Le
mois dernier, le 30e Congrès de l’Institut français des experts-comptables et
des commissaires aux comptes (IFEC) a fait escale à Saint-Malo. RSE,
interprofessionnalité, numérisation… durant deux jours, la cité corsaire a été
le témoin de l’effervescence de la profession comptable. Le président de
l’IFEC, Christophe Priem, revient sur cette manifestation et les principaux
enjeux qui animent la profession.
JSS : La
profession comptable s’est récemment réunie à l’occasion de la 30e édition du
Congrès de l’IFEC. Pouvez-vous nous présenter cet événement ?
CP : Cette
30e édition de notre Congrès a été importante à plus d’un titre. D’abord, nous
nous sommes enfin retrouvés en présentiel, après avoir lancé le 1 er Congrès
virtuel de la profession en 2020 lors de la pandémie. Nous avons ensuite
souhaité un Congrès 100 % pratico-pratique autour de 11 ateliers traitant de
sujets phares et de défis à relever pour notre profession : facture
électronique, outils numériques du cabinet, digitalisation, blockchain et
crypto-actifs, place des néo-banques, prévention des difficultés des
entreprises, RSE, audit du Fichier des Écritures Comptables, télétravail, QVT
et performance globale, sources de financement de la formation… et une plénière
sur l’interprofessionnalité. Chaque congressiste est reparti avec des outils
clés en main pour les mettre en application dans son cabinet. Nous avons
également accueilli plus de 40 partenaires dont des start-up. Enfin, un volet
plus festif a été l’occasion de célébrer les 60 ans de l’IFEC en présence de
nombreux présidents d’honneur lors d’une soirée animée par un DJ de renommée
internationale.
Il
est revenu à Stéphanie Barneix, championne de sauvetage côtier, d’ouvrir le
congrès. Persévérance, réactivité et audace sont des qualités indispensables
pour cette aventurière de l’extrême. Quels sont les adjectifs qui, selon vous,
qualifient aujourd’hui au mieux l’expert-comptable ?
Je
dirais proximité, réactivité et agilité. Il doit aussi être un facilitateur et
un accélérateur. En effet, depuis 1945, les experts-comptables sont des acteurs
de l’économie française. Avec plus de 21 000 professionnels répartis au sein de
17 000 cabinets, nous accompagnons les entreprises dans toutes les étapes de
leur vie « pour le meilleur et pour le pire ». L’expert-comptable est un
partenaire indispensable des petites et moyennes entreprises. Il est un acteur
de proximité, un partenaire local qui connaît leur région d’implantation et
offre les moyens de sécuriser le développement de leur activité dans les
meilleurs environnements internes et externes. Il est également un facilitateur
et un accélérateur de leur adaptation aux transformations perpétuelles de
l’environnement économique, sociétal et législatif. La crise économique,
sociale et sanitaire que nous avons vécue l’a démontré. Les experts-comptables
ont fait preuve de réactivité et d’agilité pour rassurer, conseiller,
accompagner au quotidien les entreprises et leur permettre la continuité de
leur activité économique.
L’expert-comptable
souffre d’une méconnaissance de son métier par le grand public. Comment
définiriez-vous le rôle de l’expert-comptable ? Et comment rendre cette
profession plus attractive ?
Force
est de constater que depuis la crise sanitaire, la profession du chiffre a été
mise en lumière par tous les médias, qu’ils soient écrits ou télévisés.
Conscient de ce rôle indéniable de partenaires des entreprises durant la crise
économique, le monde a salué les experts-comptables et les commissaires aux
comptes et nous a qualifiés de médecins de famille des entreprises, de
partenaires de confiance, de sauveurs de l’économie, de conseillers
indispensables, de pilotes d’activité etc. Jamais la profession n’aura eu
autant de reconnaissance des acteurs économiques relayée largement par les
journalistes. Grâce à la connaissance de l’entreprise et à la relation de
proximité avec son dirigeant, l’expert-comptable est un partenaire de confiance
pour conseiller et aider à trouver les solutions adaptées. L’image d’une
profession se construit aussi pendant une crise. Nous devons poursuivre sa
valorisation, celle d’une profession active, d’une profession solidaire, d’une
profession unie, d’une profession incontournable et engagée au service de
l’intérêt général et de notre économie nationale. Recruter, former, monter en
compétence, fidéliser : autant d’enjeux sur lesquels nous nous positionnons pour
demeurer performants et agiles. Les jeunes sont notre avenir. Nous devons
poursuivre la montée en compétence de nos collaborateurs. Il convient également
d’attirer de nouveaux talents d’horizons divers en pratiquant de nouveaux
modèles managériaux et en individualisant les parcours. C’est bien le
professionnalisme de nos offres de services qui est l’élément majeur de notre
attractivité pour nos futurs collaborateurs et nos clients.
« Nous
devons attirer de nouveaux talents d’horizons divers en pratiquant de nouveaux
modèles managériaux et en individualisant les parcours »
Durant
ces deux jours de congrès, il a notamment été question de la digitalisation des
cabinets et des entreprises. Comment la profession s’approprie-t-elle les
outils numériques ?
Nul
ne peut nier l’impact du numérique dans notre vie quotidienne. La technologie a
bouleversé nos habitudes quotidiennes et nos façons de consommer. Cela influe
également sur les attentes de nos clients et des collaborateurs. La réponse à
cette nécessité d’évolution est de digitaliser nos cabinets : mise en place de
nouveaux process, évolution vers le « zéro » papier, adoption de nouveaux
outils… À l’occasion de la grande enquête organisée par l’IFEC en 2021 sur les
éditeurs et la profession, nous avons pu observer qu’environ 50 % des cabinets
répondants étaient « monoéditeurs », regroupant les principales fonctions
étudiées (digitalisation, gestion électronique des documents, comptabilité,
gestion interne et commerciale, indicateurs clés pour nos clients…) dans un
seul et même outil. Les éditeurs traditionnels limitent souvent leurs outils,
peu ouverts à l’extérieur, à la seule production comptable des cabinets. Ils ne
sont pas toujours en capacité de répondre aux besoins que pourraient exprimer
les experts-comptables qui souhaiteraient développer de nouvelles missions au
plus près des attentes de leurs clients. Nous nous devons d’aider la profession
à mener une réflexion stratégique indispensable et positionner « l’outil » au
service de la stratégie et non l’inverse. Nous ne voulons plus de « prêt-à-porter
», mais du « sur-mesure » ! À l’occasion de notre congrès, la Commission
Innovation de l’IFEC a donc présenté de nouveaux outils qui ont retenu son
attention pour développer ces nouvelles missions au sein des cabinets
d’expertise-comptable.
La
RSE est aujourd’hui un sujet majeur pour les entreprises. Quel regard
portez-vous sur cette responsabilité que les entreprises ont encore du mal à
s’approprier ?
En
2010, l’IFEC, par la voix de François Jegard, organisait son Congrès national à
Deauville sur le thème : « Économie durable – Économie d’avenir,
construisons la performance durable de l’entreprise ! » C’était le premier
Congrès de la profession consacré au développement durable, à la RSE et à
l’approche conjointe de la performance financière et non financière ! Ces
sujets sont, plus que jamais aujourd’hui, au cœur de nos débats de société. La
responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise connaît des
développements considérables, en lien avec une prise de conscience partagée par
tous les acteurs économiques : la performance ne se mesure plus à la seule aune
du profit. Les règlementations européennes en cours (règlement taxinomie,
directive CSRD…) vont considérablement accélérer ce processus. L’alliance du
financier et de l’extrafinancier est un facteur de performance de l’entreprise,
et cette performance est d’autant plus importante qu’elle est durable.
L’attente citoyenne est claire, et elle appelle des actions tangibles,
mesurables, certifiables et certifiées. Les professionnels du chiffre doivent
sensibiliser et accompagner les dirigeants dans cette transition et leur
permettre d’accéder aux nombreux dispositifs d’aides mis en place.
En
2024, la facture électronique deviendra progressivement obligatoire pour les
assujettis à la TVA. Dans un premier temps à la réception, ensuite à
l’émission. Quels sont les enjeux ?
Au-delà
des enjeux fiscaux, économiques et écologiques, celui pour notre profession est
crucial. En effet, la facture électronique représente une excellente
opportunité pour nous de faire valoir notre rôle de coach d’entrepreneur, de
facilitateur du quotidien. Elle va également nous permettre d’accélérer la
digitalisation de nos cabinets, elle-même source de gains de productivité.
Toutefois, l’adoption de la facture électronique implique la maîtrise de certains
points techniques (quelle plateforme utiliser, quel est le format d’une facture
électronique…) et la mise en œuvre de process adaptés au sein de la structure
en interne (traitement des données en temps réel, formation des
collaborateurs…), également avec nos clients. L’IFEC propose des formations aux
consœurs et confrères ainsi que des webinaires, et a édité un dossier complet
dans son IFEC Mag n°71.
La
mission de l’expert-comptable est d’accompagner le dirigeant tout au long de la
vie de l’entreprise, dans les bons moments, mais aussi les plus difficiles.
Quels sont les dispositifs de prévention préalables aux procédures collectives ?
L’IFEC
a participé, dès le mois de juin 2021, à la mission commune sur les entreprises
en difficulté du fait du Covid, menée par l’ex-député Romain Grau. Cette
rencontre a été l’occasion de l’interroger et lui faire part des remontées du
terrain sur les aides consenties aux entreprises, le PGE, la dette « Covid »,
les améliorations souhaitées, les enjeux de la reprise et du rebond, mais aussi
sur notre rôle auprès de nos clients et/ou au sein de « cellules de crise» sur
notre territoire... À l’IFEC, nous avons donc décidé d’anticiper en proposant
un parcours « prévention des difficultés à la procédure collective » de cinq
modules de deux heures dédiés aux experts-comptables, commissaires aux comptes
et chefs de mission, car les mois à venir étaient déterminants pour les
entreprises en difficulté. Notre objectif a été de les informer. Alexandra
Blanch, administratrice judiciaire, a animé un atelier pratique et d’actualité
pour mettre nos professions au cœur de ces dispositifs. Comment maîtriser la
boîte à outils qui peut être utilisée dans le cadre de la prévention des
difficultés des entreprises et en cas de procédures collectives, à l’aune de
l’exigibilité et des restructurations nécessaires de certains PGE ? Les points
clés abordés ont été les suivants : état de cessation des paiements, mandat ad
hoc, conciliation, procédures collectives, paiement de nos honoraires dans le
cadre de ces procédures, procédure d’alerte du CAC, rouages de la CCSF (Comité
consultatif du secteur financier), autant d’éléments qui n’ont désormais plus
de secrets pour les consœurs et confrères !
Lors
du congrès, vous le disiez, l’IFEC a soufflé ses 60 bougies. L’expert-comptable
n’exerce plus aujourd’hui comme il le faisait il y a 20 ans ou même 10. Comment
imaginez-vous le cabinet et l’expert-comptable de demain ?
Nous
sommes tous conscients qu’aujourd’hui, notre secteur n’échappe pas à une
intensité concurrentielle drastique et croissante avec l’arrivée de nouveaux
acteurs sur notre marché, favorisée par l’explosion numérique. Nous devons
viser une organisation agile, capable de réagir et de se transformer dans des
délais courts en corrélation avec les attentes de notre marché. La récente
crise sanitaire, économique et sociale l’a démontré s’il en était besoin. Cette
pandémie a ainsi accéléré la transformation de nos modes de travail ayant pour
corollaire une modification de nos modes de fonctionnement avec la prise en
compte du télétravail. Nos salariés ont dû rapidement s’adapter à la situation,
faire preuve d’innovation, apprendre à revoir leur fonctionnement et à se
responsabiliser. Les nombreux défis énumérés supposent un changement de
posture, une nouvelle ambition, accompagnée d’une stratégie adaptée et de
différenciation. Nous devons également nous réinventer et anticiper la
transformation des métiers.
Propos recueillis par Constance Périn