C’est une
rentrée extraordinaire que les élèves-avocats ont vécue, le 7 janvier
dernier, et ce à plus d’un titre. Inédite car pour la première fois, l’audience
solennelle s’est déroulée à distance, Covid oblige. Inédite aussi, car le
directeur de l’EFB, Pierre Berlioz, a profité de l’occasion pour annoncer aux
élèves sa démission, trois ans à peine après en avoir pris la tête. La
promotion 2021/2022 – dont la marraine
n’est autre que la bâtonnière et l’ancienne présidente du CNB, Christiane
Féral-Schuhl – est donc dirigée, depuis le début du mois de février, par le
magistrat Gilles Accomando, une première !
Les
années passent, mais ne se ressemblent pas. À l’heure de la crise sanitaire,
les près de 2 000 élèves-avocats qui composent la promotion 2021/2022 de
l’EFB ne se sont pas rassemblés, comme le veut pourtant la tradition, pour
célébrer leur rentrée et prêter serment. Ils avaient, à la place, rendez-vous
chez eux, derrière leurs écrans, afin de visionner les vidéos préparées pour
l’occasion par l’École et écouter les discours de bienvenue marquant
officiellement le début d’une formation exigeante, qui durera au total
18 mois.
Cette rentrée
exceptionnelle s’est tenue le 7 janvier dernier, six années jour pour
jour après les attentats de Charlie Hebdo, comme l’a rappelé le
bâtonnier du barreau de Paris, Olivier Cousi. Une date décidément symbolique
puisqu’elle rappelle à Christiane Féral-Schuhl un souvenir, cette fois, bien
plus heureux : la marraine de la promotion 2021/2022 de l’EFB a confié à ses filleuls avoir
prêté serment précisément un 7 janvier, 40 ans auparavant, au cœur de
la première chambre de la cour d’appel de Paris, sur l’Île de la Cité. « [À
cette époque], la peine de mort n’était pas abolie et nous n’avions
pas le droit de dire “avocatE” », s’est remémoré l’ancienne
bâtonnière. Ils n’étaient alors que quelques dizaines d’avocats fraîchement
diplômés à rejoindre les rangs des 5 000 robes noires que comptait le
barreau de Paris en 1981, « et on disait déjà qu’on était trop
nombreux », s’est amusée l’avocate : aujourd’hui, ledit barreau
compte en effet plus de… 32 000 inscrits !
Bien que spécialiste des
nouvelles technologies et notamment du droit de l’informatique, l’avocate l’a
assuré : « Je ne serai pas une marraine digitalisée ! ».
Cette dernière a promis de venir échanger « physiquement »,
avec les 1 915 élèves composant cette promotion. Une promotion
d’ailleurs largement féminine, puisqu’elle compte pas moins de
1 316 femmes pour 599 hommes.
« Nous vous devons une formation d’excellence »
Bien
qu’ « inédite », cette cérémonie de rentrée solennelle a
toutefois débuté par le traditionnel discours d’accueil du directeur de
l’école, en présence, donc, d’Olivier Cousi, de Christiane Féral-Schuhl, mais
aussi du Premier président et de la procureure générale près la cour d’appel de
Paris, Jean-Michel Hayat et Catherine Melet-Champrenault.
Pierre Berlioz n’a pas
manqué de souligner le goût amer de cette journée, une rentrée, « frustrante »,
ne lui permettant pas de « voir ni sentir la présence » de
ceux s’apprêtant à embrasser la carrière d’avocat.
En guise d’allocution de
bienvenue, le directeur a souhaité livrer aux élèves-avocats ses réflexions sur
la profession, notamment en les invitant à fréquemment actualiser, au cours de
leur carrière, leurs connaissances via la formation : « Nombre
d’avocats pensent qu’on ne se forme que dans ses dossiers : quelle
erreur ! a-t-il déploré. Ce n’est qu’en actualisant ses pratiques
au contact de celles des autres, aujourd’hui, à l’ère de la connaissance
ouverte, à l’heure de l’intelligence artificielle, que l’expérience humaine, le
croisement d’expériences, est la valeur ajoutée, avec la nécessité d’avoir une
vision des sujets à 360°. C’est ainsi que l’avocat pourra rester
performant. »
Un point de vue partagé
par la procureure générale près la cour d’appel de Paris, qui a elle aussi
évoqué la nécessité d’un approfondissement et d’une actualisation des
connaissances des avocats.
Dans
le prolongement des propos du directeur, qui a naturellement défendu « la
solide formation » de l’école qu’il dirige, Olivier Cousi a, à son
tour, souligné la qualité de l’enseignement dispensé par l’EFB :
« Pour porter haut les valeurs de la profession et de leur serment,
nous vous devons une formation d’excellence. » Cette « grande
école » a d’ailleurs dû refuser cette année des inscriptions, un
succès qui témoigne, selon le bâtonnier de Paris, de la qualité et
l’attractivité de son enseignement. Lequel doit, selon lui, rester « pratique
et professionnel ». Un point de vue également soutenu par la marraine
de la promotion, qui a mis en relief l’enseignement qui sera inculqué à ses
filleuls : « [cette école] va vous apprendre ce qu’est
l’exercice libéral, elle va vous former à l’entrepreneuriat, elle va vous
donner votre nouvelle colonne vertébrale, la déontologie, elle va vous former
aux nouveaux modes d’exercices de la profession, aux défis numériques, à la
maîtrise de l’open data, aux MARD (…) ; l’EFB sera ce que vous
en ferez » a-t-elle ainsi résumé.
« Une vie d’avocat, c’est une vie de femme, une vie
d’homme libre, c’est une vie d’indépendance »
« La plus
indépendante des avocats de ce pays, la plus farouche défenseure de
l’indépendance, de l’État de droit et de la profession », selon les
dires d’Olivier Cousi, a livré, à la promotion qui porte son nom, sa vision de
la profession : « Une vie d’avocat, c’est une vie de femme, une
vie d’homme libre, c’est une vie d’indépendance, une vie contre l’injustice,
une vie pour le droit, une vie pour une certaine idée de l’humanité ; une
vie pleine, parce qu’on est avocat 24h/24. (…) Parce qu’avocat, ce n’est
pas d’abord une profession (…) c’est avant tout un état d’esprit, c’est un état
d’âme », s’est exclamée Christiane Féral-Schuhl. Reconnaissant ne plus
exercer comme il y a 40 ans, l’avocate a assuré conserver les mêmes
certitudes qu’à l’époque. « Mon ADN d’avocat est resté intact »,
a-t-elle témoigné.
Être
avocat, c’est aussi « parler pour l’autre, se mettre à la place de
l’autre, endosser ses inquiétudes, ses ambitions, ses souffrances, ses colères
parfois ». Pour l’ancienne présidente du CNB, l’avocat est « un
tiers de confiance qui assiste, qui accompagne son client ». Ceux qui
s’apprêtent à rejoindre une communauté de plus de 71 000 avocats en France auront alors cette charge
immense : être dignes de la confiance qu’un autre place en eux, a formulé
Christiane Féral-Schuhl.
La
procureure générale a de son côté insisté sur la déontologie qui se vit au
quotidien : « Appropriez-vous la déontologie, c’est une boussole
qui doit vous guider tout au long de votre exercice professionnel. »
« Nous devons nous rappeler que nous sommes investis d’une mission
qui nous dépasse, au service de la justice rendue au nom du peuple français, et
que cette mission nous oblige », a-t-elle poursuivi.
« Si
la technique et les compétences juridiques s’acquièrent, l’éthique et la
déontologie sont un état d’esprit. C’est grâce à cet état d’esprit que
vous serez crédibles vis-à-vis de vos contradicteurs et de vos
interlocuteurs », a appuyé Catherine Melet-Champrenault. C’est donc en
mettant leur humanité et leur déontologie au service du justiciable et de la
justice que ces futurs avocats réussiront leur vie professionnelle. Dans le
prolongement, le Premier président de la CA de Paris a lui aussi insisté sur
l’éthique et la déontologie, des « vertus essentielles » qui
devront les accompagner tout au long de leur carrière.
Ces qualités humaines
vont donc au-delà de la technique juridique, et interrogent davantage la « capacité
à aller vers l’autre, à ressentir l’autre, à se mettre à la place de l’autre, à
[s’] ouvrir au monde, à en ressentir les soubresauts », a
soutenu quant à elle Christiane Féral-Schuhl. « Être avocat, c’est tout
sauf s’enfermer dans un cabinet et mener un exercice solitaire »,
a-t-elle souligné. L’avocate a ainsi invité la nouvelle promotion à
s’intéresser au monde économique, au monde social, au monde culturel, « parce
qu’être avocat, c’est être curieux du monde, c’est être curieux de
l’autre »,
a-t-elle assuré.
Pour
Olivier Cousi, « l’avocat doit être l’acteur central du droit dans une
société éparpillée, déstabilisée, inquiète, insécurisée. Un repère, une
sentinelle des libertés. » Abordant le secret professionnel, le
bâtonnier a été sans équivoque, il s’agit d’un droit : celui du
justiciable. « La société démocratique ne peut s’en passer »,
car « il n’y pas d’État de droit sans ce secret professionnel de
l’avocat ». Le porte-parole des robes noires parisiennes
parisiens a d’ailleurs invité les élèves-avocats, au cours de leur formation, à
« se confronter au réel de la vie sociale, à la pâte humaine, aux
émotions, aux sensations, à la sensibilité des hommes et des femmes qui font la
justice ».
En
matière de réalité, l’avocat s’est également attardé sur le contexte de cette
rentrée, marquée par la pandémie de la Covid-19 qui a plongé le monde
entier dans « le crépuscule de cette vie au ralenti, rythmée par les
gestes barrières, les masques, le confinement, la défiance de l’autre et la
protection sanitaire » depuis presqu'un an. « Vous ne pouvez
plus être insouciants », a-t-il déploré. Ayant conscience que la vie
étudiante est devenue difficile, Olivier Cousi a assuré comprendre les
inquiétudes des élèves-avocats quant à l’avenir.
« C’est
difficile d’avoir 25 ans en 2021 et de se lancer dans
l’aventure libérale, mais j’ai confiance, (…) vous réussirez. » a quant à elle certifié la marraine de la promotion,
qui a également insister sur la dureté du métier : « Oui, c’est
difficile de défendre les libertés publiques dans un pays qui peut leur tourner
le dos, mais vous les défendrez, ces libertés publiques. Oui, c’est difficile
de respecter la déontologie dans une société de l’insulte et de la violence,
mais vous la respecterez, cette déontologie. »
Visant
à redonner espoir à ses futurs confrères et consœurs, Olivier Cousi a fait
siens les mots d’Antoine de Saint-Exupéry : « En ce qui est de
l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible »,
a-t-il formulé.
Magistrat et avocat : vers la « réconciliation
d’une formation commune »
Après
avoir félicité une profession parvenue à parler d’une seule voix, le directeur
de l’école a, à son tour, donné son avis sur le métier d’avocat, une « profession
de la parole » qui doit aussi selon lui cultiver le sens de l’écoute
pour comprendre les besoins de son client. Universitaire de formation, Pierre
Berlioz n’a toutefois pas épargné les robes noires qui auraient parfois
tendance, selon ses dires, à trop se regarder, à trop s’admirer. Il a ainsi
appelé les élèves-avocats à ne pas tomber dans les « travers » actuels
de la profession : « Ne ralliez pas la profession d’hier, soyez la
profession de demain : soyez fiers sans être arrogants, soyez ouverts,
ayez l’esprit d’entreprise et le goût du collectif ! ».
Là
où certains avocats prônent l’entre-soi, Pierre Berlioz a préféré défendre « l’alliance
des compétences ». « L’avocat de demain n’est pas qu’un
technicien doté d’une déontologie forte, isolé dans sa tour d’ivoire. Il doit
être agile, avoir l’esprit d’entreprise et descendre dans l’arène de la
concurrence. À l’ère de l’intelligence artificielle, la valeur réside dans
l’intelligence collective » a-t-il formulé. Un discours sans filtre,
sans langue de bois, de la part de Pierre Berlioz, assez critique à l’égard de
la profession, en particulier un jour de rentrée.
« Un
directeur, ça ferme sa gueule, ou ça démissionne », a-t-il par
ailleurs lancé, annonçant ainsi, au terme de son allocution, son départ à la
tête de l’EFB (effectif depuis la fin janvier). Ce discours n’est pas seulement
un discours de rentrée, c’est aussi un discours de sortie, a-t-il appuyé, avec
« toute l’émotion et la liberté de ton qui va avec ». L’universitaire
n’a toutefois pas manqué de remercier les équipes de l’EFB pour le travail
accompli. Il a été à son tour remercié par le bâtonnier du barreau de Paris
Oliver Cousi, pour son grand travail de mise en perspective : « Nous
devons au directeur Pierre Berlioz d’avoir poussé pour que l’enseignement
s’adapte au monde économique, pour le tourner vers les affaires, vers les
entreprises, vers les cabinets. »
Pour lui succéder, le
chef de fil des avocats parisiens a annoncé avoir proposé la direction de la
prestigieuse école d’avocat au magistrat Gilles Accomando, Premier président de
la cour d’appel de Pau. Le bâtonnier l’a présenté comme « un grand
magistrat qui a été sur le terrain, et qui a enseigné à l’ENM ». Une
nomination qui fait assurément écho à celle de l’avocate Nathalie Roret à la
tête de l’École nationale de la magistrature, en octobre dernier. « Cette
symétrie est importante, elle portera les fruits de la réconciliation d’une
formation commune, et nous l’appelons tous de nos vœux », a-t-il
affirmé.
Olivier Cousi a alors
mis en relief l’importance de la relation entre avocats et magistrats, assurant
qu’il n’y avait aucune guerre entre les deux professions : « Nous
devons travailler ensemble (…) pour construire une justice efficace,
accessible, plus rapide, plus démocratique, dans l’intérêt exclusif du
justiciable. » L’ancienne présidente du CNB a elle aussi prôné
l’ouverture de la profession : « Si vous voulez vivre heureux
votre vie d’avocat et d’avocate, fuyez la solitude, fuyez l’enfermement, sortez
de votre cabinet, allez rencontrer vos confrères, et nouez des liens avec les
magistrats. »
Un point de vue
largement partagé par le Premier président de la cour d’appel de Paris qui l’a
affirmé : « le justiciable est au centre de nos préoccupations
communes ».
Encourageant un
partenariat vivant entre la magistrature et le barreau, ce dernier a profité de
l’occasion – et de la présence d’Olivier Cousi – pour saluer la richesse des
échanges noués avec les neuf bâtonniers du ressort. Jean-Michel Hayat a aussi
appelé de ses vœux « des échanges nourris entre les deux
professions » : « Je suis convaincu qu’il faut
maintenir cette passerelle, tant que dorénavant, 51 % des auditeurs de
justice (…) sont recrutés dans le cadre d’une reconversion professionnelle. Un
tiers de ces auditeurs issus du monde professionnel étant, en l’espèce,
d’anciens avocats. » Le Premier président a également noté la
tendance, chez les magistrats partant à la retraite, à s’inscrire au barreau
dans les ressorts limitrophes.
Dans
le prolongement ce dernier a également insisté sur l’ « opportunité
exceptionnelle » offerte aux élèves-avocats d’effectuer un stage au
sein d’un des huit pôles de la cour d’appel de Paris. 55 stagiaires y sont
en effet attendus cette année, et le magistrat a déploré qu’une dizaine de
stages soient, aujourd’hui, encore disponibles. « Ces stages vous
permettent une immersion complète au sein d’une formation civile, sociale,
commerciale, économique ou correctionnelle », l’occasion de « découvrir
leurs travaux de l’intérieur ». Il s’agit « d’une vraie chance
de découvrir le mécanisme qui conduit à retenir une peine plutôt qu’une
autre », a-t-il certifié, une expérience extrêmement riche pour un
avocat en devenir.
Parallèlement, le
Premier président a insisté sur le fait que les auditeurs de justice
réalisaient eux aussi, dans le cadre de leur formation initiale à l’ENM, un
stage de trois mois un sein d’un cabinet d’avocat. Jean-Michel Hayat a lui-même
reconnu n’avoir jamais, de son côté, oublié son stage réalisé au sein du
cabinet de l’ancien bâtonnier d’Évry. « Ce qui nous unit est bien plus
important que ce qui pourrait nous diviser (…) Nous sommes, chacun
à notre place, des piliers vivants de la démocratie », a conclu le
Premier président de la CA de Paris, avant que ne débute la prestation de
serment des élèves-avocats.
Le petit serment, un « rite de passage »
« qui n’a de petit que le nom »
Comme l’a souligné la procureure générale, le petit
serment a connu une véritable révolution il y a quelques années. À l’initiative
de la bâtonnière Féral-Schuhl – qui a
d’ailleurs invité les élèves-avocats à « savourer
ce petit serment, qui n’a de petit que le nom », « sésame » qui leur
permettra « d’accéder à toute la palette de cette si belle
profession d’avocat » –,
cette prestation se déroule, depuis plusieurs années déjà, hors des murs
judiciaires. Elle retrouve toutefois, en cette rentrée exceptionnelle,
l’enceinte de la cour d’appel, pour se faire non pas à l’unisson, mais
individuellement, procédé n’occultant toutefois pas le fait qu’il « engage
chacun individuellement et fortement », a rappelé Catherine
Melet-Champrenault.
Au contraire, la procureure générale a estimé que cette cérémonie prenait
d’autant plus tout son sens, dès lors que, seul, devant son écran, chaque
élève-avocat y participait en véritable acteur.
De plus, Catherine
Melet-Champrenault a souligné que ce serment n’était pas réductible à une
simple formalité : « il demeure un acte essentiel et profond qui
vous engage fermement », a-t-elle indiqué à la nouvelle
promotion. « C’est un moment solennel, un rite de passage »,
a-t-elle assuré, qui marque la fin de longues années d’études et sélectives
pour certains, ou matérialise, pour d’autres, une reconversion professionnelle.
Au
terme de cette audience solennelle, Jean-Michel Hayat a invité le directeur de
greffe à donner lecture de la formule du serment : « Je jure de
conserver le secret de tous les faits et actes dont j’aurais eu connaissance en
cours de formation ou de stages. » Devant
leur écran, les élèves-avocats ont alors levé la main droite et ont
prononcé les trois mots symboliques, « Je le jure »,
marquant ainsi leur entrée dans la profession.
« Régalez-vous.
Révoltez-vous. Révélez-vous. Bousculez-nous. Soyez vous-même. Ne laissez
personne vous convaincre du contraire. Je compte sur vous » a
lancé le bâtonnier de Paris, Olivier Cousi, à la future génération
d’avocats.
Constance Périn