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Autonomie différenciée : en Italie, le gouvernement Meloni fracture le pays en deux

Autonomie différenciée : en Italie, le gouvernement Meloni fracture le pays en deux
Publié le 27/06/2024 à 17:57

La Chambre des députés italienne a voté, dans la nuit du mercredi 19 juin, une loi qui vise à donner plus de pouvoir aux régions. L’opposition estime que cette dernière va surtout accroître la disparité entre le nord de pays relativement riche et le sud, « le Mezzogiorno » considéré comme précaire.

Un véritable coup de théâtre a secoué la Chambre des députés dans la nuit du 19 juin, alors que l'avenir des régions italiennes était en jeu. En effet, la réforme de l’« autonomia differenziata », ou « autonomie différenciée » en français, visant à accorder davantage d’autonomie aux régions, a été votée. Attendue, l’adoption de cette loi a cependant été marquée par des échanges houleux entre parlementaires au sujet d'une possible fracture entre le nord et le sud du pays surnommé « le Mezzogiorno ».

A l’instar, par exemple, de cet incident particulièrement marquant, relayé par les médias du monde entier qui a eu lieu le 13 juin au palais Montecitorio à Rome, lors duquel Leonardo Donno, député du Mouvement 5 étoiles (parti centriste antisystème), a brandi le drapeau tricolore devant les bancs de la majorité, ceux de Frères d’Italie (extrême droite), le parti de l’actuelle présidente du Conseil des ministres, Giorgia Meloni. Un acte qui a provoqué la colère d'Igor Iezzi, membre du parti d’extrême droite La Lega (anciennement Lega Nord), qui l'a frappé à la tête en pleine cohue.

Plus de complexité pour plus de rupture entre le nord et le sud

Cette loi de décentralisation promet de totalement changer le paysage législatif des vingt régions italiennes. Le texte comporte dix articles qui, comme le rapporte le journal romain Il Messaggero, « définissent les modalités à travers lesquelles les régions pourront demander - si elles le souhaitent - à obtenir la gestion de certains domaines dont la compétence revient actuellement à l’État central ». Vingt-trois domaines de compétences que les régions pourront revendiquer, parmi lesquels l’éducation, le sport, l’environnement, l’énergie, la culture, la santé, le commerce extérieur, la justice ou encore la communication.

Outre l'extension des pouvoirs régionaux, cette nouvelle loi permet aux régions de retenir une partie des recettes fiscales générées sur leur territoire pour financer les services et fonctions dont elles ont demandé le transfert. Toutefois, elle établit également des « niveaux essentiels de prestation » appelés LEP - pour « livelli essenziali di prestazione » - garantissant un seuil minimum de services uniformes à travers tout le pays.

Concrètement, une région plus riche et mieux gérée, comme celles du nord de la Botte, devrait obtenir un meilleur financement de la part de l’État central, car ce dernier se base principalement sur l’historique des dépenses de la région dans le contexte spécifique de sa demande d’autonomie. Par conséquent, la Vénétie, la Lombardie et l'Émilie-Romagne, qui représentent plus de 40 % du PIB de la péninsule et plus de 54 % de ses exportations, se réjouissent de cette réforme qu’ils souhaitaient depuis quelques années déjà.

Cependant, les opposants à la réforme craignent qu'elle ne renforce les inégalités entre le nord et le sud, affaiblissant la compétitivité d'un pays déjà fortement divisé. Une inquiétude partagée par l'Union européenne, qui a mentionné cette loi dans son rapport annuel sur les économies nationales des États membres. « Ces transferts de compétences comportent des risques pour la cohésion et les finances publiques du pays », affirme la Commission européenne, ajoutant qu’ils « pourraient aggraver encore plus les inégalités régionales. La réforme pourrait également augmenter la complexité institutionnelle, entraînant des coûts plus élevés pour les secteurs publics et privés ».

Le sud de l’Italie, une région méprisée

En réaction à l’adoption de la réforme, les régions du Sud, avec la Campanie en tête, ont annoncé leur intention de saisir la Cour constitutionnelle. « C'est une sécession des riches qui menace l'unité nationale en créant des citoyens de première et de seconde classe », a dénoncé le Parti démocrate (socialiste).

De son côté, Matteo Salvini, vice-président du Conseil des ministres d'Italie et secrétaire fédéral de la Lega, en opération séduction, a tenté de rassurer les foules en affirmant que « l'autonomie n'entraînera de pertes économiques pour aucune région et ceux qui ne s'en sentiront pas capables pourront maintenir la structure actuelle », soulignant également que cette réforme représente surtout une « opportunité pour les régions du sud, notamment en matière d’éducation ».

Des propos aux accents ironiques de la part de celui qui, lors d’une fête à Pontida organisée par la Lega Nord en 2009, avait chanté : « Senti che puzza, scappano anche i cani, stanno arrivando i Napoletani », que l’on peut traduire par : « Sens comme ça pue, même les chiens s’enfuient, les Napolitains arrivent ». Pas de quoi dissuader pourtant ceux que les nordistes appellent moqueusement les « terrone » (cul terreux), puisque lors des dernières élections européennes, le parti de Giorgia Meloni, allié idéologique de Salvini et, par extension de la Lega, a remporté la majorité des votes en Sicile et en Sardaigne et est arrivé deuxième dans le sud de l’Italie, derrière le Parti démocrate.

Une réforme impossible en France ?

Si nos voisins transalpins sont actuellement en pleine débâcle à la suite du passage de cette réforme, une question légitime se pose : à l’image de l’Italie serait-il possible, dans un futur proche, de voir une mesure similaire arrivée en France ? Selon Julien Bonnet, professeur de droit à l’Université de Montpellier et président de l’Association française de droit constitutionnel, « une loi similaire à la réforme italienne serait très probablement jugée contraire à la Constitution en France ».

Ce qui s’explique car d’une part « contrairement à l'Italie, - un pays relativement jeune, unifiée en 1870, et qui a donc été divisé pendant de nombreuses années - la France est un État davantage unitaire et centralisé, de par notre histoire et nos principes constitutionnels ». D’autre part, « la jurisprudence du Conseil constitutionnel est globalement, dans sa tendance générale depuis plusieurs décennies, vigilante dès que l'État transfère des compétences ».

Ainsi, « au nom du principe d'indivisibilité de la République et du caractère unitaire de l'État, la portée de la libre administration des collectivités territoriales n'est pas du tout comparable avec l'état du droit italien » explique le professeur. Et ce qui est certain, c’est qu’après s'être attaquée à la réforme des régions, Giorgia Meloni ne compte pas s’arrêter là. Sa prochaine cible est la Constitution, qu'elle souhaite modifier pour que le chef du gouvernement soit élu au suffrage direct, ce qui donnerait encore plus de pouvoirs à ce dernier et renforcerait sa position.

Romain Tardino

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