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(78) Au festival du film judiciaire des Yvelines, les élèves se sensibilisent au harcèlement scolaire

(78) Au festival du film judiciaire des Yvelines, les élèves se sensibilisent au harcèlement scolaire
Les professionnels du droit ont donné des clefs de compréhension aux élèves pour se protéger
Publié le 24/04/2024 à 17:50
Pendant trois jours à compter du 22 avril, 360 élèves de seconde se retrouvent au cinéma du théâtre de La Celle Saint-Cloud pour visionner 1:54 (2016), un film québécois réalisé par Yan England, et échanger avec des professionnels du droit. Cette initiative du conseil départemental de l’accès au droit (CDAD) des Yvelines est saluée par des adolescents fortement réceptifs.

« Une ultime question ? », demande Chantal Arens, première présidente honoraire de la Cour de cassation. « Oui, s’il vous plaît, répond timidement une lycéenne à qui l’on vient de tendre le micro. Comment le montant des amendes pour une telle infraction et le temps d'emprisonnement sont décidés ? ». L’infraction en question : le harcèlement scolaire, auquel est consacré la première édition du festival du film judiciaire des Yvelines, dont le coup d’envoi a été donné ce lundi 22 avril. Objectif : rompre le tabou autour d’un fléau qui touche 5% des élèves du primaire, 6% des collégiens et 4% des lycéens.

Pour l’occasion, près de 360 lycéens issus de cinq établissements et 14 classes vont défiler au cinéma du théâtre de La Celle Saint-Cloud d’ici le 24 avril, afin d’assister à la projection de 1:54 (2016), un film québécois réalisé par Yan England. Le spectateur y suit le quotidien difficile de Tim – interprété par Antoine Olivier Pilon, révélé par Mommy (2014) – un jeune homme de 16 ans aussi brillant en sport qu’en physique-chimie, harcelé par plusieurs camarades. Pour la séance du lundi, suivi d’un débat avec des professionnels du droit, six classes sont présentes.

« Cet évènement était pensé pour les élèves de seconde, mais on y a quand même mis nos CAP entrants parce qu'on a considéré que c’était important pour eux : on a eu des cas de harcèlement dans ces classes », indique Inès Tomasik, professeure documentaliste au lycée professionnel Lucien-René Duchesne, à La Celle Saint-Cloud.

« Allez voir qui vous voulez »

Malgré quelques commentaires et rires embarrassés çà et là lors des scènes homosexuelles, les élèves se sont montrés attentifs au film. « Je l’ai trouvé bien, témoigne Gaspard, 14 ans, étudiant en seconde. On ressent bien ce que le personnage principal traverse, on comprend sa situation, pourquoi il est isolé, pourquoi ça lui arrive : on arrive à se mettre à sa place ». Ce mot revient : « l’isolement ».

« Je suis maman de six enfants et un de mes fils a subi des problèmes de harcèlement. Malgré cet entourage il se sentait très seul, partage Julie Mottier, directrice du service départemental des Yvelines d’aide aux victimes (DIRE). C’est parce qu’il s’est senti responsable de la situation dans laquelle il était, alors qu’il ne l’était absolument pas. Si un jour il vous arrivait d’avoir un problème de harcèlement, n’ayez pas honte, allez voir qui vous voulez, que ce soit quelqu’un de la justice, de la police ou même de votre famille, une personne en qui vous avez confiance et qui va vous aider à passer le cap. »

« Je ne pensais pas que le harcèlement pouvait aller aussi loin »

L’inéluctabilité de la violence du film choque aussi les esprits. « La seule chose que je trouve dommage, c’est qu'il n’y a pas vraiment de rebondissement où tout bascule, regrette Gonzague, 16 ans. Ça va seulement dans le sens des harceleurs, ça montre qu’ils ont toujours le dessus. Au final, les deux jeunes qui subissent le harcèlement meurent ; j'aurais aimé en voir un se rebeller ». Un sentiment d’injustice difficile à digérer pour certains, important pour d’autres. « Je ne pensais pas que le harcèlement pouvait aller aussi loin », admet pour sa part Imen, 15 ans, élève en seconde.

Pourtant les conséquences du harcèlement scolaire sont bien réelles, d’abord sur l’assiduité ou la qualité du travail. 5% des écoliers du CE2 au CM2 déclarent avoir peur d’aller à l’école à cause d’un ou plusieurs élèves et 5% des collégiens se disent victimes répétées de 5 atteintes ou plus à leur personne, selon une enquête du ministère de l’Education nationale menée en 2023. Dans de rares cas qui ont marqué l’opinion, comme celui de Nicolas, 15 ans, décédé en septembre dernier, les attaques physiques ou morales subies par les enfants et leur non prise en charge peuvent les conduire au désespoir.

Les réseaux sociaux aggravent l’effet de bande

« [Le harcèlement scolaire] est un délit dont les peines ont été beaucoup majorées avec le fait qu’une personne se suicide », explique Chantal Arens, première présidente honoraire de la Cour de cassation, même si la magistrate reconnaît qu’il est « souvent difficile d’établir les faits de harcèlement ». Il existe toutefois des schémas type : « Souvent, les personnes qui harcèlent choisissent des victimes qu'elles estiment être faibles, relève Chantal Arens. Vous l'avez vu aussi, c’est assez rare de voir un harceleur tout seul. En général, il y a une bande qui soutient la personne qui harcèle. »

Et avec les réseaux sociaux, l’effet de meute et le sentiment d’impunité s’est décuplé ces dernières années. « Si j'ai un message [à faire passer] en tant que bâtonnier, c’est vraiment de bien réfléchir, d'être tout le temps en conscience d'avoir une responsabilité : poster une vidéo, c’est prendre une responsabilité », prévient Raphaël Mayet, bâtonnier du barreau de Versailles. Et Chantal Arens d’ajouter : « Certains ont l'idée que les mineurs ne risquent pas grand-chose : c’est faux. Jusqu'à 13 ans, les mineurs ont une présomption de non discernement, c’est-à-dire qu’ils n'ont pas compris la portée de leur acte. Cette présomption peut être renversée : un mineur qui a moins de 13 ans peut être poursuivi. Puis, entre 13 et 18 ans, même si les peines sont de moitié, elles sont quand même très importantes. »

« Cet après-midi m’a ouvert les yeux »

Du côté des élèves, la découverte est totale. « C’est intéressant d’avoir pu interroger [des professionnels du droit], de voir comment ça se passe aussi à l'intérieur et comment ils prennent en compte chaque élément, se réjouit Imen. Ça m’a beaucoup plu, on apprend plein de choses ; j’aimerais qu’il y ait plus d’événements comme celui-ci ». Même son de cloche chez Gonzague : « Étant donné que le film ne montre pas vraiment l’aide qu’on peut recevoir après avoir dénoncé du harcèlement, c’est bien de voir qu’il y a tout un arsenal derrière. » 

« Maintenant, on comprend les peines, donc ça dissuade, rajoute Gaspard. Puis, comme le harcèlement est quelque chose de très abstrait et difficile à discerner, ça aide de voir des gens qui ont l’habitude de rencontrer ces cas. » Par exemple, Imen a pris conscience qu’elle a déjà été confrontée à une situation de harcèlement : « Cet après-midi m’a ouvert les yeux sur le fait qu'une personne au collège subissait peut-être ça. Je ne savais pas vraiment de quoi il en retournait et je n’y ai pas du tout réagi. »

Gaspard opine. « C’est très compliqué de déceler ce qu’il se passe, estime-t-il. Je n’ai jamais assisté à du harcèlement, mais je me suis déjà posé la question. Par exemple quand on se charrie avec des amis, si on fait des blagues sur certains, mais qu’ils ne disent pas si ça va ou pas, on ne sait pas vraiment [ce qu’il en est]. Donc on arrête parce que s’ils le prennent mal c’est pas cool. »

Si l’adolescent pousse le raisonnement, c’est parce qu’il a été sensibilisé à cette problématique par son frère, de dix ans son aîné. « Il a vécu du harcèlement en raison de sa taille : les gens le traitaient de nain, raconte-t-il. Il m’a dit qu’il avait décidé de les ignorer, de passer outre ». Le frère de Gaspard a prévenu son entourage et a changé de collège, pour prendre un nouveau départ. « Ça lui a fait énormément de bien. Maintenant, quand il m'en parle, il n'est pas triste », reprend l’adolescent de 14 ans, en précisant avoir à nouveau échangé sur le sujet avec son frère il y a quelques jours. « Il en a fait une force. »

Floriane Valdayron

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