La Chambre des députés
italienne a voté, dans la nuit du mercredi 19 juin, une loi qui vise à donner
plus de pouvoir aux régions. L’opposition estime que cette dernière va surtout
accroître la disparité entre le nord de pays relativement riche et le sud,
« le Mezzogiorno » considéré comme précaire.
Un véritable coup de théâtre
a secoué la Chambre des députés dans la nuit du 19 juin, alors que l'avenir des
régions italiennes était en jeu. En effet, la réforme de l’« autonomia
differenziata », ou « autonomie différenciée » en français, visant à accorder
davantage d’autonomie aux régions, a été votée. Attendue, l’adoption de cette
loi a cependant été marquée par des échanges houleux entre parlementaires au
sujet d'une possible fracture entre le nord et le sud du pays surnommé
« le Mezzogiorno ».
A l’instar, par exemple, de
cet incident particulièrement marquant, relayé par les médias du monde entier qui a eu lieu le 13
juin au palais Montecitorio à Rome, lors duquel Leonardo
Donno, député du Mouvement 5 étoiles (parti centriste antisystème), a brandi le
drapeau tricolore devant les bancs de la majorité, ceux de Frères d’Italie
(extrême droite), le parti de l’actuelle présidente du Conseil des ministres,
Giorgia Meloni. Un acte qui a provoqué la colère d'Igor Iezzi, membre du parti
d’extrême droite La Lega (anciennement Lega Nord), qui l'a frappé à la tête en
pleine cohue.
Plus de complexité pour plus
de rupture entre le nord et le sud
Cette loi de décentralisation
promet de totalement changer le paysage législatif des vingt régions
italiennes. Le texte comporte dix articles qui, comme le rapporte le journal
romain Il Messaggero, « définissent les modalités à travers
lesquelles les régions pourront demander - si elles le souhaitent - à obtenir
la gestion de certains domaines dont la compétence revient actuellement à
l’État central ». Vingt-trois domaines de compétences que les régions
pourront revendiquer, parmi lesquels l’éducation, le sport, l’environnement,
l’énergie, la culture, la santé, le commerce extérieur, la justice ou encore la
communication.
Outre l'extension des
pouvoirs régionaux, cette nouvelle loi permet aux régions de retenir une partie
des recettes fiscales générées sur leur territoire pour financer les services
et fonctions dont elles ont demandé le transfert. Toutefois, elle établit également
des « niveaux essentiels de prestation » appelés LEP - pour « livelli
essenziali di prestazione » - garantissant un seuil minimum de services
uniformes à travers tout le pays.
Concrètement, une région plus
riche et mieux gérée, comme celles du nord de la Botte, devrait obtenir un
meilleur financement de la part de l’État central, car ce dernier se base
principalement sur l’historique des dépenses de la région dans le contexte
spécifique de sa demande d’autonomie. Par conséquent, la Vénétie, la Lombardie
et l'Émilie-Romagne, qui représentent plus de 40 % du PIB de la péninsule et
plus de 54 % de ses exportations, se réjouissent de cette réforme qu’ils
souhaitaient depuis quelques années déjà.
Cependant, les opposants à la
réforme craignent qu'elle ne renforce les inégalités entre le nord et le sud,
affaiblissant la compétitivité d'un pays déjà fortement divisé. Une inquiétude
partagée par l'Union européenne, qui a mentionné cette loi dans son rapport
annuel sur les économies nationales des États membres. « Ces transferts de
compétences comportent des risques pour la cohésion et les finances publiques
du pays », affirme la Commission européenne, ajoutant qu’ils « pourraient
aggraver encore plus les inégalités régionales. La réforme pourrait également
augmenter la complexité institutionnelle, entraînant des coûts plus élevés pour
les secteurs publics et privés ».
Le sud de l’Italie, une région
méprisée
En réaction à l’adoption de
la réforme, les régions du Sud, avec la Campanie en tête, ont annoncé leur
intention de saisir la Cour constitutionnelle. « C'est une sécession des
riches qui menace l'unité nationale en créant des citoyens de première et de
seconde classe », a dénoncé le Parti démocrate (socialiste).
De son côté, Matteo Salvini,
vice-président du Conseil des ministres d'Italie et secrétaire fédéral de la
Lega, en opération séduction, a tenté de rassurer les foules en affirmant que «
l'autonomie n'entraînera de pertes économiques pour aucune région et ceux
qui ne s'en sentiront pas capables pourront maintenir la structure actuelle »,
soulignant également que cette réforme représente surtout une « opportunité
pour les régions du sud, notamment en matière d’éducation ».
Des propos aux accents
ironiques de la part de celui qui, lors d’une fête à Pontida organisée par la Lega Nord en
2009, avait chanté : « Senti che puzza, scappano anche i
cani, stanno arrivando i Napoletani », que l’on peut traduire par :
« Sens comme ça pue, même les chiens s’enfuient, les Napolitains
arrivent ». Pas de quoi dissuader pourtant ceux que les nordistes
appellent moqueusement les « terrone » (cul terreux), puisque lors des
dernières élections européennes, le parti de Giorgia Meloni, allié idéologique
de Salvini et, par extension de la Lega, a remporté la majorité des votes en
Sicile et en Sardaigne et est arrivé deuxième dans le sud de l’Italie, derrière
le Parti démocrate.
Une réforme impossible en
France ?
Si
nos voisins transalpins sont actuellement en pleine débâcle à la suite du
passage de cette réforme, une question légitime se pose : à l’image de l’Italie
serait-il possible, dans un futur proche, de voir une mesure similaire arrivée en
France ? Selon Julien Bonnet, professeur de droit à l’Université de Montpellier
et président de l’Association française de droit constitutionnel, « une
loi similaire à la réforme italienne serait très probablement jugée contraire à
la Constitution en France ».
Ce
qui s’explique car d’une part « contrairement à l'Italie, - un pays
relativement jeune, unifiée en 1870, et qui a donc été divisé pendant de
nombreuses années - la France est un État davantage unitaire et centralisé, de
par notre histoire et nos principes constitutionnels ». D’autre part,
« la jurisprudence du Conseil constitutionnel est globalement, dans sa
tendance générale depuis plusieurs décennies, vigilante dès que l'État
transfère des compétences ».
Ainsi,
« au nom du principe d'indivisibilité de la République et du caractère
unitaire de l'État, la portée de la libre administration des collectivités
territoriales n'est pas du tout comparable avec l'état du droit italien »
explique le professeur. Et ce qui est certain, c’est qu’après s'être attaquée à
la réforme des régions, Giorgia Meloni ne compte pas
s’arrêter là. Sa prochaine cible est la Constitution, qu'elle souhaite modifier
pour que le chef du gouvernement soit élu au suffrage direct, ce qui donnerait
encore plus de pouvoirs à ce dernier et renforcerait sa position.
Romain
Tardino