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CHRONIQUE. (94) Prud'hommes de Créteil : « Mon but, c’était d’être régularisé »

CHRONIQUE. (94) Prud'hommes de Créteil : « Mon but, c’était d’être régularisé »
Publié le 24/07/2024 à 15:52
Un travailleur en boulangerie, en situation irrégulière, estime avoir été licencié à tort et réclame des indemnités à son ancien employeur.

La section industrie du conseil de prud'hommes (CPH) de Créteil accueille une audience devant régler un litige entre une boulangerie et l'un de ses anciens employés. Ce dernier, M., demande la condamnation de la société pour travail dissimulé, et à titre subsidiaire, si cela n'est pas reconnu, le versement d'une indemnité forfaitaire pour rupture de la relation de travail avec un étranger non autorisé à travailler.

M. a travaillé dans cette boulangerie val-de-marnaise entre 2021 et 2023, tout cela sans contrat écrit. C'est d'ailleurs le seul point sur lequel les parties sont d'accord. Son avocate raconte ensuite qu’au moment de l'embauche, son ancien employeur lui aurait « fait comprendre qu'il pourrait obtenir une régularisation auprès de la préfecture, avec un certain nombre de fiches de paie », arguant qu'il l'avait déjà fait « pour d'autres travailleurs étrangers dans ce cas ». Puis « le temps est passé », et deux ans se sont écoulés.

M. engage une procédure envers son ancien employeur après un contrôle de police, réalisé dans la boulangerie, en juillet 2023. L'employeur aurait à ce moment demandé à M. de partir, du fait de sa situation irrégulière. Le mois suivant à son retour, M aurait trouvé porte close, du fait des congés d'été. C'est à ce moment qu'il prend conseil auprès de l'avocate.

Indemnités de rupture

Au titre du travail dissimulé, le requérant demande une indemnité de six mois. Si le contrat présenté dans le dossier mentionne une durée hebdomadaire de travail de 24 heures, le client évoque plutôt lui des journées de 10 heures. Mais mis à part des bordereaux de chèque, l'avocate admet manquer « d'éléments matériels » pour démontrer que le salarié irrégulier réalisait plus que les heures annoncées.

Face à ce manque de preuves, l'avocate a amené son client à formuler un second recours, fondé sur l'article L8252-2 du Code du travail. Celui-ci indique qu'en cas de rupture de la relation de travail, un salarié étranger a droit, au titre de la période d'emploi illicite, à une indemnité forfaitaire égale à trois mois de salaire. M. demande près de 3 600 euros.

L’avocate relève qu’entre le premier courrier de M. en septembre et la réponse formulant le licenciement en novembre, il s’est écoulé deux mois, et que par conséquent il aurait dû recevoir bien plus tôt un courrier pour abandon de poste. Le licenciement a donc eu lieu « en cours de procédure », explique l’avocate.

Et si, rappelle-t-elle, le licenciement d'un étranger en situation irrégulière n'exige pas de formalité, le licenciement de M. est « sans objet ». Il s'agit selon elle d'un « stratagème » de l'employeur, visant à démontrer qu'il pensait que son salarié était en situation régulière. Et ainsi éviter d'avoir à payer l'indemnité forfaitaire demandée.

L'avocate demande également le règlement de jours de congés payés qui restent dus. En conclusion, elle pointe la situation de vulnérabilité de M. qu’elle estime s’être « clairement fait avoir » par son employeur, et demande un dédommagement à ce titre.

Fausse carte d’identité

Le boulanger ne remet pas en cause l'existence de la relation de travail, mais conteste le droit de M. à une indemnité forfaitaire de travailleur étranger. L'avocate anticipe : « Il va nous sortir une photocopie de pièce d'identité de nationalité belge, en indiquant que M. aurait remis une fausse pièce d'identité », l’original n’étant d’ailleurs pas versée au dossier. Pointant qu'elle a seulement vu une photocopie de cette pièce, et que l'original n'est pas dans le dossier.

De nationalité libanaise, M. a fait une demande d'asile en 2017, rejetée par la Cour nationale du droit d’asile. Il a depuis fait une demande de réexamen, dont le récépissé est versé au dossier. Il assure qu'il n'avait « évidemment aucun intérêt à présenter de faux papiers », car son « but, dès le départ, c'était d'être régularisé ». Il espérait qu'en acceptant de travailler et en cumulant des fiches de paie, il pourrait « peut-être prétendre à un titre de séjour ou un titre de travail s'il n'obtenait pas le droit d'asile ».

Comme prévu, l'avocate de l'employeur s’appuie sur la fourniture d’un « faux document d’identité » pour avancer la thèse d’une « mauvaise foi » de M.. Côté patron, puisqu’il croyait son salarié belge, donc européen, il « n'a[vait] pas à s'assurer de l'authenticité du titre auprès de la préfecture, ou de la DRIETTS [Direction régionale interdépartementale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités, ndlr] », justifie l’avocate.

M. aurait donc « abandonné son poste sans explication », et l’employeur ne l’aurait pas mis en demeure car il est « peu précautionneux », mais estimait l’absence de son salarié « injustifiée, dès son départ ». L'employeur aurait donc été « surpris » par l’accusation d'avoir mis fin à la relation de travail. Ce reproche l’a poussé à engager un licenciement pour faute grave. L’avocate du boulanger assure en plus que, contrairement à ce que dit le salarié, son entrée dans l’entreprise aurait fait l'objet d'une déclaration préalable à l'embauche, ce qu'elle juge « étonnant », pour un patron qui « voudrait dissimuler un emploi ». Délibéré en octobre prochain.

Etienne Antelme

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