ÉCONOMIE

Cyber-assurance des entreprises : le marché poursuit sa progression

Cyber-assurance des entreprises : le marché poursuit sa progression
Publié le 19/06/2024 à 11:00

Le marché de la cyber-assurance poursuit son développement en 2023, en cohérence avec l’année précédente. En revanche, la croissance est particulièrement spectaculaire pour les entreprises de taille moyenne qui se sont ruées sur ses contrats attendus.

L’Amrae (association pour le management des risques et des assurances de l’entreprise) a publié à la fin du mois de mai 2024 son quatrième rapport, nommé « Lucy » (Lumière sur la Cyber-assurance). Grâce au partage de données de courtiers, d’assureurs et d’agences de souscription, l’association a pu dresser un état des lieux de l’évolution du marché de la cyber-assurance des entreprises. Pour rappel, une cyber-assurance permet une couverture financière en cas de cyber-attaque. Elle propose également « des solutions de support en gestion de crise », en mettant à disposition des experts juridiques, en communication et en sécurité numérique des entreprises.

Un marché en développement encore volatil

Dans la même lignée que 2022, le marché de la cyber-assurance a, en 2023, enregistré une poursuite de la réduction des sinistres, aussi bien au niveau de leur montant que de leur fréquence. Le rapport de l’Amrae constate qu’un effort de prévoyance et de protection par les entreprises s’est poursuivi. De ce fait, en 2023, « aucune grande organisation n’a subi de crise majeure et aucun sinistre supérieur à 10 millions d’euros n’a été enregistré », indique Philippe Cotelle, le président de la commission Cyber de l’Amrae et chargé du pilotage de l’étude.

Mais cette croissance du marché de la cyber-assurance a eu lieu avec une intensité plus faible que les années précédentes, puisque les grandes entreprises (avec un chiffre d’affaires supérieur à 1,5 milliard d’euros) n’ont pas augmenté leur budget alloué à ce type de souscriptions. Ainsi, en 2023, le volume total des primes payées par les entreprises souscriptrices s’établit à 328 millions d’euros, contre 316 millions d’euros, en 2022. Selon Philippe Cotelle, « le marché français de l’assurance cyber reste inscrit dans un schéma fragile et volatil ». Il pourrait rapidement « être englouti par deux ou trois sinistres majeurs, dans un contexte géopolitique tendu », ajoute-t-il.

Le président de la commission Cyber de l’Amrae fait ici référence aux actuels conflits russo-ukrainiens et moyen-orientaux, durant lesquels les cyber-attaques étrangères prospèrent. Il faut aussi intégrer une année 2024 électoralement forte qui comporte aussi son lot de risques de cyber-attaques, comme le rappelle Olivier Wild, le président de l’Amrae : « Plus de la moitié de la population mondiale est invitée à voter, les opportunités sont fortes pour les cyber-attaquants de toutes natures et origines d’influer sur ces élections, de peser sur leurs résultats ».

Des souscriptions en dents de scie, selon la taille des entreprises

Autre indicateur permettant d’analyser l’état de santé du marché de la cyber-assurance : le niveau de souscription des entreprises. Ainsi, les grandes entreprises « agissent à budget constant », relève le rapport « Lucy ». Elles étaient 281 entreprises souscriptrices en 2022, et sont 280 à souscrire, en 2023. Philippe Cotelle commente ce statu quo des grandes entreprises : « Le marché s’étant assoupli, il en a résulté une baisse des taux qui les a conduites à augmenter légèrement leurs achats en termes de capacité pour le même budget, sans aller au-delà, ce qui explique que la prime n’a pas bougé ». Il précise que « les contraintes budgétaires ont eu un poids fort » sur la couche économique des grandes entreprises, entrainant la stabilité de leur niveau de souscription.

De leur côté, les entreprises intermédiaires (avec un chiffre d’affaires compris entre 50 millions et 1,5 milliard d’euros) ont augmenté leurs souscriptions à hauteur de 47%, en plus d’une hausse du volume de leurs primes, d’environ 10 millions d’euros. Pour l’Amrae, cette nouvelle catégorie de sociétés dispose d’un important potentiel car « environ 15 % [d’entre elles] seulement s’assurent aujourd’hui ». Pour les moyennes entreprises (avec un chiffre d’affaires compris entre 10 millions et 50 millions d’euros), la hausse des souscriptions est d’autant plus forte, avec une augmentation de 73%. En revanche, le volume des primes n’augmente que de 3 millions d’euros, en 2023.

Des sinistres enregistrés à la baisse…

 S’agissant des sinistres sur l’année 2023, les cyber-assurances ont déboursé 38 millions d’euros d’indemnisations, contre 71 millions d’euros en 2022, soit une baisse de 46%. Autre indicateur permettant d’analyser le développement positif du marché de la cyber-assurance : le rapport prime sur sinistre. Cette statistique permet d’évaluer les performances financières du marché et la viabilité des contrats de cyber-assurance. De ce fait, plus le ratio est bas, plus le marché est viable. En 2023, ce ratio se porte bien puisque les cyber-assurances n’ont pas été contraintes de débourser plus d’argent, par rapport aux primes payées par les entreprises souscriptrices. Le rapport sinistre sur prime a quasiment été divisé par deux, passant de 22% en 2022, à 12% en 2023.

Les moyennes entreprises sont celles qui enregistrent la plus forte baisse d’indemnisation de sinistres (-68%), malgré une fréquence stable des sinistres déclarés, en 2023. Mais si la fréquence des cyber-attaques déclarées reste stable, « l’impact associé a quant à lui diminué », précise le rapport. En revanche, du côté des grandes entreprises, celles-ci déclarent une baisse de la fréquence des sinistres, à hauteur de 40%. De plus, elles n’ont déclaré aucun sinistre de grande envergure, pour l’année 2023. Cette tendance se poursuit aussi chez les entreprises intermédiaires qui ont vu leurs nombres de sinistres déclarés passer de 73 à 46 sur l’année, en plus d’une baisse de leur sévérité.

… qui ne signifient pas pour autant une baisse des cyber-attaques

Même si les chiffres sont rassurants quant au niveau de couverture des entreprises, ceux-ci ne signifient pas nécessairement que les cyber-attaques sont à la baisse. Selon le rapport « Panorama de la Cybermenace » de 2023, réalisé par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), « les attaques à finalité lucrative se sont maintenues à un niveau élevé en 2023 ». Le rapport révèle que le nombre d’attaques par rançongiciel « est supérieur de 30% à celui constaté sur la même période en 2022 ». 34% des victimes de ces attaques à but lucratif sont des TPE, des PME et des ETI.

Pour l’Amrae, les données du rapport Lucy, qui peuvent paraître contradictoires avec le rapport de l’ANSSI, doivent être appréhendées dans leur contexte : « Lucy collecte uniquement les sinistres déclarés aux assureurs, il est donc envisageable que certains d’entre eux n’aient pas fait l’objet d’une déclaration ». Une absence de déclaration qui s’explique par une franchise trop élevée par rapport au sinistre subi. Selon Philippe Cotelle, si la sévérité des sinistres enregistrés diminue, ce phénomène s’explique par « le développement et l’efficacité combinée des pratiques de prévention ». Il poursuit : « Les attaques sont toujours aussi nombreuses, mais leurs conséquences économiques, quand elles réussissent, sont proportionnellement plus légères ».

En 2023, le nombre de cyber-attaques « reste stable », malgré la recrudescence des attaques en déni de service

Selon la neuvième édition du baromètre du Cesin, étudiant l’année 2023, 66% des entreprises interrogées considèrent que le nombre d’attaques est resté stable, même si les tentatives d’attaques ont, quant à elles, augmenté. En revanche, moins d’une entreprise sur deux déclare avoir subi une cyberattaque avec des répercussions significatives. Un autre chiffre est préoccupant : 34% des entreprises interrogées ont subi au moins une attaque en déni de service, soit une augmentation de 11 points par rapport à 2022. Il s’agit d’attaques provoquant une panne de fonctionnement des services informatiques d’une entreprise. Ces sinistres sont peu déclarés aux cyber-assureurs, ce qui explique la différence de résultats avec le rapport de l’Amrae.

Pour autant, les entreprises sont de plus en plus conscientes des risques cyber qu’elles encourent. Par exemple, 7 entreprises sur 10 interrogées ont souscrit à une cyber-assurance et 57% d’entre elles comptent renouveler leur contrat, selon le Cesin. Pour Mylène Jarossay, la présidente du Cesin, « la maturité des entreprises a certainement augmenté et il est possible que les solutions aient été mieux déployées, intégrées et opérées, apportant davantage d’efficacité ». Elle ajoute : « Les entreprises organisent mieux leur cyberdéfense et leur réponse aux attaques. Elles montrent une meilleure résistance face aux incidents. Certains « départs de feu » sont vite maitrisés ».

Mais Mylène Jarossay nuance son propos. Pour elle, rien n’est acquis en matière de cybersécurité, puisque les techniques de cyberattaques évoluent constamment. À l’avenir, les entreprises devront se focaliser sur l’intégration de l’intelligence artificielle dans les protocoles de sécurité. Cette technologie est à la fois un outil à mobiliser au service de la cybersécurité et un risque. « L’intelligence artificielle générative connaît une croissance fulgurante, et nous commençons à voir des deepfakes malveillants provoquer de sérieux impacts », conclut Mylène Jarossay.  Les entreprises devront donc rester alertes quant à l’utilisation malveillante de cette technologie et renforcer leurs protocoles de protection en ce sens.

Inès Guiza

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