Le règlement sur l’Espace européen des données de santé doit entrer en
vigueur cet hiver. L’enjeu : créer « un cadre juridique solide »
pour l’utilisation sécurisée des données de santé dans toute l’Union
européenne, tant pour des usages primaires (soins de santé directs) que pour
des usages secondaires (recherche, innovation, politiques publiques).
Explications.
Le Parlement européen a approuvé définitivement, le 24 avril dernier, une proposition de règlement (1) visant
à la création d’un espace européen des données de santé (European Health
Data Space ou EHDS en anglais). Initialement proposé par la Commission
européenne en mai 2022 lors de la présidence française de l’UE, le texte devrait
être publié cet hiver pour entrer en vigueur 20 jours après.
L’enjeu est majeur. Véritable « pilier » de la stratégie que l'UE souhaite bâtir en matière de santé, l’EHDS vise en effet à faciliter le
partage sécurisé de données contenues dans les dossiers médicaux (antécédents,
traitements en cours, examens de radiologie et de biologie, allergies, groupe
sanguin…) entre professionnels de santé européens, avec l’accord des patients
bien sûr, pour améliorer les prises en charge transfrontières (on parle ici
d’utilisation « primaire » des données).
Le second objectif est de permettre l’utilisation, après
pseudonymisation, des données de santé à
des fins de recherche et d’innovation pour le développement de
nouveaux traitements et dispositifs médicaux, de
statistiques officielles
et de politique publique (utilisation « secondaire »
des données).
De vastes perspectives
« L’EHDS soutiendra les travaux de l’Autorité de préparation
et de réaction en cas d’urgence sanitaire (HERA) »et « contribuera au plan européen de lutte contre le
cancer.améliorant « la
compréhension, la prévention, la détection précoce, le diagnostic, le
traitement et la surveillance du cancer », grâce à « un accès
et à un partage transfrontières sécurisés » des « données des
personnes physiques relatives au cancer ». En outre, l’Espace « aidera
à proposer un état des lieux en temps réel des cancers dans l'ensemble de l’UE »,
complète la Commission européenne. Il devrait également faciliter la mise en
œuvre de la stratégie pharmaceutique pour l'Europe, assure-t-elle.
Une mise en œuvre progressive
La mise en œuvre du règlement « relatif
à l’espace européen des données de santé » sera
progressive. Elle nécessite en effet de créer deux infrastructures, l’une pour
l’utilisation primaire des données, l’autre pour leur utilisation secondaire, « dans
le respect des droits des personnes », avec des procédures d’accès aux
données « harmonisées et encadrées dans les États membres de
l’UE », rappelle le ministère de la Santé français.
Les pays de l’Union ne partent toutefois pas complètement de zéro,
puisqu’une infrastructure commune, MaSanté@UE
(ou MyHealth@UE), est déjà partiellement opérationnelle au sein de 13 pays pour
le partage du volet de synthèse médical (« Patient Summary ») et des prescriptions
dématérialisées (afin de permettre aux
patients d’obtenir leurs médicaments dans les officines des pays de l’UE). Peu
à peu, d’autres catégories de données seront donc également concernées – les
comptes-rendus de biologie et d’imagerie, les images médicales et les lettres
de sortie d’hospitalisation – ainsi que, d’ici fin 2030, l’ensemble des pays de
l’UE.
L’Hexagone à l’œuvre
En France, depuis 2021, le service Sesali.fr, pour
« Service européen de santé en ligne », est « le point
d’entrée à MaSanté@UE », pointe l’Agence du numérique en santé. Il
permet, pour l’heure, « aux professionnels de santé habilités
de consulter immédiatement les données de santé » des patients (avec
leur accord) issus de sept pays européens (dix l’année prochaine), « de
manière sécurisée, structurée et en français ».
La « dispensation des médicaments aux personnes munies d’une
e-prescription dans les officines françaises » et « l’utilisation
de la e-prescription française dans les officines des autres pays de l’UE
connectés » seront déployées dès 2026, selon le ministère de la Santé.
Un projet pilote emmené par la France
L’application complète des aspects liés à
l’utilisation secondaire des données s’échelonnera, elle, jusqu’en 2028, voire 2030
pour certaines catégories de données sensibles? (données génétiques, notamment),
via l’infrastructure « DonnéesSanté@UE » (ou « HealthData@EU »). Sur
ce point, un premier jalon a d’ores et déjà été posé dans le cadre du projet Healthdata@EU Pilot. Celui-ci,
co-financé par le programme EU4Health de la Commission européenne, est porté par un consortium emmené par le Health Data Hub et composé de 17 organisations dont des organismes responsables de
l’accès aux données de santé, des agences
de santé européennes et des infrastructures de recherche à
travers l’Europe.
« Le projet a démarré en octobre 2022 pour une
durée de deux ans prolongée de trois mois et doit se conclure en décembre
2024 », développe Mario Jendrossek, Directeur des Affaires Européennes et
Internationales du Health Data Hub qui est, pour rappel, un groupement d’intérêt public
français chargé de la mise à disposition
des données de santé pour améliorer la qualité des soins. L’enjeu était « de construire
et tester une version beta d’infrastructure technique
», « d’étudier la faisabilité et le potentiel
d’une réutilisation de données issues de plusieurs pays européens » et, enfin, « de fournir des lignes
directrices et des spécifications techniques concernant les normes, la qualité, la
sécurité et le transfert des données ainsi que la procédure commune de demande
d’accès »,
poursuit-il.
Un « standard européen de
métadonnées »
À quelques semaines de la fin du projet, plusieurs livrables ont déjà
été rendus et remis à la Commission européenne, dont celui sur « la
preuve de concept d’une infrastructure technique facilitant l’échange sécurisé d’informations
entre pays, avec un portail centralisé européen, souligne M. Jendrossek. Cette infrastructure a été construite
en étroite collaboration avec les équipes de la Commission européenne, qui
vont poursuivre son développement dans la durée, dans la continuité de la
version pilote ».
Un « standard européen de métadonnées », essentiel pour
alimenter un futur « catalogue européen de métadonnées » ainsi
qu’un « formulaire unique de demande d’accès aux données » ont
également été développés. Ceux-ci sont encore en cours de revue par la
Commission.
Enfin, seront publiées « d’ici fin décembre » des « recommandations
basées sur cinq cas d’usage testés », parmi lesquels la surveillance de la
résistance antimicrobienne ou encore, les risques de troubles de la
coagulation chez les patients atteints du Covid-19, note M. Jendrossek.
Des financements européens prévus
Les travaux devront ensuite, bien sûr, se poursuivre pour affiner et
tester de nouveau ces premières « briques », afin de veiller à leur
efficacité et à leur conformité aux exigences du règlement relatif à l’EHDS.
L’enjeu sera également de s’assurer que les différents pays de l’UE pourront
bien s’adapter et se connecter sans difficulté et en toute sécurité à la future
infrastructure.
« Certains pays, tels que la Finlande et le Danemark, ont des
cadres juridiques d’utilisation secondaire des données de santé bien établis,
avec une infrastructure solide qui leur permettra de s’adapter plus facilement
aux exigences du règlement EHDS. D’autres pays, en revanche, sont moins voire
beaucoup moins avancés. C’est la raison pour laquelle des financements
européens sont prévus et qu’un délai de plusieurs années a été fixé pour leur
permettre de se mettre en conformité », explique le Directeur des Affaires Européennes et
Internationales du Health Data Hub.
Des règlements d’exécution nécessaires
Diverses interrogations demeurent
Création d’un comité de l’Espace européen
Enfin, un comité de l’espace européen des données de santé sera créé. Composé
de représentants des États membres et de la Commission européenne, mais aussi d’observateurs,
il contribuera « à une application cohérente des règles dans l’ensemble
de l’Union », rappelle la Commission européenne. Les « parties prenantes et les tiers
concernés », tels que les associations de patients, les
chercheurs et les entreprises, pourront « assister
aux réunions du comité de l’EHDS et à participer à ses travaux, en fonction des
sujets examinés et de leur degré de sensibilité » pour faire part de
leurs points de vue, précise la proposition de règlement.
Au total, la Commission apporte 810 millions d’euros pour
soutenir l’EHDS, sans compter les 280 millions d’euros disponibles au
titre du programme « L’UE pour la santé » ainsi que le soutien du Fonds
européen de développement régional, du programme InvestEU et du programme
pour une Europe numérique. Les États Membres ont, en parallèle, prévu
12 milliards d’euros d’investissements dans le numérique en santé.
En contrepartie, au-delà des bénéfices majeurs attendus en termes de
santé, de recherche et d’innovation, des bénéfices économiques sont escomptés. Au
total, l’EHDS devrait en effet permettre à l’UE d’économiser environ
11 milliards d’euros sur dix ans, selon les calculs de la Commission (2). Enfin, « l’Espace européen des données de
santé est le premier espace de données sectoriel d’une série de plusieurs à
venir qui vont être déployés par l’Union européenne dans le cadre de la
stratégie numérique européenne, rappelle le Pr De Grove Valdeyron. Le
partage de données est en effet considéré comme porteur dans d’autres domaines comme
celui de l’industrie, de l’agriculture ou encore, du climat par exemple. »
Nathalie Ratel
Pi+
1/ Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l'espace européen des données de santé
2/ « Une interopérabilité accrue des données de santé entre les
prestataires de soins de santé pourrait entraîner des économies importantes
pour les patients et les systèmes de santé, étant donné qu’environ 10 %
des images médicales prises dans les États membres de l’UE (coûtant environ 14
milliards d’euros par an) sont considérées comme inutiles », relève la
Commission dans son étude d’impact de mai 2022 sur l’EHDS. De plus, grâce
aux e-prescriptions, « les erreurs de délivrance de produits médicaux
pourraient être réduites de 6 % en moyenne et jusqu’à 15 % dans les
pays les plus numérisés », selon l’étude « ePrescribing: An
International Review » réalisée par la Health Information and Quality
Authority (HIQA), agence statutaire financée par le gouvernement en Irlande qui
surveille la sécurité et la qualité des systèmes de soins de santé et de
protection sociale, parue en mai 2018.