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Accidents sportifs : quelles responsabilités ?

Accidents sportifs : quelles responsabilités ?
Publié le 06/07/2021 à 16:04

La vie se révèle souvent injuste. Elle répartit de manière parfois incomprise et inacceptable, maladies, blessures humaines, blessures physiques, perte d’emploi, décès… À cet arbitraire s’ajoutent les épreuves dont notre société accable ses membres, par leur propre fait ou encore par celui de tiers.

Les destins de la vie de celles et ceux qui sont décédés ou qui sont infirmes à la suite d’un accident lié à la pratique sportive sont douloureux. Je me rappelle les audiences du tribunal correctionnel de Bastia, où les victimes, avec leurs douleurs et infirmités, venaient réclamer réparation suite à l’effondrement de la tribune du stade de Furiani, en Corse. Une funeste soirée.

La peur existe. Peur de la chute, peur de l’accident, peur du raté et peur de l’adversaire déloyal et de la mise en danger dues aux défaillances de l’organisateur. Des peurs à repousser. Un peu comme dans la chanson « J’y pense et puis j’oublie » de Claude François ou « C’est la vie, c’est la vie » de Michel Fugain. Oui, c’est la vie, c’est le risque, c’est l’acceptation des risques… mais pas de tous les risques, même si le risque zéro n’existe pas !

 

 

Accidents entre sportifs

Chaque fois que nous sommes engagés dans un procès lié à la pratique sportive, nous expliquons à la victime ou à ses représentants : « Attention, en pratiquant un sport, vous acceptez les risques de sa pratique. » Alors, on nous répond invariablement : « Oui, Maître, mais l’avenir de mon fils est brisé, c’était un espoir dans le football, il a été agressé, il faut demander un préjudice de carrière », ou encore « Oui, Maître, à l’acceptation des risques, mais pas de tous les risques. » Et pourtant, la prise de risque est inhérente à la recherche de la performance. On veut gagner à tout prix, c’est le concept du risque accepté. Il est établi en jurisprudence que la faute ordinaire, source habituelle de responsabilité, n’est pas suffisante pour engager la responsabilité d’un sportif à l’égard d’un autre. La responsabilité encourue du fait d’un accident survenu dans la pratique d’un sport est marquée par la notion « d’acceptation des risques ». En compétition, n’oublions pas, le sportif se donne entièrement, il prend tous les risques. Ces risques, il les accepte pour gagner, et tout participant s’expose donc nécessairement aux dangers. Dans tous les cas, un nombre non négligeable d’accidents sportifs sont soumis aux tribunaux pour la détermination, ou non, des responsabilités. Il convient donc de souligner l’importance du pouvoir d’appréciation des juges.

Précisons que l’organisation et la pratique des activités sportives peuvent donner lieu à la commission d’infractions pénales sanctionnant des manquements à la loi ou aux règlements ayant causé un dommage corporel. Par exemple, la faute délibérée assimilée à des violences volontaires sur autrui, la faute d’imprudence ou de maladresse ayant causé des blessures ou homicide involontairement et la mise en danger d’autrui visée à l’article 223-1 du Code pénal…

Nous ne retiendrons dans le cadre de cet exposé que la responsabilité civile en présentant divers exemples.

 

Premier cas. Au cours d’un match de football, un jeune scolaire cherche à intercepter le ballon avec le pied, il blesse au nez un autre élève qui s’apprêtait, en se baissant, à jouer avec la tête. Les magistrats estiment que la victime avait implicitement accepté les risques de collision entre joueurs même si, au regard des règles du jeu, cette attitude est sanctionnable.

 

Deuxième cas. Lors d’un match de handball, suite à un rebond sur un montant de but, le ballon ricoche sur le visage de l’arbitre, il est blessé à l’œil. Les juges considèrent que l’arbitre, qui connaissait parfaitement les dangers du jeu, avait accepté en se plaçant dans le champ d’action des joueurs, les risques que cette position implique.

 

Troisième cas. Pendant une sortie, suite à une réaction imprévisible de son cheval, une jeune cavalière expérimentée chute et se fracture la jambe. Le cheval appartient au centre équestre. Les magistrats ne retiennent pas la responsabilité du loueur de chevaux, considérant que « chaque cavalier disposait d’une marge d’autonomie impliquant l’acceptation des risques courants tenant au comportement individuel de chaque animal ».

 








Une acceptation des risques sous conditions

Toutefois, cette théorie sur le risque est soumise à plusieurs restrictions. Bien qu’il règne une grande incertitude dans la jurisprudence, il est possible de distinguer trois conditions pour que les juges y fassent appel.

 

Première condition : une participation effective à une activité sportive. L’acceptation des risques ne peut être opposée qu’à une personne prenant personnellement part aux épreuves. Elle ne joue donc pas à l’encontre d’un commissaire de course ou d’un spectateur, mais elle s’applique pour les sportifs, les moniteurs, les accompagnateurs et les arbitres.

 

Deuxième condition : les risques doivent avoir été acceptés en connaissance de cause. Aussi, les tribunaux opposeront plus facilement l’argument à des sportifs confirmés qu’à des débutants, sans toutefois l’écarter systématiquement pour ces derniers, selon le sport pratiqué.

 

Troisième condition : l’acceptation ne porte que sur les risques normaux du sport pratiqué. Lorsque l’accident provient d’une faute imprévisible des organisateurs, du comportement excessivement brutal ou d’une action déloyale d’un autre joueur, les tribunaux écartent l’acceptation de tels risques. Par exemple : si un joueur de rugby donne un violent coup de pied à un joueur en dehors de toute action de jeu, il y a faute par la violation caractérisée des règles du jeu.

En d’autres termes, l’acceptation des risques ne peut couvrir que les aléas prévisibles et normaux de l’activité sportive concernée. La déclaration de responsabilité nécessite donc une faute d’une certaine gravité. Elle suppose une action anormalement dangereuse ou violente par rapport aux règles du sport ou du jeu pratiqué, et non une simple erreur ou maladresse. Les codes ou les règles de conduite que certaines fédérations ont édictées servent parfois de guide aux juges pour l’appréciation. Mais la charge d’une faute particulière susceptible de faire échec au principe de l’acceptation des risques incombe à la victime. Cependant, les conditions d’application de cette théorie permettent de rappeler la nécessité pour les participants de bénéficier, en cas d’accident, de garanties de type « individuelle-accident » dont la souscription est obligatoire. Nous présentons les conditions d’interventions des assurances en fin d’exposé.

 

 

Distinction entre faute sportive et faute civile

Les juges ne s’estiment pas liés par la qualification de l’acte du sportif établie par l’arbitre, car la faute sportive peut être définie comme la violation de la règle édictée par la fédération sportive dont relève l’activité pratiquée. Sans la théorie de « l’acceptation des risques », toute faute sportive, en cas de dommages causés à autrui, engagerait la responsabilité de son auteur sur le plan civil. En fait, pour qu’une faute sportive soit qualifiée de faute civile par les tribunaux, il faut que le jeu ait été conduit, selon les termes de la jurisprudence, avec une « maladresse caractérisée », une « brutalité volontaire », ou encore « d’une façon déloyale ».

Voici encore quelques exemples de jurisprudence qui permettent de constater que la condamnation des sportifs sur le plan civil a presque toujours pour origine la violation d’une règle sportive concernant la sécurité. C’est par exemple le tacle irrégulier au football. En taclant un adversaire par derrière, « avec un pied décollé du sol, alors que son action avait pour but de provoquer la chute de son adversaire, un joueur de football commet un acte de violence volontaire en violation des règles de football et engage sa responsabilité civile ». Dans ces conditions, le joueur considéré a incontestablement agi avec intention de nuire, quand bien même il n’aurait pas bien mesuré toutes les conséquences de son geste.

Mais la faute sportive peut ne pas être qualifiée de faute civile. Par exemple, en l’absence de geste déloyal, le joueur de football qui a blessé un autre joueur peut, bien que son acte ait été sanctionné par un penalty, être déchargé de toute responsabilité envers la victime, dès lors qu’il a été retenu qu’il n’avait pas commis de brutalité volontaire, ni porté le coup de façon déloyale ou dans des conditions créant un risque anormal.

De même, la faute involontaire au cours d’une phase de jeu, l’attaquant d’une équipe qui a été blessé par le gardien de but de l’équipe adverse, lequel avait levé son genou pour mieux assurer sa protection, ne peut demander à ce gardien réparation du dommage qu’il a subi, dès lors que cette faute n’était qu’une faute involontaire de jeu faisant partie des risques du sport et non une faute civile. Souvent, nous avons dû « batailler » durement à l’analyse des faits pour déterminer les responsabilités. Comme on vient d’en montrer quelques exemples, les situations, les faits de jeu ne sont jamais les mêmes. Quand la règle du jeu n’a pas été violée, c’est-à-dire lorsque l’auteur du dommage a respecté toutes les prescriptions sportives, la qualification de la faute sportive en faute civile devient alors difficile pour le juge.

On peut en tirer la conséquence que les clubs doivent se montrer particulièrement méticuleux et attentifs dans la surveillance des matchs où sont engagés des enfants, adolescents et ne pas les exposer au danger certain qu’ils courent. Et dès que la partie est commencée, la garde et la surveillance des équipes passe à l’arbitre et la responsabilité de celui-ci peut être engagée si des accidents se produisent (insuffisance des équipements de protection prévus au règlement ou encore brutalités non réprimées).

 

 

La question de la responsabilité de l’organisateur sportif

L’examen des décisions judiciaires permet de constater que la plupart des actions en responsabilité engagées contre des associations sportives, clubs, concernent des accidents survenus à l’occasion des activités et des manifestations sportives qu’elles organisent, la condamnation de ces associations est recherchée sur le terrain de la responsabilité contractuelle lorsque ce n’est pas sur le fondement pénal (par exemple, la mise en danger d’autrui).

Alors que la responsabilité d’un sportif envers un autre participant à l’activité sportive est de nature délictuelle (article 1240 du Code civil, ancien article 1382 du Code civil), comme nous l’avons vu, même si auteur et victime appartiennent à la même équipe, la responsabilité de l’organisateur envers les pratiquants est contractuelle (article 1231-1 du Code civil, ancien article 1147 du Code civil). Très souvent, le lien contractuel n’est que tacite, les tribunaux en déduisant, par exemple, l’existence du seul fait de l’adhésion à une association sportive, qui implique l’acceptation des statuts de celle-ci. De même, tout participant à une activité sportive extérieure à l’association organisatrice sera censé avoir contracté avec elle et accepté le règlement de la manifestation lors du dépôt de son inscription.

 

 

Une obligation de moyens de sécurité ou de résultat ?

Aujourd’hui, la jurisprudence fait une distinction importante, pas toujours partagée par la doctrine, si bien qu’il s’ensuit des débats animés entre juristes. L’organisateur d’activités sportives (cette expression comprenant les exploitants d’installations sportives, le terme de participants désignant aussi les utilisateurs de celles-ci), certes tenu d’assurer la sécurité des participants, n’assume à cet égard qu’une obligation de moyens, chaque participant jouant un rôle actif dans l’exécution de la prestation et devant veiller lui-même à sa propre sécurité. Mais dès lors qu’elle est de moyens, la survenance du dommage ne peut, à elle seule, suffire à engager la responsabilité contractuelle du débiteur. Il faut, au surplus, que la victime rapporte la preuve d’un manquement de l’organisateur à son obligation de sécurité, le tout en lien direct avec le préjudice. C’est ainsi que l’organisateur d’une activité sportive est tenu, à l’égard des pratiquants avec lesquels il contracte, d’une obligation de sécurité qui est en principe de moyens dans la mesure où les participants ont un rôle actif dans l’activité en cause. Mais cette obligation se mue en revanche en obligation de résultat lorsque le pratiquant est totalement passif.

Il appartient dès lors à la victime du dommage de démontrer que l’organisateur a manqué à cette obligation de moyens de sécurité et contribué par sa faute à la réalisation du dommage. Si la victime ne peut rapporter la preuve de cette faute, les juges devront rejeter la demande d’indemnisation. Ce n’est qu’exceptionnellement que l’association sportive sera tenue, envers le participant, d’une obligation de résultat et que sa responsabilité sera engagée, même sans preuve d’une faute de sa part : exercice de sports dangereux par des néophytes (parachute ascensionnel par exemple). De même, l’exploitant d’une piste de bob-luge est tenu d’une obligation de résultat en ce qui concerne la sécurité de ses clients, dès lors que ceux-ci ne peuvent décider librement de la trajectoire de l’engin, la jurisprudence est très fournie sur toutes ces interprétations qui parfois peuvent aussi se contredire.

 

 

Obligations générales et respect des réglementations

D’une façon générale, on peut résumer les obligations pesant sur les organisateurs d’activités sportives envers les participants en indiquant qu’ils sont toujours tenus envers ceux-ci d’une obligation générale de prudence et de diligence. Leur responsabilité sera évidente en cas de violation d’une norme légale, règlementaire ou fédérale en relation de cause à effet avec le dommage. Le respect de la règlementation ne suffit pas néanmoins à mettre l’organisateur à l’abri de toute condamnation civile ou pénale : il doit vérifier si cette règlementation garantit effectivement et suffisamment la sécurité des participants, pour prendre, s’il y a lieu, des précautions supplémentaires.

Par exemple, le devoir d’information, le parcours, les installations, le matériel… Avant le début d’une épreuve sportive, l’organisation a le devoir d’informer les participants, notamment sur :

la nature et l’étendue des assurances contractées, afin de permettre aux bénéficiaires de souscrire éventuellement une police complémentaire ;

les conditions exactes du déroulement de l’épreuve, en particulier si celle-ci a lieu sur une voie publique restant ouverte à la circulation,  sur un parcours accidenté…

les dangers particuliers auxquels les participants pourraient être confrontés, dans le cas notamment d’une association organisatrice d’une randonnée qui avait inscrit à son programme la visite des ruines d’un château et n’avait pas averti les randonneurs du danger constitué par l’état d’un pont.

L’organisation doit également fournir des installations et un matériel propres à assurer la sécurité de l’utilisateur. D’où par exemple :

la responsabilité de l’organisateur d’une compétition de gymnastique n’ayant pas fourni un tapis de réception conforme aux normes règlementaires de sécurité ;

la responsabilité du club hippique n’ayant pas fourni un cheval adapté aux capacités de l’utilisateur ;

la responsabilité de l’organisateur d’une course en montagne n’ayant pas prévu un encadrement suffisant en nombre et compétence ;

la responsabilité de l’organisateur d’une course automobile n’ayant pas installé un dispositif de sécurité suffisant à un endroit dangereux.

De même, l’organisateur a une obligation d’encadrement et de surveillance. Pendant le déroulement de l’activité, ce sont essentiellement des obligations d’encadrement, de personnel en nombre suffisant et compétent, également de surveillance qui sont imposées à l’organisateur, lequel doit prendre les précautions indispensables, notamment en s’assurant de la présence d’un moniteur auprès d’un pratiquant peu expérimenté lors d’une séance d’entraînement d’escalade.

L’organisateur doit aussi s’assurer du respect par les participants des mesures de sécurité. Par exemple, sera retenue la responsabilité de l’exploitant d’un club hippique n’ayant pas veillé, au cours d’une promenade, à ce qu’un cavalier débutant porte la bombe de protection. Idem pour le défaut de surveillance du bassin imputable au propriétaire ou à l’exploitant d’une piscine.

Depuis le drame de Furiani, les garanties de sécurité et la réglementation des établissements d’activité physique et sportive se retrouvent à l’article L. 322-2 du Code du sport, et pour les piscines et baignades, à l’article L. 322-7 du même code.

 

 

Faute de la victime 

L’association sportive ne peut invoquer, à sa décharge, une prétendue acceptation des risques par le sportif victime. Seule une faute de celui-ci peut exonérer l’association de sa responsabilité, totalement ou partiellement selon le cas (participant à une compétition motocycliste organisée par une association sportive, la victime d’un accident non titulaire d’un permis de conduire les motocyclettes – partage la responsabilité avec l’association, qui avait négligé de vérifier les documents produits par les participants).

 

 

Les obligations d’assurance protectrice de la victime d’un accident

Comme on peut le constater, la judiciarisation des rapports sociaux, la démocratisation des pratiques sportives et le développement des assurances en responsabilité sur le terrain sportif se sont conjugués pour alimenter le contentieux des accidents sportifs. Les organisateurs sportifs privés ou publics sont régulièrement mis en cause.

Précisons qu’il faut faire une distinction entre l’assurance individuelle accident et l’assurance de responsabilité. D’abord, l’assurance individuelle accident intervient lorsque le sportif est victime d’un dommage et qu’aucune responsabilité ne peut être retenue à l’encontre d’une personne ayant commis une faute qui soit à l’origine du dommage, de l’accident. Les fédérations et les associations sportives sont tenues d’informer leurs adhérents de l’intérêt que présente la souscription d’un contrat d’assurance individuelle accident couvrant les dommages corporels auxquels leur pratique peut les exposer. C’est une obligation inscrite à l’article L. 321-4 du Code du Sport : « Les associations et les fédérations sportives sont tenues d’informer leurs adhérents de l’intérêt que présente la souscription d’un contrat d’assurance de personnes couvrant les dommages corporels auxquels leur pratique sportive peut les exposer. »

Cette assurance vient réparer les conséquences dommageables consécutives à un accident sportif (frais médicaux, frais annexes…), mais jamais totalement par application des garanties souscrites.

D’autre part, l’assurance responsabilité permet d’obtenir de la part de l’auteur de l’accident une indemnisation du préjudice si sa responsabilité est reconnue. C’est l’article L.321-1 du Code du sport, qui édicte : « Les associations, les sociétés et les fédérations sportives souscrivent pour l’exercice de leur activité des garanties d’assurance couvrant leur responsabilité civile, celle de leurs préposés salariés ou bénévoles et celle des pratiquants du sport. Les licenciés et les pratiquants sont considérés comme des tiers entre eux. »

 

1) Les dirigeants de l’association Légisport ont rédigé cet article à l’occasion du 30e anniversaire de l’association et suite à une conférence sur ce sujet qu’ils ont organisée.

 

Serge Pautot,

Avocat au barreau de Marseille,

Docteur en droit,

Dirigeant de l’association Légisport

 

Michel Pautot,

Avocat au barreau de Marseille,

Docteur en droit,

Dirigeant de l’association Légisport

 


 

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