Pour une entreprise française,
s’implanter aux États-Unis peut présenter de nombreux avantages. Mais entre un
droit du travail quasi inexistant, un marché du travail tendu et autant de
cultures qu’il y a d’États, s’installer outre-Atlantique n’est pas toujours
chose aisée. Dans cette « conquête », mieux vaut être accompagné,
conseille Laurence Ruiz, expert-comptable et cofondatrice d’Orbiss, un cabinet
d’expertise comptable spécialisé dans la croissance des entreprises aux
États-Unis. Entretien.
Votre cabinet
est spécialisé dans l’accompagnement des entreprises françaises aux USA. Quels
seraient vos principaux conseils pour une entreprise qui envisage de
s’implanter outre-Atlantique ?
De façon générale, quand une entreprise projette de
s’implanter sur le territoire américain, le premier réflexe
consiste à penser que le pays est proche de ce que l’on connaît déjà, connu,
familier. Mais en réalité, la différence culturelle est bien réelle, et est
d’autant plus forte qu’elle ne se voit pas. Je conseillerai ainsi à l’entreprise
de ne pas tenter cette expérience seule. C’est parce que la tâche
est complexe et l’accompagnement nécessaire que nous avons créé notre cabinet,
il y a deux ans.
Car aux États-Unis,
on ne fait pas du business comme on le fait en France, on n’embauche ni on ne
manage les gens de la même façon. Quand une entreprise s’installe aux USA, elle
doit accepter de remettre en cause toutes ses habitudes.
Le coût financier est
également à prendre en compte. À New York par exemple, le coût
de la vie est 2,5 fois plus élevé qu’à Paris, ce qui se répercute
inévitablement sur les salaires. Il faut ainsi compter 70 000 dollars pour
un salaire moyen, et plus de 150 000 dollars pour un cadre commercial.
C’est pourquoi nous travaillons surtout avec des start-up matures (groupes
cotés), car le montant d’inversement pour réussir sur le territoire est élevé. Mieux vaut avoir levé des fonds ou disposer
d’une trésorerie importante.
Le troisième conseil que je donnerais concerne l’étendue
et la diversité des États. Les USA sont un pays fédéral composé de 50 États,
qui ont chacun leurs spécificités et leurs propres règles. Il faut l’envisager
comme l’Union Européenne et ses différents pays qui la composent. Chaque État a
sa culture, son environnement. La façon de vivre et de consommer dans le Texas
n’est pas la même qu’à Boston.
Certains États
sont aussi plus protecteurs, comme à New York ou en Californie, où le droit du
travail donne droit à un salaire minium (environ 15 dollars de l’heure), à un
nombre de congés payés minimum (5 jours par an), et à des jours maladie. À
l’inverse, dans d’autres États, ces droits
sont complétement inexistants.
L’entreprise doit alors choisir son État d’implantation,
en fonction aussi du produit qu’elle envisage de commercialiser et des attentes
des consommateurs. Nous avons tendance à privilégier les grandes villes, comme New York, Boston, et Chicago, qui
offrent plus de possibilités en termes de marché et de recrutement.
Nous conseillons enfin aux entreprises d’échanger avec
d’autres structures françaises déjà implantées sur le territoire. Elles sont
déjà passées par ces étapes, ont déjà réalisé ces démarches, et seront alors plus à
même de comprendre les interrogations et de fournir en réponse des conseils
adaptés.
« Aux États-Unis, pour compenser un
droit du travail est assez léger, la plupart des clauses sont contractuelles. »
Quelles sont les particularités du marché du travail américain ?
On
n’embauche pas en France comme on le fait aux États-Unis.
En
France, le droit du travail et les clauses – que ce soit en CDD ou en CDI –
font que les entreprises ont du mal à prendre la décision de recruter et de
licencier. Aux États-Unis,
l’employment at-will se pratique : il
ne demande pas de période d’essai, n’a ni durée
(pas de CDD ni de CDI) ni préavis. Le salarié peut donc être licenciable dans
l’heure, comme il peut de la même façon choisir de partir (un préavis de 15
jours est toutefois souvent appliqué, même si elle n’est pas obligatoire). Cela change complètement la relation entre l’entreprise et le
salarié et l’organisation même du travail. Pour supporter ces éventuels départs
immédiats, l’entreprise est par exemple souvent en sureffectif, et les missions
stratégiques sont rarement centralisées auprès d’un seul salarié.
Aux
États-Unis, pour compenser un droit du travail est assez léger, la plupart des
clauses sont contractuelles. L’entreprise doit ainsi mettre en place des
avantages pour que le salarié, sollicité par la concurrence, reste.
Autre
particularité : l’indemnité chômage n’existe quasiment pas aux USA (encore
une fois, c’est selon les États,
celui de New York propose par exemple six semaines d’indemnités). Le pays connaît pratiquement le plein emploi.
Dernier
point à savoir quand on envisage de recruter aux États-Unis : les Américains se
vendent très bien, par conséquent les premières embauches ne sont régulièrement
pas concluantes.
En
termes d’organisation, je conseille de favoriser un management multiculturel, avec
un manager Français, présent sur place pour représenter la culture de la
société, en lien direct avec la maison mère, et un second manager, américain
cette fois, qui dispose d’une connaissance aiguë du marché et des clients.
La création d’entreprise est-elle plus
simple aux USA qu’en France ?
Quand
on s’implante aux États-Unis, la forme d’entreprise à privilégier reste
la corporation, statut qui permet d’établir une coupure entre la maison
mère et sa filiale. Fiscalement opaque, l’entreprise américaine paye ainsi ses
impôts aux USA et dispose de ses propres risques, ce qui ne met pas la société
mère en péril.
La
création est assez rapide, l’entreprise peut être prête à fonctionner en trois
semaines. Nous accompagnons les entreprises en créant au départ ce que l’on
appelle une « coquille vide » avec
simplement le nom de société, celui du président, du secrétaire et du
trésorier, qui sera alimentée par la suite avec le nom des actionnaires, un
numéro fiscal et un compte bancaire.
Lorsque le client vient vers nous, il a déjà réalisé son
analyse de marché. Notre rôle consiste à l’accompagner concrètement dans
son implantation, sur les 18 premiers mois, avec un soutien quotidien. Nous
procédons à l’ouverture du compte bancaire, à la mise en place des fiches de
paie (salaire brut, assurance santé, cotisation retraite…). Nous le conseillons
aussi sur le recrutement des collaborateurs, avec la mise en place d’un package
attractif pour les salariés, car comme on l’a vu, il y a énormément de
concurrence, notamment sur les grosses sociétés. En tant qu’expert-comptable,
nous le soutenons ensuite dans sa fiscalité et réalisons sa comptabilité. Le métier
est le même qu’en France, mais nous demeurons plus présents en termes de
conseil, en automatisant le plus possible les process, pour libérer du temps et
pouvoir apporter une réelle valeur ajoutée à nos clients. Nos services
s’adressent principalement aux start-up qui ont pour volonté de dépoussiérer la
comptabilité en automatisant les procédures.
Quelles sont les autres
particularités à prendre en compte ?
Les États-Unis sont un pays perturbant, qui peut être à
la fois ultra innovant, mais aussi très en retard sur d’autres points. Je pense
par exemple au système bancaire, où les procédures
ne sont pas uniformisées (il n’y a pas d’uniformisation de l’IBAN). Réaliser un
simple virement peut s’avérer très vite
compliqué. Il faudrait tout revoir, mais cela représenterait un travail
titanesque, quand on sait que le pays compte plus de 70 000
banques !
Quels sont les principaux avantages
pour une française souhaitant s’implanter aux USA ? Et quels sont leurs
principaux atouts ?
Le principal avantage pour une entreprise consiste à
s’ouvrir sur un nouveau marché qui pèse quand même plus de 300 millions
d’Américains.
Nous accompagnons en majorité des entreprises de la tech,
la food, le luxe et le textile, qui visent surtout des grandes villes comme NY,
Los Angeles et Miami. Le savoir-faire français plaît aux Américains. Des villes
comme New York et des états comme
la Californie aiment les Français.
Quelles sont les nouvelles
tendances RH outre Atlantique ?
On l’a dit, aux États-Unis,
le marché du travail peut être très volatile. C’est donc à l’entreprise de
garder ses équipes. Ce que les Français obtiennent par le droit du travail, les
Américains l’obtiennent par le business et l’économie, à travers les
négociations contractuelles. À l’entreprise
donc de proposer ses avantages.
Aux USA, on accepte aussi plus facilement le work from
home. Depuis la crise Covid, les Big de la Silicon Valley n’obligent
par exemple plus leurs salariés à revenir travailler physiquement sur site. On
se retrouve alors avec deux politiques : soit l’entreprise privilégie le
maintien de salaire, soit elle baisse le salaire de ceux qui sont partis
s’installer dans des États où le coût de la vie est moins élevé est réalisée.
Chez Orbiss par exemple, les salariés sont libres de
travailler d’où ils le veulent. Nous avons bien sûr des bureaux physiques, à
NY, Boston et San Francisco, mais chaque salarié peut travailler de chez lui.
Nous voulons collaborer avec les meilleurs, et peu importe leur lieu de
résidence ! Nous ne voulons pas prendre le risque de passer à côté d’un
talent. Bien sûr, en interne certains outils sont mis en place pour faciliter
les échanges. Nous passons beaucoup de temps sur Teams, privilégions
l’appel au mail, organisons des jeux en équipe et des séminaires en ligne. On
recrée en somme l’open space dans l’écran. Orbiss a été fondée sur ce modèle.
Nous défendons également la politique un poste/un
salaire. Nos salariés sont donc payés de la même façon, qu’importe leur État de
résidence.
Ils ont enfin des congés payés illimités, ce qui est
assez fréquent aux USA. Il suffit que le salarié prévienne l’équipe en amont,
au moins 15 jours avant. Il faut savoir que de manière générale, les Américains
partent très peu en vacances.
Notre système est fondé sur la confiance, et ça
fonctionne !
Propos recueillis par
Constance Périn