SOCIÉTÉ

« Je suis repartie de zéro » : après une séparation conjugale, la grande vulnérabilité des femmes sur le plan économique

« Je suis repartie de zéro » : après une séparation conjugale, la grande vulnérabilité des femmes sur le plan économique
Publié le 11/03/2025 à 08:23

La séparation et ses conséquences sur le niveau de vie coûtent cher aux femmes. Ces dernières jonglent bien souvent post-rupture avec des revenus en baisse et des pensions alimentaires aléatoirement versées, qu'elles n'ont parfois plus la force de réclamer.

Le divorce, source de liberté ou de réinvention des liens conjugaux ? Pas forcément. Publiée en janvier 2025, une étude du think tank Terra Nova met en évidence le coût de la séparation chez les femmes hétérosexuelles. Chaque année, 425 000 ruptures (divorces, ruptures de PACS ou d’union libres) qui concernent 380 000 mineurs sont comptabilisées.

Une réalité qui, dans chaque cas, entraîne possiblement un déménagement, un ajustement des budgets et un partage de l’autorité parentale. Si le déséquilibre financier issu de la séparation peut varier en fonction de la catégorie socio-professionnelle de l’ancien couple, les femmes continuent en grande partie de s’occuper des enfants et d’en payer le prix.

A ce titre, l’étude souligne que l’impact économique est nettement plus prononcé pour elles : leur niveau de vie diminue en moyenne de 20 % dans l’année qui suit la rupture, pour 10 % pour les hommes. A noter que certains facteurs aggravent l’appauvrissement des femmes : le fait d’avoir des enfants et d’appartenir à la génération « séniors ».

Une inégalité structurelle dès le mariage

Valérie Grimaud, avocate spécialisée en droit de la famille et du patrimoine, confirme : « Le divorce appauvrit hommes et femmes, mais pas du tout dans les mêmes proportions. Cet appauvrissement du foyer maternel s’étend sur cinq années, peu importe la mise en place de pensions alimentaires ou de prestations compensatoires ».

En cause notamment, le fait que les hommes ne demandent la résidence alternée seulement dans 20 % des contentieux. « La résidence alternée est par ailleurs un concept bourgeois. C'est-à-dire qu'il faut deux résidences équivalentes à proximité pour accueillir les enfants. C’est économiquement très lourd ».

Mais selon l’avocate, l’inégalité se met en place bien avant le divorce, pendant la vie du couple. « Lorsque les enfants arrivent, les femmes ont tendance à mettre plus facilement leur carrière de côté. Les hommes le font moins. Les statistiques prouvent par ailleurs que la majorité des femmes gagnent moins que leur conjoint. A partir du moment où les deux travaillent, ils doivent supporter les charges à 50-50. Ce qui fait que l’un fait des économies, peut investir même dans l’immobilier ou des projets, tandis que l’autre consacre tout son salaire dans les besoins du foyer ».

Selon une note de l’Observatoire de l’émancipation des femmes parue en 2024, plus il y a d’enfants, plus les femmes passent à temps partiel (à 28 % dans les couples avec un seul enfant, à 42 % pour les mères de trois enfants). Des chiffres qui ont tendance à prouver que la mère demeure « la variable de la famille », selon l’expression de Lucile Quillet, journaliste et essayiste, issue de son essai Le prix à payer – ce que le couple hétéro coûte aux femmes.

Les faiblesses du système de pension alimentaire

D’après l’étude de Terra Nova, un autre facteur aggravant est le non-paiement récurrent des pensions alimentaires. En 2016, entre 30 et 40 % des pensions n’étaient pas versées ou ne l’étaient que partiellement, contribuant à la précarisation des mères isolées.

Statistiquement, 35 % d’entre elles ont un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté (à 60 % du revenu médian), et même 42 % dans les familles avec deux enfants et plus. Bien qu’un service d’intermédiation des pensions alimentaires (ARIPA) ait été instauré pour lutter contre ces impayés, les résultats demeurent insuffisants, et les femmes continuent de supporter une charge disproportionnée.

Dans le cadre d’une séparation sans divorce, le cadre réglementaire n’existe tout simplement pas. Jennifer, secrétaire médicale mosellane de 42 ans, se retrouve dans une situation financière délicate après sa séparation. « Lorsque nous étions en couple, même si mon compagnon gagnait plus que moi, nous fonctionnions en 50-50 pour les dépenses communes et les frais fixes. Mais pour l’habillement des enfants ou les frais médicaux, je m’en chargeais seule ». De son côté, l’ex-conjoint possédait son propre compte, sur lequel il épargnait régulièrement, affirme-t-elle.

Après leur rupture, la situation de la secrétaire médicale s’assombrit. « Je suis repartie de zéro. J’ai dû tout racheter : meubles, voiture… L’investissement de départ était énorme ». Plus les enfants grandissent, plus les frais augmentent, le père insistant pour qu’ils soient scolarisés dans le privé. « Mon niveau de vie s’est dégradé, d’autant plus que je ne touche pas de pension alimentaire. Je n’en ai jamais fait la demande, parce qu’il faut payer un avocat, perdre du temps, poser des heures de congés… ».

Bénéficiaire des APL et de la prime d’activité de la CAF, elle sait en outre qu’en cas de pension alimentaire, ses aides diminueraient. Pour compenser ses pertes, elle n’hésite donc pas à cumuler plusieurs jobs, en complétant son travail par des heures de ménage chez des particuliers. 

Pour mémoire, selon le ministère des Solidarités et de la Santé, le coût annuel d'un enfant de moins de 18 ans est estimé à 9 000 euros en moyenne, soit environ 750 euros par mois. Or, aujourd’hui, toujours en moyenne, d’après la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et de la statistique (Drees), « les parents qui déclarent verser des pensions alimentaires renseignent un montant mensuel de 190 euros par enfant », sachant que « deux parents sur trois versent un montant inférieur au barème indicatif établi ».

« Je n’avais pas envie de me battre »

Dans le cas de la séparation d'un couple pacsé, le recours au juge pour fixer une pension alimentaire est moins systématique. Les couples non mariés doivent souvent initier une procédure pour obtenir ce soutien, ce qui dépend donc du bon-vouloir de chacun.

Claire, 38 ans, est journaliste à Bordeaux. Elle a quitté son conjoint avec lequel elle était pacsée et a eu un enfant. Elle raconte : « Je gagnais plus que lui. Cela me paraissait logique de dépenser plus pour le couple. Le loyer et les frais fixes étaient débités sur notre compte commun, mais je prenais en charge les courses et toutes les dépenses en lien avec notre fille : école, cantines, vêtements, activités, médecin… Ma culpabilité d’être partie m’a empêchée de mettre les choses à plat. Aujourd’hui, je continue de payer tout ce qui concerne notre fille malgré la garde alternée. » avoue Claire.

Si dans les faits, le budget de Claire n’a pas vraiment évolué, elle regrette pourtant la sécurité financière que son foyer lui prodiguait. « Certains frais étaient partagés, et mon ex-compagnon bénéficiait d’avantages avec son travail. Il pouvait aussi faire passer certains frais auprès de son entreprise. Aujourd’hui, il change d’activité et prévoit de faire une formation dans une nouvelle branche. J’anticipe aussi ce changement à venir ».

Leur arrangement à l’amiable, dénué d’un cadre réglementaire, astreint au départ la mère de famille à ne pas demander plus. « Je n’avais pas envie de me battre, pas le courage de me lancer dans une procédure auprès du juge aux affaires familiales (JAF). Je n’aime pas le conflit. J’ai accepté de payer plus, malgré l’incompréhension de mes proches. La priorité restait le bien-être de ma fille. Et pour mon ex-conjoint, c’est celui qui gagnait le plus qui payait le plus ».

La situation s’est, depuis, améliorée entre eux. À la suite de discussions récentes, ils ont décidé de remplir une « convention parentale relative aux modalités d’exercice de l’autorité parentale et à la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant », prévue par l'article 373-2-7 du Code civil. Claire explique : « Chacun remplit ses revenus, ses dates de garde, les vacances scolaires… Le document peut être déposé auprès du JAF. Pour moi, c’est l’assurance d’un cadrage. Une sorte de petite pression ‘soft’ ».

Un difficile équilibre à trouver

Dans les témoignages de femmes séparées ou divorcées, l’impossibilité de demander à l’ex-conjoint son dû s’explique par plusieurs raisons : peur de lui, peur des répercussions sur l’enfant, peur du conflit, peur de frais supplémentaires à engager…

L’avocate Valérie Grimaud décèle une autre explication. « Les femmes que j’accompagne, dès lors qu’elles travaillent et qu’elles touchent un revenu de cadre par exemple, ont du mal à accepter de demander une pension alimentaire alors qu’elles ont la résidence des enfants. Parce qu’elles ont l’impression que cette demande les humilie. De mendier auprès de leur ex-mari. En parallèle, beaucoup d’hommes considèrent que la pension alimentaire est une sorte de racket. Dans leur imaginaire, la pension alimentaire permet possiblement à la mère d’en profiter ».

Par principe, la pension alimentaire sert pourtant à payer la quote-part du loyer avec des chambres supplémentaires et à soutenir à équilibre les revenus pour que l’enfant n’ait pas à subir la disparité de niveau de vie entre ses parents. A ce titre, si ce sont souvent les femmes qui trinquent, des pères de famille « bons payeurs » s’estiment eux aussi lésés.

Jean-Philippe, 47 ans, est actuellement chef de projet à Paris. Il a divorcé en 2023 après quinze ans de mariage. Père de deux enfants en garde alternée, il raconte qu’à l’époque, la santé financière de sa famille dépendait uniquement de son travail. « Mon salaire étant quatre fois plus élevé que celui de mon ex-épouse, du fait de mon poste au Luxembourg, nous avons décidé qu’elle s’occuperait des enfants dans les premières années, pour leur bien-être. Nous profitions d’un niveau de rythme élevé, partions en vacances plusieurs fois par an et je pouvais investir des sommes confortables dans mes passions ».

Le Parisien déchante après sa rupture. « A compter de notre séparation, j’ai donné une part importante de mon salaire à mon ex-femme pour qu’elle puisse vivre confortablement et que les enfants ne manquent de rien. Cette somme est montée jusqu’à 2000 euros par mois. Depuis que le divorce est prononcé, je lui verse 500 euros par mois en guise de prestation compensatoire, et 450 euros par enfant. Sachant que j’ai récemment quitté le Luxembourg et que mon salaire a baissé d’environ 20 %. Pour autant, j’ai décidé de ne pas demander de réévaluation des montants à verser ».

Il choisit plutôt de s’adapter à sa baisse de revenus en diminuant aujourd’hui son niveau de vie, tout en nourrissant une certaine amertume. « Il me semble normal de compenser une partie des salaires qu’elle n’a pas touché. Cela dit, durant toutes ces années, je me suis usé en me levant tous les matins à 4h30 et en rentrant à 19h30. J’ai subi un stress immense car mon travail était l’unique source du foyer. J’estime avoir payé mon dû, en partie. Il me semble aujourd’hui injuste de de verser 1400 euros par mois à mon ex-femme dont la maison est plus grande que la mienne ».

Les femmes séniors divorcées : la double peine

Selon l’INED, Institut national d'études démographiques, le nombre de divorces des plus de 60 ans a doublé depuis 1985, et après 30 ou 35 ans de mariage, il a été multiplié par neuf. Quel que soit l’âge auquel elles divorcent, les femmes n’échappent pas aux inégalités financières : pire, elles représentant en fait l’un des profils les plus vulnérables en cas d’un divorce.

Selon la chercheuse Léa Cimelli, économiste et post-doctorante à l’Ined, les hommes se portent mieux en moyenne après une dissolution d’union. En effet, après un divorce chez les plus de 50 ans, le niveau de vie diminue de 5 % pour les hommes et de 24 % pour les femmes en moyenne. Elle explique : « Les principaux risques [à prendre en compte] sont les suivants, en particulier chez femmes de plus 50 ans : une large variation de niveau de vie, un choc économique, le risque d’entrer en précarité, voire en pauvreté ».

Au moment du divorce, on identifie ainsi une chute de revenus des femmes sexagénaires de près de 31 %, selon les données 2024 de l’Observatoire économique de l’émancipation des femmes. Au-delà de cette perte de niveau de vie et de cette paupérisation, la femme sénior fraichement divorcée se confronte à d’autres difficultés. La nouvelle autonomie qu’elle découvre peut parfois être source d’inquiétude, face à des problématiques comptables ou administratives qu’elle ne maîtrise pas forcément.

Cette réalité se reflète dans le quotidien de Catherine, âgée aujourd’hui de 62 ans et institutrice à Metz : « Je fais très attention à mon budget. En cas de grosse dépense, je la prévois longtemps à l’avance et je l’échelonne sur plusieurs mois. C’est une charge mentale en plus des apprentissages que j’ai réalisés sur le tard : gestion de mes comptes, affaires courantes et administratives… ».

Mariée à 19 ans, elle divorce après 35 ans de mariage. Elle fuit la maison familiale où son ex-mari demeure, quitte le rythme de vie confortable qu’elle menait, n’emporte que très peu d’affaires avec elle et se retrouve seule, pour la première fois de sa vie. Elle emménage dans un appartement en tant que locataire, dont elle prend le loyer en charge, le meuble, et gère aussi, seule, ses frais fixes.

« Pendant un an, je n’ai touché absolument aucune somme de mon ex-mari. Nous étions pourtant propriétaires d’une maison et de deux appartements. J’ai fonctionné sur mes propres fonds ». Les frais d’avocat qu’elle a dû avancer ont, pour leur part, été payés grâce à l’aide de son père. Mais son ex-conjoint lui verse désormais 1 000 euros par mois, depuis que la procédure judiciaire l’y contraint. « Malgré la prestation compensatoire que je touche, je n’ai clairement plus la même vie qu’avant ».

Repenser en profondeur les modèles existants

Face à ces angles morts, plusieurs voix font entendre la nécessité de faire évoluer le cadre législatif relatif aux ruptures, séparations ou divorces. A l’instar de Valérie Grimaud, qui souhaite notamment que les pensions alimentaires augmentent. « C’est une question de responsabilité des adultes. Ce n’est pas indispensable dans la vie d’être propriétaire immobilier, en revanche, d’élever des enfants, si. Il s’agit également d’une question d’éducation, homme comme femme ».

L’avocate en droit de la famille milite aussi pour la défiscalisation des pensions alimentaires. « Le créancier, qu’il soit homme ou femme, ne devrait absolument pas payer d’impôt sur cette somme qui est totalement absorbée par les besoins des enfants. Ce n’est pas un revenu. C’est une indemnité qui couvre des frais ».

Dans la même lignée, Terra Nova suggère quelques pistes d’amélioration, comme la révision du mode de calcul des pensions alimentaires, « en s’inspirant de l’exemple québécois qui intègre un indicateur relatif au temps passé avec les enfants ».

A une autre échelle, le think tank propose également de lutter contre le désinvestissement trop fréquent des pères, en mettant en place « une approche progressive, pour encourager l’implication du parent non-gardien via un accompagnement et une sensibilisation, des incitations, des sanctions légères à modérées et une réévaluation des droits parentaux en dernier recours ».

Laurène Secondé


0 commentaire
Poster

Nos derniers articles