Les
« SPAC : pour ou contre », tel était le thème de la conférence qui s’est tenue
au tribunal du commerce de Paris le 13 septembre dernier. Ce dispositif connaît
un succès fulgurant depuis la crise du Covid-19 en 2020, bien qu’il soit
souvent qualifié de « coquille vide » et de société « chèque en blanc ».
Objectif de la conférence : débroussailler cette nouvelle tendance financière.
Le Special
Purpose Acquisition Company (SPAC), ou société d’acquisition à vocation
spécifique, pratique nouvelle en Europe, est déjà bien ancrée aux États-Unis. Au niveau mondial, les SPAC représenteraient 30 % des entrées en bourse, selon
l’Autorité des marchés financiers (AMF). En Europe, neuf SPAC ont levé 2,5 milliards d’euros entre
janvier et mai 2021, contre 500 millions par six SPAC l’année précédente. En ouverture de la conférence
au TC de Paris organisée le 13 septembre dernier par
l’association Droit et Commerce, Paul-Louis Netter, président de la
juridiction, donne le ton : « d’après mon
expérience, il faut toujours se méfier des modes en pratique financière, [mais]
personne ne peut condamner sans une analyse plus poussée ce type d’initiative »,
nuance-t-il.
Un raccourci
pour entrer en bourse
Maud Bakouche, avocate du barreau de Paris, associée du
cabinet d’avocats Racine, et Myriam Roussille, agrégée des facultés de droit et
professeure d’université, proposent d’éclairer le phénomène à travers le prisme
de leur domaine d’expertise.
Maud Bakouche a accompagné les deux entrepreneurs Xavier Niel et Mathieu
Pigasse dans la création de leur premier SPAC, en 2016, devenu Médiawan.
« Un SPAC est une société qui n’a aucune activité et dont
l’objectif est de faire une acquisition sur un marché en croissance afin de
créer une synergie entre les sociétés par une acquisition ou une fusion »
rappelle l’avocate. Le projet est porté par un ou plusieurs fondateurs et
financé par des investisseurs. Cependant, tout le monde ne peut espérer fonder
un SPAC, comme le précise Maud Bakouche : « Sa création suppose que ses
fondateurs aient les compétences requises, l’expérience du secteur économique
visé, et qu’ils sachent créer des synergies. » Leur principal avantage est d’être
un raccourci pour entrer en bourse. Par le chemin traditionnel, devenir public
prend généralement sept à huit mois, contre deux mois en passant par un SPAC.
De plus, cela permet de faire appel à un seul investisseur, plutôt qu’à
plusieurs dizaines.
Avant son introduction en bourse, les fondateurs – épaulés
par des sponsors, considérés comme des managers, et dont le rôle est de créer
l’identité juridique – doivent mettre en place le projet de SPAC, qui est
caractérisé par un certain nombre d’éléments structurants : définir le montant
visé à lever sur le marché, généralement compris entre 250 et 300 millions,
choisir le marché boursier et décider le secteur ciblé. Les fondateurs
déterminent aussi une période d’inhabilité, qui s’étend sur un à trois ans,
durant laquelle ils ont l’interdiction de céder leurs titres, afin de rassurer
les investisseurs.
Une fois le projet finalisé, un prospectus – document
règlementé – rassemblant tous les éléments structurant du SPAC doit être
élaboré, destiné à être publié. Afin d’obtenir son visa d’entrée en bourse, le
document doit être approuvé par l’AMF « il
est le nœud gordien de l’opération, parce qu’évidemment, sans prospectus, il
n’y a pas d’opérations » précise Myriam Roussille.
Un SPAC a
maximum 24 mois pour faire une acquisition
Le
SPAC a un certain nombre de particularités, notamment celle d’être contraint de
réaliser sa première acquisition dans un délai de 18 à 24 mois à partir de
l’IPO, autrement dit l’introduction en bourse, et doit au minimum engager 75 %
des fonds levés pour l’acquisition. Dans le cas où le SPAC ne parviendrait pas
à faire une acquisition dans les délais impartis, il est liquidé, et les
fondateurs remboursent les investisseurs grâce à la mise sous séquestre de
leurs fonds, bloqués jusqu’à la première acquisition (IBC).
Les
fonds investis par les fondateurs vont servir à financer les frais du SPAC
jusqu’à sa première acquisition, qui est contenue dans « le promote », « un élément
structurant important. Les fondateurs ont accès à un montant du SPAC, en
général 20 % du capital de l’entité cotée » explique Maud Bakouche. Ce « promote » n’est jamais matérialisé
avant la première acquisition, mais peut l’être au moment du « initial business combination » (IBC),
c’est-à-dire au moment de la fusion ou de l’acquisition, ou bien un ou deux ans
plus tard.
Une
fois la ou les sociétés trouvée(s) par les fondateurs, les investisseurs
doivent approuver cette décision. En cas de désaccord sur le choix de la
société, les actions de l’investisseur en discorde sont rachetées. Ce droit de
rachat est exclusivement réservé aux investisseurs contre l’acquisition.
Actions
spécifiques et actions de préférences
Dès
le début, le SPAC est articulé autour des actions des fondateurs et des
sponsors, et celles des investisseurs. Les actions des fondateurs n’ont pas
vocation à être cotées, mais offrent tout de même des droits spécifiques, comme
celui d’être nommé membre au conseil d’administration ou d’avoir un vote
double. Elles n’ont pas non plus vocation à offrir un plus financier. Pour
Myriam Roussille, « ces actions de
préférences ont plutôt une dimension politique sur le terrain de la nomination ».
Les actions spécifiques sont réservées aux investisseurs et ont une
caractéristique principale, celle d’être rachetable, permettent aussi à son
détenteur d’opposer son veto lors d’un vote ou lors d’un changement
d’actionnaire.
Fonder
un SPAC est risqué : « ça passe ou ça casse ». Selon la banque d’investissement
Renaissance Capital, sur les 223 introduits en bourse, 89 ont acquis une
société, soit seulement 37 %.
Tina
Millet