CHRONIQUE. En comparution immédiate devant la 12e chambre
correctionnelle du tribunal de Créteil, le prévenu comparaît pour violences et
outrage à l’encontre de deux policiers.
Le fait-divers avait fait l’objet d’un article dans Le Parisien. Début janvier, à
Ivry-sur-Seine, un policier a été blessé, lors d'une altercation avec des
jeunes.
Salim (le prénom a
été changé) comparaît, sous
les yeux attentifs de sa mère et de ses sœurs, présentes dans la salle. Et ce
pour quatre chefs de prévention : outrage à une personne dépositaire de de
l’autorité publique, violence sur fonctionnaires de police, rébellion en
récidive, et menace de mort.
Le président du tribunal veut savoir ce qu’il a à dire sur les
faits qui lui sont reprochés. Il raconte : deux policiers se sont approchés
de lui et de son petit groupe d’amis. L’un des agents a fait l’usage d’une gazeuse,
l’amenant à se réfugier dans un fast-food. Le prévenu explique avoir été aidé
par son ami. Celui-ci s’est rendu à l’épicerie, lui a ramené du Coca-cola et du
lait - pour que Salim se nettoie le visage. Un peu plus tard pendant
l’audience, l’usage de ce gaz sera nié par les policiers.
Un lieu connu pour son trafic
Salim explique que « sous l’emprise de l’énervement »,
il est repassé près du policier, et « l’a
outragé un petit peu » : « je lui ai dit qu’il n’y avait que les montagnes qui ne se croisaient
pas, et qu’on allait se revoir ».
Il s’est alors mis alors à courir, et est rentré chez lui.
L’un des deux policiers (qui se sont constitués parties civiles) est
invité à s’approcher de la barre, pour donner sa version. Contrairement à son
collègue, il n’a pas été blessé. Il raconte leur patrouille devant la cité
Gagarine, « un lieu connu pour le
trafic de stupéfiants ».
Lors d’un premier passage, « l’individu »
a insulté les agents, et a averti d’autres personnes de cette présence
policière. Les fonctionnaires ont voulu contrôler l’individu, cherchant à « calmer la situation », indique-t-il. « Ces contrôles sont quotidiens. On a
l’habitude de parler à monsieur »,
explique le policier, qui précise qu’ensuite, Salim a pris la fuite, après les
avoir insulté et menacé de mort. On aurait pu en rester là, mais après être
rentré chez lui, Salim a décidé de ressortir, vers 23 heures. De quoi étonner
le magistrat :
« On a du mal à comprendre, au regard de ce que vous avez
décrit, pourquoi vous ne restez pas tranquillement chez vous, en vous disant “il
faut que je me remette” ?
-
Oui, c’est vrai. Je manquais
de choses à manger et à boire chez moi, je suis parti à l’épicerie faire
quelques courses.
-
À 23h et quelque ? Vous aviez
un petit creux au milieu de la nuit ?
-
J’avais soif.
-
Quand on prend le certificat
médical du médecin qui vous a examiné, il note des blessures, des ecchymoses,
des contusions. Mais à aucun moment… si on vous met un coup de gazeuse dans la
bouche, ça doit toucher aussi les yeux. Je n'ai pas vu de traces d'éléments
concernant les yeux qui n'allaient pas bien.
-
Les yeux, bah je vous ai
expliqué, j’ai pris du lait et du Coca. Et je suis rentré chez moi aussi, je me
suis lavé.
-
Et ça a suffi pour apaiser ?
-
Bah oui. »
Sur l’usage du gaz
lacrymogène, deux versions
Salim avait
expliqué avoir subi un coup de gazeuse dès sa première rencontre avec les
policiers. Le premier policier qui répond au tribunal reconnaît avoir utilisé
un gaz lacrymogène, mais seulement lors de leurs retrouvailles, juste avant
l’interpellation. Salim a « pris
peur » et s'est de
nouveau mis à courir. Alors qu’il s’occupait de quatre autres individus,
l'autre policier s’est mis à courir après Salim pour une « interpellation compliquée », pendant laquelle « l’individu se rebelle et lui porte des coups ».
Le président d’audience lit des extraits de l’enregistrement de la
caméra piéton, portée par son collègue. La caméra, « très instable »,
n’a laissé aux enquêteurs que des « images
qui ne permettent pas de déterminer la situation », et « un fond noir ».
La caméra a continué à enregistrer le son, soit différentes paroles. Le
magistrat souhaite mieux comprendre « qui
a dit quoi ». Des « ta gueule » et des « lâche-moi » ont été échangés. L’enregistrement
se termine par le récit du policier qui raconte son interpellation « musclée ».
Le juge aborde la relation avec le prévenu :
« Est-ce que ce type de fait est récurrent, dans ce quartier
?
-
Dans ce quartier, oui, mais
en particulier avec Monsieur. C’est l’un des individus qui nous portent le plus
d’injures. C’est récurrent, tous les jours on contrôle cet individu. »
Un second témoignage
L’avocat de Salim évoque un deuxième individu évoqué dans la
procédure, interpellé pour être auditionné, le lendemain matin. Celui-ci a
expliqué que son camarade « était
plié en deux dans un fast-food, car il avait pris du gaz lacrymogène ».
Il regrette que la procédure n’ait pas intégré des images de la vidéo du
fast-food, la présence d’une caméra étant indiquée par le prévenu et son
camarade, sans qu’ils aient eu le temps de se concerter, pointe-t-il. Il
mentionne ensuite un certificat médical “étonnant”.
Celui-ci fait état de “plusieurs hématomes, de contusions multiples, un
peu partout, au niveau du genou, du visage et des pommettes”, et la
nécessité d’une intervention “avec des
points de suture”.
Le policier qui a procédé à l’arrestation de Salim, et s’est
blessé à cette occasion, s’avance à la barre. Il donne son récit des
faits : « Au moment où on
arrive dans la cité la deuxième fois, ils sont cinq. Il prend la fuite
directement parce qu'il nous reconnaît, suite à ce qu’il s’est passé la
première fois. Je lui cours donc après. Et mon collègue reste en retrait. Parce
que, comme ils sont cinq, on n’a pas trop envie de se retrouver à deux contre
cinq, au moment de l’interpellation de Monsieur ».
« Il s’est
cassé la gueule comme une merde »
Il revient ensuite sur un extrait de l’enregistrement, lu par le
président d’audience à son collègue : « quand on dit “il s'est cassé la gueule comme une merde”, c'est moi qui
l'ai dit. Simplement parce qu'il a sauté par-dessus la grille, connaissant
parfaitement la topographie de sa cité. Et il s'est retrouvé dans la boue, ce
qui a causé sa chute et la mienne, quand j’ai tenté de l’interpeller. Et je me
suis retrouvé en un contre un contre lui, pendant un temps qui m’a paru assez
long. Et avec une main en moins, parce que j’étais porteur d’une grenade,
compte tenu de la dangerosité des lieux et des individus, auxquels on a affaire
tous les jours. » Le policier parle de coups portés par
Salim, et des coups qu’il doit rendre en échange, car il « n’a pas le choix, dans l’attente de son
collègue ». Il explique qu’il a alors décidé de lâcher sa grenade
lacrymogène, pour arrêter de « subir
la situation ». Une fois rejoint par son collègue, il a
interpellé le prévenu.
Le policier évoque le quartier, où une enquête « a duré longtemps », et donné lieu à
des interpellations. Depuis, ils ont des « doléances » de
leur hiérarchie, pour éviter une reprise du trafic de stupéfiants. Il aborde
aussi le problème de bâtiments neufs dans la cité, déjà délabrés par
différentes dégradations. Il pointe un individu « très souvent cagoulé », été comme hiver, et qu’ils contrôlent
régulièrement.
Le juge interroge le policier :
« Vous vous souvenez des propos qu’il a tenus à votre
encontre ?
-
Je voulais revenir sur le
fait que jamais il n’a parlé de montagnes qui se rencontrent. Et on n’aurait
pas la prétention d’avoir la carrure d’une montagne. On a surtout eu des
menaces de mort, des menaces de violence sur ma famille, sur ma mère. »
Salim reconnaît l’outrage, mais pas les menaces de mort. Il assure
n’avoir mis aucun coup au policier : pour lui, sur les enregistrements audios
issus de la caméra, on n’entend pas qu’il est violent, mais au contraire qu’il
se « fait frapper ». Il est vrai
qu’un peu plus tôt, le juge lisait la transcription de l'enregistrement, où se
succédaient des « ils vont me tuer », « pourquoi vous faites ça ? », et des « ferme ta
gueule » et « donne ta main ».
Salim a déjà été condamné par la justice, pour infraction à la
législation sur les stupéfiants, et pour conduite d'un véhicule compromettant
la sécurité et la tranquillité publique. Si l’un des policiers concède que « la frontière est fine entre violence et
rébellion », le tribunal va entrer en voie de condamnation.
Après une suspension d’une quarantaine de minutes, le tribunal
reconnaît le prévenu coupable des quatre infractions. Salim est condamné à dix
mois d’emprisonnement ferme, soit deux mois en-dessous des réquisitions de la
procureure. Le tout avec mandat de dépôt.
Etienne
Antelme