Selon
les chiffres dévoilés récemment par le ministère de l’Intérieur, et à quelques
jours de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard
des femmes du 25 novembre, les violences conjugales ont augmenté de 10 % en
France en 2020. 159 400 personnes, dont plus de 139 000 femmes,
en ont été victimes. Dans son ouvrage paru le 19 octobre aux éditions Enrick B.
Les violences faites aux femmes - Aspects
juridiques et judiciaires et préfacé par Élisabeth Moreno, ministre chargée
de l'Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l'Égalité
des chances, le procureur de la République de Nîmes, Erick Maurel, s’est intéressé
à ce fléau. Il y propose une présentation globale et transversale du droit
applicable à toutes les femmes victimes de violences, et y décrit le processus
judiciaire et juridictionnel permettant d’y apporter une réponse.
Pouvez-vous revenir sur la naissance de ce projet ? Pourquoi
avez-vous souhaité écrire sur le sujet ?
Le
projet a émergé très récemment. À la sortie du premier confinement, dans mon
tribunal, j’ai constaté de manière empirique une explosion de la révélation des
faits des violences conjugales. À Nîmes, les affaires de violences conjugales
ont en effet augmenté de 100 % durant le 1er confinement. En
2019 et précédemment, elles concernaient 4 affaires par semaines ; à la
sortie du 1er confinement, nous étions à 4 affaires par jour ;
et elles s’élèvent à douze aujourd’hui ! J’ai inévitablement été interpelé
par l’ampleur de ce fléau social. En parallèle, il y a de ça quelques années,
il se trouve que j’ai été directeur de sessions de formation continue sur cette
thématique à l'École nationale de la magistrature. On pourrait alors dire que
cette idée d’ouvrage s’est imposée à moi.
Violences physiques, sexuelles et psychologiques, mais aussi
économiques ou patrimoniales ou encore atteintes à la dignité et aux liens
familiaux, ce livre aborde les différents types de violences dont les femmes
sont victimes. Il se compose de trois grandes
parties : la première est une longue introduction qui pose le contexte
tant national qu’international et revient sur l’évolution législative
française ; la deuxième concerne la technique juridique, avec un rappel des
infractions et des peines prévues ; la dernière, enfin, présente les
dispositifs judiciaires mis en œuvre. Le but était de recenser, dans un seul et
même ouvrage, les différents outils d’accompagnements mis en place pour les
victimes de violence.
À qui s’adresse particulièrement cet ouvrage ?
En premier lieu, cet ouvrage s’adresse bien sûr aux femmes
victimes de violences, mais pas seulement. Il sera également utile aux
professionnels du droit et aux associations, un outil dans lequel ils vont
pourvoir venir piocher l’information recherchée.
« L’expérimentation
sur le dispositif de contrôle judiciaire renforcé
avec placement probatoire donne
d’excellents résultats ».
Déploiement des bracelets anti-rapprochement, distribution
de téléphones « grave danger », mise en place dans notre droit des
ordonnances de protection (loi 2010)… les outils pour lutter contre les
violences conjugales vous paraissent-ils suffisants ?
Non,
et ils ne le seront jamais !Il faudra toujours innover. Nous devons rester
à l’écoute, et regarder ce qui se passe à l’étranger, sans hésiter à s’en inspirer.
Restons attentifs à ce que se passe notamment au Québec ou en Catalogne.
Analysons les dispositifs, notamment en Europe, et soyons prêts à les dupliquer
si cela fonctionne.
À ce
sujet, l’expérimentation
sur le dispositif de contrôle judiciaire renforcé avec placement probatoire
menée actuellement par le ministère de la Justice depuis décembre 2020 à Nîmes
et à Colmar, et étendue à huit ressorts supplémentaires, donne d’excellents résultats.
Ce dispositif, piloté par Isabelle Rome, haute fonctionnaire à l’égalité
femmes-hommes, permet l’éviction immédiate du conjoint violent mis en cause et placé
sous contrôle judiciaire renforcé, le contraignant à résider dans un
hébergement d’accueil d’une structure associative, pendant 4 à 6 mois. Un suivi
global, sanitaire et social, et surtout adapté, est mené par les associations. À
Nîmes, cet accompagnement des
hommes violents placés sous autorité judiciaire est mené par l’association La
Cordée et SOS Solidarité. Cette procédure individualisée permet ainsi de
proposer des groupes de parole, amenant les auteurs des violences à réfléchir
sur les conséquences de son passage à l’acte, mais aussi de travailler sur les
éventuelles problématiques d’addictions ou de retour au travail, selon les
individus.
Contraindre l’auteur des
violences à quitter le domicile le place également face à lui-même et à ses
responsabilités. En outre, ce dispositif permet de préserver la vie sociale de
la femme et des enfants, qui restent au domicile conjugal. Leur protection est
également assurée.
Le travail des associations
est aussi de prévenir la réitération des faits. Et ça marche ! Même si
nous n’avons pour le moment qu’un court recul (il est encore récent pour évaluer
la récidive), nous estimons le taux de réussite à 97 % (52 personnes
orientées et un seul échec à Nîmes). Loin du discours, via ce dispositif, il y
a une véritable prise de conscience de la part des auteurs de violences.
Lorsque le tribunal se
prononce, il peut ainsi ordonner, dans l’aménagement de la peine, une mesure de
placement extérieur. L’homme violent (car il s’agit très fréquemment d’hommes)
peut rester dans la même structure pour continuer son parcours, une demande
faite parfois même de son propre chef.
Bien entendu, un travail
auprès de la victime est aussi mené. Cette dernière est prise en charge par les
associations d’aide aux victimes. Un téléphone « grave danger » peut
également lui être proposé. Nous travaillons également de façon transversale
avec la permanence des avocats dédiés aux femmes victimes de violences
conjugales, afin d’assurer un accompagnement complet.
Les violences conjugales ont augmenté de 10 %
en 2020 (chiffres du ministère de l’Intérieur). Qu’est ce que cela vous
inspire ?
Cette augmentation, nous la
ressentons sur le terrain ! Le Grenelle des violences conjugales de 2019 a
produit ses effets, démontrant une vraie volonté politique sur le sujet, au
plus haut niveau de l’État. Il a fait bouger les curseurs, tant au niveau de la
police et de la gendarmerie que de l’institution judiciaire. Le politique a eu
ce rôle d’impulsion, et tout le monde s’est mis en ordre de bataille,
démontrant encore une fois l’efficacité du Grenelle. Nous recueillons ainsi de plus
en plus de révélations. La parole libérée est mieux écoutée, les violences
psychologiques, le harcèlement moral et sexuel sont mieux compris.
Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin vient de demander
aux préfets de régulariser les femmes sans-papiers victimes de violences
conjugales.
On sait que ces femmes sont en très grande difficulté et
précarité. Je dirai tout simplement que cela relève de l’humanité.
Les 30 septembre et 1er octobre derniers, le
ministère de la Justice a été, à deux reprises, distingués pour son travail
innovant dans la prise en charge des violences conjugales. Qu’est-ce que cela
vous inspire ?
Le prix des Villages Awards
2021 est en effet venu récompenser la collaboration entre la start-up Reverto
et le ministère de la Justice, à l’origine d’une expérimentation basée sur la
réalité virtuelle pour lutter contre la récidive de violences conjugales. Le
dépôt de plainte simplifié à l’hôpital pour les victimes de violences
conjugales a quant à lui été récompensé du Prix « Balance de cristal ».
Mais pour un magistrat sur le terrain comme je le suis, ces distinctions sont
surtout une incitation à mieux faire encore. Et même si celles-ci honorent,
elles nous obligent. Il faut savoir en être digne, et continuer à faire encore
plus et mieux.
En parallèle de votre fonction de magistrat, vous êtes
également un auteur prolifique. D’où vous vient ce goût de l’écriture et de la
transmission ?
Je suis issu d’un Bac Philo et Lettres, et me suis lancé
dans des études de droit en étant convaincu qu’il s’agissait de philosophie
appliquée.
Outre mon goût pour l’écriture, au fil des ans, j’ai acquis
une certaine expérience, et il me paraît primordial aujourd’hui de partager
cette connaissance. Il y a le savoir faire, mais surtout le faire-savoir.
Propos recueillis par Constance Périn
Présentation de l’ouvrage
Avec cet ouvrage, Erick
Maurel procède à une présentation globale et transversale du droit applicable à
toutes les formes de violences faites aux femmes. Puis, il décrit le dispositif
judiciaire permettant d'y apporter une réponse. Dans une première partie, en
s'appuyant sur des références statistiques, épidémiologiques, sociologiques et
criminologiques, il présente les textes qui répriment les violences physiques
et psychologiques, sexuelles dont les femmes sont victimes, mais aussi les
atteintes à leur dignité, aux liens familiaux, les atteintes économiques et
patrimoniales, sans omettre les crimes contre l'humanité et crimes de guerre
dont elles sont des victimes spécifiques : homicide, viol, violences, excision,
harcèlement moral, proxénétisme, traite des êtres humains, non représentation
d'enfant et abandon de famille, mariage forcé... Dans une seconde partie, il
décrit le processus judiciaire et juridictionnel, pénal et civil, de traitement
de ces violences.
Les
violences faites aux femmes - Aspects juridiques et judiciaires, Erick Maurel,
Enrick B. (Editions), 452 pages – 20,90 €.