Récit d'un
procès en comparution différée, pour des faits de harcèlement et de violence,
devant la 12e chambre correctionnelle du tribunal correctionnel de
Créteil.
Joan*
avance dans le box. De grande taille, il a pourtant les épaules et la tête
basses, en entrant dans le box des accusés. En détention provisoire depuis
que le procès a été renvoyé, il va être jugé pour des faits courant sur une
période de dix mois.
On
reproche à Joan des actes de harcèlement : des « propos et comportements répétés, ayant pour effet une dégradation des conditions
de vie » de la victime. Il s’agit de Julie, son ex-petite amie, âgée elle
aussi de 20 ans.
Le juge
détaille les chefs de prévention : Joan s’est présenté de nombreuses fois au
domicile, mais aussi sur le lieu de travail de Julie. Il l'a également
contactée à de multiples reprises, en lui « envoyant des sms et des mails insistants ».
Le juge
cite un des messages : « Je
suis ton démon, je suis dans ton cerveau et dans tes yeux, je hante tes pensées
(…). Même quand tu dors, je suis ton démon. Je serai là même dans tes cauchemars ».
La plainte
déposée par Julie vise aussi des violences commises à son encontre en juillet, à
l’origine d’une incapacité totale de travail de dix jours. Pendant une dispute,
Joan lui a serré le cou. Le juge mentionne enfin des menaces de mort, sur la
même période que les faits de harcèlement. « Je vais t'égorger, je vais te tuer, je vais te fumer, je vais te tuer,
t'anéantir, à petit feu, et que tu brûles doucement », promet un des
messages.
« J’étais
pas très en forme. J’ai craqué »
C’est la
troisième fois que Joan comparaît devant un tribunal, à chaque fois pour des
faits commis sur sa conjointe. En 2022, il a été condamné, pour des faits
similaires, à 18 mois d’emprisonnement, dont un an assorti de sursis probatoire.
La même année, Joan a été à nouveau condamné, cette fois à quatre mois de
prison ferme (et huit de sursis), pour des « faits de violences habituelles » sur Julie. Ses peines de
prison ont été aménagées : il les a purgées à domicile, avec une surveillance
via un bracelet électronique. Il avait aussi pour interdiction d’entrer en
relation avec Julie.
« Finalement, on se dit que c’est
seulement quand vous êtes enfermé qu’il n’y a plus de contacts, commente le
juge. Mais pourquoi vous êtes-vous remis avec Mademoiselle ? »
Joan
s’approche du micro, la mine triste : « Psychologiquement, j’étais pas
très en forme. J'avais eu le décès de mon grand-père et j'avais appris qu'elle
était enceinte. Donc j'ai craqué. (...) Oui j’ai fait des erreurs, et je me
suis remis avec elle ».
« Je
sais que j’ai fait souffrir »
Après que
le juge a précisé que Joan n’avait jamais eu affaire à la justice pour d’autres
affaires, le jeune homme se lance dans une ébauche de récit un peu brouillonne.
Il dit avoir rencontré Julie à 16 ou 17 ans - sa première relation, quasiment « la première fille avec qui il a parlé ».
Le juge
cite ensuite le médecin psychiatre qui a examiné Joan durant sa garde à vue. Il
n’a pas détecté chez lui de « pathologie
psychiatrique aliénante manifeste », mais a constaté certaines
difficultés à reconnaître les faits, explique le juge.
«
-
Le médecin indique que vous êtes dans le déni
des faits qui vous sont reprochés, vous vous positionnez comme une victime…
-
Je reconnais mes actes et je suis pas dans le
déni. Je reconnais que menacer quelqu'un, ce n'est pas quelque chose qu'on doit
faire. Je sais que j'ai fait souffrir Madame, sa famille, ma famille »
L’expert
psychiatre estime que Joan est « réadaptable »,
et préconise un suivi socio-judiciaire. « Si j’ai bien compris, aujourd’hui vous reconnaissez les faits ? »,
poursuit le juge. Joan les reconnaît « en
partie ». Le juge président d'audience lui demande maintenant pourquoi
il a « proféré ces menaces ».
On n’en saura pas plus : c’était « une
mauvaise période », mais aujourd'hui, le jeune homme « assume ».
Il indique aussi que Julie lui a dit que c’était terminé, « un peu avant de porter plainte ».
Julie
s’avance à la barre. Le juge veut savoir à quel moment le couple s’est remis
ensemble. Elle affirme que si en 2023, ils avaient « plus ou moins » respecté l’interdiction de se voir, ils ont
renoué contact en 2024 - selon elle, à la suite de l’appel d’un ami de Joan.
Mais rien ne s’arrange alors dans leur relation : le procès-verbal rapporte que
le jeune homme recommence à commettre des « violences psychologiques ».
Il confisque à la jeune femme « des
objets, ses clés de voiture, son sac, ses moyens de paiement » :
pendant ce temps « il rigole »,
alors qu’elle est « en larmes ».
Au mois de mars, Julie met fin à la relation.
« Il
s'est mis à passer des appels incessants »
Le juge
lève la tête en direction de la victime :
«
-
Quand vous mettez fin à la relation, quelle
est sa réaction ?
-
Il s’est mis à passer des appels incessants.
Sur les réseaux sociaux, il a créé de faux comptes avec des photos où j’étais
pas à mon avantage. Il a harcelé mes amis et mes collègues, il se rendait sur
mon lieu de travail. »
Les
collègues ayant été impliqués malgré eux, le manager de Julie a été entendu par
la police, et a témoigné des allées et venues de Joan dans le magasin. On
apprend qu’un matin, le prévenu a téléphoné au magasin une cinquantaine de fois
en l’espace d’une matinée. Une manière de chercher à garder une « emprise » sur elle, assure la
victime. Il rôde aussi en bas de chez elle, tout en lui envoyant des messages.
Elle a aussi affirmé aux enquêteurs qu’il avait posé un tracker sous sa
voiture. Le juge l’interroge :
«
-
Quand avez-vous constaté qu’il y avait un
tracker ?
-
Il y a eu plusieurs fois où je suis allée à
des endroits où j’allais pas souvent, et il savait exactement où j’étais. »
« Si
j’ai réagi comme ça, c’est parce que je l’aimais »
Joan nie
avoir placé un quelconque “tracker” sous le véhicule, et explique les dires de
Julie par le fait qu’il en ait eu un dans son véhicule à lui.
Et s’il
reconnaît les faits de harcèlement, il nie les faits de violence, le fait de
lui avoir serré le cou durant une dispute, malgré qu’une amie de Julie en ait
témoigné. Ce qui pousse le juge à rapprocher les deux types de faits :
«
-
Vous la menaciez régulièrement de mort. Et
c’est vrai qu’on a en procédure toute une série de textos, dans lesquels vous
avez des propos qui peuvent être inquiétants, hein !
-
Je suis d’accord, c’est vrai. Mes paroles ont
dépassé ma pensée, à aucun moment je n’aurais mis à exécution ce que je disais.
Je suis vraiment désolé par rapport aux menaces. Parce que je sais que ça peut
rester dans la tête de quelqu’un, bien évidemment. Sur le reste, j’ai appris de
mes erreurs… Si j’ai réagi comme ça, c’est parce que je l’aimais ! »
Une voix
s’élève depuis les bancs de la salle : « Non, c’est parce que vous
voulez la posséder ! » C’est une femme, visiblement proche de la
victime, assise à côté des parents de cette dernière. Le juge cherche d’où
vient l’intervention :
«
-
Pardon ?
-
Monsieur le juge…
-
Non non, vous sortez madame, vous êtes exclue
de la salle. Vous êtes intervenue, vous n’avez pas à intervenir, je crois qu’il
faut être clair ! »
Un « état
anxio-dépressif réactionnel »
L’examen
médical de la victime a fait état d’un « retentissement important et persistant avec sentiment d'insécurité,
trouble du sommeil et de l'appétit, vigilance accrue, limitation des sorties,
perte d'élan vital, tristesse de l'humeur et peur pour ses proches, du fait des
menaces proférées ». Par ailleurs, un examen réalisé par un médecin
psychiatre a constaté chez Julie un « état
anxio-dépressif réactionnel ».
Avec les
questions de l'avocate de Julie, on en apprend un peu plus sur les méfaits de
Joan. Ce dernier a notamment récupéré le nouveau numéro de Julie auprès de sa
petite sœur. Il demandait aussi à ses amis de l’appeler. D’après Julie, il
aurait également envoyé des chauffeurs Uber devant son domicile pour
vérifier si son véhicule se trouvait bien devant son domicile. Un acte qu’il
nie également.
Interrogé ensuite
par son propre avocat sur ce qu’il « voit
pour la suite », Joan parle de se « reconcentrer » sur ses projets personnels. Il assure qu’il va
désormais « laisser [Julie] tranquille »
pour qu’elle « fasse sa vie ».
L’avocate
de la partie civile fait part de son inquiétude. Elle tient à contredire l'idée
selon laquelle Joan aurait cessé ses appels : ainsi, durant sa détention
préventive, il lui a passé soixante-et-un appels, explique-t-elle. Aussi, elle
met en doute l’efficacité du bracelet anti-rapprochement suggéré par son
avocat, arguant qu’il « rien ne
l’empêche ».
Joan est
reconnu coupable et condamné à 15 mois d’emprisonnement ferme, avec maintien en
détention, pour garantir l’exécution de la peine. Auxquels s’ajoutent huit mois
de prison, dont le sursis avait été prononcé lors d’une condamnation en 2022. Est
également prononcée une interdiction de comparaître dans le Val-de-Marne
pendant une durée de cinq ans.
Etienne
Antelme
*les prénoms ont été
changés