La procureure de la
République Maryvonne Caillibotte a profité de la rentrée du tribunal judiciaire
pour faire son « audience de sortie ». La magistrate sur le
départ pour la cour d’appel d’Amiens a tiré son propre bilan, entre nouvelles
techniques de lutte contre les violences intrafamiliales et arrivée de la
procédure pénale numérique.
« C’est un début
d’année curieux », a témoigné Bertrand Menay, président du tribunal
judiciaire de Versailles, à l’occasion de l’audience solennelle de rentrée de
la juridiction, jeudi 23 janvier. Le président a fait état d’une « ambiance
morose », qu’il a justifiée par l’absence de budget qui rend
compliquées les missions de chef de juridiction.
Le TJ a, malgré cela, pu
compter sur l’arrivée d’une nouvelle vice-présidente en la personne de Raphaële
Roger, qui a rejoint en janvier le service du juge des libertés et de la
détention, et d’un nouveau procureur de la République adjoint, Thomas Bride.
Le début d’année était plutôt
chargé en émotions pour Maryvonne Caillibotte. Car la cérémonie a également
fait office de pot de départ pour la procureure de la République, appelée à
diriger le parquet de la cour d’appel d’Amiens à partir de la fin du mois de
janvier : « Audience de rentrée… et de sortie en ce qui me
concerne », a-t-elle fait remarquer avec humour. Maryvonne Caillibotte
s’est réjouie de l’organisation de cette audience, « à une époque où on
se réunit de moins en moins et où nos relations se font de manière
dématérialisée ».
« Désastre annoncé »
sur les stocks de dossiers criminels
La procureure de la
République sortante a fait état d’un parquet enregistrant de plus en plus de
procédures, avec 97 537 plaintes et procès-verbaux reçus en 2024, en hausse de 3,1
% sur un an et 4,5 % sur deux ans. Et cela sans hausse d’effectifs : « Je
suis arrivée en 2019. En 2024, le nombre de magistrats du parquet étaient
rigoureusement les mêmes », a-t-elle regretté. Maryvonne Caillibotte a
également lancé l’alerte sur le « désastre annoncé » de la
hausse du stock de dossiers criminels, rappelant les propos qu’avait tenus le
procureur général près la cour d’appel de Versailles Marc Cimamonti plus tôt
dans le mois. Le magistrat avait estimé que la situation tendait « à
devenir hors de contrôle ».
Face à ces difficultés, la
juridiction a rencontré plusieurs responsables politiques, notamment des
ministres, afin d’expliquer les contraintes qu’elle subit et les idées qu’elle
a pour améliorer la situation.
Des problèmes techniques ont aussi
perturbé l’activité du tribunal. En mars 2024, la panne du transformateur
électrique a plongé la juridiction « dans une grande précarité
énergétique pendant huit mois », a regretté Bertrand Menay.
L’installation de chauffage du bâtiment a aussi connu plusieurs incidents.
« Cela prive à ce jour 80 bureaux salles d’audiences de conditions
normales de fonctionnement », a annoncé le président.
Pour l’homme à la tête du TJ
de Versailles depuis 2021, cette situation illustre le manque de moyens alloués
à la justice : « Les installations mal conçues, mal suivies ou mal
entretenues dont les orientations budgétaires contraintes repoussent, année
après année, le bon entretien, nous obligent à compter sur l’endurance, la
résilience et la conscience professionnelle de nos agents pour continuer à
remplir leur mission. »
Des délais d’audiencement « le
plus souvent raisonnables »
Sur les délais
d’audiencement, bien que pas totalement satisfaisants de l’aveu de Bertrand
Menay, ceux-ci sont « le plus souvent raisonnables ». Le
président a jugé nécessaire de « préserver un équilibre, au sein même
de la justice pénale, entre celle de l’immédiateté et la gestion d’un stock
significatif de dossiers sans détenu que les juges d’instruction ont achevé ».
Le chef du TJ a annoncé à ce sujet que les travaux de la mission d’urgence pour
la justice visant à juger dans des délais raisonnables – mission dont Maryvonne
Caillibotte est membre– confirment « que tous les voyants des
juridictions de France sont au rouge écarlate ».
Loin de s’avouer vaincu par les
différents obstacles, Bertrand Menay a cité Ernest Hemingway : « Plutôt
que de penser à ce que tu n’as pas, pense à ce que tu peux faire avec ce que tu
as. »

Pour améliorer les délais
dans les contentieux civils, le tribunal organise depuis mi-2023 en lien avec les
avocats et deux associations de médiateurs des rendez-vous judiciaires de
médiation, au cours desquels un magistrat du pôle civil et un médiateur tentent
de convaincre les parties d’un dossier et leurs avocats de recourir à la
médiation, « voie porteuse de solutions négociées et donc apaisées »
selon le président du TJ. En 2024, 244 dossiers ont été orientés dans ces
rendez-vous. Dans 66 % des affaires, l’ensemble des parties était
présente. Dans 55 % de ces dossiers, elles ont accepté de tenter la médiation,
ce qui représente sur une année 88 dossiers, dont 43 ont abouti à une médiation
totale ou partielle. 26 dossiers restent en cours de processus.
Depuis mai 2024, des
audiences de règlement amiable sont aussi mises en place. En cinq mois, sur 49
affaires, 14 ont abouti à un accord, et 13 ont été un échec. « Nous
savons que ces procédures ne régleront pas seules le sort des milliers de
dossiers en attente de jugement », a reconnu Bertrand Menay.
Les Yvelines, « entre
bonnes manières et absolue violence »
Pour son départ, celle qui
était procureure de la République de Versailles depuis bientôt six ans a
souhaité retracer son parcours dans la juridiction par plusieurs événements, à
commencer par l’arrivée à la base aérienne de Vélizy-Villacoublay, quelques
jours avant sa prise de fonctions en mars 2019, de cinq orphelins en provenance
de la frontière syro-irakienne ; enfants rapatriés sur décision du
gouvernement français afin d’être soignés. Au moment de leur arrivée, une seule
magistrate était présente, Christelle Pouey-Santalou, actuelle vice-procureure
de la République chargée du secrétariat général. « C’est elle qui a
posé les bases du savoir-faire que, petit à petit, le parquet a acquis dans le
domaine de l’accueil des mineurs de retour de zone de guerre », s’est
félicitée Maryvonne Caillibotte.
Au total, 165 mineurs ont été
accueillis dans le département en six ans. Pour l’avenir de ces enfants,
« la base de compétences acquises par le département des Yvelines et l’humilité
dont nous faisons preuve pour apprendre en avançant est un gage de réussite
pour faire de ces jeunes de vrais citoyens français », a-t-elle
assuré.
La procureure a également
fait le constat du contraste « absolument saisissant entre les bonnes
manières et l’absolue violence » sur le territoire, énumérant les
trois attentats dont le département avait été victime entre 2016 et 2021, à Magnanville,
Conflans-Sainte-Honorine et Rambouillet. Un contexte qui a imposé « un
travail très particulier contre le communautarisme, la radicalisation et le
non-respect des valeurs républicaines », a-t-elle rappelé.
Bientôt un chien d’assistance
judiciaire pour les victimes
Une autre forme de violence, « plus
intime mais pas moins terrible », a percuté le tribunal en 2019 :
celle des violences intrafamiliales. Maryvonne Caillibotte a décrit une situation
de saturation des services de l’État face à ces faits, avec « les
services de plaintes, les services sociaux, les associations, les villes, les
permanences du parquet, les audiences et les prisons [qui] se sont remplies de
la parole libérée par les victimes ». D’où une nécessaire adaptation
pour gérer ce flux de plaintes. « Je suis fière de pouvoir affirmer que
nous nous sommes professionnalisés depuis 2019, et nous faisons mieux »,
s’est réjouie la magistrate, citant le meilleur suivi des victimes comme des
auteurs et la mise en place d’outils de protection, présentés au ministre de la
Justice d’alors, Didier Migaud, en octobre dernier.
Pour l’année qui s’ouvre,
Bertrand Menay a annoncé que le tribunal s’était engagé dans une procédure de
recours à un chien d’assistance judiciaire, dont l’accueil est
espéré en septembre. Il sera chargé les victimes d’infractions pénales aux
différents stades de la procédure.
En 2021, c’est l’arrivée de
la procédure pénale juridique dans le TJ de Versailles qui a particulièrement marqué
la procureure. « Une révolution est en marche de manière inexorable »,
a-t-elle expliqué. En 2024, l’aide juridictionnelle connait 45 % de demande nativement
numérique, quand le territoire national peine à atteindre 15 %. « Nous
devons ces chiffres à l’implication de nos services », s’est félicité
le président du TJ. En ce début d’année, la PPN va être étendue aux audiences
de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Maryvonne
Caillibotte et Bertrand Menay ont affirmé espérer la labellisation prochaine du
TJ comme « tribunal numérique ».
La procureure s’est également
félicitée d’avoir pu mettre en place une équipe autour du magistrat, à l’image d’autres
parquets en Europe. « Cela modifie considérablement nos activités du
quotidien », permettant de « recentrer le magistrat sur la
décision ». Maryvonne Caillibotte a appelé à ce que les restrictions
budgétaires « ne viennent pas tout gâcher ».
Dernier grand événement du
passage de la magistrate dans la juridiction, les Jeux olympiques de Paris 2024, « une
parenthèse formidable », pour laquelle « le parquet s’est
organisé pour une délinquance supplémentaire qui n’est pas venue ». Et
Maryvonne Caillibotte de remercier les forces de l’ordre déployées en nombre,
ayant permis de rendre l’événement « plus tranquille ».
Un groupe de travail pour
développer les modes amiables
En termes de perspectives, si
Maryvonne Caillibotte a laissé le soin à son successeur de s’exprimer sur les
détails, elle a néanmoins fixé trois thématiques de travail. La surpopulation
pénale d’abord, avec en ligne de mire la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy et son
taux de remplissage de 201 %, « dans des conditions difficiles,
toujours soulignées par l’ensemble des rapports de visite de l’établissement »,
a précisé Bertrand Menay.
Les délais d’audiencement
seront également scrutés : « Jusqu’à quel point pourrons-nous
assumer que les gens sont de moins en moins jugés, malgré le fait que toute
notre énergie est mise au service de rendre la justice ? »
L’audiencement criminel devra en priorité être regardé, a estimé la procureure
de la République.
Sans oublier la justice
civile, qui représente plus de 60 % de l’activité du tribunal. Un groupe de
travail a été construit pour réfléchir aux moyens de développement des modes
amiables, mais aussi au sort des autres procédures plus ordinaires. « Nous
devons valoriser l’amiable et prioriser à tous les niveaux une voie simplifiée
rapide », a appelé le président du tribunal judiciaire. Les
conclusions du groupe de travail seront rendues avant l’été.
La thématique des mineurs devrait
faire partie de l’année 2025, alors qu’au cours de l’année 2024 le département
des Yvelines a connu une forte augmentation de la délinquance juvénile : « La
part des mineurs dans la délinquance était jusqu’alors très inférieure à la
moyenne nationale, que nous avons désormais rattrapée. »
« En regardant
chacun, il me vient forcément une histoire »
En fin d’audience, Maryvonne
Caillibotte s’est quelque peu émancipée du protocole : « C’est
l’occasion pour moi de dire combien je me sens gâtée, par la vie en général et
par ces fonctions juridictionnelles depuis six ans, qui n’ont pas été qu’un
long fleuve tranquille mais qui sont un enrichissement quotidien que je
souhaite à chacune et chacun ». La procureure a rendu hommage à
l’ensemble des membres du tribunal : « En regardant chacun d’entre
vous, il me vient forcément une histoire, parfois toute petite comme simplement
un croisement dans les couloirs pour certains membres des greffes, ou plus
importante pour certains d’entre vous ».
Tout en remerciant les
différents invités à l’audience, notamment le maire de Versailles François de
Mazières, les premier président et procureur général près la cour d’appel de
Versailles Jean-François Beynel et Marc Cimamonti et le bâtonnier Raphaël Mayet,
Maryvonne Caillibotte a fait remarquer la « simplicité des relations »
entretenues avec les autres administrations et les associations, « sans
posture et sans ego démesuré ».
La magistrate se souvient
« des nuits écourtées, des caillassages, des blessures, des violences,
des outrages, des circulaires qui se succèdent, de la loi qui n’arrête pas de
changer », comme elle l’a confié, mais préfère retenir la « conviction
partagée que défendre et préserver l’intérêt général en vaut la peine, et même
peut-être toutes les peines ».
« Je suis si fière de
ce parquet »
S’adressant au président du
tribunal, Maryvonne Caillibotte a loué sa positivité et fait l’éloge de leur
relation commune : « Il régnait un accord pratiquement parfait
entre nous. Nous n’avions même plus besoin de parler et devancions les mots
l’un de l’autre. C’est un privilège. » Un « accord
pratiquement parfait » prouvé à tous les participants à l’audience,
puisque Bertrand Menay a assuré la même chose quelques instants plus tard :
« Nous avons constaté que même sans avoir échangé, nous partagions la
même vision des choses, des difficultés et des solutions à mettre en œuvre pour
notre tribunal. »
Le président du TJ l’a
félicité de sa « parfaite et précieuse connaissance du territoire, de [leurs]
interlocuteurs, et de [son] souci constant du bon fonctionnement du tribunal
dans son ensemble et de l’attention portée à chacun. »
Les derniers remerciements de
la procureure, appuyés, ont été pour les membres du parquet, avec entre autres Emmanuelle
Lepissier, qui assurera l’intérim sur la partie administrative. « Je
suis si fière de se parquet », a-t-elle assuré. Un parquet « encadré,
organisé, en responsabilité et fonctionnel » qui sera en « parfait
ordre de marche » au moment de l’arrivée du remplaçant. « C’était
ma dernière séance, c’est ma dernière séance, c’est ma dernière séquence, et le
rideau sur l’audience va tomber », a conclu la procureure en
paraphrasant Eddy Mitchell. Chose rare, le discours a été suivi
d’applaudissements par l’ensemble de la salle d’audience. Preuve, sans doute,
de l’attachement que portait le tribunal à sa procureure de la République.
Le départ de Maryvonne
Caillibotte ne sera pas le dernier de l’année pour la juridiction. D’ici l’été,
Marie-Françoise Zanchetta, directrice des services de greffe depuis novembre
2016, quittera son poste à l’occasion de son départ en retraite.
Alexis
Duvauchelle