Un travailleur en
boulangerie, en situation irrégulière, estime avoir été licencié à tort et
réclame des indemnités à son ancien employeur.
La section industrie du
conseil de prud'hommes (CPH) de Créteil accueille une audience devant régler un
litige entre une boulangerie et l'un de ses anciens employés. Ce dernier, M., demande
la condamnation de la société pour travail dissimulé, et à titre subsidiaire,
si cela n'est pas reconnu, le versement d'une indemnité forfaitaire pour
rupture de la relation de travail avec un étranger non autorisé à travailler.
M. a travaillé dans cette
boulangerie val-de-marnaise entre 2021 et 2023, tout cela sans contrat écrit.
C'est d'ailleurs le seul point sur lequel les parties sont d'accord. Son
avocate raconte ensuite qu’au moment de l'embauche, son ancien employeur lui
aurait « fait comprendre qu'il
pourrait obtenir une régularisation auprès de la préfecture, avec un certain
nombre de fiches de paie », arguant qu'il l'avait déjà fait « pour d'autres travailleurs étrangers dans ce
cas ». Puis « le temps est passé », et deux ans se
sont écoulés.
M. engage une procédure
envers son ancien employeur après un contrôle de police, réalisé dans la
boulangerie, en juillet 2023. L'employeur aurait à ce moment demandé à M. de
partir, du fait de sa situation irrégulière. Le mois suivant à son retour, M
aurait trouvé porte close, du fait des congés d'été. C'est à ce moment qu'il prend
conseil auprès de l'avocate.
Indemnités
de rupture
Au titre du travail
dissimulé, le requérant demande une indemnité de six mois. Si le contrat
présenté dans le dossier mentionne une durée hebdomadaire de travail de 24
heures, le client évoque plutôt lui des journées de 10 heures. Mais mis à part
des bordereaux de chèque, l'avocate admet manquer « d'éléments matériels » pour démontrer que le salarié
irrégulier réalisait plus que les heures annoncées.
Face à ce manque de preuves,
l'avocate a amené son client à formuler un second recours, fondé sur l'article
L8252-2 du Code du travail. Celui-ci indique qu'en cas de rupture de la
relation de travail, un salarié étranger a droit, au titre de la période
d'emploi illicite, à une indemnité forfaitaire égale à trois mois de salaire. M.
demande près de 3 600 euros.
L’avocate relève qu’entre le
premier courrier de M. en septembre et la réponse formulant le licenciement en
novembre, il s’est écoulé deux mois, et que par conséquent il aurait dû
recevoir bien plus tôt un courrier pour abandon de poste. Le licenciement a
donc eu lieu « en cours de procédure »,
explique l’avocate.
Et si, rappelle-t-elle, le
licenciement d'un étranger en situation irrégulière n'exige pas de formalité,
le licenciement de M. est « sans objet ». Il s'agit selon elle
d'un « stratagème » de
l'employeur, visant à démontrer qu'il pensait que son salarié était en
situation régulière. Et ainsi éviter d'avoir à payer l'indemnité forfaitaire
demandée.
L'avocate demande également
le règlement de jours de congés payés qui restent dus. En conclusion, elle
pointe la situation de vulnérabilité de M. qu’elle estime s’être « clairement fait avoir » par son
employeur, et demande un dédommagement à ce titre.
Fausse
carte d’identité
Le boulanger ne remet pas en
cause l'existence de la relation de travail, mais conteste le droit de M. à une
indemnité forfaitaire de travailleur étranger. L'avocate anticipe : « Il va nous sortir une photocopie de pièce
d'identité de nationalité belge, en indiquant que M. aurait remis une fausse
pièce d'identité », l’original n’étant d’ailleurs pas versée au
dossier. Pointant qu'elle a seulement vu une photocopie de cette pièce, et que
l'original n'est pas dans le dossier.
De nationalité libanaise, M. a
fait une demande d'asile en 2017, rejetée par la Cour nationale du droit d’asile.
Il a depuis fait une demande de réexamen, dont le récépissé est versé au
dossier. Il assure qu'il n'avait « évidemment
aucun intérêt à présenter de faux papiers », car son « but, dès le départ, c'était d'être
régularisé ». Il espérait qu'en acceptant de travailler et en cumulant
des fiches de paie, il pourrait « peut-être
prétendre à un titre de séjour ou un titre de travail s'il n'obtenait pas le
droit d'asile ».
Comme prévu, l'avocate de
l'employeur s’appuie sur la fourniture d’un « faux document d’identité »
pour avancer la thèse d’une « mauvaise foi » de M.. Côté patron,
puisqu’il croyait son salarié belge, donc européen, il « n'a[vait] pas à s'assurer de l'authenticité
du titre auprès de la préfecture, ou de la DRIETTS [Direction régionale interdépartementale de l'économie, de l'emploi, du
travail et des solidarités, ndlr] »,
justifie l’avocate.
M. aurait donc « abandonné son poste sans explication »,
et l’employeur ne l’aurait pas mis en demeure car il est « peu précautionneux », mais estimait
l’absence de son salarié « injustifiée,
dès son départ ». L'employeur aurait donc été « surpris » par l’accusation d'avoir
mis fin à la relation de travail. Ce reproche l’a poussé à engager un
licenciement pour faute grave. L’avocate du boulanger assure en plus que,
contrairement à ce que dit le salarié, son entrée dans l’entreprise aurait fait
l'objet d'une déclaration préalable à l'embauche, ce qu'elle juge « étonnant »,
pour un patron qui « voudrait dissimuler un emploi ». Délibéré
en octobre prochain.
Etienne Antelme