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« Je suis un fervent défenseur de l’unité de la profession d’avocat et de son organisation ordinale et territoriale » - Entretien avec Bruno Blanquer, président de la Conférence des bâtonniers

« Je suis un fervent défenseur de l’unité de la profession d’avocat et de son organisation ordinale et territoriale » - Entretien avec Bruno Blanquer, président de la Conférence des bâtonniers
Publié le 16/02/2022 à 09:34

Succédant à Hélène Fontaine, Bruno Blanquer a pris le 1er janvier dernier ses fonctions à la tête de la Conférence des Bâtonniers. Élu en juin 2021, l’ancien bâtonnier de Narbonne et ancien président de la Conférence des bâtonniers du Grand Sud-Ouest entend insuffler un nouveau souffle démocratique à la Conférence, en apportant une attention particulière au recueil de la parole des bâtonniers des 163 barreaux de province. Entretien.

 

 


 

Pouvez-vous, en premier lieu, revenir sur votre parcours ?

Je suis ce que l’on appelle un avocat généraliste, inscrit au barreau de Narbonne depuis 1990 ; pour lequel j’ai eu l’honneur de m’engager en tant que bâtonnier de 2012 et 2013.

Je ne suis pas issu d’une famille de juriste, rien ne me prédestinait à l’avocature, mais le métier d’avocat s’est présenté à moi comme une évidence. J’apprécie son côté humain : on ne peut pas défendre les gens si on ne les aime pas. C’est indissociable. Le droit est au service de femmes et d’hommes, et je me mets à mon tour, en tant qu’avocat, au service de mon client, entièrement, tout en maintenant bien sûr la distance que la profession exige. Cet état d’esprit me correspond entièrement et avec le recul je suis convaincu je n’aurais pas pu exercer un autre métier. Il est celui qui me correspond le mieux.

Je suis fondamentalement et viscéralement avocat !

C’est dans le prolongement de cette démarche que je me suis investi dans l’ordinalité: j’ai eu envie de me mettre au service de la profession, tout d’abord comme membre du conseil de l’ordre, puis en tant que bâtonnier, enfin aujourd’hui, à travers ce nouveau mandat.

 

 


« Nous recueillons et portons la parole des bâtonniers, pour que l’ordinalité de province s’exprime d’une seule voix. »

 


 

Je sais combien ces organisations peuvent apporter à un avocat ou à un bâtonnier. Il m’est donc apparu normal, à mon tour, de rendre la pareille en m’engageant dans ces instances. Membre du bureau de la Conférence de 2014 à 2017 puis vice-président de cette dernière en 2018 et 2019, sous la présidence de Jérôme Gavaudan, aujourd’hui président du CNB -j’ai donc le plaisir de travailler à nouveau avec lui - j’ai également été président de la Conférence du Grand Sud Ouest qui réunit 36 barreaux, de 2020 jusqu’à mon élection en juin 2021, c’est donc en connaissant le métier et le « terrain » que je prends aujourd’hui mes nouvelles fonctions à la tête de la Conférence.

 

 

Justement, pouvez-vous nous en rappeler brièvement les missions ?

La Conférence représente la dynamique ordinale en région. Elle a pour principale mission de fédérer et maintenir le lien entre les 163 ordres d’avocats de province qui structurent la profession. Notre rôle est, d’une part, de recueillir et porter la parole des bâtonniers, afin que l’ordinalité de province s’exprime d’une seule voix. Avec plus de 160 bâtonniers, c’est une parole forte et représentative dans notre paysage. Cette voix est portée auprès des pouvoirs publics mais aussi et surtout au sein du CNB. Je suis un fervent défenseur de l’unité de la profession d’avocat et de son organisation ordinale et territoriale, une unité qui ne veut pas dire uniformité, mais qui sait trouver les moyens de s’exprimer quel que soit le sujet. C’est ainsi que nous sommes audibles. C’est fondamental ! Il en va de l’accès au droit sur l’ensemble de notre territoire.

D’autre part, la Conférence a pour mission d’apporter aide et assistance aux bâtonniers, et plus largement aux conseils de l’ordre dans leurs missions quotidiennes, notamment en les accompagnant dans leurs prérogatives d’autorégulation. La Conférence est donc amenée à répondre à toutes leurs questions en matière de déontologie, de discipline, d’exercice de la profession… Et afin de les accompagner au mieux elle leur propose également tout un panel de formation qui devrait s’étoffer encore dans les prochains mois.

 

 

Au 1er janvier 2020, vous succédiez à Hélène Fontaine à la tête de la Conférence des bâtonniers.  Comment entendez-vous accompagner les bâtonniers durant ces deux prochaines années ?

Je tiens d’abord à saluer l’action d’Hélène Fontaine. Elle a connu un mandat éminemment difficile, qui a débuté par une grève des avocats opposés légitimement à la réforme des retraites et s’en est suivi une pandémie qui perdure encore aujourd’hui. Dans ce contexte, il a fallu tenir la Conférence et Hélène Fontaine a su mener à bien cette mission.

Aujourd’hui pour poursuivre ses missions, la Conférence des bâtonniers a besoin de repenser son fonctionnement. J’ai détaillé les axes de cette réforme tout au long de ma campagne et je veux être le porteur de ce changement, avec pour principal objectif de mieux relayer la parole des bâtonniers.

Nous sommes à leur service, eux-mêmes porte-paroles de leur ordre, et défendons cette organisation territoriale. Ce sont les bâtonniers eux-mêmes qui doivent impulser les orientations de la Conférence. Aussi, pour continuer à porter leurs avis et leurs convictions, nous devons profiter des évolutions technologiques qui nous permettent de recueillir systématiquement leur parole en assemblée générale afin que leur voix soit d’autant plus forte et nos prises de positions plus écoutées.

  Par ailleurs nous travaillons sur notre organisation en interne pour maximiser le travail des commissions et rendre les services de la Conférence, déjà efficaces, encore plus efficients.

Ces adaptations devraient permettre d’une part d’instaurer une démocratie plus directe ouvrant aux bâtonniers la possibilité de décider des positions portées par la Conférence et d’autre part de leur offrir plus de services notamment en matière de formations et d’accompagnement déontologique renforcé.

 


 


Nouveau bureau de la Conférence des bâtonniers (©Vincent Rackelboom)




Comment bâtonniers et avocats ont-ils fait face à la crise sanitaire actuelle ? Quelles ont été leurs principales difficultés ?

Dans ce contexte inédit, je voudrais avant tout saluer l’action et la pugnacité des avocats et des bâtonniers. Ils ont fait preuve d’une particulière résilience et d’un sang-froid peu commun. Tout en respectant les consignes de sanitaires exigées par la situation, ils ont continué à travailler et à plaider leurs dossiers autant que faire se peut.

Les bâtonniers ont été remarquables : ils se sont organisés et malgré la situation, ont assuré le regroupement des dossiers de leurs confrères, ont organisé des permanences, se sont assurés qu’aucun dossier urgent ne tombe en déshérence, ont créé le lien entre tous alors qu’il s’étiolait.

Ils ont exécuté un travail énorme. Je tiens, ici, à les remercier encore une fois pour leur investissement et leur incontestable qualité d’adaptation. Ils ont assuré ce lien de proximité absolument nécessaire, à la base de notre organisation locale que je défends. Cette organisation de proximité a, une nouvelle fois, fait ses preuves et a révélé toute sa pertinence et son utilité. Je le redis, l’ancrage dans les territoires a du sens.

Cette crise sanitaire a également été l’occasion de montrer que la profession était unie et plus forte quand elle parlait d’une même voix. Elle est notamment arrivée à faire entendre à nos gouvernants que la Justice se jouait aussi dans les cabinets d’avocats et a permis leur ouverture sans limite d’heure lors des confinements. Si on empêche le justiciable de rencontrer son avocat, c’est toute l’économie qui s’arrête. Avec le confinement, la justice est, plus que jamais, apparue comme indispensable au bon fonctionnement de la société.

Ceci étant, pour continuer à fonctionner, la justice a parfois éloigné le justiciable de son juge, mais il ne faudrait pas que cela perdure. Il est primordial que nous revenions à un mode de fonctionnement normal.

 

 

Au 1er janvier, la France a pris la présidence de l’Europe pour les six prochains mois. Qu’en attendez-vous ?

L’engagement européen de la Conférence des bâtonniers, notamment au travers de la DBF, a toujours été fort et perdurera bien au-delà de la présidence française.

Mais à titre d’illustration, dans le cadre de cette nouvelle présidence, le CNB, la Conférence des bâtonniers et le barreau de Paris ont organisé à Strasbourg, le 12 janvier dernier, une journée consacrée à « L'avocat au cœur d'une Europe qui protège ».

Sur le plus long terme, je rappelle et profite l’occasion pour saluer l’élection de Thierry Wickers, ancien bâtonnier du barreau de Bordeaux et ancien président de la Conférence, à la 3e vice-présidence du Conseil des barreaux européens (CCBE). Nous nous réjouissons ainsi de savoir qu’il présidera en 2025 le CCBE.

Plus, nous saurons rappeler à la France tout ce qu’elle doit à l’Europe, notamment concernant les apports des textes européens et leur nécessaire respect. Je pense par exemple à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme qui garantit certains droits au bénéfice des parties à un procès, ou encore aux délais raisonnables. Car il est aussi du rôle de la Conférence de défendre les droits fondamentaux.

 

 

La Conférence des bâtonniers était aux côtés des magistrats et du personnel de greffe, le 15 décembre dernier, pour réclamer plus de moyens pour la justice. Pouvez-vous revenir sur cette mobilisation générale ?

Les moyens budgétaires dont dispose notre justice sont très insuffisants. Nous sommes heureux que les magistrats et le personnel de greffe reprennent de concert une position défendue depuis longue date par la Conférence.

Nous sommes aujourd’hui au bout du bout d’une logique qui veut que pour masquer le manque de moyens, on complique le parcours du justiciable, l’éloignant in fine du juge. Au lieu de régler ce problème budgétaire, les gouvernements successifs ont préféré faire moins de justice.

La campagne présidentielle nous offre l’opportunité de nous faire entendre du futur président de la République sur ce point. Nous demanderons à chacun des candidats de s’engager à doubler le budget de la justice judiciaire sur cinq ans. Et je ne parle là que de justice judiciaire. La justice pénitentiaire a ses propres besoins qui ne sont pas contestables, mais il faut cesser de confondre les deux au sein d’un budget global.

Je demande le doublement du budget de la justice judiciaire afin que la justice de notre pays soit à la hauteur de ce qu’elle doit être dans un État de droit et qu’elle cesse de dysfonctionner. Les magistrats en viennent à s’interroger sur le sens de leurs missions, les justiciables eux s’interrogent sur la pertinence de leurs actions en justice.

Les missions données aux états généraux de la Justice, ne prennent pas en compte ce point crucial qui est à mon sens un préalable.

La solution passe bien par une augmentation de moyens, avant que l’on parle de réformes, sauf celle qui consisterait à traduire dans notre droit positif la recommandation de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice adoptée le 17 juin 2021 visant à « réduire les contraintes formelles au strict nécessaire et assurer un droit de régularisation des actes viciés en fixant aux parties un bref délai pour déposer un acte de procédure régularisé ou pour fournir les informations requises ou bien remplir les conditions manquantes ».

 


La réforme des retraites est également encore latente. Quels en sont les enjeux ?

Il faudrait déjà que nous sachions de quoi on parle, car rien n’est encore défini ni clairement établi. S’agit-il d’un régime unique ? de trois régimes ? ou de cinq ? 

L’avocat dispose d’un régime autonome qui se caractérise par une solidarité très forte entre les avocats, par une égalité entre les femmes et les hommes et dont le budget n’est pas adossé au budget global de la France. Ce régime autonome, fonctionne très bien, et ses perspectives financières sont bonnes. Nous ne demandons qu’une chose : conserver ce régime et notre caisse indépendante. Il en va de l’indépendance même de notre profession. Nous voulons garder notre totale autonomie, c’est une position de principe qui ne sera pas négociable.

 

Propos recueillis par Constance Périn


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