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(75) Finaliste du concours Lysias, Nahim Bensaci fait rimer éloquence et persévérance

(75) Finaliste du concours Lysias, Nahim Bensaci fait rimer éloquence et persévérance
L'étudiant de 25 ans s'est découvert une passion pour l'éloquence en faisant des visites guidées
Publié le 14/06/2024 à 11:06
Vainqueur du concours Lysias Paris-l, Nahim Bensaci s’apprête à monter une énième fois sur l’estrade pour la finale du concours national de la Conférence Lysias, vendredi 14 juin à la cour administrative d'appel de Paris. Rencontre avec cet étudiant de 25 ans au parcours chaotique et fan d'anime japonais, pour qui l'éloquence relève moins du style que du partage de la sincérité.

« On peut aller se poser dans un bar un petit peu “fancy”, rue de la Glacière ; sinon, ici, il y a un des bars les moins chers de Paris », propose Nahim Bensaci en désignant le Val Café, en face du campus Port-Royal de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Une fois attablé et assis sur la banquette rouge, au fond de la salle, le jeune homme de 25 ans commande un « petit » Coca zéro. En versant le contenu de la canette dans son verre, il explique avec un sourire, dans un calme trompeur : « Je suis hyper stressé en période de discours et j’ai tendance à compenser avec du sucre… Donc je préfère me retenir et ne pas faire n’importe quoi. »

Vainqueur du concours Lysias Paris-l dans la catégorie éloquence, l’étudiant en droit montera sur l’estrade une dixième fois vendredi 14 juin, à la cour administrative d'appel de Paris. S’il a déjà été candidat en 2022 et 2023, cette fois, il prend la direction de la finale du concours national de la Conférence Lysias. « Idéalement je viendrai sans discours, puisque j'aurai tellement de “savoirs” que je serai capable de discourir pendant dix minutes en étant intéressant », confie Nahim dans un rire. Le sujet, « le jugement dernier sera-t-il un procès équitable ? », ne l’inspire guère.

« Le jugement dernier fait référence aux religions, alors que le procès équitable a trait à la justice, au droit. Je trouve que c'est hyper délicat de parler de religion, tu peux le faire sous l'angle de la satire, mais… Ça sonne un petit peu plat pour moi. »  Dans ses discours, le vingtenaire aime parler de sujets qui peuvent toucher directement son auditoire, comme lorsqu’il s’est exprimé sur « le désordre des êtres fait-il l'ordre des choses ? » pour la finale de Lysias Paris-l. Dépression, moments de doute : il avait tenu à aborder des questions personnelles.

« Tout le monde est éloquent à sa manière »  

« C’est ma manière de faire de l'éloquence », explique Nahim. Il en cite deux définitions : le fait de « bien parler » et la notion de créer un lien. « Pour moi, c’est la deuxième version qui prévaut : oui, tu parles bien, mais pour quelque chose. C’est une forme qui sert un fond et pas l'inverse, poursuit l’étudiant. Si on commence à prendre des grands airs, à utiliser des mots très compliqués, c’est de la grandiloquence, pas de l'éloquence. Il faut rester à son niveau. »

« Si on commence à prendre des grands airs, à utiliser des mots très compliqués, c’est de la grandiloquence, pas de l'éloquence »

- Nahim Bensaci

Regrettant les discours convenus et les standards, le vingtenaire défend l’idée que « tout le monde est éloquent à sa manière ». « C'est l'art de parler vrai, martèle-t-il. Si tu parles sincèrement, en général tu es éloquent. Le reste, les silences, les gestes, le vocabulaire… C’est de la technique, ça se travaille. » Quand on lui demande quels sont les moments d’éloquence qui l’ont marqué, Nahim sourit et répond sans hésitation : « les animes ». Il s’esclaffe, conscient que la tradition de l’éloquence s’inspire moins de Dragon Ball que de Victor Hugo. « Tu as des passages où tu es captivé par le discours du personnage principal, qui va dire des choses un petit peu niaises, en réalité. Pourtant, ça te touche et tu peux avoir les larmes aux yeux. »

Instinctivement, l’étudiant pense à Naruto, héros ninja du manga du même nom. Il le décrit comme celui en qui personne ne croit, qui est mauvais en tout, contrairement à ses pairs « hyper talentueux ». « Il est nul, nul de chez nul… Donc il est le seul qui croit en lui. Il n’arrête pas de se répéter qu'un jour, il deviendra hokage –  l’équivalent de président pour nous. Il est orphelin, et même s’il souffre pendant longtemps d'être seul, il ne perd jamais foi en lui. Il travaille à fond et, au final, il devient hyper fort et atteint son objectif. »

« J’étais nul à l’oral »  

Difficile de ne pas rapprocher cette historie du parcours « sinueux » de Nahim. Après un bac STI2D « par défaut », il intègre la fac de droit de Saint-Étienne. « Très sincèrement, je ne sais plus pourquoi », confie celui qui voulait faire de l’informatique à l’origine. En parallèle, il travaille chez Burger King. Galvanisé par la promesse d’une indépendance financière, il arrête l’université après avoir validé sa L1. « Première idée conne », lance l’étudiant dans un sourire. S’ensuit un parcours professionnel pour le moins dense et varié.

D’abord, le jeune homme devient agent d’accueil pour l’exposition Da Vinci à Lyon. Très vite, on lui propose de faire des visites guidées. « En une semaine, j’ai mémorisé un dossier d’une vingtaine de pages, se souvient Nahim. Ma première visite était catastrophique ; j’étais nul à l'oral, j'étais terriblement gêné… Et gênant ! J’étais mort de trouille, je tremblais, j’étais pétrifié. » Les visites se sont succédées. « Au bout d'un moment, j’étais fort ; c’est normal, comme n'importe qui à force de répéter toujours les mêmes choses, reprend le vingtenaire. Ça m’a plu, parce que tu peux faire voyager les gens le temps d’une heure. » 

Sans s’en rendre compte, Nahim s’est trouvé une passion pour l’éloquence. De Lyon, il est venu à Paris en juillet 2019, avec l’exposition Toutankhamon. « C’était incroyable », souffle-t-il. Malgré une mission réussie, il perdra son travail avec la pandémie de Covid-19. « Peut-être avec un petit peu d’orgueil et d’égo, je me suis dit que, comme j’avais géré ces événements, le marché du travail allait m'ouvrir les bras… Mais non, pas du tout, lâche l'étudiant. Je me suis pris une petite claque : j’ai réalisé qu’en France, l'expérience professionnelle n’était pas très valorisée par rapport au diplôme. »

« J’ai ressenti de la frustration, l'envie de reprendre mes études »

Cette remise en question est accentuée par l’avancée de ses amis de lycée et de fac, diplômés, qui décrochent leur premier poste. « J’ai ressenti de la frustration, l'envie de reprendre mes études, poursuit Nahim. Je me disais que c’était impossible, d’autant que je devais travailler si je voulais rester à Paris. » C’est une avocate « assez médiatique » qu’il rencontre début 2021, alors qu’il travaille à l’APHP, qui lui donne le coup de pouce nécessaire. « Elle m’a donné sa carte et m’a dit de l’appeler quand j’aurai repris mes études et que je chercherai un stage. Au final, ce n’était pas grand-chose, mais j’avais juste besoin de ça. »

En septembre de la même année, Nahim s’inscrit en licence de droit à distance à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. En parallèle, il continue de travailler à plein temps à l’APHP, au sein de laquelle il évoluera jusqu’en février dernier avant d’intégrer le ministère de l'Économie pour un stage de quatre mois. Aujourd’hui, il se concentre sur ses études : à la rentrée, il intègrera l’ESSEC, en présentiel, et suivra à distance un master 2 en management de l’État, ainsi qu’un master 1 en droit public.

Une « course aux diplômes » 

« Je m'interdis de m'interdire. Je considère que je suis capable de tout faire si je m'en donne les moyens. Pour l'instant, ça m'a bien réussi, sourit Nahim, en précisant qu’il voudrait passer le barreau pour devenir avocat pénaliste. « Exigeant, mais pas intransigeant », il reconnaît une sorte de « course aux diplômes ». « Je le sais, au fond de moi, que c’est stupide… Mais je saisis la chance que c’est, d'avoir l'opportunité de faire des études presque gratuitement, et j'en profite pendant que je suis jeune et que j’ai le temps », confie l’étudiant en droit.

Il veut faire de son parcours atypique une force. « Je pense que ça forge une personnalité, une différence, poursuit-il. Tout le monde a besoin de voir des gens qui viennent de nulle part et qui réussissent. » C’est l’une des raisons qui le poussent à monter une dernière fois sur l’estrade ce vendredi. « Quelle que soit l’issue du concours, je suis heureux de voir la fierté de mes amis, quand ils viennent me soutenir, moi, au milieu d’un environnement assez élitiste », conclut Nahim les yeux pétillants. 

Floriane Valdayron

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