Lancé en 2018, le chantier de
la procédure pénale numérique (PPN) vise à moderniser la justice pénale. Alors
que depuis l'été 2023, le tribunal de Créteil expérimente la PPN sur les
comparutions immédiates, celle-ci va prochainement être étendue à l'ensemble
des procédures pénales.
Dans le Val-de-Marne, la « PPN »
convainc les magistrats. Le 27 mai dernier, le tribunal judiciaire de Créteil a
consacré une journée de séminaire au déploiement de la procédure pénale
numérique (PPN), expérimentée depuis 2023 au sein des comparutions immédiates. Six
mois après le précédent rassemblement, divers acteurs de la juridiction se sont
à nouveau réunis pour dresser l’état des lieux du développement de cet outil sur
le territoire. Le matin, des actions de formation ont été conduites en
direction des magistrats et des agents des tribunaux de proximité, ainsi que
des magistrats et des agents des services civils. Et de l’avis général, le
bilan est plutôt satisfaisant.
« Les difficultés que l'on rencontre lors de sa mise en place sont très
largement inférieures aux avantages attendus et constatés de la PPN, qui
s'inscrivent naturellement dans le cadre plus large de la transformation
numérique », assure Eric Bienko Vel Bienek, président du tribunal
Judiciaire de Créteil.
Et le magistrat d’égrainer
ces avantages : « une réduction
du temps de préparation avec des procédures facilement disponibles, une
facilitation de la rédaction des projets de décisions à partir de la
préparation, une instruction plus dynamique et interactive à l'audience »,
et un accès plus rapide aux procès-verbaux. Il remarque également « une participation plus importante des
assesseurs, une transmission facilitée des procédures entre les acteurs, et
enfin, un gain de place évident et un archivage à revoir dans l'ensemble des
juridictions ».
Le procureur de la République
de Créteil, Stéphane Hardouin, vante quant à lui un « bilan assez
exemplaire, au bout de six mois ». Pour le représentant du parquet,
l'objectif est de « construire un
modèle de déploiement d'un grand tribunal de catégorie 1 », et que
celui-ci puisse servir de « modèle,
qui sera également déployable dans d'autres tribunaux de la même taille,
peut-être même encore plus grands ».
L'ouverture des flux
numériques
Pour assurer le bon déploiement
de la PPN, la chefferie du TJ de Créteil a dû en poser les jalons. Avec Stéphane
Hardouin, Eric Bienko Vel Bienek a produit une note le 13 février 2024, « précisant notamment que les procédures
scannées, ont, sous certaines conditions qualitatives, la même valeur que les
procédures nativement numériques ». Le président de la juridiction a
aussi signé, en avril, un protocole avec le procureur de la République, la
directrice des greffes, la direction interrégionale des services pénitentiaires
(DISP) de Paris et le directeur du centre pénitentiaire de Fresnes.
Ce protocole expérimente la dématérialisation progressive de la chaîne pénale, ce qui inclut pour la juridiction la dématérialisation des mandats de
dépôt, mais aussi des notices individuelles et de l'enquête sociale
relative au prévenu. Les flux ont également été ouverts à l'ensemble des
procédures en dossier OPJ, juge unique comme collégial.
Créteil a ainsi ouvert ses
flux numériques à l'ensemble des procédures de déferrement, mais aussi « pour
les ordonnances pénales, avec d'ores et déjà la signature dématérialisée de
deux audiences, dans des conditions très satisfaisantes », souligne le
président du tribunal judiciaire. Il ajoute que les flux seront ouverts pour
les convocations par officier de police judiciaire (COPJ) auprès des mineurs
fin juin, ainsi que pour les comparutions sur reconnaissance préalable de
culpabilité (CRPC) et les comparutions de personnes libres.
Sécuriser la procédure de
comparution immédiate
De l’enquête jusqu’à l’exécution
de la décision, la dématérialisation de la procédure rendue possible par la PPN
représente un véritable atout pour le président du tribunal correctionnel de
comparution immédiate, selon Sylvain Bottineau, magistrat référent PPN pour le
siège. Ce dernier prend l’exemple de la préparation des audiences du lundi matin :
« Aujourd'hui, non seulement ces dossiers sont déjà implantés en
temps réel le samedi et le dimanche, mais surtout, le lundi matin on peut les
consulter, sans même se rendre au tribunal : cela donne une sécurisation
dans le process. »
Le ministère public salue pour
sa part la praticité et l’efficacité de la PPN dans la réduction de la charge
de travail. Julie Duwez, substitute du procureur général près la cour d’appel
de Versailles et référente PPN pour le parquet de Créteil, partage son « grand soulagement de ne plus avoir à poser
des signatures sur des dizaines de réquisitions tous les jours », depuis
la mise en place de la signature numérique pour les réquisitions de contrôles
d'identité.
Si Sylvain Bottineau rappelle
la crainte de certains avocats vis-à-vis de la PPN, qui pensent que cette
numérisation « empêcherait d'écouter et de prendre le temps »,
il estime que loin de présenter « le risque d'un travail plus bâclé »,
cette procédure « est un moyen de
travailler mieux, d'une manière plus sécurisée et de permettre aux magistrats,
et peut-être aussi aux avocats, de se concentrer sur le cœur de leur métier sur
le procès pénal ». Aussi, après un an de déploiement au sein du
tribunal de Créteil, le magistrat estime que « les problématiques concernant le déploiement de la PPN ne sont pas
tellement dans la technique », mais « sont plus liées à la conduite du changement ».
Quelques
réserves chez les avocats
Le changement, certains
pouvaient y être réfractaires au départ, comme le rappelle Haffide Boulakras,
qui a été directeur du programme national de la procédure numérique avant
d'être directeur adjoint de l’École nationale de la magistrature (ENM). « Il y avait un socle de principes, les
libertés fondamentales, qu'il fallait absolument préserver dans le cas d'une
procédure pénale numérique, et que ceci mis à part, on pouvait s'autoriser
beaucoup de choses, et notamment modifier les codes de procédure pénale »,
explique-t-il.
Si la bâtonnière du
Val-de-Marne, Yolaine Bancarel, se dit satisfaite de « l’écoute
attentive » du siège et du parquet de Créteil et reconnaît que la
procédure pénale numérique incarne « l’avenir », elle met en
garde contre le risque « d'aller
trop vite vers demain », et de « trébucher ». Outre un problème de lisibilité des documents
scannés, elle attire l'attention des magistrats sur le fait que pour les
avocats, « ce n'est pas si simple
que ça de passer au numérique » et « de ne plus imprimer, de ne plus travailler sur du papier ».
Dans le but de faciliter le
passage des avocats à la PPN, elle avait demandé à ce que l'on mette « à disposition des confrères en permanence
pénale des ordinateurs portables dédiés pour recevoir les procédures
numériques ». Ce à quoi on lui aurait répondu « que cela ne
serait pas possible ». La bâtonnière estime donc que ce qui est
attendu comme un gain de temps, est pour le moment davantage une « perte
de temps qui va se retransmettre au niveau de l'audience pénale et notamment
des comparutions immédiates ». Néanmoins, elle prévoit que ces
difficultés devraient s'estomper quand la PPN sera ouverte à toutes les
procédures.
Piloté par la Direction
interministérielle de la transformation publique (DITP), le déploiement de la
procédure pénale numérique a fait l'objet d'un investissement de 24,2 millions
d'euros du Fonds pour la transformation de l'action publique. Elle devrait être
effective dans toutes les juridictions fin 2025.
Etienne
Antelme