Vainqueur
du concours Lysias Paris-l, Nahim Bensaci s’apprête à monter une énième fois
sur l’estrade pour la finale du concours national de la Conférence Lysias,
vendredi 14 juin à la cour administrative d'appel de Paris. Rencontre avec cet
étudiant de 25 ans au parcours chaotique et fan d'anime japonais, pour qui
l'éloquence relève moins du style que du partage de la sincérité.
«
On peut aller se poser dans un bar un petit peu “fancy”, rue de la Glacière ;
sinon, ici, il y a un des bars les moins chers de Paris », propose Nahim
Bensaci en désignant le Val Café, en face du campus Port-Royal de l’université
Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Une fois attablé et assis sur la banquette rouge, au
fond de la salle, le jeune homme de 25 ans commande un « petit » Coca
zéro. En versant le contenu de la canette dans son verre, il explique avec un
sourire, dans un calme trompeur : « Je suis hyper stressé en période de
discours et j’ai tendance à compenser avec du sucre… Donc je préfère me retenir
et ne pas faire n’importe quoi. »
Vainqueur
du concours Lysias Paris-l dans la catégorie éloquence, l’étudiant en droit
montera sur l’estrade une dixième fois vendredi 14 juin, à la cour
administrative d'appel de Paris. S’il a déjà été candidat en 2022 et 2023,
cette fois, il prend la direction de la finale du concours national de la
Conférence Lysias. « Idéalement je viendrai sans discours, puisque j'aurai
tellement de “savoirs” que je serai capable de discourir pendant dix
minutes en étant intéressant », confie Nahim dans un rire. Le sujet, «
le jugement dernier sera-t-il un procès équitable ? », ne l’inspire guère.
«
Le jugement dernier fait référence aux religions, alors que le procès équitable
a trait à la justice, au droit. Je trouve que c'est hyper délicat de parler de
religion, tu peux le faire sous l'angle de la satire, mais… Ça sonne un petit peu plat pour
moi. » Dans ses discours, le vingtenaire aime parler de sujets qui
peuvent toucher directement son auditoire, comme lorsqu’il s’est exprimé sur «
le désordre des êtres fait-il l'ordre des choses ? » pour la finale de
Lysias Paris-l. Dépression, moments de doute : il avait tenu à aborder des
questions personnelles.
«
Tout le monde est éloquent à sa manière »
«
C’est ma manière de faire de l'éloquence », explique Nahim. Il en cite deux définitions : le
fait de « bien parler » et la notion de créer un lien. « Pour moi,
c’est la deuxième version qui prévaut : oui, tu parles bien, mais pour quelque
chose. C’est une forme qui sert un fond et pas l'inverse, poursuit
l’étudiant. Si on commence à prendre des grands airs, à utiliser des mots
très compliqués, c’est de la grandiloquence, pas de l'éloquence. Il faut rester
à son niveau. »
«
Si on commence à prendre des grands airs, à utiliser des mots très compliqués,
c’est de la grandiloquence, pas de l'éloquence »
- Nahim Bensaci
Regrettant
les discours convenus et les standards, le vingtenaire défend l’idée que «
tout le monde est éloquent à sa manière ». « C'est l'art de parler vrai,
martèle-t-il. Si tu parles sincèrement, en général tu es éloquent. Le reste,
les silences, les gestes, le vocabulaire… C’est de la technique, ça se
travaille. » Quand on lui demande quels sont les moments d’éloquence
qui l’ont marqué, Nahim sourit et répond sans hésitation : « les animes ».
Il s’esclaffe, conscient que la tradition de l’éloquence s’inspire moins de Dragon
Ball que de Victor Hugo. « Tu as des passages où tu es captivé par
le discours du personnage principal, qui va dire des choses un petit peu
niaises, en réalité. Pourtant, ça te touche et tu peux avoir les larmes aux
yeux. »
Instinctivement,
l’étudiant pense à Naruto, héros ninja du manga du même nom. Il le décrit comme
celui en qui personne ne croit, qui est mauvais en tout, contrairement à ses
pairs « hyper talentueux ». « Il est nul, nul de chez nul… Donc il
est le seul qui croit en lui. Il n’arrête pas de se répéter qu'un jour,
il deviendra hokage – l’équivalent de président pour nous. Il est
orphelin, et même s’il souffre pendant longtemps d'être seul, il ne perd jamais
foi en lui. Il travaille à fond et, au final, il devient hyper fort et atteint
son objectif. »
«
J’étais nul à l’oral »
Difficile
de ne pas rapprocher cette historie du parcours « sinueux » de Nahim.
Après un bac STI2D « par défaut », il intègre la fac de droit de
Saint-Étienne. « Très sincèrement, je ne sais plus pourquoi »,
confie celui qui voulait faire de l’informatique à l’origine. En parallèle, il
travaille chez Burger King. Galvanisé par la promesse d’une indépendance
financière, il arrête l’université après avoir validé sa L1. « Première idée
conne », lance l’étudiant dans un sourire. S’ensuit un parcours
professionnel pour le moins dense et varié.
D’abord,
le jeune homme devient agent d’accueil pour l’exposition Da Vinci à Lyon. Très vite, on lui propose de faire des visites
guidées. « En une semaine, j’ai mémorisé un dossier d’une vingtaine de pages,
se souvient Nahim. Ma première visite était catastrophique ; j’étais nul à
l'oral, j'étais terriblement gêné… Et gênant ! J’étais mort de trouille, je
tremblais, j’étais pétrifié. » Les visites se sont succédées. « Au
bout d'un moment, j’étais fort ; c’est normal, comme n'importe qui à force de
répéter toujours les mêmes choses, reprend le vingtenaire. Ça m’a plu,
parce que tu peux faire voyager les gens le temps d’une heure. »
Sans
s’en rendre compte, Nahim s’est trouvé une passion pour l’éloquence. De Lyon,
il est venu à Paris en juillet 2019, avec l’exposition Toutankhamon. « C’était incroyable », souffle-t-il. Malgré une
mission réussie, il perdra son travail avec la pandémie de Covid-19. «
Peut-être avec un petit peu d’orgueil et d’égo, je me suis dit que, comme
j’avais géré ces événements, le marché du travail allait m'ouvrir les bras…
Mais non, pas du tout, lâche l'étudiant. Je me suis pris une petite
claque : j’ai réalisé qu’en France, l'expérience professionnelle n’était pas
très valorisée par rapport au diplôme. »
«
J’ai ressenti de la frustration, l'envie de reprendre mes études »
Cette
remise en question est accentuée par l’avancée de ses amis de lycée et de fac,
diplômés, qui décrochent leur premier poste. « J’ai ressenti de la
frustration, l'envie de reprendre mes études, poursuit Nahim. Je me
disais que c’était impossible, d’autant que je devais travailler si je voulais
rester à Paris. » C’est une avocate « assez médiatique » qu’il
rencontre début 2021, alors qu’il travaille à l’APHP, qui lui donne le coup de
pouce nécessaire. « Elle m’a donné sa carte et m’a dit de l’appeler quand
j’aurai repris mes études et que je chercherai un stage. Au final, ce
n’était pas grand-chose, mais j’avais juste besoin de ça. »
En
septembre de la même année, Nahim s’inscrit en licence de droit à distance à
l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. En parallèle, il continue de travailler
à plein temps à l’APHP, au sein de laquelle il évoluera jusqu’en février
dernier avant d’intégrer le ministère de l'Économie pour un stage de quatre
mois. Aujourd’hui, il se concentre sur ses études : à la rentrée, il intègrera
l’ESSEC, en présentiel, et suivra à distance un master 2 en management de
l’État, ainsi qu’un master 1 en droit public.
Une
« course aux diplômes »
«
Je m'interdis de m'interdire. Je considère que je suis capable de tout faire si
je m'en donne les moyens. Pour l'instant, ça m'a bien réussi, sourit Nahim, en précisant qu’il
voudrait passer le barreau pour devenir avocat pénaliste. « Exigeant, mais
pas intransigeant », il reconnaît une sorte de « course aux diplômes ».
« Je le sais, au fond de moi, que c’est stupide… Mais je saisis la chance
que c’est, d'avoir l'opportunité de faire des études presque gratuitement, et
j'en profite pendant que je suis jeune et que j’ai le temps », confie
l’étudiant en droit.
Il
veut faire de son parcours atypique une force. « Je pense que ça forge une
personnalité, une différence, poursuit-il. Tout le monde a besoin de
voir des gens qui viennent de nulle part et qui réussissent. » C’est l’une
des raisons qui le poussent à monter une dernière fois sur l’estrade ce
vendredi. « Quelle que soit l’issue du concours, je suis heureux de voir la
fierté de mes amis, quand ils viennent me soutenir, moi, au milieu d’un
environnement assez élitiste », conclut Nahim les yeux pétillants.
Floriane Valdayron