Pierlin Angeli est avocat, mais
aussi tennisman. 73e mondial en catégorie « Quads », celui-ci
suit actuellement une préparation dans l’espoir
de représenter la France aux Jeux Paralympiques de Paris 2024. Déterminé, il
peut compter, sur le soutien de FIDAL Paris, cabinet qu’il a intégré il y a plus de dix ans.
Pierlin Angeli revient, pour le JSS,
sur son parcours professionnel et son parcours d’athlète.
Pouvez-vous vous présenter et revenir sur votre
parcours professionnel ?
J’ai 35 ans et ai grandi en région parisienne.
Je suis le benjamin d’une fratrie de quatre garçons, marié, avocat en droit des
affaires depuis près de 11 ans, sportif depuis toujours et joueur de
tennis en fauteuil depuis six ans.
Après un parcours classique à la
faculté de droit Paris XI, j’ai intégré le Master 2 Conseil juridique et fiscal de Paris
XI/ESCP-EAP, puis ai commencé mon exercice professionnel en tant que collaborateur
au sein de la Direction Internationale de FIDAL à la Défense, devenue ensuite
la Direction parisienne de FIDAL, que je n’ai plus quittée depuis lors. J’ai pu y développer une expertise en
Corporate/M&A, restructuration de groupes et gestion juridique externalisée
auprès de grands groupes internationaux comme de PME familiales.
Pourquoi avez-vous souhaité devenir avocat ?
C’est la curiosité qui m’a tout
d’abord attiré vers le droit. J’ai toujours eu le besoin de comprendre le monde
et les gens depuis ma jeunesse, et le droit constitue pour moi le mode d’emploi
des relations humaines.
Un sens aiguisé de la justice
également : les situations d’injustice ont toujours nourri une puissante révolte
en moi. Devenir avocat signifiait être capable de défendre ceux qui en ont
besoin.
Au cours de mes études supérieures,
mes préférences se sont dirigées vers le droit des affaires, et plus
particulièrement le droit des sociétés qui m’a toujours semblé familier et
évident, peut-être parce que j’y ai toujours baigné de près ou de loin, mon
père étant lui-même entrepreneur.
Devenir avocat était la suite logique
de ce parcours et la matérialisation de ces valeurs.
Pierlin Angeli
Votre handicap a-t-il déjà été un frein dans votre
parcours ?
Je vais être très direct sur ce sujet.
Avoir un handicap signifie être différent. Être différent signifie vivre dans
une société qui n’est pas construite à votre image. Ce n’est la faute de
personne, c’est comme cela. Cela implique toutefois effectivement de nombreuses
difficultés au quotidien.
Lorsque rien n’est bâti pour vous, les
freins sont omniprésents, aussi bien dans votre vie personnelle que
professionnelle. Vos choix, lorsque vous avez un handicap moteur tel que le
mien, sont toujours dictés par une préalable et omniprésente question :
est-ce accessible ? Et la réponse est malheureusement souvent la même :
non.
Alors on apprend à se dépasser, et
c’est là que cela devient intéressant. La plasticité cérébrale, la résilience,
l’expérience, ce sont tous ces aspects qui créent la force d’un individu.
Certains n’y voient qu’une faiblesse,
mais le handicap a ceci de fantastique à mon sens, il s’agit d’un miroir dans
lequel chacun voit ses propres faiblesses. Les personnes les plus fortes et
intéressantes que j’ai connues dans ma vie sont probablement celles que je
croise tous les jours à l’entraînement sur les courts de tennis. J’ai, comme la plupart d’entre eux,
arrêté depuis longtemps de regarder les freins pour me concentrer sur
l’accélérateur.
Parallèlement, vous pratiquez le tennis à l’USV Villejuif
Tennis et êtes classé. Depuis combien de temps pratiquez-vous ce
sport ? Pourquoi le tennis ?
Je suis actuellement classé 73e
joueur mondial de tennis en catégorie « Quads », catégorie qui
rassemble les joueurs touchés par un handicap aux quatre membres. Je suis en effet atteint d’une neuropathie, à savoir
une maladie qui altère la conduction des messages nerveux vers les muscles et
ceci dans tout le réseau nerveux périphérique du corps.
Mon objectif est d’atteindre la 25e
place mondiale avant les Jeux Paralympiques de 2024 dans ma catégorie.
J’ai toujours eu un grand intérêt pour
le sport, mais encore une fois, trouver des structures adaptées avec un
encadrement compétent n’est pas une mince affaire lorsque vous avez un
handicap.
Le tennis est arrivé très tard après
de nombreuses années de sport en salle, d’athlétisme et quelques tests au sien
d’autres sports qui ne répondaient pas à mes attentes.
« Le métier d’avocat requiert
cette même précision, les mots sont des balles d’attaque ou de défense, il faut
jouer juste pour éviter la faute et toucher la zone gagnante. »
En réalité, le tennis m’a trouvé plus
que je ne l’ai cherché. J’y ai trouvé un sport complet qui demande intensité
physique et maîtrise de l’esprit ; on y allie vitesse et contrôle, force
et délicatesse, détachement et stratégie. On peut y jouer avec force et
contrôle ou voler sur le court avec une grâce et une vitesse que même les
valides nous envient parfois.
Existe-t-il des similitudes entre l'exercice du
droit et celui du tennis ?
Je vois effectivement une similitude
entre l’exercice du droit et la pratique du tennis dans la nécessité de la
rigueur. À mes yeux, il semble difficilement concevable d’être un bon avocat
sans une bonne dose de rigueur. C’est pour moi l’un des fondamentaux de notre
métier qui ne supporte pas l’à peu près. Lorsqu’un client vous confie un
dossier et qu’il vous donne sa confiance, il faut le traiter avec autant d’implication
que pour vous-même.
Au tennis, si vous décalez de
quelques centimètres votre geste ou que l’impact de balle est trop précoce ou
tardif, il y a peu de chance que la balle franchisse le filet. Le métier
d’avocat requiert cette même précision, les mots sont des balles d’attaque ou
de défense, il faut jouer juste pour éviter la faute et toucher la zone
gagnante.
Comment pratique-t-on le tennis en fauteuil
roulant ?
La pratique du tennis en fauteuil est
assez simple en théorie. Les règles de jeu sont totalement identiques à celles
applicables au tennis valide à une seule exception près : un second rebond
de la balle est permis (dans les faits ce second rebond est rarement utilisé à
haut niveau).
L’autre particularité majeure de cette
version « handi » du tennis est le schéma de déplacement. Tandis que
le joueur valide effectue la plupart de ses déplacements de manière latérale et
s’arrête pour frapper la balle, le joueur en fauteuil doit réaliser des
mouvements circulaires en « 8 » de manière permanente afin de garder
l’inertie indispensable aux courses vers la balle.
J’aime comparer cette disposition au
danseur de ballet qui engage toujours son corps avant la tête de telle sorte
que le regard ne quitte qu’un instant imperceptible le cap qu’il fixe en face
de lui, le corps étant déjà replacé à cet instant. Au handitennis c’est
identique, le regard doit rester fixé sur la balle en permanence. Cela en fait
un sport élégant demandant une grande intensité physique du haut du corps, même
au niveau amateur.
Quels sont les effets de ce sport, mais aussi de la
compétition, sur la perception ainsi que la réalité de votre handicap ?
Le tennis en fauteuil est l’un des
sports les plus développés dans le monde pour les personnes à mobilité réduite.
Cela en fait également l’un des plus organisés et reconnus.
S’il attire encore peu en France,
dans certains pays (pour ne citer que les premiers, le Royaume-Uni, les
Pays-Bas, le Japon, les États-Unis) les athlètes sont pleinement considérés
comme des sportifs de haut niveau et sont de véritables célébrités dans leurs
pays.
Ce sport est une opportunité pour
beaucoup de joueurs de se fixer des objectifs positifs dans des vies parfois
très lourdement accidentées. Il fait partie de l’un des moyens de réinsertion
privilégiés par les centres de rééducation en France.
Mon cas personnel est un peu
différent, étant né avec ce handicap, j’ai construit ma vie avec cette
différence. Mes objectifs ont été ceux communs à la plupart des gens :
faire des études, trouver un emploi, construire une vie de famille, s’entourer
d’amis, profiter simplement de la vie. Je n’ai pas attendu le tennis pour vivre
cette vie épanouissante.
Vous suivez actuellement une préparation pour
participer aux Jeux Paralympiques de Paris 2024. Pour la première fois de son
histoire, la France organisera en 2024 les Jeux Paralympiques d’été. Qu’est-ce que cette
participation représenterait pour vous ?
Je pense que le monde entier attend
cela avec autant d’impatience que nous, tant la France, par son histoire et son
rayonnement, y tient une place particulière.
Avoir le privilège de représenter mon
pays, que j’aime profondément, serait une fierté incroyable.
Je suis conscient que beaucoup de
personnes espèrent que la venue des Jeux Paralympiques en France fera avancer
les choses pour la reconnaissance des personnes handicapées dans ce pays, comme
cela a été le cas à Londres par exemple.
Je suis peut-être pessimiste, mais
lorsque je constate la précarité dans laquelle vit la grande majorité des
personnes handicapées et le désintérêt des pouvoirs publics depuis très
longtemps pour ce sujet, j’éprouve de grandes difficultés à imaginer un monde
post-Jeux dans lequel vivre avec un handicap se rapprocherait de la vie offerte
aux autres citoyens de notre pays.
Les exemples de cette volonté
inexistante sont légion, comme en témoignent les retards qui se comptent en
dizaines d’années déjà pris sur les travaux de mise en accessibilité des
transports, des logements, des services publics et des commerces.
La tour Eiffel aux couleurs des Jeux Paralympiques de Paris 2024
Comment votre employeur, Fidal, soutient-il votre candidature aux Jeux Paralympiques
de Paris 2024 ?
FIDAL est, à mon sens, une exception
dans le monde des cabinets d’avocats d’affaires. L’humain y a toujours tenu une
place particulière, cela fait partie de sa culture depuis toujours, et c’est
l’une des raisons pour lesquelles j’ai choisi ce cabinet, il y a 11 ans.
Faire carrière dans le monde des
avocats c’est bien, le faire entouré de personnes qui aspirent à une vie
équilibrée, c’est mieux.
Mon projet, qui est à la fois sportif
et social, y a donc trouvé tout son sens.
Le soutien de FIDAL se matérialise à
différents niveaux, mais c’est avant tout une histoire d’hommes et de femmes
partageant une aventure commune.
C’est tout d’abord le soutien de mes
collègues qui m’est le plus important. La vie d’avocat est rarement reposante,
on donne beaucoup pour être présent pour nos clients.
Cela nécessite une grande
disponibilité, une réactivité de tous les instants et une charge de travail
importante que l’on partage au sein de nos équipes.
Nourrir un projet sportif nécessite
aussi du temps et beaucoup de travail. La flexibilité est la première clé, et c’est là que
le soutien de mes collègues entre en jeu.
À ce sujet, je tiens particulièrement à remercier Christine d’Ovidio, avocate chez
FIDAL, pour ses qualités tant professionnelles qu’humaines et sa confiance.
Sans son soutien, tout ce projet sportif ne pourrait exister.
Le soutien de mes clients est
également un atout formidable. Tous ne connaissent pas mon handicap à l’heure
de la digitalisation des échanges, d’autres l’ont appris à travers le sport en
suivant mon parcours sur les réseaux sociaux. C’est formidable de constater à
quel point le sport rassemble les gens.
La seconde clé est la maîtrise mentale.
Il faut être capable de switcher entre la robe et la raquette en quelques
instants, garder sa concentration en toutes circonstances et rester disponible
en permanence, même lorsque les contraintes sont nombreuses. Quand on maîtrise
les bonnes techniques, cela devient facile.
Enfin, la pratique du handisport de
haut niveau nécessite beaucoup de voyages pour disputer des compétitions à
travers le Monde. FIDAL Paris m’aide à ce titre par un accompagnement financier
sous forme de mécénat afin de compenser une partie des coûts très importants
qu’engendre le sport de haut niveau. Ils me soutiennent activement dans ce
projet sportif et c’est très important pour moi.
Quel regard portez-vous sur la performance de
l’équipe de France aux Jeux Paralympiques de Tokyo ?
La France dispose de magnifiques
champions et championnes en tennis fauteuil. Stéphane Houdet, porte-drapeau des
jeux de Tokyo, domine le tennis mondial avec Nicolas Peifer chez les hommes
(dernièrement champions Paralympiques en double à Tokyo). Les femmes ne sont
pas en reste avec Emmanuelle Mörch, Zoé Maras, Charlotte Fairbank, Pauline
Déroulède, qui ont toutes un immense talent.
La seule zone d’ombre de ces jeux est
l’absence de représentation des joueurs de ma catégorie (Quads) à Tokyo, compte
tenu des critères de sélection très rigoureux fixés par les instances du tennis
français.
Nous espérons de tout cœur que la
montée en puissance des joueurs Quads français et le fait que les Jeux se
dérouleront chez nous permettront d’écrire une histoire différente en 2024.
Que pensez-vous de la représentation du handisport
dans le paysage sportif ?
C’est un sujet qui évolue petit à
petit grâce à l’engagement associatif et des sportifs, mais cela reste très
marginal.
La sous-représentation du handisport
est une particularité française qui surprend beaucoup à l’étranger. D’après les
informations à ma disposition, le budget annuel conféré à un athlète de haut
niveau est par exemple, au Japon ou au Royaume-Uni, plus de dix fois supérieur
à celui d’un joueur français, cela traduit un investissement bien trop timide
dans le handisport français.
La difficulté réside dans le fait que
les instances sportives de notre pays ont tendance à attendre les résultats
avant d’investir du temps et de l’argent dans leurs athlètes, alors que nombre
d’autres pays investissent très tôt dans tous leurs joueurs prometteurs.
Aujourd’hui, peu de nouveaux athlètes
français émergent sur la scène internationale tandis que nos voisins hollandais
ou britanniques constituent des équipes de jeunes qui, dès 18-19 ans, raflent tout sur leur passage et
qui domineront probablement le sport pour les 20 prochaines années.
Le sport de haut niveau nécessite des
soutiens médiatiques et financiers, c’est une réalité à laquelle il ne faut, à
mon sens, ne pas tourner le dos.
Enfin, quels sont vos projets à venir avant les JO
2024 ?
La compétition m’a appris de
nombreuses choses, et la plus fondamentale à mes yeux est l’existence et
l’importance de la préparation mentale.
J’ai découvert cette discipline il y
a quelques années en étudiant les neurosciences, la programmation neuro-linguistique,
le yoga et la méditation pour comprendre comment atteindre l’état méditatif de
haute performance que l’on appelle la « zone » dans le sport.
Cela a, de manière inattendue,
complètement bouleversé ma vie, ma vision du monde et ma productivité, aussi
bien dans mes résultats sportifs que dans ma vie personnelle et
professionnelle.
Il existe ainsi des outils
scientifiques permettant d’agir sur la concentration, la gestion des émotions,
la fixation d’objectifs. Les neurosciences n’en sont qu’à leurs balbutiements
en la matière et le champ des possibles est sans limite, ce qui est très
stimulant.
L’objectif essentiel de mon projet
est de partager cette expérience avec les gens et en particulier les jeunes
générations. J’aimerais prouver que malgré les difficultés, chaque personne a
en soi les ressources nécessaires pour atteindre ses objectifs et s’épanouir
dans la vie. À mon sens, tout n’est qu’une question de préparation adéquate.
Propos recueillis par
Bérengère Margaritelli et Constance Périn