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(75) Le barreau de Paris lance un dispositif de refuge pour les avocats victimes de harcèlement

(75) Le barreau de Paris lance un dispositif de refuge pour les avocats victimes de harcèlement
16,9% des avocats ont déclaré avoir été victimes de harcèlement en 2022 selon le CNB
Publié le 06/06/2024 à 11:50
Le barreau de Paris va expérimenter pendant six mois un dispositif inédit de lutte contre le harcèlement et les discriminations au sein des cabinets d’avocats, intitulé « refuge-avocats ». L’Ordre souhaite proposer des « bureaux d’urgence » aux potentielles victimes pour les extraire de leur lieu de travail, le temps de retrouver une collaboration.

Janvier 2024. L’avocat d’affaires Jean-Georges Betto est condamné à dix mois de prison avec sursis pour harcèlement sexuel et moral sur des collaboratrices et stagiaires de son cabinet. En mars 2023, l’avocat très en vue Emmanuel Pierrat est condamné pour harcèlement au travail à un an d’interdiction d’exercer, « la juridiction ayant reconnu un comportement agressif, insultant et humiliant revêtant un caractère pérenne et systémique », ainsi que le rapportait Le Monde.

Les affaires ne manquent pas pour illustrer la problématique du harcèlement et des discriminations au sein de la profession. Selon les chiffres communiqués par le Conseil national des barreaux (CNB) en 2022, 16,9 % des avocats ont déclaré avoir été victimes de harcèlement. Pourtant, moins de 5 % d’entre eux ont entamé une procédure de recours. Charge aux barreaux de prendre ces problématiques à bras le corps.

Pour s’engager dans cette voie, le Conseil de l’Ordre du barreau de Paris a approuvé le 21 mai dernier la création du dispositif « refuge-avocats ». Son objectif est de soutenir les avocats qui déclarent être victimes de harcèlement, de discrimination ou de violences au sein de leur cabinet en leur offrant un bureau de secours, pour leur éviter de côtoyer la personne responsable de leur mauvais traitement.

Des situations d’avocats plaignants livrés à eux-mêmes

« L’Ordre a remarqué lors de saisines de la Comhadis [commission spécialisée dans le traitement des faits de harcèlement, de discrimination et d’agissements sexistes au sein du barreau de Paris, ndlr] pour des litiges entre collaborateurs et cabinets, que des confrères ou des consœurs avaient besoin d’être protégés. Jusqu’à présent, l’avocat quittait son cabinet du jour au lendemain et se retrouvait livré à lui-même. L’idée est que les avocats qui doivent être extraits de leur cabinet en urgence ne soient pas seuls, qu’ils puissent avoir un bureau où ils continuent de pratiquer », explique Antoine Lafon, corapporteur du projet.

Le barreau de Paris veut s’appuyer sur son partenariat avec le centre d’affaires des avocats de Paris (CDAAP) pour mettre des locaux à disposition des confrères qui n’ont pas de bureaux attitrés. « Cette solution nous a semblé la plus simple et la plus efficace pour permettre aux avocats de bénéficier d’un nouveau lieu de travail temporaire, de salles de réunions pour continuer à exercer, détaille Antoine Lafon.  À ma connaissance le barreau de Paris est le premier à mettre en place un dispositif de ce type. Dans les plus petits barreaux, les choses peuvent s’organiser différemment. Un bâtonnier accueille parfois un avocat en difficulté dans son cabinet, par exemple. »

Dans le détail, il suffira d’envoyer un mail à l’adresse gérée par les services de l’Ordre pour faire un signalement. L’avocat recevra ensuite un rendez-vous pour évaluer sa situation. À l’issue de cette rencontre, il pourra se voir proposer une domiciliation dans des locaux du CDAAP.  L’Ordre prendra alors en charge le coût de cet hébergement d’activité pour une durée de 3 mois, « renouvelable une fois, à l’appréciation de l’Ordre ».

Une saisine automatique d’une commission de l’Ordre pour analyser les faits

Le recours au dispositif « refuge-avocats » entraînera par ailleurs automatiquement la saisine de la Comhadis en cas de faits de harcèlement ou de discrimination, et d’une commission de déontologie pour les faits de violence d’une autre nature.

« Nous veillerons bien sûr à ce que le dispositif ne court-circuite pas les procédures contradictoires qui existent pour constater la matérialité des faits de harcèlement, de discrimination ou de violence », précise toutefois le rapporteur Antoine Lafon.

Impossible de dire à ce stade si le Conseil de l’Ordre disposera des moyens suffisants pour faire face à la demande, « même si nous ne nous attendons pas à une déferlante de signalements », déclare Antoine Lafon. L’expérimentation, qui durera de juillet à décembre 2024, permettra justement de calibrer le dispositif sur la capacité d’accueil et le budget.

Delphine Schiltz

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