Un mois après l'évasion de Mohamed Amra qui a coûté la vie à deux
agents pénitentiaires, Eric Dupond-Moretti a signé un accord avec les
syndicats. Répondant à plusieurs de leurs demandes, il vise à mieux protéger
les surveillants mais se retrouve critiqué par les associations de défense des
droits des détenus.
Après le drame d'Incarville,
le gouvernement donne des gages aux agents pénitentiaires pour améliorer leur
sécurité. Le 14 mai dernier, lors d'un transfert de détenu entre Rouen et
Evreux, un fourgon de l'administration pénitentiaire est violemment attaqué
dans l'Eure, près de la commune d'Incarville. Le commando d'assaillants
parvient à faire évader le détenu Mohamed Amra en faisant deux morts, un
gardien et un officier, et trois blessés graves. Dans toute la communauté
pénitentiaire et même au-delà, l'émotion est grande.
Rapidement, elle laisse
néanmoins place à la colère d'une partie des agents. « Nous alertons
depuis dix ans sur le manque de sécurité des convois, s'agace, encore ému,
Wilfried Fonck, secrétaire national UFAP Unsa-Justice. Il est dommage
d'avoir attendu un drame comme celui-là pour être entendus. »
Quelques jours seulement
après l'attaque d'Incarville, le ministre de la Justice reçoit les agents
pénitentiaires et s'engage auprès d'eux. Une semaine après les faits, il signe
même un relevé de décisions avec les organisations syndicales représentatives,
en prévision d'un protocole qui vient d'être publié ce jeudi 13 juin par la
Chancellerie.
Plusieurs mesures attendues par les syndicats
Sans valeur réglementaire, le
texte constitue une sorte de feuille de route promise par le ministère pour
mettre en place plusieurs mesures. Il reprend les annonces faites juste après
les faits. La sécurité des convois est au cœur du protocole : sécurisation des
véhicules grâce notamment à leur banalisation, mais aussi à l'installation de
pare-buffle ou de vitres plus sécurisées, équipement en armes longues et
automatiques ou de gilets pare-balles lourds, déploiement de brouilleurs de
téléphone et de drones… En outre, une refonte du système d'évaluation des
niveaux d'escorte est prévue, ainsi que le développement du profilage des
détenus pour mieux appréhender les risques. « Il fallait absolument
réagir sur la sécurité des escortes », se satisfait Wilfired Fonck qui
refuse toutefois de se réjouir compte tenu du drame qui a conduit à ces
décisions.
Autre mesure envisagée : une
réflexion pour une éventuelle modification de l'article L225-1 du code
pénitentiaire qui précise les modalités de fouilles intégrales des détenus.
Mais l'accès à cette demande des syndicats, vieille de 15 ans, fait bondir les
associations œuvrant en milieu carcéral. Le 5 juin, neuf d'entre elles, dont La
ligue des Droits de l'Homme, la section française de l’Observatoire
international des prisons ou la CGT insertion probation, ont adressé une lettre
ouverte au garde des Sceaux. Elles y évoquent leur « profonde
préoccupation face à la réponse exclusivement sécuritaire proposée en réaction
à l'attaque mortelle ».
La perspective
d'élargissement des fouilles intégrales est leur principal grief. « Elle
induit une présomption d'infraction qui n'a, par ailleurs, aucun rapport avec
l'actualité dramatique, regrette Thomas Fourey du Syndicat des avocats de
France (SAF), également signataire de la lettre. Cette pratique est en plus
réputée pour son caractère humiliant. » La mesure pourrait se heurter
aux libertés fondamentales. Ministère et syndicats le savent bien. L'enjeu de
la réflexion sera, au moins en partie, de voir comment un changement de la
règle serait possible tout en respectant la Constitution et la Convention
européenne des droits de l'homme. Si le syndicaliste Wilfried Fonck « doute
que l'idée se réalise », Thomas Fourey est plus mesuré : « Il
y a toujours moyen de rédiger un texte pour qu'il passe entre les gouttes des
droits de l'Homme ».
Un protocole jugé précipité
Plus largement, les
associations dénoncent « une primauté une fois encore donnée au
sécuritaire » qui s'apparente « à une punition collective ».
Les questions de surpopulation et de moyens humains et financiers qu'elles
essaient de soulever figurent, certes, dans le protocole, mais sont selon elles
« balayées par des formulations floues ». C'est aussi la
méthode et le timing des décisions prises par Eric Dupond-Moretti qui
dérangent. Tout en assurant partager « l'émotion suscitée par le drame »,
elles regrettent « une temporalité dictée par l'urgence [...] et
l'absence de concertation collective ».
« Aussi terrible
soit-il, l'événement [d'Incarville] reste exceptionnel et ne doit pas
amener à des changements aussi précipités, estime Thomas Fourey, membre de
la commission pénale du SAF. D'autant qu'on ne connaît pas encore toutes les
circonstances du drame. Il est important de pouvoir se poser pour comprendre
avant même d'essayer d'apporter des réponses. » Contacté par le JSS,
le ministère se défend d'agir dans l'urgence et met en avant sa volonté « d'éviter
un nouveau drame ». Selon la place Vendôme, le protocole ne traduit
d'ailleurs pas une vision « exclusivement sécuritaire », citant
à sa décharge la banalisation des véhicules ou le profilage des détenus.
Louis Faurent