ACTUALITÉ

« J’ai arrêté depuis longtemps de regarder les freins pour me concentrer sur l’accélérateur » - Entretien avec Pierlin Angeli, avocat chez FIDAL Paris et athlète handisport

« J’ai arrêté depuis longtemps de regarder les freins pour me concentrer sur l’accélérateur » - Entretien avec Pierlin Angeli, avocat chez FIDAL Paris et athlète handisport
Publié le 07/12/2021 à 12:00

Pierlin Angeli est avocat, mais aussi tennisman. 73e mondial en catégorie « Quads », celui-ci suit actuellement une préparation dans lespoir de représenter la France aux Jeux Paralympiques de Paris 2024. Déterminéil peut compter, sur le soutien de FIDAL Paris, cabinet quil a intégré il y a plus de dix ans. Pierlin Angeli revient, pour le JSS, sur son parcours professionnel et son parcours d’athlète.

 



Pouvez-vous vous présenter et revenir sur votre parcours professionnel ?

J’ai 35 ans et ai grandi en région parisienne. Je suis le benjamin d’une fratrie de quatre garçons, marié, avocat en droit des affaires depuis près de 11 ans, sportif depuis toujours et joueur de tennis en fauteuil depuis six ans.

Après un parcours classique à la faculté de droit Paris XI, j’ai intégré le Master 2 Conseil juridique et fiscal de Paris XI/ESCP-EAP, puis ai commencé mon exercice professionnel en tant que collaborateur au sein de la Direction Internationale de FIDAL à la Défense, devenue ensuite la Direction parisienne de FIDAL, que je n’ai plus quittée depuis lors. J’ai pu y développer une expertise en Corporate/M&A, restructuration de groupes et gestion juridique externalisée auprès de grands groupes internationaux comme de PME familiales.

 

 

Pourquoi avez-vous souhaité devenir avocat ?

C’est la curiosité qui m’a tout d’abord attiré vers le droit. J’ai toujours eu le besoin de comprendre le monde et les gens depuis ma jeunesse, et le droit constitue pour moi le mode d’emploi des relations humaines.

Un sens aiguisé de la justice également : les situations d’injustice ont toujours nourri une puissante révolte en moi. Devenir avocat signifiait être capable de défendre ceux qui en ont besoin.

Au cours de mes études supérieures, mes préférences se sont dirigées vers le droit des affaires, et plus particulièrement le droit des sociétés qui m’a toujours semblé familier et évident, peut-être parce que j’y ai toujours baigné de près ou de loin, mon père étant lui-même entrepreneur.

Devenir avocat était la suite logique de ce parcours et la matérialisation de ces valeurs.






Pierlin Angeli


 


 

Votre handicap a-t-il déjà été un frein dans votre parcours ?

Je vais être très direct sur ce sujet. Avoir un handicap signifie être différent. Être différent signifie vivre dans une société qui n’est pas construite à votre image. Ce n’est la faute de personne, c’est comme cela. Cela implique toutefois effectivement de nombreuses difficultés au quotidien.

Lorsque rien n’est bâti pour vous, les freins sont omniprésents, aussi bien dans votre vie personnelle que professionnelle. Vos choix, lorsque vous avez un handicap moteur tel que le mien, sont toujours dictés par une préalable et omniprésente question : est-ce accessible ? Et la réponse est malheureusement souvent la même : non.

Alors on apprend à se dépasser, et c’est là que cela devient intéressant. La plasticité cérébrale, la résilience, l’expérience, ce sont tous ces aspects qui créent la force d’un individu.

Certains n’y voient qu’une faiblesse, mais le handicap a ceci de fantastique à mon sens, il s’agit d’un miroir dans lequel chacun voit ses propres faiblesses. Les personnes les plus fortes et intéressantes que j’ai connues dans ma vie sont probablement celles que je croise tous les jours à l’entraînement sur les courts de tennis. J’ai, comme la plupart d’entre eux, arrêté depuis longtemps de regarder les freins pour me concentrer sur l’accélérateur.

 

 

Parallèlement, vous pratiquez le tennis à l’USV Villejuif Tennis et êtes classé. Depuis combien de temps pratiquez-vous ce sport ? Pourquoi le tennis ?  

Je suis actuellement classé 73e joueur mondial de tennis en catégorie « Quads », catégorie qui rassemble les joueurs touchés par un handicap aux quatre membres.  Je suis en effet atteint d’une neuropathie, à savoir une maladie qui altère la conduction des messages nerveux vers les muscles et ceci dans tout le réseau nerveux périphérique du corps.

Mon objectif est d’atteindre la 25e place mondiale avant les Jeux Paralympiques de 2024 dans ma catégorie.

J’ai toujours eu un grand intérêt pour le sport, mais encore une fois, trouver des structures adaptées avec un encadrement compétent n’est pas une mince affaire lorsque vous avez un handicap.

Le tennis est arrivé très tard après de nombreuses années de sport en salle, d’athlétisme et quelques tests au sien d’autres sports qui ne répondaient pas à mes attentes.

 


 

« Le métier d’avocat requiert cette même précision, les mots sont des balles d’attaque ou de défense, il faut jouer juste pour éviter la faute et toucher la zone gagnante. »

 

 


En réalité, le tennis m’a trouvé plus que je ne l’ai cherché. J’y ai trouvé un sport complet qui demande intensité physique et maîtrise de l’esprit ; on y allie vitesse et contrôle, force et délicatesse, détachement et stratégie. On peut y jouer avec force et contrôle ou voler sur le court avec une grâce et une vitesse que même les valides nous envient parfois.

 

 

Existe-t-il des similitudes entre l'exercice du droit et celui du tennis ?

Je vois effectivement une similitude entre l’exercice du droit et la pratique du tennis dans la nécessité de la rigueur. À mes yeux, il semble difficilement concevable d’être un bon avocat sans une bonne dose de rigueur. C’est pour moi l’un des fondamentaux de notre métier qui ne supporte pas l’à peu près. Lorsqu’un client vous confie un dossier et qu’il vous donne sa confiance, il faut le traiter avec autant d’implication que pour vous-même.

Au tennis, si vous décalez de quelques centimètres votre geste ou que l’impact de balle est trop précoce ou tardif, il y a peu de chance que la balle franchisse le filet. Le métier d’avocat requiert cette même précision, les mots sont des balles d’attaque ou de défense, il faut jouer juste pour éviter la faute et toucher la zone gagnante.

 

 

Comment pratique-t-on le tennis en fauteuil roulant ?

La pratique du tennis en fauteuil est assez simple en théorie. Les règles de jeu sont totalement identiques à celles applicables au tennis valide à une seule exception près : un second rebond de la balle est permis (dans les faits ce second rebond est rarement utilisé à haut niveau).

L’autre particularité majeure de cette version « handi » du tennis est le schéma de déplacement. Tandis que le joueur valide effectue la plupart de ses déplacements de manière latérale et s’arrête pour frapper la balle, le joueur en fauteuil doit réaliser des mouvements circulaires en « 8 » de manière permanente afin de garder l’inertie indispensable aux courses vers la balle.

J’aime comparer cette disposition au danseur de ballet qui engage toujours son corps avant la tête de telle sorte que le regard ne quitte qu’un instant imperceptible le cap qu’il fixe en face de lui, le corps étant déjà replacé à cet instant. Au handitennis c’est identique, le regard doit rester fixé sur la balle en permanence. Cela en fait un sport élégant demandant une grande intensité physique du haut du corps, même au niveau amateur.

 

 

Quels sont les effets de ce sport, mais aussi de la compétition, sur la perception ainsi que la réalité de votre handicap ?

Le tennis en fauteuil est l’un des sports les plus développés dans le monde pour les personnes à mobilité réduite. Cela en fait également l’un des plus organisés et reconnus.

S’il attire encore peu en France, dans certains pays (pour ne citer que les premiers, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Japon, les États-Unis) les athlètes sont pleinement considérés comme des sportifs de haut niveau et sont de véritables célébrités dans leurs pays.

Ce sport est une opportunité pour beaucoup de joueurs de se fixer des objectifs positifs dans des vies parfois très lourdement accidentées. Il fait partie de l’un des moyens de réinsertion privilégiés par les centres de rééducation en France.

Mon cas personnel est un peu différent, étant né avec ce handicap, j’ai construit ma vie avec cette différence. Mes objectifs ont été ceux communs à la plupart des gens : faire des études, trouver un emploi, construire une vie de famille, s’entourer d’amis, profiter simplement de la vie. Je n’ai pas attendu le tennis pour vivre cette vie épanouissante.

 

 

Vous suivez actuellement une préparation pour participer aux Jeux Paralympiques de Paris 2024. Pour la première fois de son histoire, la France organisera en 2024 les Jeux Paralympiques d’été. Qu’est-ce que cette participation représenterait pour vous ?

Je pense que le monde entier attend cela avec autant d’impatience que nous, tant la France, par son histoire et son rayonnement, y tient une place particulière.

Avoir le privilège de représenter mon pays, que j’aime profondément, serait une fierté incroyable.

Je suis conscient que beaucoup de personnes espèrent que la venue des Jeux Paralympiques en France fera avancer les choses pour la reconnaissance des personnes handicapées dans ce pays, comme cela a été le cas à Londres par exemple.

Je suis peut-être pessimiste, mais lorsque je constate la précarité dans laquelle vit la grande majorité des personnes handicapées et le désintérêt des pouvoirs publics depuis très longtemps pour ce sujet, j’éprouve de grandes difficultés à imaginer un monde post-Jeux dans lequel vivre avec un handicap se rapprocherait de la vie offerte aux autres citoyens de notre pays.

Les exemples de cette volonté inexistante sont légion, comme en témoignent les retards qui se comptent en dizaines d’années déjà pris sur les travaux de mise en accessibilité des transports, des logements, des services publics et des commerces.

 


 



La tour Eiffel aux couleurs des Jeux Paralympiques de Paris 2024





Comment votre employeur, Fidal, soutient-il votre candidature aux Jeux Paralympiques de Paris 2024 ?

FIDAL est, à mon sens, une exception dans le monde des cabinets d’avocats d’affaires. L’humain y a toujours tenu une place particulière, cela fait partie de sa culture depuis toujours, et c’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai choisi ce cabinet, il y a 11 ans.

Faire carrière dans le monde des avocats c’est bien, le faire entouré de personnes qui aspirent à une vie équilibrée, c’est mieux.

Mon projet, qui est à la fois sportif et social, y a donc trouvé tout son sens.

Le soutien de FIDAL se matérialise à différents niveaux, mais c’est avant tout une histoire d’hommes et de femmes partageant une aventure commune.

C’est tout d’abord le soutien de mes collègues qui m’est le plus important. La vie d’avocat est rarement reposante, on donne beaucoup pour être présent pour nos clients.

Cela nécessite une grande disponibilité, une réactivité de tous les instants et une charge de travail importante que l’on partage au sein de nos équipes.

Nourrir un projet sportif nécessite aussi du temps et beaucoup de travail. La flexibilité est la première clé, et c’est là que le soutien de mes collègues entre en jeu.

À ce sujet, je tiens particulièrement à remercier Christine d’Ovidio, avocate chez FIDAL, pour ses qualités tant professionnelles qu’humaines et sa confiance. Sans son soutien, tout ce projet sportif ne pourrait exister.

Le soutien de mes clients est également un atout formidable. Tous ne connaissent pas mon handicap à l’heure de la digitalisation des échanges, d’autres l’ont appris à travers le sport en suivant mon parcours sur les réseaux sociaux. C’est formidable de constater à quel point le sport rassemble les gens.

La seconde clé est la maîtrise mentale. Il faut être capable de switcher entre la robe et la raquette en quelques instants, garder sa concentration en toutes circonstances et rester disponible en permanence, même lorsque les contraintes sont nombreuses. Quand on maîtrise les bonnes techniques, cela devient facile.  

Enfin, la pratique du handisport de haut niveau nécessite beaucoup de voyages pour disputer des compétitions à travers le Monde. FIDAL Paris m’aide à ce titre par un accompagnement financier sous forme de mécénat afin de compenser une partie des coûts très importants qu’engendre le sport de haut niveau. Ils me soutiennent activement dans ce projet sportif et c’est très important pour moi.

 

 

Quel regard portez-vous sur la performance de l’équipe de France aux Jeux Paralympiques de Tokyo ?

La France dispose de magnifiques champions et championnes en tennis fauteuil. Stéphane Houdet, porte-drapeau des jeux de Tokyo, domine le tennis mondial avec Nicolas Peifer chez les hommes (dernièrement champions Paralympiques en double à Tokyo). Les femmes ne sont pas en reste avec Emmanuelle Mörch, Zoé Maras, Charlotte Fairbank, Pauline Déroulède, qui ont toutes un immense talent.

La seule zone d’ombre de ces jeux est l’absence de représentation des joueurs de ma catégorie (Quads) à Tokyo, compte tenu des critères de sélection très rigoureux fixés par les instances du tennis français.

Nous espérons de tout cœur que la montée en puissance des joueurs Quads français et le fait que les Jeux se dérouleront chez nous permettront d’écrire une histoire différente en 2024.

 

 

Que pensez-vous de la représentation du handisport dans le paysage sportif ?

C’est un sujet qui évolue petit à petit grâce à l’engagement associatif et des sportifs, mais cela reste très marginal.

La sous-représentation du handisport est une particularité française qui surprend beaucoup à l’étranger. D’après les informations à ma disposition, le budget annuel conféré à un athlète de haut niveau est par exemple, au Japon ou au Royaume-Uni, plus de dix fois supérieur à celui d’un joueur français, cela traduit un investissement bien trop timide dans le handisport français.

La difficulté réside dans le fait que les instances sportives de notre pays ont tendance à attendre les résultats avant d’investir du temps et de l’argent dans leurs athlètes, alors que nombre d’autres pays investissent très tôt dans tous leurs joueurs prometteurs.

Aujourd’hui, peu de nouveaux athlètes français émergent sur la scène internationale tandis que nos voisins hollandais ou britanniques constituent des équipes de jeunes qui, dès 18-19 ans, raflent tout sur leur passage et qui domineront probablement le sport pour les 20 prochaines années.

Le sport de haut niveau nécessite des soutiens médiatiques et financiers, c’est une réalité à laquelle il ne faut, à mon sens, ne pas tourner le dos.

 

 

Enfin, quels sont vos projets à venir avant les JO 2024 ?

La compétition m’a appris de nombreuses choses, et la plus fondamentale à mes yeux est l’existence et l’importance de la préparation mentale.

J’ai découvert cette discipline il y a quelques années en étudiant les neurosciences, la programmation neuro-linguistique, le yoga et la méditation pour comprendre comment atteindre l’état méditatif de haute performance que l’on appelle la « zone » dans le sport.

Cela a, de manière inattendue, complètement bouleversé ma vie, ma vision du monde et ma productivité, aussi bien dans mes résultats sportifs que dans ma vie personnelle et professionnelle.

Il existe ainsi des outils scientifiques permettant d’agir sur la concentration, la gestion des émotions, la fixation d’objectifs. Les neurosciences n’en sont qu’à leurs balbutiements en la matière et le champ des possibles est sans limite, ce qui est très stimulant.   

L’objectif essentiel de mon projet est de partager cette expérience avec les gens et en particulier les jeunes générations. J’aimerais prouver que malgré les difficultés, chaque personne a en soi les ressources nécessaires pour atteindre ses objectifs et s’épanouir dans la vie. À mon sens, tout n’est qu’une question de préparation adéquate.

 

Propos recueillis par Bérengère Margaritelli et Constance Périn



0 commentaire
Poster
JO

Nos derniers articles