Le 19 mars dernier, lors de son assemblée
générale, la Fédération des Barreaux d’Europe a élu la Première
vice-présidente, Dominique Attias, présidente de la Fédération pour un mandat
d’un an. Ancienne vice-bâtonnière du barreau de Paris, Dominique Attias a fait
de la défense des droits des femmes et des enfants son combat. Désormais à la
tête de la Fédération des Barreaux d’Europe, quelles orientations
souhaitent-elles donner à son mandat ? Entretien.
Vous avez récemment été élue présidente de la
Fédération des Barreaux d’Europe. Sur quelles priorités souhaiteriez-vous
construire votre mandat ?
Ma priorité absolue portera sur le maintien des liens avec les 250
barreaux qui composent la Fédération des Barreaux d’Europe (FBE). En période de
crise, il est nécessaire voire primordial d’entretenir ce lien.
Si la situation sanitaire nous le permet, et après plusieurs reports
successifs, nous devrions nous réunir à l’occasion de notre Congrès annuel, le
27 septembre prochain, à la Maison du barreau, à Paris. Si la situation ne
nous le permet pas, le congrès sera malheureusement annulé. En effet, même si
le numérique a permis de maintenir la tenue de bon nombre de manifestations,
nous en avons tous marre des événements en visioconférence. On a envie de se
rencontrer. La Fédération, c’est comme une grande famille ! Ce n’est pas
un instrument politique, c’est un outil de rencontres, de réflexions et
d’échanges.
Je souhaite également travailler sur des sujets transversaux, qui
intéressent les barreaux. La FBE est et continuera à être présente sur tous les
sujets qui intéressent tant l’État de droit que la profession, que ce soit la
protection des confrères et des libertés fondamentales, l’accès au droit pour
tous, l’égalité, les nouveaux modes de résolution des conflits, les nouvelles
technologies à disposition de l’avocat du XXIe siècle, et ce,
grâce à nos commissions. Le barreau est au coeur de la société. Son rôle est
nécessaire, notamment en période de crise et de pandémie.
Vous connaissez aussi mon engagement pour la défense des droits des
enfants. Durant mon mandat, va être créée une Commission ad hoc sur le
traitement des mineurs non accompagnés dans l’espace du Conseil de l’Europe,
qui sera composée d’experts de nos barreaux.
J’envisage également de mener un recensement des bonnes pratiques dans les
barreaux. Il est utile de partager ce qui fonctionne, pour en faire profiter le
plus grand nombre.
J’aimerais enfin pouvoir travailler en faveur de la Déclaration
universelle pour des droits de l'Humanité, portée par Corinne Lepage.
L’investissement des barreaux, tant auprès de leurs membres qu’auprès de la
société, est primordial.
Que retenez-vous de la mandature de votre prédécesseure, Silvia Giménez-Salinas ?
Silvia Giménez-Salinas a mené un mandat formidable. On a tous travaillé de
concert avec elle, afin de rester proches des barreaux membres, notamment en
cette période de crise. À ce titre, ont été organisés plusieurs webinaires,
dans le but de répondre aux problématiques actuelles des barreaux.
Durant sa mandature, Silvia Giménez-Salinas a également soutenu les
avocats turcs, et j’entends prolonger son action. En Turquie, la situation
politique est catastrophique. Avec la « complicité »
de l’équivalent du CNB en Turquie, le président Erdogan a fait modifier les modes
de scrutins des barreaux turcs, en mettant les plus gros barreaux et les plus
petits au même niveau, et ce afin d’affaiblir la parole des barreaux les plus
importants, qui sont aussi les plus contestataires, à l’image de ceux
d’Istanbul et d’Ankara. L’objectif est de réduire à néant l’indépendance des
barreaux. À mon sens, c’est une déclaration de guerre ! La Fédération a
récemment reçu un représentant du barreau d’Istanbul, barreau membre de la FBE,
pour lui témoigner son soutien. Avec le barreau de Paris, le CNB, l’OIAD et de
nombreuses organisations internationales d’avocats et Défense sans Frontière,
nous continuerons ce combat pour l’État de droit, en nous rendant
systématiquement en Turquie, à tour de rôle, pour assister à tous les procès de
nos confrères. La Fédération sera toujours présente aux côtés des barreaux
membres et des avocats trucs.
« La Fédération poursuit son action, c’est-à-dire
fédérer les petits
et grands barreaux, mais aussi tous les avocats, quel que
soit leur mode d’exercice. »
Quel regard portez-vous sur la justice et la défense
des droits, à l’échelle européenne ?
La situation actuelle est inquiétante. Avec la pandémie, nous assistons,
dans tous les États, à la restriction des droits fondamentaux et la profusion
de lois liberticides. La justice n’entend plus les justiciables. À l’heure de
la crise sanitaire, la tentation de dématérialiser tous les procès est forte.
En réaction, les justiciables n’ont plus accès à la justice en direct. Sans
parler de la problématique liée aux budgets consacrés à la justice pour faire
face à cette pandémie...
Je pense aussi à ce qui se passe actuellement en Pologne. Les réformes
judiciaires du pays constituent une violation de l'État de droit très grave. Il
faut rester vigilant et dénoncer ces violations.
Quels impacts la pandémie de coronavirus a-t-elle eu
sur la justice en Europe ? Et quels seraient, selon vous, les
enseignements à en tirer ?
J’aurai envie de dire « L’union fait la force ! » À l’heure actuelle, il me paraît en effet
primordial de conserver le lien avec les barreaux, avec la profession, laquelle
est en difficulté. Nous ne connaissons pas encore tous les impacts que
cette pandémie aura sur les conditions de la justice et sur les barreaux, mais
nos droits sont en danger. Dans ce contexte, mes confrères continuent à
assister les plus vulnérables, la défense chevillée au corps. La jeunesse, dans
l’espace européen aspire à un État de droit et à la justice. La profession
d’avocat continue à attirer les jeunes générations. Ce ne sont pas les
candidats avocats qui manquent !
La Fédération poursuit, elle aussi, son action, c’est-à-dire fédérer les
petits et grands barreaux, mais aussi tous les avocats, quel que soit leur mode
d’exercice. La présidence de la Fédération illustre bien cette diversité. À
titre d’exemple, je travaillais auparavant en droit des affaires, et défends
aujourd’hui les droits des plus vulnérables. Le prochain président de la
Fédération, Bas Martens (ancien bâtonnier de La Haye), est un avocat d’affaires
spécialisé dans la lutte contre le blanchiment d’argent et la protection de
notre secret professionnel ; et la 2e vice-présidente Izabela
Konopacka est une spécialiste des nouvelles technologies. Nous faisons partie
du même corps, et nos différences font notre richesse.
La défense et la protection des enfants sont votre
combat. Quel regard portez-vous sur la réforme des mineurs qui devrait entrer
en vigueur en France le 30 septembre prochain ?
La protection des enfants sera mon éternel combat. Je suis et reste très
mobilisée. La justice des mineurs est selon moi la plus belle des justices. Les
acteurs de justice dans ce domaine ont certes un rôle différent, mais se réunissent,
dans tout l’espace du Conseil de l’Europe autour d’un objectif commun :
faire en sorte que l’enfant s’en sorte.
J’ai déjà exprimé mon désaccord avec cette réforme, qui tend à rapprocher
la justice des mineurs de celle des majeurs. Cette réforme ne va pas, selon
moi, dans le bon sens. Si le gouvernement ne donne pas les moyens nécessaires à
la justice des mineurs, nous allons droit dans le mur ! Je suis par exemple
révoltée par la procédure d’audience unique, qui risque de se transformer en
l’équivalent de la comparution immédiate des majeurs et entraîner une augmentation du taux d’incarcération. Il faut savoir
que la France est le pays d’Europe qui incarcère le plus d’enfants et que 80 %
de ces enfants en détention ne sont pas encore jugés.
Il faut prendre en compte l’éducatif, la personnalité de l’enfant, et la
continuité de son suivi. Personnellement, je continue à me battre contre le
« détricotage » des liens de tous les partenaires de justice.
Mais maintenant que le Parlement a adopté la réforme, notre tâche est
désormais de former nos confrères, avec l’aide de tous les bâtonniers de
France.
L’École Nationale de la magistrature (ENM), sur proposition de sa
directrice Nathalie Roret, et l’École nationale de protection judiciaire de la
jeunesse (ENPJJ) vont mettre à disposition de tous les avocats de France, le 3
mai prochain, une formation sur le Code de justice pénale des mineurs (CJPM) en
e-learning. Cette formation était initialement destinée aux seuls personnels de
justice.
Dans le prolongement, le barreau de Paris, le CNB, la Conférence des
bâtonniers, l’ENM et l’ENPJJ organisent, le 16 juin prochain dans l’Auditorium
du barreau de Paris en visioconférence, pour 1 000 personnes, une grande
journée consacrée aux aspects philosophiques et pratiques du Code de justice
pénale des mineurs, accessible à celles et ceux qui auront suivi la formation
en e-learning.
En raison de la pandémie, cette formation sera suivie pour la plupart en
visioconférence.
Pour la première fois, elle sera accessible tant aux magistrats, avocats,
éducateurs de la PJJ qu’aux assesseurs et greffiers.
À propos de la journée internationale des droits des
femmes du 8 mars, quel commentaire souhaiteriez-vous apporter ?
Cette journée a le mérite d’exister, mais les droits des femmes sont à
mettre à l’honneur tous les jours ! Les choses bougent, c’est vrai, mais
le pouvoir reste et demeure encore entre les mains des hommes. La situation est
identique dans tous les pays du Conseil de l’Europe et dans tous
les barreaux.
Je suis par exemple extrêmement étonnée de constater que la plupart des
propositions de loi défendant les droits des femmes ou des enfants et les
commissions ordinales s’y référant, sont aujourd’hui encore, à l’initiative des
femmes.
La commission égalités de la FBE est présidée par une
femme, Valence Borgia, épaulée par d’autres femmes.
Serait-ce que les hommes, y compris les avocats, se sentent peu concernés
par ces sujets ?
Pourtant ils
doivent aussi être acteurs de ces indispensables changements.
Le mouvement
est assurément en marche et il ne s’arrêtera plus, y compris pour la conquête
des postes de pouvoir, car c’est par là que les choses évolueront.
Les évolutions
auront lieu également dans de prétendus détails, telle que la prolongation du
congé paternité. C’est un sujet majeur.
Je me réjouis
également de constater que Julie Couturier, élue à la tête du barreau de Paris,
défend la féminisation du titre de la fonction, et souhaite se faire appeler
bâtonnière ! C’est un symbole fort.
Le 24 janvier dernier s’est tenue la 11e journée
de l’avocat en danger, avec un focus sur la lutte pour protéger les avocats
azerbaïdjanais. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Nous avons souhaité mettre en lumière un pays qui n’est pas très connu, mais
qui est confronté à de graves violations des droits de l’homme. Les avocats
défenseurs des droits humains sont victimes de torture et de mauvais
traitements, ils sont poursuivis pénalement et radiés injustement par des
autorités, y compris de leur propre barreau. Il était important de dénoncer, à
travers cette journée, ces atteintes aux droits fondamentaux.
Quand on touche à un avocat, on touche à tous les avocats. Quand un
barreau a des difficultés, tous les barreaux se mobilisent.
Enfin, quels sont vos projets à venir ?
Après mon mandat à la présidence de la Fédération, j’entends me recentrer
sur les droits des enfants, en Europe et en Afrique, ce continent d’avenir qui,
à l’inverse de chez nous, où l’enfant est davantage considéré comme un fardeau,
estime que la jeunesse est une richesse. En Afrique, en travaillant sur les
droits des enfants, on fait évoluer le droit des femmes. En Europe, en faisant
évoluer les droits des femmes, peut-être ferons-nous évoluer ceux des
enfants ?
Les enfants sont l’avenir de toutes nos sociétés, mais ils n’ont pas les
moyens de faire valoir leurs droits. Les avocats sont et seront toujours là
pour se battre, pour porter leur parole et rendre leurs droits effectifs.
Propos recueillis par Constance Périn