JUSTICE

Amiable : « Le plus difficile, c'est d'entrer en médiation »

Amiable : « Le plus difficile, c'est d'entrer en médiation »
Publié le 04/11/2024 à 17:48

Mode de résolution des litiges alternatif au procès parfois méconnu du grand public, la médiation se développe encore timidement en France. Caractère non-obligatoire, confidentialité, implication totale des parties dans le processus… sont autant d’arguments mis en avant pour inciter à y recourir. En marge de la semaine de la médiation, l’association Constellation Médiation faisait le point, au cours d’un webinaire organisé vendredi 18 octobre.

Judiciaire, conventionnelle, administrative, intra-entreprise, de la consommation… La médiation est un mode alternatif de résolution des différends au spectre large. Quel que soit son domaine d’application, elle se caractérise par un objectif commun : offrir une alternative au procès.

Vendredi 18 octobre, l’association Constellation Médiation s’est saisie de la semaine de la médiation – une opération de promotion auprès du grand public conduite à l’échelle nationale comme internationale – pour organiser un webinaire visant à sensibiliser aux enjeux de ce processus. Car un jour, « c’est le procès qui deviendra alternatif à la médiation », assure Odile Obled-Dupeyré, avocate associée et médiatrice chez Constellation Médiation. 

En attendant, si la pratique existe depuis 1995 en France, elle y reste très peu utilisée. « On est autour d’un taux d’entrée de 1 % en matière administrative, regrette Hortense Moisand, avocate associée et médiatrice chez Constellation Médiation. En matière judiciaire, je ne sais pas ; justement, il n'existe pas d'outil de comptage. » 

Le médiateur dans une «posture de proposition »

La médiation s’inscrit plus largement dans la justice amiable, qui comprend également l’audience de règlement amiable (depuis peu), la conciliation et la procédure participative – entre autres. Mais en dépit de cette large palette, en France, 70 % des différends en matière civile donnent encore lieu à une décision de justice, contre 5 à 10 % des affaires en Angleterre et au Québec par exemple, où l’immense majorité des litiges font l’objet d’une transaction. Cependant, « la justice à l’amiable est en train de se développer avec le Conseil national de la médiation », nuance Hortense Moisand. 

Longtemps attendue par les professionnels du droit, cette instance a été installée par le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti en juin 2023. Concrètement, ses travaux devraient contribuer à mieux structurer l’offre amiable, rendre la médiation plus lisible et plus accessible, mais aussi harmoniser les pratiques, la formation, ainsi que la déontologie des médiateurs. Car, au cœur de ce mode de résolution des litiges, c’est le médiateur – appelé le tiers – qui permet aux parties de trouver une solution satisfaisante. 

Ensemble, ils discutent et échangent dans le cadre de plusieurs entretiens. « On est sur la constitution d'un dialogue qui doit être fructueux et constructif afin de tenter d'aboutir à un accord dans un cadre qui n'est pas une procédure, mais un processus structuré, explique Hortense Moisand. C’est extrêmement important d'être sur une bonne posture de proposition, mais pas sur une prise de position. »

Le juge, acteur clé dans l’entrée en médiation

Possible à tout moment, la médiation n’est jamais obligatoire. « Ce qui peut l’être, c'est l'information à la médiation et la présentation d’un médiateur pour plus d'efficacité », précise Odile Obled-Dupeyré. En matière contentieuse – judiciaire ou administrative – si les parties peuvent saisir le juge d’elles-mêmes pour demander l’entrée en médiation, c’est surtout au magistrat qu’il incombe de faciliter l’accès au dispositif. En l’absence de grille de référence pour la profession, certains juges ont développé « des critères pour identifier les dossiers qui leur paraissent éligibles à la médiation ou non », détaille l’avocate.

Un contentieux persistant depuis très longtemps, un grand nombre de procédures, une complexité voire une dimension humaine importante dans les relations… Autant de facteurs que le juge peut considérer pour rendre une ordonnance dans laquelle il enjoint aux parties de rencontrer un médiateur. « Il peut le désigner, étant donné que les juridictions ont constitué des listes auprès des cours d'appel », indique Hortense Moisand. L’ordonnance est ensuite transmise aux avocats. « Ce sont les premiers interlocuteurs du médiateur, souligne l’experte. Donc, pour entrer en médiation judiciaire ou administrative, il faut d’abord convaincre les avocats. »

Une fois que ces derniers ont communiqué l’ordonnance à leurs clients, les parties ont l'obligation de rencontrer un médiateur, mais sans engagement. « On leur propose un rendez-vous de 30 minutes en visioconférence pour leur présenter le processus et répondre à leurs questions, développe Hortense Moisand. À ce stade, on ne connaît absolument pas le contentieux pendant. » Car si le juge désigne le médiateur, il ne lui transmet pas l’objet du litige, ni les assignations ou les requêtes.

Un processus confidentiel

Les explications terminées, les parties ont deux semaines pour réfléchir à la décision d’entrer en médiation ou non. « On leur dit qu'il n'y aura aucune conséquence : que leur réponse soit positive ou négative, elle sera entendue en tant que telle, assure Hortense Moisand, en rappelant que la médiation est un processus confidentiel. C'est ce qui fait toute sa force et sa vertu et qui permet à la parole des parties d'être complètement libre. » Si une partie refuse la médiation, ni le juge ni la Cour ne sauront de laquelle il s’agit : le consentement total est la clé d’une résolution amiable réussie.

« Finalement, le plus difficile, c'est d'entrer en médiation ; c’est-à-dire que les parties soient d'accord pour dialoguer », souligne Hortense Moisand. Manque de confiance, peur de prendre un risque, refus de retrouver l’autre partie en présentiel, volonté que « la justice soit faite », échec des premières tentatives de discussion… Les raisons pour ne pas entrer en médiation sont nombreuses. « Je réponds toujours la même chose : les médiations qui ont abouti sont des négociations qui avaient échoué préalablement », indique l’avocate. 

S’engager à essayer

Autres arguments pour essayer ce mode alternatif de résolution des litiges : la suspension de la procédure judiciaire et la rapidité de la manœuvre. En effet, le juge donne généralement un délai de trois mois à compter de l'accord des parties ou du versement de la provision. « Puis, quoi qu'il arrive, on pourra toujours revenir à la solution du procès. La médiation, c’est seulement se donner une autre chance de résoudre le litige, avance Odile Obled-Dupeyré. C’est l’opportunité d’être en maîtrise de la décision »

« On chasse l'aléa, surenchérit sa consœur. Le seul risque que l'on prend à entrer en médiation, c'est de trouver un accord. On s’engage à essayer, mais on n'a pas l'obligation de conclure un accord. » Ainsi, il est possible de quitter la table des négociations à tout moment. « Avant d’être informés, beaucoup de mes interlocuteurs pensaient que le médiateur allait agir comme un conciliateur pour imposer ou inciter à une certaine solution ; en réalité, pas du tout », reprend Odile-Dupeyré.

« Un processus de responsabilisation »

Par ailleurs, pas la peine d'entrer en médiation si l’une des parties ne souhaite pas rencontrer l'autre pour trouver une solution ensemble. « C’est un processus de vérité et de responsabilisation : il faut une certaine maturité pour pouvoir l’entreprendre », martèle Hortense Moisand. Parfois, il s’agit de laisser le temps faire son œuvre, car la médiation peut intervenir tardivement ; cinq, six, voire sept années après le début de la procédure. « Chez Constellation Médiation, après incitation du juge et information de notre part, 50 % des personnes entrent en médiation », rapporte l’avocate. 

Une fois cette première étape franchie, l’experte estime le taux d’accord à 85 % sur des affaires d’urbanisme ou de marché public, quand il s’agit de collectivités, de personnes publiques, et d’entreprises. « En matière sociale, on est plutôt à 70 % », précise Hortense Moisand. En cause : des dimensions personnelles, individuelles et relationnelles plus importantes, ayant pu donner lieu à des traumatismes ou des situations difficiles. « En matière contentieuse, le résultat d’une médiation qui aboutit à un accord est le désistement de l'instance, rappelle l’avocate. C’est génial de voir les parties tourner la page après les avoir accompagnées. »

Floriane Valdayron

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