Deux
amis sont dans le box du tribunal de Bobigny pour avoir failli s’entretuer à la
suite d’une histoire de vol de survêtement qui s’est avérée bidon. A
l’audience, ils n’en mènent pas large mais affirment à la présidente que la
hache de guerre est enterrée.
Shako,
19 ans, est petit, trapu et sa voie est caverneuse. Moussa, 18 ans, est grand,
longiligne et s’exprime d’une voix claire et légèrement fluette. Ils ont été
amis, ennemis, et, ce 19 septembre 2024, les voilà prévenus dans le box du
tribunal correctionnel de Bobigny.
Deux
jours avant, ils s’affrontaient dans un combat qui aurait pu virer au drame, à
cause d’un vêtement. « Moussa T. reprochait à Shako S. de lui avoir
volé son survêtement ? » demande la présidente. « Non, c’est
l’inverse », répondent les deux en chœur. « En tout cas,
l’ambiance n’était pas au beau fixe entre vous ».
Shako
est donc persuadé que son ami de longue date lui a dérobé son bien, et ça le
fout en rogne. Il doit régler ça. Se battre, discuter ? Shako a entendu dire
que Moussa ne se laisserait pas faire, et décide donc de s’armer.
Moussa
sait que Shako le cherche. Ça le rend nerveux, mais il ne peut éviter la
confrontation, alors il l’attend en bas d’un immeuble, dans leur quartier, où
il sait implicitement que la rencontre se fera. Il a planqué une gazeuse dans
le local poubelle attenant, un modèle massif qui projette de grandes quantités
de gaz lacrymogène. Shako : « Je venais pour discuter avec lui.
-
Pourquoi
vous venez discuter avec un couteau pour un survêtement ?
-
Parce
qu’il était armé.
-
Comment
vous le savez ?
-
Parce
qu’on me l’a dit.
-
Et
vous, Monsieur T., vous saviez qu’il avait un couteau ?
- Oui, on me l’a
dit. »
D’après
les rumeurs, Shako se balade avec un couteau, qui a lui-même entendu dire que
Moussa serait armé, c’est pourquoi il s’est procuré cette lame. En clair, les
deux se sont armés parce qu’ils pensaient que l’autre serait armé.
« J’ai pris le
gaz en plein visage »
Moussa
décide de prendre avec lui la gazeuse, car, dans le local, elle ne lui servira
pas à grand-chose. 17 septembre, 22h30 : soudain, Shako débarque. La rixe est
filmée par la vidéo surveillance. Pas le temps de discuter, Moussa l’asperge
sans prévenir. Shako est complètement aveuglé : il sort son couteau et met des
grands coups dans le vide, à l’aveugle, à hauteur du torse. Les deux tournent
autour d’une voiture stationnée, tentent de s’attraper et finalement Shako
s’enfuit quand la police municipale approche. Moussa court dans l’immeuble et
remonte l’escalier, poursuivi par les policiers dont l’un écrira : « j’ai pris le gaz en plein visage », ce qui
entraînera une nausée, une crise d’asthme, œil
droit fermé et une gêne pulmonaire jusqu’à 2 heures après les faits.
Arrivé
en haut, Moussa se réfugie chez des connaissances. Les policiers attendent en
bas qu’il se rende, ce qu’il fait rapidement. La gazeuse ne sera pas retrouvée.
En garde à vue et à l’audience, il dira qu’elle était percée et que le gaz est
parti tout seul. Lui-même en a plein sur lui. Il n’a jamais voulu en asperger
le policier, jure-t-il.
« C’était un tout petit couteau »
Jugés,
donc, pour des violences réciproques, Moussa plaide coupable et Shako la
légitime défense (en réalité, c’est surtout son avocate qui le fera). La
présidente demande à Shako : « Monsieur, vous avez porté un coup de
couteau ?
-
J’essayais
de le faire fuir, je ne voyais rien
-
Non
mais vous vous rendez compte, avec un couteau ?
- C’était un tout petit couteau . C’était
pour le faire reculer. »
Shako
a eu des condamnations devant le tribunal pour enfants, dont une avec Moussa.
Il vit seul, hébergé dans le cadre d’un contrat jeune majeur avec l’aide
sociale à l’enfance, à qui il a été confié à l’âge de 9 ans. Il est en
terminale technologique et travaille en intérim.
Moussa
a 18 ans et habite chez ses parents. Il est aussi en terminale. Il voudrait
devenir pompier de carrière, et pour l’instant est coach de foot. « C’est
ma passion », dit-il, le visage radieux, vraiment enthousiaste. Il est
actuellement en service civique.
Il
précise au tribunal : « On a fait la paix ».
« Les coups de couteau n’ont rien
fait »
Pour
la procureure, c’est l’immaturité qui caractérise ce dossier. « Asséner
des coups de couteau dans le vide, dans le flou, c’est quand même assez
aberrant ». Elle écarte la légitime défense dans les deux cas. « Pour
vous mettre un peu la pression », dit-elle, elle demande un an avec
sursis probatoire pour les deux. Une obligation de travail et de formation, et
105 heures de travaux d’intérêt général. Une interdiction de contact et de
détenir une arme.
L’avocat
de Moussa plaide : « c’est une affaire d’une grande simplicité et qui
appartient à la frange basse de la gravité des infractions, de sorte que je
n’ai pas grand-chose à dire », sinon qu’il demande la relaxe pour les
violences contre le policier.
L’avocate
de Shako plaide la légitime défense et donc la relaxe : « C’est
Monsieur T. qui a commencé, mon client a riposté de manière proportionnelle -
chacun avait une arme. » Elle rappelle que les « coups de
couteau n’ont rien fait ».
Coupables
pour tout. Le tribunal décide finalement de condamner les deux à 6 mois de
prison avec sursis probatoire.
Julien Mucchielli