ACTUALITÉ

« Les programmes de construction de prisons ne résolvent en rien la surpopulation carcérale »

« Les programmes de construction de prisons ne résolvent en rien la surpopulation carcérale »
Publié le 25/11/2022 à 17:04

Entretien avec Matthieu Quinquis, président de l’Observatoire international des prisons – Section France


Avocat au barreau de Paris spécialisé en droit pénal et droit pénitentiaire, Matthieu Quinquis a succédé en mai dernier à Delphine Boesel à la présidence de l’Observatoire international des prisons (section France). Surpopulation, travail en prison, conditions de détention… autant de sujets qui animent l’Observatoire et que nous abordons avec lui.

 

Quel a été votre premier contact avec l’univers carcéral ? 

Mon premier rapport avec la prison remonte à l’enfance. Le travail de mon père était installé non loin de la maison d’arrêt de Brest, et j’avais toujours un tas de questions à son sujet lorsque nous passions devant, en voiture, avec mes parents. Ceux-ci m’expliquaient notamment que des personnes y étaient enfermées pour notre sécurité, mais, je ne comprenais pas cette réponse, ni cette notion de « justice ».

Mon premier contact « réel » avec le milieu carcéral est finalement arrivé quelques années plus tard, dans cette même maison d’arrêt il y a dix ans, quand j’étais étudiant en droit et membre du GENEPI, association étudiante qui œuvrait auprès des personnes incarcérées. Avec un autre membre de l’association, nous nous y sommes rendus pour animer un atelier qui portait sur la culture hispanique. Mais ce genre d’activité est en réalité un prétexte pour aller à la rencontre des personnes détenues et instaurer un dialogue.

Je dois avouer que cette première confrontation a été assez violente. C’était un lundi matin. Il était tôt, et la prison se réveillait. Il y avait l’odeur des déchets accumulés du week-end, et déjà beaucoup de bruit. Ma première impression a été celle de ne pas me sentir à ma place, d’être un « intrus ». La prison s’animait, avec ses codes et ses règles. Moi, j’étais extérieur à tout ça, j’étais là, sans vraiment savoir comment me positionner. Puis il y a eu la rencontre avec les détenus. J’étais jeune, et je me suis vite rendu compte qu’il n’y avait pas de réelle différence entre eux et moi. Nous venions du même département et pour certains, avions approximativement le même âge. Nous avions naturellement une certaine proximité, et avions même déjà pu nous croiser.

Avec cet autre membre de l’association, nous avons mené cet atelier pendant un an. À la maison d’arrêt, les détenus sont là pour une durée assez courte, c’étaient donc rarement les mêmes participants qui y assistaient. Mais nous avons constaté le réel intérêt de ce genre d’animation, notamment en vue de la réinsertion.

 

Pourquoi avez-vous choisi de vous engager pour le droit des détenus et comment avez-vous accédé à la présidence de l’Observatoire international des prisons (OIP) ?

Cela s’est fait progressivement. Après ma licence, j’ai intégré le bureau du GENEPI en tant que vice-président chargé de la communication et de la voix politique. Là, j’ai découvert tout un écosystème d’associations de défense des droits des détenus. J’ai notamment fait la rencontre de Delphine Boesel. C’est elle qui m’a donné envie de devenir avocat. Avant cela, je n’y avais jamais réellement pensé. J’ai alors compris que cette fonction allait me permettre d’agir en prison. Car pour l’avocat, le travail continue même après le prononcé du jugement. Les détenus ont des droits et c’est à nous de les faire valoir. N’importe quel avocat qui s’est déjà rendu en prison ne peut rester insensible à cette question. J’appelle d’ailleurs tous mes confrères à s’en emparer. Notre serment nous oblige, il en va de la dignité humaine.

J’ai ensuite validé mon Master Droits de l’Homme à Nanterre, puis je suis entrée à l’École de formation des barreaux (EFB) en tant qu’élève-avocat. Dans ce cadre, en 2017, j’ai effectué un stage au pôle contentieux de l’OIP, puis intégré son conseil d’administration. Je ne pensais pas en prendre la présidence, mais quand on me l’a proposée, il m’est apparu impossible de refuser. Aujourd’hui, je repense à ce jeune étudiant en droit qui découvrait pour la première fois l’univers carcéral, et je peux affirmer me sentir pleinement à ma place. Je fais ce que j’avais envie de faire. J’ai l’impression que mes clients, les détenus, m’accordent leur confiance, et je ressens un réel sentiment d’utilité dans ce que j’accomplis.

 

Quelles sont les priorités qui vont rythmer votre mandat de président ?

Mon mandat s’inscrit dans le prolongement de celui de Delphine Boesel qui a fait un travail formidable pendant ses sept années de présidence. Je pense notamment à la condamnation de la France par la CEDH en 2020 pour ses conditions de détention, résultat de 12 ans de travail pour l’OIP. Le mouvement est lancé, mais il est maintenant de notre devoir de maintenir cette pression. On l’a fait notamment cet été en saisissant, de concert avec l’Ordre des avocats du barreau de Toulouse, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse pour obtenir, après l’ordonnance du 4 octobre 2021, le réexamen des conditions de détention au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses.

Je tiens également à poursuivre notre mobilisation auprès des détenus, en leur faisant savoir que nous sommes à leurs côtés. Ils ont des droits, et nous ne les lâcherons pas. Nous recevons environ 5 000 sollicitations de détenus par an, ce qui constitue notre matière première. Cela pourrait être beaucoup plus, mais certains détenus n’osent pas nous contacter, de peur des conséquences, notamment sur leur aménagement de peine. C’est pourquoi nous continuons à demander la confidentialité des échanges avec l’OIP. Il en va de l’intérêt public.

 

« Le temps de détention en prison est de plus en plus long, et les conditions de plus en plus difficiles. »

 

Cet été a notamment été animé par la polémique « kohlantess ». Le garde des Sceaux a jugé « choquantes » les images de karting à la prison de Fresnes. Quel regard portez-vous sur cet événement ?

Je peux comprendre que ces images puissent paraître surprenantes pour les personnes qui ne connaissent pas le milieu carcéral. Mais pas pour quelqu’un qui connaît l’état des prisons en France. C’est pourquoi j’ai été scandalisé par la réaction d’Éric Dupond-Moretti, dont les propos ont assurément participé à l’explosion de cette polémique. Sa réaction a selon moi alimenté la représentation fantasmée que l’on se fait de la prison. Une réaction incompréhensible, surtout venant d’un ancien avocat qui a mis les pieds dans les prisons et ne peut donc ignorer les conditions indignes de détention.

L’occasion ici de rappeler que sa première visite officielle en tant que ministre de la Justice était justement à la prison de Fresnes. Sa volonté de vouloir promulguer une circulaire pour fixer les conditions nécessaires à la tenue de projets de réinsertion en prison, lesquels seront soumis à une validation de la direction de l’administration pénitentiaire, n’aura pour conséquence que de limiter les activités dans les prisons, qui sont aujourd’hui déjà insuffisantes. Il aurait pu au contraire se saisir de cette actualité pour mettre en avant les avantages des parcours de réinsertion ; c’est à mon sens une occasion manquée.

Le temps de détention en prison est de plus en plus long, et les conditions de plus en plus difficiles. Dans ce contexte, toute activité est bonne à prendre. Surtout à Fresnes, où le contrôleur général des lieux de privation de liberté avait relevé, en 2016, un climat de violence particulièrement sous tension.

Il avait également soulevé des pratiques humiliantes de la part du personnel. Dans cette cohabitation forcée entre personnels de l’administration pénitentiaire et détenus, ce genre d’activité vise à favoriser le respect et la considération entre les surveillants et les personnes incarcérées, à apaiser les tensions et, à terme, à diminuer la violence.

 

Au 1er avril 2022, la France comptait 71 000 personnes détenues, et fait face à une surpopulation carcérale croissante (estimée à 120 %), entraînant des conditions de détention dégradées. La construction de 15 000 places de prison supplémentaires promises par Emmanuel Macron vous semble-t-elle être la bonne solution pour endiguer ce fléau ?

Absolument pas. Depuis 40 ans, on voit se succéder des programmes de construction de prisons qui ne résolvent en rien la surpopulation carcérale, le nombre de détenus augmentant également. Cela ne fait qu’aggraver la dette de l’État qui est déjà importante. Rappelons qu’en 2022, la Justice a alloué un milliard d’euros à l’investissement immobilier.

Les 15 000 places prévues par le président de la République porteront  à 75 000 le nombre total de places de prison, là où on estime à 80 000 le nombre de personnes incarcérées en 2025. C’est une course sans fin. Par ailleurs, il faut également s’interroger sur les modèles d’établissements proposés. Les prisons sont construites à l’extérieur des villes, loin des centres urbains et des activités économiques, dans des déserts médicaux qui rendent plus difficile le travail des détenus et leur accès aux soins. Cette exclusion a un impact sur les conditions de détention. D’ailleurs on le voit, certaines prisons dites « modernes » enregistrent un taux de suicides important, comme à Lyon ou à Nantes. Dans ces prisons plus récentes, le quotidien des personnes incarcérées n’est pas plus facile. Le manque d’interaction et l’absence de lien avec les surveillants pèsent sur les personnes incarcérées. Et tout cela ne facilite pas la réinsertion des détenus.

 

Quelles seraient, selon vous, les solutions pour faire face à l’augmentation croissante du nombre de détenus ?

Pour agir, il faut à mon sens limiter le recours à l’incarcération. Les peines courtes devraient être interdites. Il faudrait également limiter les comparutions immédiates, car sans même parler des conditions dans lesquelles ces personnes sont jugées, cela aurait un impact sur le nombre d’entrées en prison. De même, il faut limiter le recours à la détention provisoire qui représente quand même un tiers de la population carcérale, c’est-à-dire 20 000 personnes qui sont, rappelons-le, présumées innocentes. D’autant plus que ce sont justement dans les maisons d’arrêt que les conditions de détention sont les plus dégradées.

Nous devons donc selon moi favoriser les alternatives, en utilisant les outils déjà existants de substitution à l’incarcération. Il est tout à fait possible de placer la personne sous contrôle, sans la mettre en détention. Mais pour cela, il faudrait aussi davantage « encadrer » les magistrats dans le prononcé des peines alternatives.

L’aménagement des peines est aussi un autre levier sur lequel on peut agir. Mais cela ne semble pas être la priorité pour le gouvernement : le budget 2022 ne réserve que 39,8 millions d’euros pour les alternatives à l’incarcération, et le placement à l’extérieur y est complètement sous-doté : avec à 300 000 euros supplémentaires, il ne permet l’ouverture que de 26 places en plus.

 

Malgré les multiples condamnations de la France pour sa surpopulation carcérale et l’incompatibilité de ses prisons avec l’exigence de dignité humaine, la situation n’évolue pas. Comment l’expliquez-vous ?

J’ai bien peur que le gouvernement, le Parlement et les professionnels de justice se soient tout bonnement habitués à ces conditions de détention pourtant inacceptables.

À Bordeaux, par exemple, la prison souffre d’un taux de surpopulation de 200 %, mais ça ne choque plus personne. Il est temps de faire le constat de l’échec de la politique pénale !

On dit qu’il faut travailler sur la réinsertion. Bien sûr, mais il faut surtout limiter aussi l’incarcération ! Je trouve en effet assez paradoxal d’exclure quelqu’un de la société, tout en émettant le souhait de le réinsérer. Je pense au contraire qu’il serait plus judicieux de lui apporter du soutien, avec notamment un cadre social stable et un accès aux soins.

 

Cette année, les personnes détenues ont pu voter par correspondance pour la première fois pour un scrutin présidentiel (décret d’application du 31 mars 2021). Quel regard portez-vous sur ce nouveau dispositif ?

Les détenus ont, comme chaque citoyen, le droit de voter, et cette procédure par correspondance vient favoriser l’exécution de ce droit. Il reste toutefois encore beaucoup à faire. L’organisation de cette élection a en effet révélé certaines difficultés sur lesquelles il faudra agir. Outre le vote par correspondance, et pour favoriser la participation des détenus aux élections, nous défendons à l’Observatoire l’installation de bureaux de vote dans les prisons. Cela est tout à fait possible. Les détenus doivent s’emparer de ce droit et faire entendre leur voix.

Mais il faut aller plus loin, car le droit d’expression collective (association, pétition, tribune ou encore syndicat) est interdit en prison, sous peine de faute disciplinaire. La parole des détenus est limitée, réprimée. Ils ont pourtant une place à prendre dans le débat public.

 

Prévue par la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, la réforme du travail pénitentiaire est entrée en vigueur le 1er mai 2022, modifiant le statut des personnes détenues. Pouvez-vous revenir sur cette réforme et sur le travail en prison ?

Cette réforme est une bonne chose, elle modifie notamment le statut des personnes détenues, avec l’instauration du contrat d’emploi pénitentiaire. On avance, mais encore une fois, il reste beaucoup à faire. Aux yeux de la loi, les personnes détenues ne sont toujours pas des travailleurs comme les autres. Ils bénéficient d’un statut particulier, le droit commun ne s’appliquant pas.  

Aujourd’hui, nous sommes encore dans l’attente d’ordonnances concernant l’ouverture de nouveaux droits sociaux pour les détenus travailleurs (ouverture de droits à la retraite ou au chômage après la détention, droit à la formation, couverture des risques professionnels).

Certaines avancées sont d’ores et déjà exclues : les maladies non professionnelles  ne sont par exemple pas prises en compte, tout comme le chômage technique ou les congés payés. Il y a également une sous rémunération, se positionnant entre 20 et 45 % du SMIC.

Aujourd’hui, 30 % des détenus travaillent ; ils étaient 50 % au début des années 2000. Il y a ceux qui travaillent dans la prison (ménage, cuisine, entretien du bâtiment) ; ils représentent la moitié des détenus travailleurs. Il y a également ceux qui sont embauchés par une entreprise privée, mais travaillent dans un atelier installé dans la prison. C’est ce qu’on appelle le régime de la concession. Il s’agit généralement de travaux manutentionnaires. Il faudrait d’ailleurs à ce sujet que soit menée une réelle réflexion sur le travail proposé. En outre, certains travailleurs peuvent, dans certains cas, être employés en dehors du domaine affecté à l’établissement pénitentiaire, mais sous le contrôle de l’administration. Puis il y a les emplois pénitentiaires, avec la confection des uniformes, par exemple.

Le travail pénitentiaire est un bon levier pour faciliter la réinsertion des détenus. Il faut le promouvoir et qu’il soit mieux pris en compte dans l’aménagement des peines.

 

Propos recueillis par Constance Périn

 

 

Le Guide du prisonnier, pour tout connaître du droit applicable en détention

Dans un univers carcéral qui reste, depuis des décennies, le même espace de non-droit aux conditions de vie souvent dégradantes, des questions élémentaires se posent aux personnes détenues : que se passe-t-il à l’arrivée en prison ? Comment recevoir des soins adaptés ? Qui peut bénéficier de réductions de peine ? Comment intenter un recours contre l’administration pénitentiaire en cas de préjudice ? Ce sont quelques-unes des questions auxquelles répond Le Guide du prisonnier.

Cette édition couvre de nombreux sujets, notamment les aménagements de peine, l’évaluation et la prise en charge de la radicalisation, les droits des personnes étrangères détenues, etc.

Destiné aux personnes incarcérées, à leurs proches, aux professions judiciaires, aux intervenants en milieu carcéral et à tout citoyen s’interrogeant sur les droits des prisonniers, ce livre accompagne par un jeu de questions-réponses l’intégralité du parcours pénitentiaire, du premier au dernier jour de prison. Les différentes étapes – entrer en prison, vivre en prison, sortir de prison – sont abordées successivement et donnent lieu à une explication claire de la règle de droit, confrontée à sa mise en œuvre au quotidien et illustrée par des témoignages, analyses et articles de presse.

Véritable outil de défense contre l’inapplication de la loi et les atteintes à la dignité en détention, ce guide est l’ouvrage indispensable pour toute personne liée de près ou de loin au monde carcéral.

Depuis la parution de cette dernière édition, plusieurs modifications législatives et réglementaires sont intervenues. Vous en trouverez les grandes lignes dans une note accessible sur le site de l’OIP.

 

Le Guide du prisonnier - 1 088 questions/réponses, OIP et Éditions La Découverte, 2021, 912 pages



0 commentaire
Poster

Nos derniers articles