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« Il fallait s’intéresser à la confrontation entre les règles du système juridique et les nouveaux contrats et actifs » - Entretien avec Olivier Herrnberger, président du 117e Congrès des notaires

« Il fallait s’intéresser à la confrontation entre les règles du système juridique et les nouveaux contrats et actifs » - Entretien avec Olivier Herrnberger, président du 117e Congrès des notaires
Publié le 21/09/2021 à 15:09
Alors que le 117e Congrès des notaires s’apprête à recevoir en grande pompe la profession à Nice, du 23 au 25 septembre prochains, son président, Olivier Herrnberger, est revenu pour le JSS sur le déroulement et les enjeux de cet événement dédié, cette année, « [au] numérique, [à] l’Homme et [au] droit ». Objectif principal : démontrer « que l’espace dématérialisé n’est pas condamné à être une zone de non-droit ».

 

 

Pourquoi avoir choisi « Le numérique, l'Homme et le droit » comme thème du congrès cette année ?

Les travaux d’un congrès des notaires s’échelonnent sur deux ans. Nous avons choisi ce thème fin 2019 car à cette époque, il y avait beaucoup d’études sur les outils du numérique, mais peu d’analyses de l’impact de la digitalisation sur le contenu même de la règle de droit. Nous pressentions que l’explosion du marché des données personnelles, les nouvelles manières d’échanger, de signer un contrat et enfin l’apparition de nouvelles valeurs dématérialisées allaient nécessairement devoir être appréhendées par le droit ; et qu’il fallait s’intéresser à la confrontation entre les règles établies du système juridique d’une part, et ces nouveaux contrats ou actifs d’autre part. En clair, les règles de droit étaient-elles menacées d’obsolescence ou étaient-elles en mesure d’accueillir ces nouveautés ? Nous voulions dresser un tableau assez large sur trois sujets classiques du droit, que sont la personne, le patrimoine et le contrat.

 

 

Quels sont les principaux enjeux et ambitions de cette manifestation ?

Son ambition est de démontrer que le système juridique dispose de concepts et de principes suffisants pour appréhender les nouveaux outils, et que l’espace dématérialisé n’est pas condamné à être une zone de non-droit. Son enjeu est de démontrer que les professionnels du droit, et singulièrement l’officier public, ont un rôle à y jouer, en y prolongeant les fonctions de sécurité et de confiance qu’ils accomplissent dans le monde physique.

 

 

Quelles principales personnalités s’exprimeront durant ce congrès ?

Outre le ministre de la Justice, notre autorité de tutelle qui sera avec nous pour ouvrir les travaux, nous recevrons Luc Julia, ancien vice-président de Samsung et directeur scientifique de Renault, qui viendra nous parler de l’intelligence artificielle pour nous dire ce qu’elle est et… ce qu’elle n’est pas. Julia de Funès nous livrera le regard du philosophe sur les questions d’identité, de vie privée et de mort numérique. Nous écouterons également le professeur Dominique Boulier, sociologue avec lequel nous avons travaillé pendant deux ans pour poser le cadre sociologique des sujets que nous abordons avant d’envisager les réponses que le juriste peut donner.  Alain Lambert, grâce à sa double expérience de notaire et d’élu (ancien ministre, ancien parlementaire, ancien président de département), aujourd’hui président du conseil national des normes, nous fera part de son expérience sur la mise en place des premiers textes sur les actes électroniques et de son regard sur l’exercice du droit dans l’univers dématérialisé. Enfin, nous dialoguerons avec Gilles Babinet, vice-président du conseil national du numérique.

 



« Il n’y a pas véritablement de grand soir du droit,

mais plutôt des enjeux de qualification »


 



à cette occasion, les trois commissions vont chacune émettre de nombreuses propositions. Quelles sont celles qui doivent être concrétisées en priorité selon vous ?

Certaines ont une vocation très large, politique au sens d’organisation de la Cité. D’autres sont à une échelle plus technique. La proposition qui invite au débat sur la protection du droit d’accès à Internet est l’une de mes préférées : peut-on encore être un citoyen si l’on ne dispose pas d’accès à Internet, alors que de plus en plus de formalités et de démarches ne peuvent s’effectuer qu’en ligne ? Nous ferons une proposition qui invite à y réfléchir.

Les propositions relatives au sort des personnes protégées dans la sphère des échanges dématérialisés ou encore celles relatives au devenir des données personnelles après la mort biologique sont également essentielles. Nous revisitons ces deux sujets qui n’ont pas été totalement traités à ce jour par le législateur. Dans un registre plus technique, nous ferons des propositions à propos du testament : faut-il ouvrir la porte à un testament totalement dématérialisé enregistré sur un smartphone par exemple ; ou bien la spécificité de cet acte justifie-t-elle, par une sorte d’anachronisme de sagesse, de lui maintenir un certain formalisme issu du monde papier ?

Nous ferons aussi des propositions pour sécuriser davantage l’usage des signatures électroniques afin de favoriser leur emploi dans un climat de confiance car, à ce jour, il est très difficile de savoir quel est le niveau exact de fiabilité de la signature des documents électroniques que l’on reçoit.

 

 

Patrimoine, contrat, identité… quelles innovations la révolution numérique a-t-elle déjà entraînées en matière juridique ?

Le patrimoine voit apparaître de nouveaux objets tels que les crypto-actifs. Il faut que le droit puisse les traiter. De la même manière, certaines personnes tirent des revenus importants de comptes sur les réseaux sociaux. Quel sort faut-il leur réserver lors d’un divorce ou d’une cession de fonds de commerce ? Du reste, s’agit-il toujours d’un « actif » au sens juridique ? Dans le domaine contractuel, certains prédisent l’essor des smart contrats, qui régleraient toutes les difficultés d’exécution des contracts. Que faut-il en penser ? S’agit-il d’ailleurs d’un contrat au sens où l’entend le Code civil ?



Enfin, sur l’identité, peut-on en imaginer une – un avatar informatique – totalement déconnectée de l’état civil ?

Sur de nombreux sujets, nos travaux mettent en évidence qu’il n’y a pas véritablement de grand soir du droit, mais plutôt des enjeux de qualification. Les nouveautés qui apparaissent nécessitent avant tout de bien les décortiquer pour les comprendre et, partant, pouvoir leur appliquer le régime juridique le plus pertinent. Cet enjeu de qualification est essentiel dans le domaine des crypto-actifs ou à propos du smart contract, par exemple.



Comment le digital affecte-t-il, dans la pratique, la profession notariale en général ainsi que les missions du notaire ?

Dans son activité quotidienne, le notaire est de plus en plus confronté aux nouveaux actifs qui arrivent dans les dossiers. La question de la multiplication des documents signés numériquement et de l’incertitude sur le niveau de fiabilité des signatures se pose quotidiennement, lorsque le notaire est destinataire, par exemple, d’un document signé numériquement par le dirigeant d’une banque.  Sur les fonctions, celles-ci
ne sont pas substantiellement modifiées. Le centre de gravité de certaines tâches se déplace, certaines diligences prenant moins de temps que par le passé du fait de l’automatisation et d’autres prenant au contraire de l’importance. Mais, fondamentalement, la fonction reste la même : assurer de la sécurité et de la confiance. L’enjeu qui est devant nous – et cela concerne les notaires, mais plus généralement toutes les professions du droit – est celui de déployer nos fonctions dans le monde numérique, pour y assurer les missions que nous assurons dans le monde physique. De ce point de vue, l’espace numérique ne me paraît pas un univers qui a besoin de moins de confiance et de sécurité, et je pense que c’est même exactement l’inverse et que, partant, les professions du droit doivent y déployer leur utilité sociale.

La dématérialisation peut parfois conduire à la disruption de certaines activités. C’est une question qui interpelle les citoyens et les juristes, comme elle interpelle la science médicale : l’intelligence artificielle et le numérique rendent-ils le médecin obsolète ? Je ne le crois pas. Je pense qu’elle déplace le champ de son activité, mais qu’elle ne le rend pas moins essentiel, en particulier pour contextualiser une donnée à une situation humaine. Il en va de même dans le domaine du droit. Finalement, la question qui est en arrière-plan est celle de l’utilité sociale des professionnels du droit. C’est une question qui mériterait un débat public sur ce que le citoyen peut exiger des professions réglementées, qui n’ont dans l’histoire récente été abordées que sous le prisme de leur « coût » pour le consommateur et non de leur « fonction » pour le citoyen, c’est-à-dire du rôle qu’elles peuvent jouer pour le compte de l’État, du citoyen et, finalement, de la paix sociale.  

 

 

La crise sanitaire a-t-elle précipité l’utilisation des outils numériques au sein de la profession ?

Elle l’a accélérée comme pour toutes les activités. Aujourd’hui, de nombreuses études sont arrivées au zéro papier ou s’en approchent, alors que cela leur paraissait hors de portée en mars 2020. Par ailleurs, le notariat a très bien géré le passage au télétravail, de nombreuses études ayant basculé la totalité de leurs équipes en 24 heures lors du premier confinement ; ce qui démontre que la profession a acquis une maturité dans l’emploi des technologies numériques. Le taux d’utilisation des actes notariés sur support dématérialisé, qui sont devenus la règle et le papier l’exception dans toutes les études, illustre lui aussi que le notariat est dans le wagon de tête de la dématérialisation.

 

 

Quid de l’après congrès ? Avez-vous, notamment, prévu des rencontres avec les pouvoirs publics ?

Nous prévoyons en effet de diffuser nos propositions aux pouvoirs publics, et en particulier de les adresser au secrétaire d’État chargé du numérique, Monsieur O. Sa mission semble plus orientée vers le numérique en tant que marché économique ou vecteur de création d’emplois qu’en tant qu’espace sociétal, mais nous essaierons cependant de le sensibiliser à la question de son impact sur le système juridique en lui portant nos propositions. 

 


Propos recueillis par Maria-Angélica Bailly

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