ÉCONOMIE

Au salon Vivatech, les acteurs de la deeptech dénoncent les difficultés du secteur

Au salon Vivatech, les acteurs de la deeptech dénoncent les difficultés du secteur
Le salon Vivatech se tient jusqu'au 14 juin 2025
Publié le 12/06/2025 à 17:37

Mercredi 11 juin, le plus grand rendez-vous européen consacré à la tech ouvrait ses portes pour quatre jours à Paris. L’occasion de prendre le pouls d’un secteur en pleine expansion, mais aussi de se pencher sur les blocages qui freinent son développement, entre manque de financement, lourdeurs réglementaires et fuite des talents.

Salon incontournable de l’innovation, VivaTech rouvrait ses portes ce mercredi 11 juin à Paris, au Parc des expositions de la Porte de Versailles. Dès cette première journée, une conférence était consacrée à la deeptech, l’un des secteurs les plus prometteurs… mais aussi l’un des plus fragiles. Car derrière les levées de fonds impressionnantes et les ambitions de souveraineté technologique, de nombreux entrepreneurs peinent à franchir le cap du développement.

Un constat préoccupant que confirme le baromètre publié le 11 mars 2025 par Scale X Invest, une société spécialisée dans l’évaluation de la santé financière des entreprises : 10,4 % des 1 487 start-ups interrogées déclarent faire face à de sérieuses difficultés financières. Plus inquiétant encore, le nombre de procédures d’insolvabilité a triplé en un an.

La deeptech confrontée à de nombreux problèmes

Economiste et professeur associé à HEC Paris, Antonin Bergeaud a dressé un constat presque amer sur l’état de la deeptech française. « Depuis un ou deux ans, un consensus commence à émerger sur les problèmes de structuration du secteur en France, ce qui ne veut pas dire qu’on va les résoudre ». Et d'ironiser : « Mais au moins, on comprend un peu mieux ce qu’il se passe. »

Selon lui, trois failles majeures freinent le développement du secteur. D’abord, le vivier d’entrepreneurs et d’ingénieurs reste insuffisant. « Ceux qui sont bien formés en France ou en Europe finissent souvent par partir aux États-Unis », a-t-il regretté. Ensuite, les liens entre universités et entreprises restent trop faibles. « Il y a des initiatives qu’il ne faut pas minimiser, mais la communication est encore trop limitée, ce qui a des conséquences lourdes. »

Economiste, député et acteurs de la deeptech ont brossé le portrait d'un secteur en plein questionnement


Ce décalage se traduit concrètement dans les chiffres de l’innovation. « C’est un peu déprimant - ou peut-être encourageant, selon le point de vue -, mais sur certaines technologies, l’Europe est très en retard en matière de production. En revanche, sur la production d’idées, on est à peu près au même niveau que les États-Unis. » « Mais nos idées sont davantage citées dans des brevets chinois ou américains que dans des brevets européens ou français », a-t-il précisé. Pour lui, une seule solution : créer davantage de passerelles entre le monde de la recherche et celui de l’entreprise.

Enfin, le nerf de la guerre reste le financement. Là encore, l’économiste estime que l’Europe fait face à ses propres blocages. « Notre rapport au risque est très particulier, notamment quand il s’agit de financer l’innovation. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose, mais il faut en mesurer les effets. » Antonin Bergeaud a aussi pointé la complexité des réglementations : « On a des institutions et des cadres très contraignants pour la croissance, surtout si on compare avec les États-Unis. Je ne dis pas qu’il faut tout balayer, mais il faut en avoir conscience. »

« S’il suffit d’avoir de l’ambition, alors on a la solution à tout »

Des propos qui n'ont pas laissé la salle indifférente, et qui ont fait réagir Paul Midy, député Renaissance de l’Essonne : « Les talents, il y en a. Le marché européen est convaincant, même s’il est encore morcelé par rapport aux États-Unis. Mais ça s’améliore. » Le parlementaire a rejoint l’économiste sur un point : les liens entre recherche et entreprises doivent être renforcés. Mais pour lui, l’urgence est ailleurs : « Si je devais prioriser un seul chantier, et de loin, c’est celui de l’accès au capital et au financement. »

Un avis que ne partage pas Mehdi Medjaoui, fondateur d’Olympe Legal, une start-up d’IA juridique. « L’argent, il y en aura toujours », a-t-il tranché. « Même Sam Altman, le fondateur d’OpenAI, dit qu’il a des difficultés à lever des fonds alors que son entreprise vaut 10 milliards. En France, avec la BPI, on est dans l’un des écosystèmes les plus simples pour lancer une boîte. Le vrai problème, c’est la mentalité. » Ce que l'entrepreneur pointe du doigt, c’est un manque d’ambition systémique. « Aux États-Unis, les entrepreneurs veulent révolutionner le monde. Ce n’est pas génétique : ils sont coachés, entourés, et poussés par un système qui les dope à l’ambition. »

Une vision que Paul Midy a fermement contestée. « Si c’était juste une question d’avoir de l’ambition, alors on a la solution à tout. On pourrait dire aux habitants du pays le plus pauvre d’être plus motivés et ils créeraient des boîtes à 40 milliards… » Le député a insisté : le nerf de la guerre, c’est l’argent, et là-dessus, la comparaison transatlantique est écrasante. « En Europe, les levées de fonds sont trois fois inférieures à celles des États-Unis, alors qu’on a à peu près le même PIB. Quand on a trois fois plus de facilité à aller chercher du financement, on attire mécaniquement plus de talents, on peut être plus ambitieux, plus audacieux. »

Alexis Robert, partner chez Kima Ventures, a ajouté une énième couche au problème : l’insuffisante culture scientifique des entrepreneurs français. « Si on veut créer les GAFAM de demain, il faut des fondateurs avec une forte culture scientifique. Regardez Elon Musk, Mark Zuckerberg… On ne peut plus se contenter d’entrepreneurs qui savent juste pitcher. Ils doivent aussi comprendre les enjeux techniques. » Autre point souvent oublié, l’isolement des scientifiques. « En France, être un geek, c’est encore mal vu dans le monde de l'entrepreneuriat. Aux États-Unis, c’est valorisé. Il faut qu’ils soient mieux entourés. »

Face à ce constat partagé mais aux conclusions divergentes, Paul Midy a proposé une piste concrète : la création d’une « PIC », une politique d’innovation commune sur le modèle de la PAC, politique agricole commune qui soutient les agriculteurs et garantit la sécurité alimentaire de l’Europe. « Aujourd’hui, la PAC représente un tiers du budget européen. On doit faire pareil avec l’innovation. Et je suis optimiste, car avec les nouvelles dépenses obligatoires liées à la Défense, on aura une occasion unique. » A son sens, l'évolution du contexte géopolitique serait à un tournant : « Les États-Unis ont décidé de ne plus nous défendre. C’est maintenant que l’Europe doit retrouver sa souveraineté stratégique. On n’a pas été très bons ces dernières années, mais cette fois, on n’a plus le choix. »

« Un basculement de société » … aux régulations nombreuses

Le cadre réglementaire français, et plus largement européen, s’est également invité au cœur des débats sur l’avenir de la deeptech. Pour Antonin Bergeaud, le constat est clair : l’environnement juridique actuel pèse lourdement sur les capacités des entreprises à se développer. « Individuellement, les lois ne sont pas illégitimes ou inadaptées. Mais leur accumulation devient un vrai frein : elles mobilisent énormément de temps et nécessitent l’embauche de personnels dédiés. »

Une position que partage Paul Midy, qui n'a pas hésité à parler d’un « étouffement » réglementaire. Ce dernier mesure même son impact en termes très concrets : « Quand, dans une entreprise tech, 20 à 30 % du temps de l’équipe de développement est consacré à la conformité réglementaire, c’est trop. Ce seuil ne devrait pas dépasser 10 %. » L’homme politique cite notamment le Digital Markets Act (DMA), le Digital Services Act (DSA) voire l’AI Act, qui bien que porteurs de bonnes intentions, constituent selon lui un « trop-plein » pour les jeunes entreprises. Paul Midy, qui appelle à une harmonisation à l’échelle européenne, est allé plus loin en suggérant de « supprimer la couche nationale » pour éviter les doublons et complexifier encore un peu plus le paysage normatif.

Dans cette logique, il ne s’agit pas de supprimer les normes, mais d’en simplifier l’accès et l’application. « Il faut alléger le processus, rendre la norme plus simple. »

Passé en coup de vent au salon Vivatech, Bruno Bonnell, secrétaire général pour l'investissement en charge du plan France 2030, a rebondi sur les critiques visant le trop-plein réglementaire. « J’ai entendu dire qu’il en faudrait moins. Mais si on fait ça, il faut comprendre que sky is the limit. » Et de citer un exemple concret : « Je pense aux travaux en deeptech sur l’utérus artificiel. Va-t-on accepter, éthiquement, de faire des bébés dans des boîtes ? », s’est-il interrogé. 

Pour lui, derrière l’accélération technologique, se cache un bouleversement beaucoup plus profond. « Nous entrons dans un basculement de société, surtout avec l'intelligence artificielle. Il va falloir être vigilants. » Entre volonté de simplification et nécessité de régulation, le débat reste ouvert et tendu.

Romain Tardino

 

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