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CHRONIQUE. (94) Tribunal de Créteil : « Je hante tes pensées »

CHRONIQUE. (94) Tribunal de Créteil : « Je hante tes pensées »
Publié le 30/10/2024 à 13:03

 

Récit d'un procès en comparution différée, pour des faits de harcèlement et de violence, devant la 12e chambre correctionnelle du tribunal correctionnel de Créteil.

 

Joan* avance dans le box. De grande taille, il a pourtant les épaules et la tête basses, en entrant dans le box des accusés. En détention provisoire depuis que le procès a été renvoyé, il va être jugé pour des faits courant sur une période de dix mois.

 

On reproche à Joan des actes de harcèlement : des « propos et comportements répétés, ayant pour effet une dégradation des conditions de vie » de la victime. Il s’agit de Julie, son ex-petite amie, âgée elle aussi de 20 ans.

 

Le juge détaille les chefs de prévention : Joan s’est présenté de nombreuses fois au domicile, mais aussi sur le lieu de travail de Julie. Il l'a également contactée à de multiples reprises, en lui « envoyant des sms et des mails insistants ».

 

Le juge cite un des messages : « Je suis ton démon, je suis dans ton cerveau et dans tes yeux, je hante tes pensées (…). Même quand tu dors, je suis ton démon.  Je serai là même dans tes cauchemars ».

 

La plainte déposée par Julie vise aussi des violences commises à son encontre en juillet, à l’origine d’une incapacité totale de travail de dix jours. Pendant une dispute, Joan lui a serré le cou. Le juge mentionne enfin des menaces de mort, sur la même période que les faits de harcèlement. « Je vais t'égorger, je vais te tuer, je vais te fumer, je vais te tuer, t'anéantir, à petit feu, et que tu brûles doucement », promet un des messages.

 

« J’étais pas très en forme. J’ai craqué »

 

C’est la troisième fois que Joan comparaît devant un tribunal, à chaque fois pour des faits commis sur sa conjointe. En 2022, il a été condamné, pour des faits similaires, à 18 mois d’emprisonnement, dont un an assorti de sursis probatoire. La même année, Joan a été à nouveau condamné, cette fois à quatre mois de prison ferme (et huit de sursis), pour des « faits de violences habituelles » sur Julie. Ses peines de prison ont été aménagées : il les a purgées à domicile, avec une surveillance via un bracelet électronique. Il avait aussi pour interdiction d’entrer en relation avec Julie.

 

 « Finalement, on se dit que c’est seulement quand vous êtes enfermé qu’il n’y a plus de contacts, commente le juge. Mais pourquoi vous êtes-vous remis avec Mademoiselle ? »

 

Joan s’approche du micro, la mine triste : « Psychologiquement, j’étais pas très en forme. J'avais eu le décès de mon grand-père et j'avais appris qu'elle était enceinte. Donc j'ai craqué. (...) Oui j’ai fait des erreurs, et je me suis remis avec elle ».

 

« Je sais que j’ai fait souffrir »

 

Après que le juge a précisé que Joan n’avait jamais eu affaire à la justice pour d’autres affaires, le jeune homme se lance dans une ébauche de récit un peu brouillonne. Il dit avoir rencontré Julie à 16 ou 17 ans - sa première relation, quasiment « la première fille avec qui il a parlé ».

 

Le juge cite ensuite le médecin psychiatre qui a examiné Joan durant sa garde à vue. Il n’a pas détecté chez lui de « pathologie psychiatrique aliénante manifeste », mais a constaté certaines difficultés à reconnaître les faits, explique le juge.

 

« 

-      Le médecin indique que vous êtes dans le déni des faits qui vous sont reprochés, vous vous positionnez comme une victime…

-      Je reconnais mes actes et je suis pas dans le déni. Je reconnais que menacer quelqu'un, ce n'est pas quelque chose qu'on doit faire. Je sais que j'ai fait souffrir Madame, sa famille, ma famille »

 

L’expert psychiatre estime que Joan est « réadaptable », et préconise un suivi socio-judiciaire. « Si j’ai bien compris, aujourd’hui vous reconnaissez les faits ? », poursuit le juge. Joan les reconnaît « en partie ». Le juge président d'audience lui demande maintenant pourquoi il a « proféré ces menaces ». On n’en saura pas plus : c’était « une mauvaise période », mais aujourd'hui, le jeune homme « assume ». Il indique aussi que Julie lui a dit que c’était terminé, « un peu avant de porter plainte ».

 

Julie s’avance à la barre. Le juge veut savoir à quel moment le couple s’est remis ensemble. Elle affirme que si en 2023, ils avaient « plus ou moins » respecté l’interdiction de se voir, ils ont renoué contact en 2024 - selon elle, à la suite de l’appel d’un ami de Joan. Mais rien ne s’arrange alors dans leur relation : le procès-verbal rapporte que le jeune homme recommence à commettre des « violences psychologiques ». Il confisque à la jeune femme « des objets, ses clés de voiture, son sac, ses moyens de paiement » : pendant ce temps « il rigole », alors qu’elle est « en larmes ». Au mois de mars, Julie met fin à la relation.

 

« Il s'est mis à passer des appels incessants »

 

Le juge lève la tête en direction de la victime : 

« 

-      Quand vous mettez fin à la relation, quelle est sa réaction ?

-      Il s’est mis à passer des appels incessants. Sur les réseaux sociaux, il a créé de faux comptes avec des photos où j’étais pas à mon avantage. Il a harcelé mes amis et mes collègues, il se rendait sur mon lieu de travail. »

 

Les collègues ayant été impliqués malgré eux, le manager de Julie a été entendu par la police, et a témoigné des allées et venues de Joan dans le magasin. On apprend qu’un matin, le prévenu a téléphoné au magasin une cinquantaine de fois en l’espace d’une matinée. Une manière de chercher à garder une « emprise » sur elle, assure la victime. Il rôde aussi en bas de chez elle, tout en lui envoyant des messages. Elle a aussi affirmé aux enquêteurs qu’il avait posé un tracker sous sa voiture. Le juge l’interroge :

 

« 

-      Quand avez-vous constaté qu’il y avait un tracker ?

-      Il y a eu plusieurs fois où je suis allée à des endroits où j’allais pas souvent, et il savait exactement où j’étais. »

 

« Si j’ai réagi comme ça, c’est parce que je l’aimais »

 

Joan nie avoir placé un quelconque “tracker” sous le véhicule, et explique les dires de Julie par le fait qu’il en ait eu un dans son véhicule à lui.

Et s’il reconnaît les faits de harcèlement, il nie les faits de violence, le fait de lui avoir serré le cou durant une dispute, malgré qu’une amie de Julie en ait témoigné. Ce qui pousse le juge à rapprocher les deux types de faits : 

« 

-      Vous la menaciez régulièrement de mort. Et c’est vrai qu’on a en procédure toute une série de textos, dans lesquels vous avez des propos qui peuvent être inquiétants, hein !

-      Je suis d’accord, c’est vrai. Mes paroles ont dépassé ma pensée, à aucun moment je n’aurais mis à exécution ce que je disais. Je suis vraiment désolé par rapport aux menaces. Parce que je sais que ça peut rester dans la tête de quelqu’un, bien évidemment. Sur le reste, j’ai appris de mes erreurs… Si j’ai réagi comme ça, c’est parce que je l’aimais ! »

 

Une voix s’élève depuis les bancs de la salle : « Non, c’est parce que vous voulez la posséder ! » C’est une femme, visiblement proche de la victime, assise à côté des parents de cette dernière. Le juge cherche d’où vient l’intervention : 

« 

-      Pardon ?

-      Monsieur le juge…

-      Non non, vous sortez madame, vous êtes exclue de la salle. Vous êtes intervenue, vous n’avez pas à intervenir, je crois qu’il faut être clair ! »

 

Un « état anxio-dépressif réactionnel »

 

L’examen médical de la victime a fait état d’un « retentissement important et persistant avec sentiment d'insécurité, trouble du sommeil et de l'appétit, vigilance accrue, limitation des sorties, perte d'élan vital, tristesse de l'humeur et peur pour ses proches, du fait des menaces proférées ». Par ailleurs, un examen réalisé par un médecin psychiatre a constaté chez Julie un « état anxio-dépressif réactionnel ».

 

Avec les questions de l'avocate de Julie, on en apprend un peu plus sur les méfaits de Joan. Ce dernier a notamment récupéré le nouveau numéro de Julie auprès de sa petite sœur. Il demandait aussi à ses amis de l’appeler. D’après Julie, il aurait également envoyé des chauffeurs Uber devant son domicile pour vérifier si son véhicule se trouvait bien devant son domicile. Un acte qu’il nie également.

 

Interrogé ensuite par son propre avocat sur ce qu’il « voit pour la suite », Joan parle de se « reconcentrer » sur ses projets personnels. Il assure qu’il va désormais « laisser [Julie] tranquille » pour qu’elle « fasse sa vie ».

 

L’avocate de la partie civile fait part de son inquiétude. Elle tient à contredire l'idée selon laquelle Joan aurait cessé ses appels : ainsi, durant sa détention préventive, il lui a passé soixante-et-un appels, explique-t-elle. Aussi, elle met en doute l’efficacité du bracelet anti-rapprochement suggéré par son avocat, arguant qu’il « rien ne l’empêche ».

 

Joan est reconnu coupable et condamné à 15 mois d’emprisonnement ferme, avec maintien en détention, pour garantir l’exécution de la peine. Auxquels s’ajoutent huit mois de prison, dont le sursis avait été prononcé lors d’une condamnation en 2022. Est également prononcée une interdiction de comparaître dans le Val-de-Marne pendant une durée de cinq ans.

 

 

Etienne Antelme

 

*les prénoms ont été changés

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