Le barreau de Paris
va expérimenter pendant six mois un dispositif inédit de lutte contre le
harcèlement et les discriminations au sein des cabinets d’avocats, intitulé « refuge-avocats ».
L’Ordre souhaite proposer des « bureaux d’urgence » aux potentielles
victimes pour les extraire de leur lieu de travail, le temps de retrouver une
collaboration.
Janvier
2024. L’avocat d’affaires Jean-Georges Betto est condamné à dix mois de prison
avec sursis pour harcèlement sexuel et moral sur des collaboratrices et
stagiaires de son cabinet. En mars 2023, l’avocat très en vue Emmanuel Pierrat
est condamné pour harcèlement au travail à un an d’interdiction d’exercer, « la juridiction ayant reconnu un comportement
agressif, insultant et humiliant revêtant un caractère pérenne et systémique »,
ainsi que le rapportait Le Monde.
Les
affaires ne manquent pas pour illustrer la problématique du harcèlement et des
discriminations au sein de la profession. Selon les chiffres communiqués par le
Conseil national des barreaux (CNB) en 2022, 16,9 % des avocats ont déclaré
avoir été victimes de harcèlement. Pourtant, moins de 5 % d’entre eux ont
entamé une procédure de recours. Charge aux barreaux de prendre ces
problématiques à bras le corps.
Pour
s’engager dans cette voie, le Conseil de l’Ordre du barreau de Paris a approuvé
le 21 mai dernier la création du dispositif « refuge-avocats ». Son objectif
est de soutenir les avocats qui déclarent être victimes de harcèlement, de
discrimination ou de violences au sein de leur cabinet en leur offrant un
bureau de secours, pour leur éviter de côtoyer la personne responsable de leur
mauvais traitement.
Des situations d’avocats plaignants livrés à
eux-mêmes
« L’Ordre a remarqué lors de saisines de
la Comhadis [commission spécialisée dans le traitement des faits de harcèlement, de
discrimination et d’agissements sexistes au sein du barreau de Paris, ndlr]
pour des litiges entre collaborateurs et cabinets, que des confrères ou des consœurs
avaient besoin d’être protégés. Jusqu’à présent, l’avocat quittait son cabinet
du jour au lendemain et se retrouvait livré à lui-même. L’idée est que les
avocats qui doivent être extraits de leur cabinet en urgence ne soient pas
seuls, qu’ils puissent avoir un bureau où ils continuent de pratiquer », explique Antoine Lafon, corapporteur du
projet.
Le
barreau de Paris veut s’appuyer sur son partenariat avec le centre d’affaires
des avocats de Paris (CDAAP) pour mettre des locaux à disposition des confrères
qui n’ont pas de bureaux attitrés. « Cette solution nous a semblé la
plus simple et la plus efficace pour permettre aux avocats de bénéficier d’un
nouveau lieu de travail temporaire, de salles de réunions pour continuer à
exercer, détaille Antoine Lafon. À ma connaissance le barreau de Paris est le
premier à mettre en place un dispositif de ce type. Dans les plus petits
barreaux, les choses peuvent s’organiser différemment. Un bâtonnier accueille
parfois un avocat en difficulté dans son cabinet, par exemple. »
Dans
le détail, il suffira d’envoyer un mail à l’adresse gérée par les services de l’Ordre pour faire un signalement. L’avocat recevra ensuite
un rendez-vous pour évaluer sa situation.
À l’issue de cette rencontre, il pourra se voir proposer une domiciliation dans
des locaux du CDAAP. L’Ordre prendra
alors en charge le coût de cet hébergement d’activité pour une durée de 3 mois,
« renouvelable une fois, à l’appréciation de l’Ordre ».
Une saisine automatique d’une commission de
l’Ordre pour analyser les faits
Le
recours au dispositif « refuge-avocats » entraînera par ailleurs
automatiquement la saisine de la Comhadis en cas de faits de harcèlement ou de
discrimination, et d’une commission de déontologie pour les faits de violence d’une
autre nature.
« Nous
veillerons bien sûr à ce que le dispositif ne court-circuite pas les procédures
contradictoires qui existent pour constater la matérialité des faits de
harcèlement, de discrimination ou de violence », précise toutefois le
rapporteur Antoine Lafon.
Impossible
de dire à ce stade si le Conseil de l’Ordre disposera des moyens suffisants
pour faire face à la demande, « même si nous ne nous attendons pas à
une déferlante de signalements », déclare Antoine Lafon.
L’expérimentation, qui durera de juillet à décembre 2024, permettra justement
de calibrer le dispositif sur la capacité d’accueil et le budget.
Delphine Schiltz