5, 10, 20 ans, le temps d’expiration des délais de tous les recours. Des
décennies plus tard, la personne exécutée est-elle alors la même que celle qui
a commis le crime ? Qui exécutons-nous ?
La Biélorussie est le seul pays européen à pratiquer la peine de mort à
ce jour. Qu’est ce que cela révèle ?
Ce pays pose
indéniablement des difficultés au niveau des droits de l’homme de façon générale.
Certaines valeurs entrent vigoureusement en opposition avec celles de l’Union
européenne. Peut-on se considérer européen quand on pratique la peine de
mort ? Je m’interroge. Le pays est toutefois enclavé, entouré de nations
officiellement abolitionnistes. On peut espérer que cela puisse provoquer une
influence positive...
On sait pourtant que la peine de mort n’a pas d’incidence sur le taux de
criminalité. On se souvient de la phrase de Robert Badinter, aujourd’hui
président d’honneur d’ECPM : « Si la peur de la mort
arrêtait les hommes, vous n’auriez ni grands soldats, ni grands sportifs ». Comment expliquez-vous alors sa place dans le monde, encore
aujourd’hui ?
Je ne
l’explique pas. Car en effet, les statistiques le prouvent : l’adage
« œil pour œil - dent pour dent » n’est absolument pas
dissuasif. La peine de mort déshonore les sociétés qui la pratiquent, et tend à
nourrir un sentiment de vengeance et de haine. Cette violence de l’État
légitime l’acte de tuer, le bourreau reproduisant le geste de l’assassin.
Existe-t-il de bonnes raisons de tuer ? Cela est réellement
incompréhensible pour moi.
Le 1er juillet dernier, le procureur général des États-Unis,
Merrick Garland, a imposé un moratoire sur les exécutions fédérales pendant que
le ministère de la Justice poursuit son examen sur la peine de mort. Pour
rappel, depuis la reprise des exécutions capitales aux États-Unis en 1977, il y
a eu 16 exécutions
au niveau fédéral, dont 13 en 2020-2021 sous l’administration
Trump. Quels commentaires pouvez-vous faire à ce sujet ?
Nous avons
beaucoup d’espoir avec l’élection de Joe Biden, car tenter d’abolir la peine de
mort au niveau fédéral au x États-Unis était
l’une de ses promesses de campagne. Le 1er juillet dernier, un moratoire sur
les exécutions fédérales a en effet été imposé, le « caractère arbitraire de
son application » a notamment été soulevé ainsi que « son impact
disproportionné sur les personnes de couleur ». La suspension des exécutions
fédérales pourrait être un premier pas vers l’abolition.
Aujourd’hui,
aux États-Unis, la peine de mort est appliquée dans 27 des 50 États fédérés que
compte le pays. Étonnant pour une démocratie libérale, mais je pense que le
droit de porter une arme participe à cette banalisation de la violence. Si Joe
Biden parvient à faire voter une loi éliminant la peine de mort au niveau
fédéral, cela pourrait avoir des répercutions dans le monde, car nombreux sont
les États pratiquant la peine de mort à « se cacher » aujourd’hui derrière la
vitrine et la stature démocratique des États-Unis. Il s’agit pour eux d’un
bouclier moral. Le mouvement lancé par les États-Unis pourrait ainsi provoquer
un effet domino dans le monde entier.
« Comment un État peut-il
réprimer le crime,
mais reproduire à son tour la même violence ? »
En France, selon les sondages, l’opinion publique demeure
majoritairement favorable à la peine de mort. Quelles actions entendez-vous
mettre en place pour sensibiliser les citoyens ?
En 1981, Robert Badinter a fait voter la loi portant
abolition de la peine de mort ; un acte fort quand on sait qu’à l’époque,
les Français n’y étaient pas favorables.
Et encore aujourd’hui, l’opinion publique fluctue au rythme de
l’actualité. Un crime terrible fera facilement rejaillir le débat, mais il faut
cependant parvenir à dépasser ce sentiment de vengeance personnelle pour se
poser la question : dans un État de droit, dans le pays des Lumières, l’État peut-il
exécuter ? Cette sanction irrévocable n’autorise aucune erreur, aucun
égarement de l’humanité.
Encore
aujourd’hui, certains partis politiques se positionnent pour un retour de la
pleine de mort en France. Rien n’est jamais acquis ni établi, c’est pourquoi il
est important de continuer à convaincre. Parce que l’opinion publique doit sans
cesse être informée, le pôle "Eduquer « d’ECPM continue à sensibiliser les collégiens à la question de la peine de
mort. Avec son projet « Éduquer à l’abolition » créé en 2009,
l’association a pu développer différents modes de sensibilisation des jeunes,
notamment via des interventions scolaires durant lesquelles des
personnes, témoins de condamnation à mort dans d’autres pays, partagent avec
les élèves leur expérience.
Nous
réalisons aussi, chaque année, un concours international
d’affiches intitulé "Dessine-moi l’abolition", auquel une centaine d'élèves de 14 à 20 ans du monde entier concourt.
Nous
participons également aux congrès mondiaux, organisons des actions le 10 octobre, pour la Journée
mondiale contre la peine de mort, et proposons des formations tout au long de
l’année, toujours dans le but de continuer à sensibiliser l’opinion.
Quand on
parle de l’abolition en France, on cite la loi de 1981, bien sûr, mais je tiens
aussi à rappeler l’action de Jacques Chirac qui, après avoir fait partie
des 37 députés de droite à approuver le projet de loi « portant
abolition de la peine de mort » à l’Assemblée nationale en 1981, a, en
2007, fait inscrire l’abolition dans la Constitution : « La mort ne sera
jamais un acte de justice » (article 66-1). C’est un engagement
fort, car plus qu’une
simple loi, la réintroduction
de la peine de mort impliquerait notamment une révision de la Constitution.
Enfin, comment entendez-vous commémorer les 40 ans de l’abolition de la peine de mort en France ?
L’ECPM
célèbre cette année les 40 ans de l’abolition en France à travers l’organisation d’une multitude
d’activités dans plusieurs villes de France.
à Paris, en partenariat avec la ville,
l’association proposera, du 9 au 31 octobre, une exposition sur les grilles de
l’Hôtel de ville intitulée « Portraits de l’abolition en France et ailleurs »
présentant sur 30 panneaux, les principaux acteurs et actrices de l’abolition en France
et dans le monde. Une déclinaison virtuelle de cette exposition sera également
visible sur notre site.
Nous allons
également réaliser un Parcours pédagogique sur l’histoire de l’abolition de la
peine de mort en France. Plusieurs sites parisiens qui ont fait l’histoire de
la peine de mort et de son abolition en France (la place de la Bastille, la
Concorde, la maison de Victor Hugo) accueilleront des supports ludo-pédagogiques
et proposeront des activités destinées tant aux groupes scolaires qu’au grand
public.
Nous
organiserons également un concert à la BNF. Il s’agit de la création mondiale
d’une œuvre chorale pour l’abolition de la peine de mort. Des compositeurs de
chaque continent déclineront en cinq langues leur volonté de soutenir
l’abolition universelle de la peine de mort.
Nous aurons
aussi un stand au Village de l’abolition, qui prendra place de la Bastille, le
9 octobre.
Nous avons
également participé au colloque organisé à l’Assemblée nationale le 15 septembre dernier, et participerons au débat
qui se tiendra à la Maison du barreau et à celui intitulé « Femme et
peine de mort » qui aura lieu au Panthéon, le 10 octobre prochain.
Nous
poursuivons enfin nos cycles d’interventions scolaires auprès des
établissements du secondaire, toujours dans ce souci de sensibiliser les plus
jeunes.
Propos recueilli par Constance Périn