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(94) Au tribunal judiciaire de Créteil, la procédure pénale numérique soulage les magistrats

(94) Au tribunal judiciaire de Créteil, la procédure pénale numérique soulage les magistrats
Parquet et siège s'accordent sur la réduction de la charge de travail permise par la PPN
Publié le 26/06/2024 à 10:50
Lancé en 2018, le chantier de la procédure pénale numérique (PPN) vise à moderniser la justice pénale. Alors que depuis l'été 2023, le tribunal de Créteil expérimente la PPN sur les comparutions immédiates, celle-ci va prochainement être étendue à l'ensemble des procédures pénales.

Dans le Val-de-Marne, la « PPN » convainc les magistrats. Le 27 mai dernier, le tribunal judiciaire de Créteil a consacré une journée de séminaire au déploiement de la procédure pénale numérique (PPN), expérimentée depuis 2023 au sein des comparutions immédiates. Six mois après le précédent rassemblement, divers acteurs de la juridiction se sont à nouveau réunis pour dresser l’état des lieux du développement de cet outil sur le territoire. Le matin, des actions de formation ont été conduites en direction des magistrats et des agents des tribunaux de proximité, ainsi que des magistrats et des agents des services civils. Et de l’avis général, le bilan est plutôt satisfaisant.

« Les difficultés que l'on rencontre lors de sa mise en place sont très largement inférieures aux avantages attendus et constatés de la PPN, qui s'inscrivent naturellement dans le cadre plus large de la transformation numérique », assure Eric Bienko Vel Bienek, président du tribunal Judiciaire de Créteil.

Et le magistrat d’égrainer ces avantages : « une réduction du temps de préparation avec des procédures facilement disponibles, une facilitation de la rédaction des projets de décisions à partir de la préparation, une instruction plus dynamique et interactive à l'audience », et un accès plus rapide aux procès-verbaux. Il remarque également « une participation plus importante des assesseurs, une transmission facilitée des procédures entre les acteurs, et enfin, un gain de place évident et un archivage à revoir dans l'ensemble des juridictions ».

Le procureur de la République de Créteil, Stéphane Hardouin, vante quant à lui un « bilan assez exemplaire, au bout de six mois ». Pour le représentant du parquet, l'objectif est de « construire un modèle de déploiement d'un grand tribunal de catégorie 1 », et que celui-ci puisse servir de « modèle, qui sera également déployable dans d'autres tribunaux de la même taille, peut-être même encore plus grands ».

L'ouverture des flux numériques

Pour assurer le bon déploiement de la PPN, la chefferie du TJ de Créteil a dû en poser les jalons. Avec Stéphane Hardouin, Eric Bienko Vel Bienek a produit une note le 13 février 2024, « précisant notamment que les procédures scannées, ont, sous certaines conditions qualitatives, la même valeur que les procédures nativement numériques ». Le président de la juridiction a aussi signé, en avril, un protocole avec le procureur de la République, la directrice des greffes, la direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) de Paris et le directeur du centre pénitentiaire de Fresnes.

Ce protocole expérimente la dématérialisation progressive de la chaîne pénale, ce qui inclut pour la juridiction la dématérialisation des mandats de dépôt, mais aussi des notices individuelles et de l'enquête sociale relative au prévenu. Les flux ont également été ouverts à l'ensemble des procédures en dossier OPJ, juge unique comme collégial.

Créteil a ainsi ouvert ses flux numériques à l'ensemble des procédures de déferrement, mais aussi « pour les ordonnances pénales, avec d'ores et déjà la signature dématérialisée de deux audiences, dans des conditions très satisfaisantes », souligne le président du tribunal judiciaire. Il ajoute que les flux seront ouverts pour les convocations par officier de police judiciaire (COPJ) auprès des mineurs fin juin, ainsi que pour les comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) et les comparutions de personnes libres.

Sécuriser la procédure de comparution immédiate

De l’enquête jusqu’à l’exécution de la décision, la dématérialisation de la procédure rendue possible par la PPN représente un véritable atout pour le président du tribunal correctionnel de comparution immédiate, selon Sylvain Bottineau, magistrat référent PPN pour le siège. Ce dernier prend l’exemple de la préparation des audiences du lundi matin : « Aujourd'hui, non seulement ces dossiers sont déjà implantés en temps réel le samedi et le dimanche, mais surtout, le lundi matin on peut les consulter, sans même se rendre au tribunal : cela donne une sécurisation dans le process. »

Le ministère public salue pour sa part la praticité et l’efficacité de la PPN dans la réduction de la charge de travail. Julie Duwez, substitute du procureur général près la cour d’appel de Versailles et référente PPN pour le parquet de Créteil, partage son « grand soulagement de ne plus avoir à poser des signatures sur des dizaines de réquisitions tous les jours », depuis la mise en place de la signature numérique pour les réquisitions de contrôles d'identité.

Si Sylvain Bottineau rappelle la crainte de certains avocats vis-à-vis de la PPN, qui pensent que cette numérisation « empêcherait d'écouter et de prendre le temps », il estime que loin de présenter « le risque d'un travail plus bâclé », cette procédure « est un moyen de travailler mieux, d'une manière plus sécurisée et de permettre aux magistrats, et peut-être aussi aux avocats, de se concentrer sur le cœur de leur métier sur le procès pénal ». Aussi, après un an de déploiement au sein du tribunal de Créteil, le magistrat estime que « les problématiques concernant le déploiement de la PPN ne sont pas tellement dans la technique », mais « sont plus liées à la conduite du changement ».

Quelques réserves chez les avocats

Le changement, certains pouvaient y être réfractaires au départ, comme le rappelle Haffide Boulakras, qui a été directeur du programme national de la procédure numérique avant d'être directeur adjoint de l’École nationale de la magistrature (ENM). « Il y avait un socle de principes, les libertés fondamentales, qu'il fallait absolument préserver dans le cas d'une procédure pénale numérique, et que ceci mis à part, on pouvait s'autoriser beaucoup de choses, et notamment modifier les codes de procédure pénale », explique-t-il.

Si la bâtonnière du Val-de-Marne, Yolaine Bancarel, se dit satisfaite de « l’écoute attentive » du siège et du parquet de Créteil et reconnaît que la procédure pénale numérique incarne « l’avenir », elle met en garde contre le risque « d'aller trop vite vers demain », et de « trébucher ». Outre un problème de lisibilité des documents scannés, elle attire l'attention des magistrats sur le fait que pour les avocats, « ce n'est pas si simple que ça de passer au numérique » et « de ne plus imprimer, de ne plus travailler sur du papier ».

Dans le but de faciliter le passage des avocats à la PPN, elle avait demandé à ce que l'on mette « à disposition des confrères en permanence pénale des ordinateurs portables dédiés pour recevoir les procédures numériques ». Ce à quoi on lui aurait répondu « que cela ne serait pas possible ». La bâtonnière estime donc que ce qui est attendu comme un gain de temps, est pour le moment davantage une « perte de temps qui va se retransmettre au niveau de l'audience pénale et notamment des comparutions immédiates ». Néanmoins, elle prévoit que ces difficultés devraient s'estomper quand la PPN sera ouverte à toutes les procédures.

Piloté par la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP), le déploiement de la procédure pénale numérique a fait l'objet d'un investissement de 24,2 millions d'euros du Fonds pour la transformation de l'action publique. Elle devrait être effective dans toutes les juridictions fin 2025.

Etienne Antelme

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