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CHRONIQUE. (93) Tribunal de Bobigny : « On a fait la paix »

CHRONIQUE. (93) Tribunal de Bobigny : « On a fait la paix »
Publié le 29/10/2024 à 10:14

Deux amis sont dans le box du tribunal de Bobigny pour avoir failli s’entretuer à la suite d’une histoire de vol de survêtement qui s’est avérée bidon. A l’audience, ils n’en mènent pas large mais affirment à la présidente que la hache de guerre est enterrée.

Shako, 19 ans, est petit, trapu et sa voie est caverneuse. Moussa, 18 ans, est grand, longiligne et s’exprime d’une voix claire et légèrement fluette. Ils ont été amis, ennemis, et, ce 19 septembre 2024, les voilà prévenus dans le box du tribunal correctionnel de Bobigny.

Deux jours avant, ils s’affrontaient dans un combat qui aurait pu virer au drame, à cause d’un vêtement. « Moussa T. reprochait à Shako S. de lui avoir volé son survêtement ? » demande la présidente. « Non, c’est l’inverse », répondent les deux en chœur. « En tout cas, l’ambiance n’était pas au beau fixe entre vous ».

Shako est donc persuadé que son ami de longue date lui a dérobé son bien, et ça le fout en rogne. Il doit régler ça. Se battre, discuter ? Shako a entendu dire que Moussa ne se laisserait pas faire, et décide donc de s’armer.

Moussa sait que Shako le cherche. Ça le rend nerveux, mais il ne peut éviter la confrontation, alors il l’attend en bas d’un immeuble, dans leur quartier, où il sait implicitement que la rencontre se fera. Il a planqué une gazeuse dans le local poubelle attenant, un modèle massif qui projette de grandes quantités de gaz lacrymogène. Shako : « Je venais pour discuter avec lui.

-    Pourquoi vous venez discuter avec un couteau pour un survêtement ?

-    Parce quil était armé.

-    Comment vous le savez ?

-    Parce quon me la dit.

-    Et vous, Monsieur T., vous saviez quil avait un couteau ?

-    Oui, on me la dit. »

D’après les rumeurs, Shako se balade avec un couteau, qui a lui-même entendu dire que Moussa serait armé, c’est pourquoi il s’est procuré cette lame. En clair, les deux se sont armés parce qu’ils pensaient que l’autre serait armé.

« Jai pris le gaz en plein visage »

Moussa décide de prendre avec lui la gazeuse, car, dans le local, elle ne lui servira pas à grand-chose. 17 septembre, 22h30 : soudain, Shako débarque. La rixe est filmée par la vidéo surveillance. Pas le temps de discuter, Moussa l’asperge sans prévenir. Shako est complètement aveuglé : il sort son couteau et met des grands coups dans le vide, à l’aveugle, à hauteur du torse. Les deux tournent autour d’une voiture stationnée, tentent de s’attraper et finalement Shako s’enfuit quand la police municipale approche. Moussa court dans l’immeuble et remonte l’escalier, poursuivi par les policiers dont l’un écrira : « jai pris le gaz en plein visage », ce qui entraînera une nausée, une crise dasthme, œil droit fermé et une gêne pulmonaire jusqu’à 2 heures après les faits. 

Arrivé en haut, Moussa se réfugie chez des connaissances. Les policiers attendent en bas qu’il se rende, ce qu’il fait rapidement. La gazeuse ne sera pas retrouvée. En garde à vue et à l’audience, il dira qu’elle était percée et que le gaz est parti tout seul. Lui-même en a plein sur lui. Il n’a jamais voulu en asperger le policier, jure-t-il.

« C’était un tout petit couteau »

Jugés, donc, pour des violences réciproques, Moussa plaide coupable et Shako la légitime défense (en réalité, c’est surtout son avocate qui le fera). La présidente demande à Shako : « Monsieur, vous avez porté un coup de couteau ?

-    J’essayais de le faire fuir, je ne voyais rien

-    Non mais vous vous rendez compte, avec un couteau ?

-    C’était un tout petit couteau . C’était pour le faire reculer. »

Shako a eu des condamnations devant le tribunal pour enfants, dont une avec Moussa. Il vit seul, hébergé dans le cadre d’un contrat jeune majeur avec l’aide sociale à l’enfance, à qui il a été confié à l’âge de 9 ans. Il est en terminale technologique et travaille en intérim.

Moussa a 18 ans et habite chez ses parents. Il est aussi en terminale. Il voudrait devenir pompier de carrière, et pour l’instant est coach de foot. « C’est ma passion », dit-il, le visage radieux, vraiment enthousiaste. Il est actuellement en service civique.

Il précise au tribunal : « On a fait la paix ».

« Les coups de couteau n’ont rien fait »

Pour la procureure, c’est l’immaturité qui caractérise ce dossier. « Asséner des coups de couteau dans le vide, dans le flou, c’est quand même assez aberrant ». Elle écarte la légitime défense dans les deux cas. « Pour vous mettre un peu la pression », dit-elle, elle demande un an avec sursis probatoire pour les deux. Une obligation de travail et de formation, et 105 heures de travaux d’intérêt général. Une interdiction de contact et de détenir une arme.                                      

L’avocat de Moussa plaide : « c’est une affaire d’une grande simplicité et qui appartient à la frange basse de la gravité des infractions, de sorte que je n’ai pas grand-chose à dire », sinon qu’il demande la relaxe pour les violences contre le policier.

L’avocate de Shako plaide la légitime défense et donc la relaxe : « C’est Monsieur T. qui a commencé, mon client a riposté de manière proportionnelle - chacun avait une arme. » Elle rappelle que les « coups de couteau n’ont rien fait ».

Coupables pour tout. Le tribunal décide finalement de condamner les deux à 6 mois de prison avec sursis probatoire.


Julien Mucchielli

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