« Le greffier, entrepreneur de confiance du service
public », tel était le thème choisi par
les greffiers des tribunaux de commerce pour leur 133e congrès,
mettant ainsi en valeur un modèle hybride, à mi-chemin entre exercice libéral
et service public, source, selon eux, d’efficacité et de confiance pour les
mondes économique et judiciaire. Un modèle défendu par Sophie Jonval,
présidente du CNGTC, auprès du garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, venu
rencontrer la profession en parallèle des discussions parlementaires autour du
projet de loi confiance dans l’institution judiciaire. Lors de cet événement qui
s’est déroulé du 30 septembre au 1er octobre à l’Institut du
Monde arabe, à Paris Sophie Jonval a notamment rappelé les missions des
greffiers, leur efficacité pendant la crise sanitaire, ainsi que leur capacité
à sans cesse innover.
En introduction de cette grand-messe de la profession, la
présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC)
est revenue sur les raisons qui ont conduit les greffiers à consacrer leur 133e
congrès à l’étude des atouts du statut d’officier public et ministériel – qui
est justement celui des greffiers des tribunaux de commerce.
Sophie Jonval en a conscience : ce statut suscite chez un
grand nombre de personnes des interrogations, voire de la méfiance.
Or, « c’est
justement cet équilibre qui donne à notre profession, sous le contrôle de
l’État, une agilité et une capacité lui permettant d’assurer, à moindre coût
pour l’usager et sans peser sur les Finances publiques, les délégations qui lui
sont confiées » a-t-elle assuré.
« Une agilité et une
capacité » qui ont été confirmées pendant la
crise sanitaire.
LES GREFFIERS PLEINEMENT MOBILISES PENDANT LA CRISE
Lors de son allocution, Éric Dupond-Moretti a justement
exprimé sa reconnaissance à la profession, la seule institution judiciaire
restée pleinement accessible malgré les confinements : « Grâce à votre dynamisme et à votre sens aigu du service public, vous
avez activement contribué à la continuité de la justice commerciale pendant la
pandémie, notamment en équipant très rapidement les juridictions pour permettre
des audiences par visioconférence. »
Les outils digitaux développés au fil des années par la
profession comme la plateforme Infogreffe, le tribunal digital ou l’identité
numérique ont également été d’une grande utilité pendant la crise, a argumenté
Sophie Jonval de son côté.
En effet, plus d’un tiers des 3,2 millions de formalités
traitées en 2020 par les greffiers ont été réalisées en ligne sur Infogreffe,
et 4 000 saisines des tribunaux de commerce ont été effectuées sur le portail
du Tribunal digital.
En outre, tout au long de la crise, les greffiers se
sont attachés à mettre les informations contenues dans le Registre du commerce
et des sociétés (RCS) au service du suivi des effets de la crise sur le tissu
entrepreneurial. Les bilans nationaux et départementaux des entreprises,
élaborés par l’Observatoire statistique du Conseil national, ont par exemple
été très précieux pour de nombreuses entreprises.
Quant aux baromètres « Flash covid » publiés à l’issue
des périodes successives de confinement, ils ont été très utiles aux ministères
et aux collectivités territoriales pour analyser l’impact de la crise sur
l’économie.
À l’heure actuelle, les greffiers des TC sont également
présents auprès des chefs d’entreprise pour les aider à sortir de la crise.
Ainsi, les outils en ligne développés via le GIE
Infogreffe permettent d’améliorer la détention précoce et confidentielle des
fragilités financières des entreprises afin de les accompagner vers des
solutions et procédures adaptées à leur situation. Parmi ces outils, on trouve
le portail prevention.infogreffe.fr ; l’indicateur de performance accessible
sur MonIdenum, l’adresse e-mail dédiée pour solliciter un entretien de
prévention, et la saisine en ligne du tribunal de commerce sur le tribunal
digital.
Bref, comme l’a souligné le garde des Sceaux, les
greffiers sont bien « des figures
familières, incontournables et indispensables de nos juridictions ». Leurs
missions au service des justiciables et des entreprises sont très nombreuses,
la qualité de leur service a même poussé l’État à les étendre. Sophie Jonval
a profité du Congrès pour énumérer un certain nombre d’entre elles.
Sophie Jonval, présidente du CNGTC
DES MISSIONS AU SERVICE DES ENTREPRISES ET DE LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE
Tout d’abord, c’est la fonction de « gardien de registres légaux »,
notamment du registre du commerce et des sociétés – le registre des entreprises
le plus important d’Europe aujourd’hui – et, plus récemment, du registre des
bénéficiaires effectifs, qui est au cœur du métier de greffier.
Cela va de pair avec la fonction de contrôle juridique au moment de
l’immatriculation d’une entreprise et tout au long de sa vie.
Comme l’a précisé la présidente du CNGTC, c’est justement ce rôle de
contrôle que les greffiers ont fait valoir auprès des inspecteurs du Groupe
d’Action Financière Internationale (GAFI), lors de l’inspection de la France,
en juillet.
Lors de cette inspection, une attention particulière a été portée au
registre des bénéficiaires effectifs dont les greffiers ont la charge depuis 2017.
Ce registre peut être considéré, selon la porte-parole des greffiers,
comme « un exemple d’efficacité dans la lutte contre la fraude et le
financement du terrorisme. »
En effet, l’information des entreprises relative à la déclaration de
leurs bénéficiaires effectifs et les relances de celles n’ayant pas respecté
leur obligation ont permis, à ce jour, de constituer un registre dans lequel
ont été déposées et contrôlées 4,5 millions de déclarations par 3,5 millions d’entités assujetties.
La profession a d’ailleurs partagé son expérience avec
les pays membres du G7, et notamment les États-Unis, le Canada ou encore le
Japon, qui ont voulu avoir un retour d’expérience sur ce sujet.
« Tout cela démontre
notre attachement à ce que le registre du commerce et des sociétés demeure une
référence que beaucoup de pays nous envient » a
résumé Sophie Jonval.
Il est donc essentiel selon cette dernière « de maintenir et de développer sans cesse
la qualité et la pertinence du RCS. »
C’était, en tout cas, l’ambition des rédacteurs de la loi
PACTE (entrée en vigueur le 22 mai 2019), lesquels souhaitent aujourd’hui la
mise en œuvre effective du registre général dématérialisé des entreprises, via
un organisme unique numérique pour permettre aux administrations fiscales et
sociales d’y puiser les informations nécessaires à l’exercice de leurs
missions. Il s’agit là, a indiqué Sophie Jonval, « d’un projet d’envergure à mettre en place dans des délais contraints,
d’un projet stratégique qui concerne l’ensemble des acteurs économiques de
notre pays ».
Malgré sa déception de ne pas avoir été choisi comme
opérateur à la place de l’Institut national de la propriété industrielle
(INPI), le CNGTC (via le GIE Infogreffe) a toutefois rempli ses engagements
(cf. raccordement des 141 greffes à l’organisme unique) pour que ce projet
d’envergure puisse aboutir.
Enfin, les greffiers sont des acteurs clés des
dispositifs nationaux de lutte contre la fraude, le blanchiment de capitaux et
le financement du terrorisme. Une efficacité saluée par le ministre de la
Justice en ces termes : « Votre
profession a ainsi initié, depuis plusieurs années maintenant, une dynamique
permettant de faire des greffiers des tribunaux de commerce des acteurs clés
dans ce domaine. (…) Mieux, vous avez demandé à être assujettis au dispositif
prévu par le Code monétaire et financier. (…) On ne peut que se réjouir des
efforts entrepris par votre profession qui devient ainsi autorité de contrôle
au sens du Code monétaire et financier. »
Ainsi, en 2020, 720 déclarations de soupçon ont été
comptabilisées, pour 465 en 2019, soit une augmentation de 55 %, a précisé le
garde des Sceaux.
« Les greffiers jouent
désormais un rôle majeur dans le signalement des différentes fraudes.
Aujourd’hui, ils sont devenus, aux côtés des autorités en charge de la lutte
contre la fraude, de véritables acteurs de ce combat » a d’ailleurs déclaré, au sujet des greffiers des TC,
Maryvonne Le Brignonen, directrice de Tracfin, dans une interview à retrouver
dans le rapport d’activité 2020 du CNGTC.
Outre ces missions, le Conseil national est actuellement
mis à contribution dans de nombreux projets et réformes portés par le ministère
de la Justice.
Eric Dupond-Moretti, ministre de la Justice
DES PARTENAIRES DE CONFIANCE DE LA CHANCELLERIE
Le déplacement du garde des Sceaux au congrès des greffiers a eu lieu en
parallèle des discussions parlementaires autour du projet de loi pour la
confiance dans l’institution judiciaire.
Le rapport rendu par l’inspection générale de la justice en octobre
2020 a en effet insisté sur la nécessaire réforme
du régime disciplinaire des professions du droit.
Cette réforme a pour objectif de rendre le droit plus accessible, en
instaurant des codes de déontologie rédigés par chaque profession, a rappelé le
ministre de la Justice.
Afin de concevoir au mieux ce projet de loi, ces derniers mois, les
greffiers des tribunaux de commerce ont été auditionnés par les rapporteurs de
l’Assemblée nationale et du Sénat.
La réforme prévoit, entre autres, de confier le contrôle et la
discipline des officiers publics et ministériels aux procureurs généraux et
d’unifier l’architecture juridictionnelle ; de créer un service d’enquête
indépendant, en modernisant l’échelle des peines, en créant un échelon
infra-disciplinaire, etc. [Le 21 octobre, la commission mixte paritaire chargée de
proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi
et du projet de loi organique pour la confiance
dans l’institution judiciaire s’est réunie au Sénat. Le 22 octobre, députés et
sénateurs sont parvenus à un accord ndlr]
« Ma profession, qui
a été amplement consultée, accueille favorablement cette réforme. Elle
renforcera sans conteste la confiance, non seulement des autorités envers les
professions, mais également celle des usagers et des justiciables » a souligné Sophie Jonval.
Autre domaine de collaboration entre la Chancellerie et
le CNGTC : la réforme du droit des sûretés qui découle de l’ordonnance du 15
septembre 2021, et qui crée, notamment, un nouveau registre des sûretés
mobilières qui sera entièrement confié aux greffiers des tribunaux de commerce.
Ce registre, a précisé Éric Dupond-Moretti, permettra une
dématérialisation totale des démarches des entreprises dès le stade de
l’inscription de la sûreté.
Il sera en outre complètement dématérialisé et disponible
en open data.
Le Conseil national a été consulté sur le projet de
décret-cadre et les décrets spécifiques à chacune des sûretés qui ont vocation
à intégrer le futur registre national.
« La tenue du
registre des hypothèques maritimes, auparavant assurée par les services douaniers
et les warrants agricoles, gérés par les tribunaux judiciaires, seront
désormais de la compétence des greffes des tribunaux de commerce, de même que
les gages sur flottes automobiles » a détaillé Sophie Jonval.
La mise en place de ce registre sera progressive à partir
du 1er janvier 2022 avec l’intégration des hypothèques maritimes, a-t-elle
annoncé.
« J’ai toute confiance
en la capacité des greffiers des tribunaux de commerce pour relever ce défi » a assuré le garde des Sceaux à ses interlocuteurs.
UNE FORMATION SOLIDE ET EXIGEANTE
Pour remplir leurs nombreuses missions, les greffiers des tribunaux de
commerce doivent disposer d’une formation solide et exigeante.
Ces derniers ont d’ailleurs récemment formulé auprès du ministère de la
Justice des propositions d’évolution de l’accès à la profession.
Comme l’a rappelé Éric Dupond-Moretti dans son
intervention, les conditions d’accès à la profession de greffier de TC ont été
profondément réformées par la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité
des chances économiques du 6 août 2015.
Mais les concours qui se sont déroulés à partir de cette
date-là « ont révélé des points
susceptibles d’être améliorés ».
Désormais, le CNGTC souhaite que, pour accéder à la
profession, il soit impératif de détenir un master 2 en droit et réclame
également l’allongement de la durée du stage obligatoire.
« Ces propositions
sont en cours d’expertise par le bureau des professions et ont déjà été
accueillies de manière positive » s’est
réjouie la présidente du Conseil national.
Celle-ci s’est cependant avouée un peu inquiète pour
l’avenir de la profession. En effet, a-t-elle rappelé, la loi croissance a
prévu une révision des tarifs des greffiers tous les deux ans. À son avis, au
lieu de baisses « systématiques et
aveugles », il faudrait plutôt réfléchir à l’établissement d’une feuille de
route commune permettant de planifier, à moyen et long terme, les actions à
entreprendre et les moyens à leur consacrer. Cette demande sera-t-elle entendue
?
Autre inquiétude, le métier de greffier, qui a « traversé les siècles, les décennies »,
saura-t-il résister à l’essor de l’open data qui, comme l’a reconnu le ministre
de la Justice, a déjà commencé à « impacter la profession et une partie de ses
modalités de financement » ?
Maria-Angélica Bailly