Dans son rapport publié le 6
juin, l’organisation non gouvernementale a évalué plusieurs dangers pour les
droits humains fondamentaux, liés à l'organisation de cet événement
international majeur du football en Espagne, au Portugal et au Maroc. Le
document met en évidence une menace pour le droit du travail et le respect de
la vie privée, ou encore des risques de discrimination et de racisme.
Ce vendredi 14 juin, à 21h,
l'Allemagne accueillera le Championnat d'Europe de football 2024, sans qu'aucun
incident majeur n'ait été rapporté jusqu'à présent concernant son organisation.
Cependant, les préoccupations se tournent déjà vers la prochaine Coupe du monde
2030, qui soulève des inquiétudes quant aux violations éventuelles des droits
humains.
En effet, au-delà de
l'évident désastre écologique que représente l'organisation d'une Coupe du
Monde sur trois continents, avec des matchs prévus en Amérique du Sud (et plus
précisément, en Uruguay, en Argentine et au Paraguay pour commémorer le
centenaire de la compétition, et ce malgré les engagements de la FIFA en
matière de réduction des émissions de carbone d'ici à 2030), l’organisation
conjointe de l'Espagne, du Portugal et du Maroc, sur candidature commune,
suscite des préoccupations éthiques considérables pour Amnesty International.
Même si la désignation de
l'hôte reste « sous réserve du respect des exigences de la procédure de
candidature et de l’approbation du Congrès de la FIFA », l'ONG insiste,
dans son rapport publié ce 6 juin et intitulé « Un jeu dangereux : les risques liés aux éditions 2030 et 2034 de
la Coupe du monde de la FIFA en matière de droits humains »,
sur l'importance pour les pays hôtes, la FIFA et son président Gianni
Infantino, de protéger et garantir intégralement le respect total des droits
humains tout au long de l'événement en mettant en place des mesures claires et
contraignantes.
Un
avis que partage notamment Andrea Florence, directrice de la Sport & Rights
Alliance, une coalition incluant Amnesty International et faisant campagne pour
les droits humains dans le sport qui précise « qu’avant d’attribuer
l’organisation d’un quelconque tournoi, la FIFA doit passer des accords
contraignants en matière de droits humains qui protègent pleinement les
travailleuses et travailleurs, les populations locales, les joueurs et les
fans, y compris contre les atteintes et la discrimination visant des minorités
raciales ou religieuses, les femmes ainsi que lesbiennes, gays et personnes
bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI) ».
Trois hôtes pour trois fois
plus de risques
Dans son rapport, Amnesty
International dévoile plusieurs risques majeurs en matière de droits humains, que
ce soit pour l’édition 2030 de la Coupe du Monde de la FIFA mais également pour
celle de 2034, prévue en Arabie Saoudite, pays où la situation des droits
humains est jugée encore plus inquiétante et « déplorable » d’après l’ONG.
En ce qui concerne la Coupe
du monde 2030, des projets de construction de grande envergure seront
nécessaires au Maroc pour accueillir les matchs, notamment un nouveau stade de
115 000 places à Casablanca, ce qui en ferait le plus grand stade du monde.
Cependant, la législation prévue dans le pays pour améliorer la santé et la
sécurité au travail n’a pas encore été adoptée, « et des expulsions
forcées sont à redouter ». Dans les trois pays hôtes, Amnesty
International estime que les travailleurs migrants risquent l'exploitation et
d'autres abus, comme la traite des personnes. Un autre problème présent en
Espagne et au Portugal, là où le taux d'accidents du travail « est
supérieur à la moyenne de l'Union européenne », avance le rapport qui
prend comme exemple l'agrandissement du stade Camp Nou du FC Barcelone en 2023,
où des travailleurs migrants avaient été victimes d'abus et de vol de salaire.
Autre risque à craindre :
l'utilisation excessive de la force par la police, notamment par le biais de
balles en caoutchouc, risque bien documenté dans les trois pays, tant dans le
contexte du football que dans d'autres situations, le rapport expliquant que
dans la péninsule ibérique, « de nombreux fans locaux et étrangers ont
déposé des plaintes contre la police ». De plus, le droit à la vie
privée pourrait être compromis par l'utilisation de « logiciels espions
intrusifs et la surveillance biométrique, en particulier au Maroc et en Espagne ».
Amnesty International
souligne aussi que l’organisation de cette Coupe du Monde pourrait engendrer
d'importants problèmes de logement. L'afflux massif de personnes attendu
pourrait aggraver les pénuries de logements abordables au Portugal et en
Espagne, ce qui entraînerait une hausse des locations de courte durée,
augmentant ainsi les coûts de logement et risquant de provoquer l'expulsion des
résidents actuels.
« Le Maroc restreint la
liberté d’expression »
Une évaluation indépendante
de la FIFA concernant la candidature précédente du Maroc pour l’accueil de la
Coupe du monde 2026, réalisée en 2018, avait mis en évidence que la
criminalisation des relations entre personnes de même sexe dans le pays était «
particulièrement problématique ». Amnesty International souligne
aujourd’hui que d’autres dispositions du droit marocain perpétuent le risque de
discrimination liée au genre à l’encontre des travailleuses et des visiteuses,
notamment la criminalisation des relations sexuelles extraconjugales, qui
empêchent souvent les femmes de signaler des cas de violence sexuelle.
L’ONG, qui ne mâche pas ses
mots, ajoute que « le Maroc restreint la liberté d’expression en érigeant en
infraction les critiques à l’égard de l’islam, de la monarchie, des
institutions étatiques, de l’armée et de l’intégrité territoriale »,
expliquant que « des journalistes et des défenseur·e·s des droits humains
ont été harcelés, détenus arbitrairement, roués de coups et poursuivis en
justice pour avoir critiqué le gouvernement, en particulier au sujet du
différend territorial concernant le Sahara occidental ».
Pour étayer ses critiques,
l’organisme s’appuie sur l’évaluation indépendante pré-citée. D’après des
statistiques officielles, cette évaluation avait dévoilé que la criminalisation
des relations entre personnes de même sexe avait conduit à ce que « 838
personnes soient poursuivies en justice pour ce motif entre 2017 et 2020 ».
Enfin, l'ONG met en lumière
le problème persistant de la discrimination raciale dans les trois pays
concernés, où des incidents racistes ont été signalés contre des joueurs de
football noirs, tels que le Brésilien Vinicius Junior en Espagne, Moussa Marega
au Portugal, et Chancel Mbemba au Maroc, ce dernier ayant été la cible de
nombreuses insultes raciales sur les réseaux sociaux. Le rapport indique qu'au
Portugal, une enquête de 2020 a révélé que « 60 % des professionnels du
football estiment qu'il existe du racisme dans ce sport ».
La violation des droits humains,
une récurrente à chaque édition ?
Selon le rapport d'Amnesty
International, une analyse des précédentes Coupes du Monde met systématiquement
en évidence les nombreuses violations des droits humains qui accompagnent
souvent l’événement : «?Comme nous l'avons constaté à maintes reprises
par le passé, la Coupe du Monde peut être le théâtre de la dignité comme de
l'exploitation, de l'inclusion ou de la discrimination, de la liberté ou de la
répression. C'est pourquoi l'attribution des droits d'accueil pour les tournois
2030 et 2034 par la FIFA est l'une des décisions les plus lourdes de
conséquences qu'une organisation sportive ait jamais prises? ».
Les problèmes constatés lors
des éditions précédentes en Afrique du Sud en 2010, au Brésil en 2014, en
Russie en 2018 ou encore, lors de la dernière édition au Qatar en 2022,
illustrent ces préoccupations. Le rapport souligne en particulier les abus
survenus au Qatar, où des « travailleuses et travailleurs participant au
déroulement du tournoi ont subi de graves préjudices, certains ont même été
blessés ou sont morts ».
D’ailleurs, deux ans après
que le Moyen-Orient ait accueilli sa première Coupe du Monde, l’ONG Human Rights Watch rapportait dans une enquête en date du 20
novembre 2023 les difficultés auxquelles sont confrontés les travailleurs sur
les chantiers de la mise en place de la compétition au Qatar, qui
rencontrent tout une série d’obstacles pour obtenir justice – et ce, même
lorsque les tribunaux statuent en leur faveur grâce à la compétence universelle
permettant à un État de poursuivre et de juger une infraction même si celle-ci
n'a pas été commise sur son territoire.
Bien qu'un petit nombre de
travailleurs aient pu bénéficier d'une assurance-vie pour aider les familles
des travailleurs migrants décédés, ou de fonds d’investissement pour rembourser
les frais de recrutement, Human Rights Watch est catégorique : « la FIFA
semble répéter les graves erreurs commises lors de la phase de préparation de
la Coupe du monde 2022, qui a duré douze ans ».
Des « erreurs » dont
le président de la FIFA semble ne pas se formaliser outre-mesure, ni même se
justifier. A l’occasion d’une série de conférences de presse à quelques jours
de l'ouverture du Mondial qatari, et face aux questions insistantes, Gianni
Infantino avait ainsi souligné la nécessité de « se concentrer sur le
football » et de ne pas « se lancer dans des batailles idéologiques ou
politiques ». « Dans un monde divisé, la FIFA et le football apportent
de l'unité », s’était-il borné à ajouter.
Des scandales en Espagne qui
ne rassurent pas
Outre les menaces pour les
droits de l’homme, il faut ajouter que le contexte général pour l’organisation
de la Coupe du Monde 2030 est loin d'être favorable, surtout en Espagne, où le
football traverse une crise institutionnelle majeure. Des controverses, telles
que la condamnation de l’ancien président de la Fédération espagnole de
football, Luis Rubiales, pour avoir embrassé sans consentement la joueuse Jenni
Hermoso lors de la victoire de l’Espagne à la Coupe du monde féminine 2023,
ainsi que des scandales anti-sportifs, impliquant des accusations de corruption
et de blanchiment d’argent, ternissent l'image du pays.
Avec ces récents scandales ainsi
que le rapport d’Amnesty International, sans compter les imprévus qui
pourraient survenir dans les six prochaines années à venir, il semble évident
que le chemin sera parsemé d'embûches pour la FIFA. L’occasion de voir si la
compétition, qui célèbrera son centenaire, sera à l’image des précédentes
éditions : une énième catastrophe en termes de droits humains, ou bien une
véritable fête internationale du football.
Romain
Tardino