Régulièrement décriée depuis
l’apparition d’un contexte pandémique des moins stables, la valeur des diplômes
continue de creuser l’écart entre réticents et convaincus. Si certains
aménagements des modalités de contrôle des connaissances tendent à devenir
anecdotiques, du fait du recul de l’enseignement à distance, ils n’en restent
pas moins sources de questionnements, notamment au regard des aptitudes réelles
des jeunes diplômés. Combinés à l’émergence de dispositifs de sélection à
l’entrée de plus en plus spécifiques, ils apparaissent entre autres, aux yeux
des plus sceptiques, comme d’importants facteurs de dévaluation des formations
dispensées au cours des deux dernières années.
Si la question sème le doute
au sein du milieu professionnel, elle semble également déstabiliser le milieu
étudiant, notamment juridique. Mais force est de constater qu’en dépit de la
crise sanitaire, existaient des spécificités inhérentes à la nature de
certaines formations, qui permettent de garantir le statu quo en matière
d’exigences académiques.
Le Master : un cursus
pluridisciplinaire qui incite à la réflexion
La crise sanitaire a-t-elle
eu une influence sur les méthodes de sélection des futurs étudiants ? Autrement
dit, le fait d’examiner les candidatures d’étudiants issus de « parcours Covid
» a-t-il incité les recruteurs à être plus méfiants ?
Pour Fouad Nohra, enseignant-chercheur
et directeur du Master droit et politiques du développement de l’université
Paris-Cité, « la sélection des étudiants s’opère à l’entrée du M1 sur plusieurs
critères, notamment en relation avec l’excellence académique, certes, mais
aussi avec l’originalité du dossier ». En effet, les enseignements de première
année sont essentiellement juridiques, avec une formation lourde en droit
international, très axée sur la technique juridique. Mais la deuxième année est
pluridisciplinaire en ce qu’elle intègre beaucoup de matières éminemment
politiques, économiques, qui sont accessibles aux étudiants originaires
d’horizons très divers, explique l’enseignant-chercheur. « Cela s’explique
par le caractère atypique du Master, qui repose sur la pluridisciplinarité
», atteste-t-il.
« Il y a donc deux niveaux
de sélection qui, à mon avis, n’ont pas été impactés par la crise sanitaire
dans la mesure où nous recherchons avant tout à recruter une diversité de
profils. Bien sûr, nous recherchons les meilleurs dossiers, mais nous accordons
davantage d’importance à la motivation et aux projets de nos futurs étudiants,
qui peuvent parfois compenser certains accidents de parcours, et ce depuis la
création de cette formation », assure Fouad Nohra, qui estime en outre
avoir paradoxalement constaté une hausse des résultats obtenus par les
étudiants au cours de ces deux dernières années. « Cette formation incite
beaucoup à la réflexion. L’objectif pour nos étudiants est essentiellement de
dépasser le cadre de la technique juridique pure, et c’est la raison pour
laquelle ils sont évalués à 90 % par le biais de travaux de recherche,
sanctionnés pour certains d’entre eux par une soutenance à l’oral ». Et
dans ce contexte, le présentiel ou distanciel importe peu, précise
l’enseignant, « dans la mesure où les examens écrits ont été abolis depuis
plusieurs années au sein de ce master. Partant du principe qu’ils forcent
davantage à la restitution insipide qu’à la réflexion, ce qui compte à mes yeux
est surtout la recherche, et la présentation orale, qui permet d’élargir le
spectre d’évaluation, et limite grandement la possibilité de frauder aux
examens. »
Une stratégie fondée sur la
pérennisation, au détriment des aménagements
Toutefois, face aux
bouleversements d’emploi du temps rythmés par le Covid, les enseignants ont-ils
ressenti le besoin de se montrer plus attentifs aux éventuelles difficultés,
scolaires ou personnelles, rencontrées par les étudiants ?
Pour Fouad Nohra, même « s’il
est certain que beaucoup d’étudiants ont été fragilisés par l’appauvrissement
brutal de leur univers personnel, l’objectif n’est pas tant de montrer à quel
point les étudiants sont faibles ou forts par rapport aux critères donnés, mais
de savoir comment mesurer réciproquement l’enseignement et l’évaluation, pour
que celui qui a eu les moyens de s’approprier les méthodes d’enseignement
puisse parvenir à un niveau de réussite suffisant ».
Il s’agit donc de mesurer
l’évaluation à « l’échelle des moyens donnés », assure l’enseignant, qui
croit à une pédagogie active basée sur la recherche personnelle, l’activité de
recherche. « Nous souhaitons avant tout donner aux étudiants les moyens de
construire leur propre réflexion à travers un travail d’analyse, et cela parce
que le principal exercice de ce master est le mémoire. Il va mesurer la
capacité de recherche de l’étudiant », affirme-t-il, assurant n’avoir
apporté aucune modification substantielle à ses méthodes, et notamment l’usage
de la vidéo, se prêtant aussi bien à un enseignement en ligne qu’à distance. « Je
n’ai pas l’impression d’avoir été plus attentif aux difficultés, du moins, pas
plus qu’à l’accoutumée. L’évolution de l’Université depuis une quinzaine
d’année est très positive, soucieuse de la qualité et de la diversité des
enseignements dispensés au sein des différentes formations mais également du
bienêtre de ses étudiants, et ce quel que soit le contexte. »
Un faisceau d’indices
convergeant vers l’authenticité
Si l’on se focalise sur les
formations à vocation « recherche», notamment celle dirigée par Fouad Nohra,
l’on constate que l’impact de la crise sanitaire se mesure essentiellement à l’échelle
de l’étudiant, doublement mis à l’épreuve : bien qu’avide de démontrer ses
capacités d’adaptation sur le marché du travail, il est désormais soumis à la
défiance de nombre d’interlocuteurs, soucieux d’éviter les erreurs de casting.
Pourtant, plusieurs pistes attestent de la stabilité du niveau et des attendus
au sein de ces parcours, que le contexte pandémique ne semble pas avoir ébranlé
outre mesure. Qu’il s’agisse des modalités de sélection à l’entrée,
d’enseignement ou d’évaluation, visiblement inchangées, étudiants et
enseignants sont parvenus à traverser la crise, guidés par un ensemble de
lignes directrices intangible : pluridisciplinarité, maîtrise des enjeux et de
la méthodologie de la recherche, et assimilation de connaissances théoriques solides,
indispensables à la formation des chercheurs.
Dès lors, il convient de
s’interroger sur la notion même de valeur d’un diplôme. S’agit-il de recenser
une à une les qualités et garanties offertes à l’employeur, d’une part, et à
l’étudiant d’autre part, à l’issue de sa formation ? Si tant est que l’on
puisse adopter cette grille de lecture, il ne fait aucun doute qu’enseignement
à distance et formation des chercheurs de demain puissent aller de concert, au
bénéfice de l’épanouissement intellectuel et de l’insertion professionnelle.
Canelle
Roseau,
Secrétaire
Générale d’ELSA France