Réunies en CSA ministériel le
3 avril dernier, les organisations professionnelles ont obtenu des précisions sur
le coup de rabot de 328 millions d’euros du budget de la Justice annoncé en
février. Soulagés de ne pas subir de coupes sur le plan des recrutements ou des
rémunérations, les responsables des organisations expriment néanmoins leur
lassitude quant aux effets de communication du gouvernement, ainsi que leur déception
face à ce retour en arrière.
Comme un air de déjà-vu. Pour
les organisations syndicales de magistrats, les annonces budgétaires se suivent
et se ressemblent à l’allure d’un manège détraqué. Adoptée dans le cadre de la
loi d’orientation et de programmation 2023-2027, la réforme de la Justice
engagée par le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti prévoyait une hausse « historique »
du budget de justice (de 9,6 milliards en 2023 à près de 11 milliards d’ici
2027), comprenant entre autres une amélioration conséquente des moyens humains
mis à disposition des juridictions.
Quatre mois plus tard, les espoirs
des magistrats ont été douchés par le décret du 21 février actant une baisse générale des dépenses publiques. Sur les 10
milliards d’euros de coupes dans le budget de l’Etat, 328 millions d’euros ont
été retirés à la Chancellerie (soit 3% du montant initial), ventilés en 129
millions d’euros pour la justice judiciaire, 118 millions pour l’administration
pénitentiaire et 38 millions d’euros pour la protection judiciaire de la
jeunesse. En réaction, le Syndicat de la magistrature (SM) avait dénoncé
« 10 milliards de fausses promesses » et contesté la
légitimité même des conditions d’adoption du décret, engagé sans « aucune
consultation préalable de la représentation nationale et des organisations
syndicales ».
Réunis en comité social d’administration
place Vendôme le 3 avril, les organisations professionnelles ont pu faire part
de leurs inquiétudes au ministère. Lequel a pu en retour rassurer les
partenaires sociaux en sanctuarisant de vive voix les recrutements de 1500
magistrats et 1800 greffiers à travers la France annoncés à Annecy le 28 mars.
Avec tout de même un couac : la répartition des postes est le fruit d’un
nouvel algorithme dont l’approche « innovante » selon le
ministère, fondée sur l’analyse de données d’activités locales, démographiques
et économiques, fait tiquer les syndicats habitués à un dialogue gestionnaire
avec les chefs de cours.
L’espoir des recrutements
terni par des « effets de communication »
« Pour l’instant,
nous sommes en train d’analyser ces chiffres, nous n’avons pas accès à cet algorithme.
Ce qui est déjà surprenant, c’est que les tribunaux qui récupèrent le plus
d’affectations semblent être ceux qui étaient déjà les mieux dotés, à
l’exception de la Guyane », commente Thibaut Spriet, secrétaire
national du Syndicat de la Magistrature. Les nouvelles embauches apportent en
effet un renfort important à la Guyane (+56% de magistrats), mais augmentent aussi
sensiblement les effectifs de tribunaux bien dotés comme la cour d’appel de
Paris (+596 postes), Lyon (+195 postes) ou encore Montpellier (+193 postes). De
quoi tempérer les discours enthousiastes du ministère qui jurent avec la
situation sur le terrain, selon les organisations professionnelles.
« Il faut bien
comprendre aussi que derrière ces annonces, il ne s’agit pas uniquement de
créations de postes, affirme Thibaut Spriet. On est avant tout dans une
logique de rattrapage. Ils tiennent compte, par exemple, des départs à la
retraite ou des départs envisagés. 1500 magistrats en plus c’est bien. Mais en
2023, 400 postes étaient déjà vacants. Sur les 1100 restants, 150 sont
préservés pour un aléa de gestion [leur affectation sera décidée par le
ministère en fonction des priorités des politiques publiques, ndlr]. In
fine, le chiffre est donc beaucoup plus faible. Il faut reconnaitre, pourtant,
que ces annonces donnent l’espoir du rétablissement d'une forme de justice
fonctionnelle. »
Même son de cloche du côté de
l’Union syndicale des magistrats (USM). Sa vice-présidente, Cécile Mamelin, estime
que les annonces d’Eric Dupond-Moretti n’ont réservé « absolument
aucune surprise ». « Répare-t-on 30 ans d’abandon avec des
effets de communication ?, commente-t-elle avec lassitude. La
marche me semble encore longue pour que les délais de la justice se divisent
par deux [promesse formulée par le ministre de la Justice début 2023, ndlr].
Ces effectifs supplémentaires ont le mérite d’exister mais ne seront pas magiques.
On nous accorde de nouveaux budgets dont nous avons besoin depuis des années, puis
on nous demande des effets immédiats, via une communication particulièrement
insistante dans le débat public ». Elle ajoute : « Nous
comptons en tout cas sur le gouvernement pour ne pas oublier, à terme, la
réflexion qui est menée depuis 2011 sur le temps, la charge et les conditions
de travail des magistrats, qui peuvent, d’une cour à une autre, connaître de
grandes disparités ».
Coupe minime, mais coupe
quand même
Soulagement, tout de même,
pour les syndicats : sur les 129 millions d’euros amputés de la justice
judiciaire, seuls 4 millions relèvent des ressources humaines. « Cette
somme est mince, si on la compare à la masse salariale totale, et nous avons pu
vérifier qu’il ne s’agissait que d’ajustements cosmétiques et d’effets de
calendrier. Mais si Eric Dupond-Moretti se vante depuis six mois de
l’augmentation de son budget, je me permets de rappeler - en citant les Etats
généraux de la justice - qu’on parle d’un ministère en état de délabrement avancé
». L’USM partage ce sentiment : « Nous sommes rassurés que le titre 2,
qui s’attache à l’ensemble des dépenses du personnel, ne soit pas impacté. Mais
nous sommes évidemment déçus de cette coupe, aussi minime soit-elle : à peine
nous promet-on des budgets qu’on nous les enlève déjà ! », regrette
Cécile Mamelin.
Quid des 125 autres millions
de coupe imposés à la justice judiciaire ? D’après les annonces réalisées
en CSA ministériel, 84 millions d’euros seront pris sur sa réserve de
précaution, 40 millions concernent des économies de « constatation »
sur l’immobilier propriétaire, le reste étant prélevé sur la préservation des
moyens délégués aux cours d’appel. « Ils font le choix de miser sur la
réserve de protection et de dégeler des crédits. C’est une stratégie risquée et
préoccupante car elle nous enlève une marge de manœuvre essentielle, alors que
la justice est dépendante d’imprévus, s’inquiète Thibaut Spriet du SM. Quand
on conteste, on nous impose l’argument d’autorité qui veut que le service de
contrôle budgétaire et comptable ministériel a validé ces éléments. Ce coup de
rabot est grossier. Nous ressortons de ce CSA avec une impression d’enfumage, face
à des éléments parfois opaques ou incompréhensibles. »
Laurène
Secondé