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Droit immobilier et métavers : où en est-on ? - 3 questions à Margot Lacoste et Christophe Sciot-Siegrist, avocats chez Eversheds Sutherland (France) LLP

Droit immobilier et métavers : où en est-on ? - 3 questions à Margot Lacoste et Christophe Sciot-Siegrist, avocats chez Eversheds Sutherland (France) LLP
Publié le 21/06/2022 à 09:00

Aujourd’hui, la majorité des logements sont vendus alors que la construction du bien n’est même pas achevée : pas besoin donc d’un bien physique pour procéder à l’achat. Pas besoin de bien physique du tout, semblerait-il, puisque les transactions immobilières se font aujourd’hui aussi dans le métavers. Margot Lacoste et Christophe Sciot-Siegrist, avocats chez Eversheds Sutherland, nous éclairent sur les prémices de cette nouvelle tendance d’achat virtuel et son encadrement juridique.

 

 



De façon générale et dans le secteur immobilier en particulier, le droit actuel peut s’appliquer au métavers, ou devons-nous nous attendre à un droit spécifique adapté à cet univers ?

Le métavers, terme issu de la contraction de « méta » (qui signifie « au-delà ») et « univers », est un monde en 3D auquel l’utilisateur a accès en temps réel sous la forme d’un avatar, et qui continue d’évoluer même hors connexion.

Dès son apparition, le métavers a été présenté à la fois comme le parallèle et le prolongement de notre monde réel, dont les différents composants peuvent être privatisés, moyennant paiement par cryptomonnaie.

Dans le cas de la France – mais aussi de manière générale –, notre droit actuel n’est pas encore adapté à cette nouveauté, et comme pour tout écosystème ayant son fonctionnement propre, un cadre juridique spécifique reste à notre sens encore à définir, sans qu’il ne vienne entraver l’innovation technologique. Il apparaît alors raisonnable de déterminer au préalable la pertinence de réformer des pans entiers du droit en vigueur ou, alternativement, de créer un régime juridique spécifique au métavers. Surtout qu’il n’y a pas un, mais plusieurs métavers qui peuvent être éventuellement reliés entre eux par des « passerelles ».

Sur le point spécifique du droit de la propriété immobilière, la notion même de droit de propriété est bouleversée par le métavers, dont le concept s’oppose par essence à la définition qu’en fait l’article 544 du Code civil, puisque régulée sur la base d’une possession physique inenvisageable pour une parcelle de terrain virtuelle.

Concrètement, les actifs immobiliers sur lesquels la propriété de l’utilisateur peut porter dans le métavers sont « tokénisés », ce qui signifie qu’ils sont dématérialisés sous forme de jetons non fongibles (traduit de l’anglais non fungible tokens - NFT) émis sur une chaîne de blocs (blockchain).

À première vue, ces actifs immobiliers digitaux ne répondent pas à la qualification actuelle d’« immeubles » au sens juridique, et ne peuvent donc qu’être des « meubles » conformément aux articles 516 et suivants du Code civil. Il y aurait d’ailleurs peut être un parallèle intéressant à faire avec les opérations de titrisation.

Pour autant, le métavers n’échappe pas totalement à notre droit. En effet, la loi Pacte n° 2019-486 du 22 mai 2019 a déjà consacré à l’article

L. 552-2 du Code monétaire et financier une nouvelle catégorie de biens : les jetons. Leur caractère numérique fait que la loi les rattache à la catégorie plus large des actifs numériques, définie à l’article L. 54-10-1 du même code. La loi ne distingue pas selon le caractère fongible ou non du jeton, de sorte qu’il est permis de penser qu’un NFT est un jeton au sens de ce code. En outre, la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 a modifié l’article 150 VH bis du Code général des impôts pour taxer la plus-value générée par ces actifs numériques.

Les parties qui souhaiteraient investir dans cette classe d’actifs relativement nouvelle sans attendre une clarification du droit en vigueur devraient donc le faire avec précaution. Elles seront ainsi bien avisées de qualifier contractuellement l’objet de leur contrat, tout en gardant à l’esprit les limites imposées par les règles d’ordre public et par l’appréciation du juge qui n’est pas lié par la qualification des parties.

 









Alors que cette technologie est encore incertaine et que les plateformes peuvent fermer du jour au lendemain, comment les titres de propriété des acheteurs sont-ils garantis ? Quelle sont les preuves d’achat existantes ?

La fin d’activité d’un métavers (tels que The Sandbox ou Decentraland) pose effectivement la question de la garantie des acheteurs et de la restitution des données à leurs propriétaires. Face au développement de nouveaux modèles de métavers (tel que Nifty Island), nul n’est capable de prédire la fiabilité des plateformes. C’est la blockchain qui offre par elle-même un certain niveau de confiance, bien qu’elle n’égale pas encore celui du droit en vigueur.

À ce sujet, un amendement déposé le 13 mai 2016 par la députée Laure de La Raudière, a été l’occasion, au cours des débats portant sur le projet de loi Sapin II, de s’interroger sur le niveau d’exigences techniques d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP) suffisant à présenter des garanties de fiabilité. En l’occurrence, cet amendement a été rejeté parce que la blockchain (ou DEEP) n’est pas pourvue de la même force probante qu’un acte notarié, au sens de l’article 1317 du Code civil.

En revanche, la preuve du droit de propriété d’un NFT est possible car un NFT possède une empreinte numérique qui lui est propre. Un NFT, en tant qu’il peut représenter un actif « immobilier », peut virtuellement faire l’objet d’une opération « immobilière ». Cette opération est inscrite dans la chaîne sous forme de maillon, sans que l’émetteur ne conserve l’original de l’ « acte » constatant l’opération. Chaque maillon est miné, c’est-à-dire qu’il contient le hash des données du maillon qui le précède. C’est par cette fonction de hachage que le minage confère au bloc son empreinte unique. Cela s’explique par le fait qu’il est impossible à un intermédiaire d’intercaler un maillon dont le code ne serait pas chaîné au précédent, et partant, de falsifier les données sur la chaîne. C’est pourquoi la blockchain est assimilée par certains à un instrument de certification, ainsi qu’à un registre public et à un cadastre, sans pour autant aller jusqu’à pouvoir établir un titre de propriété incontestable, en tout cas au sens où cela est entendu dans le droit qui s’applique actuellement au monde réel.

Certes, on a vu que la blockchain peut conférer une date certaine aux faits et aux actes qui y sont inscrits de manière chronologique (timestamping) et immuable, ce qui pourrait établir en partie l’origine de propriété du bien. Elle est auditable par tout utilisateur désireux de vérifier l’exactitude des données qui y sont émises (par exemple, l’acquéreur peut vérifier la réalité du titre de propriété du vendeur dans le cadre d’une transaction).

Il suffit au propriétaire de produire le document source pour démontrer son droit, mais il ne peut pas l’opposer aux tiers, en tout cas pas au sens de l’article 1198 du Code civil ni à celui du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière. Au mieux, le propriétaire pourra l’opposer aux utilisateurs d’un métavers fondé sur une blockchain privée dans le cadre des règles d’utilisation (les terms of use ou user agreement) qu’ils ont acceptées à leur entrée sur la plateforme.

Bien que les données du registre demeurent répliquées dans les copies de la blockchain présentent sur tous les ordinateurs des différents « mineurs », ces derniers ne sont pas non plus tenus de les restituer, encore moins gratuitement, à la fermeture de la plateforme. Or, une difficulté est que les algorithmes de cryptage ont une obsolescence programmée entre cinq et dix ans, contre une obligation d’archivage actuellement de 75 ans qu’ont les notaires à l’article R. 212-15 du Code du patrimoine. On voit donc ici une différence majeure avec notre droit « traditionnel » sur la partie de l’opposabilité aux tiers !

 



En cas de contentieux, vers qui les acheteurs ou locataires peuvent-ils se tourner ?

À vrai dire, le métavers est généralement fondé sur une blockchain par principe publique (comme le Bitcoin) qui est décentralisée et dérégulée, ce qui a pour conséquence que peu de recours sont envisageables en cas de malveillance. On imagine à première vue que le procédé de « minage », grâce à la transparence des algorithmes de cryptage, permet de répondre aux questions de responsabilité. En réalité, il reste difficile de trouver un responsable identifiable et solvable le cas échéant, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, le réseau pair-à-pair (peer to peer) sur lequel fonctionne une blockchain publique a pour but de permettre à tout ordinateur de l’intégrer sans autorisation (permissionedless). Les opérations interviennent entre des adresses IP qui permettent de remonter jusqu’à un ordinateur devant l’écran duquel il y a bien un utilisateur. Mais l’utilisateur est autorisé à recourir à un pseudonyme incompatible, par exemple, avec la procédure know your customer. En attendant que soient développés des systèmes d’identification intégrables dans la blockchain, il faut partir du principe que son cocontractant est susceptible d’être un escroc.

Ensuite, par le jeu d’un système asymétrique à double clé cryptographique, l’utilisateur destinataire d’une offre connaît la clé publique de son cocontractant chiffrant les données, et peut les déchiffrer à l’aide de sa clé privée connue de lui seul. Dans la mesure où n’importe qui peut se cacher derrière une adresse de compte, tout individu qui est entré en possession de la clé privée par un moyen qui ne sera pas légal, peut quand même réaliser des opérations avec. La perte ou le vol de la clé privée, ou encore la duplication des données, entraîne la perte définitive du portefeuille de capital numérique.

À terme, la blockchain devra devenir compatible avec les standards juridiques existants en matière de cyber sécurité, et notamment de signature électronique fixés aux articles 1366 et 1367 du Code civil, au regard de la directive européenne 1999/93/CE du 13 décembre 1999 et de sa loi de transposition française n° 2000-230 du 13 mars 2000. À l’heure actuelle, les parties ne disposent généralement pas d’un certificat de e-signature qualifié au même titre que les notaires (associant la clé Réal à un code personnel). Les professionnels du droit qui partageront cette vision seront donc probablement amenés à devenir les dépositaires des clés privées pour sécuriser les actes numériques.

Néanmoins, les mécanismes actuels de responsabilité délictuelle pourraient être mobilisés. À savoir, une responsabilité sans faute du fait des choses trouvant son fondement dans le principe d’autonomie de la machine dont le « mineur » a non seulement la garde, mais aussi lusage, la direction et le contrôle. On assiste à un mouvement de regroupement des mineurs "en fermes (pools) qui, au-delà des questions relatives à la protection des données (RGPD) et de la blockchain, ouvre la voie à un rattachement possible du métavers au système juridique d’un État territorialement compétent.

En définitive, il y a énormément de choses à dire et à faire, et les investissements émis sur un métavers n’ont pour valeur juridique, en pratique, que celle que les parties sont prêtes à lui donner. Il revient à tout un chacun de se rapprocher d’un professionnel du droit et de se renseigner au préalable, au-delà de la parcelle visée, sur le projet porté par les éditeurs de la plateforme, car le commun des mortels n’est pas protégé par le droit français dans la même proportion que celle applicable actuellement dans le monde réel.

 

Propos recueillis par Constance Périn

 

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