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EMPREINTES D'HISTOIRE. D'Olympie à Menton... pourquoi les citrons de la fête n'ont-ils pas eu d'anneaux olympiques ?

EMPREINTES D'HISTOIRE. D'Olympie à Menton... pourquoi les citrons de la fête n'ont-ils pas eu d'anneaux olympiques ?
Fête du citron 2024 à Menton, dans les jardins de Biovès. (c) Étienne Madranges
Publié le 26/05/2024 à 07:00

En cette année olympique 2024 avec les Jeux de Paris tant attendus, la ville de Menton comptait bien mettre l’olympisme à l’honneur avec ses agrumes lors de sa Fête du Citron annuelle. Le comité d’organisation Paris 2024 en a décidé autrement. Faute d’être un partenaire officiel et une commune d’accueil des épreuves, Menton n’a pas eu le droit d’utiliser les anneaux, les mots et les emblèmes olympiques. Notre chroniqueur Étienne Madranges s’est rendu sur place.

Une légende, rappelée sur un écriteau officiel dans les hauteurs de la ville de Menton, veut qu’Adam et Ève furent chassés du Paradis après qu’Ève eut cueilli un citron. Ève promit de l’offrir au plus beau pays de la Terre. Après des années d’errance, le couple arriva dans un lieu tellement enchanteur qu’Ève laissa tomber le fruit d’or, créant ainsi Menton et lui offrant la multiplication de ses fruits d’or.

La ville des citrons

Au XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, Menton, bien avant son rattachement définitif à la France et au département des Alpes-Maritimes en 1861, est une cité exportatrice de citrons, réputés pour leur goût et leur jus. En 1800, il y a 80 000 citronniers sur les flancs de la cité méditerranéenne. Et les marins utilisent massivement ce fruit juteux pour la prévention du scorbut.

Dans son édition du 18 mars 1882, le quotidien « Le Courrier du Berry », qui se dit « politique, religieux, agricole, littéraire et commercial », relate la visite de la reine Victoria à Menton dans les Alpes-Maritimes. On peut y lire : « Depuis sa chambre, l’œil de la Reine plonge dans une véritable forêt d’orangers et de citronniers ». La souveraine britannique aime la côte d’azur, ses paysages et ses habitants, ses vergers odoriférants. Elle s’y rend souvent, y restant parfois pendant plusieurs mois. À Menton, où elle est arrivée par un train spécial en provenance de Cherbourg, elle découvre en 1882 le carnaval créé quelques années auparavant par les hôteliers de la ville. Un feu d’artifice splendide est tiré en l’honneur de celle qui est aussi impératrice des Indes. Sa présence et ses déplacements dans une calèche entourée de cuirassiers donnent un relief particulier à cette manifestation qui peu à peu ressemble au carnaval de Nice solidement implanté sur la côte. Elle s’étonne parfois du « très mauvais français » parlé par les enfants et exprime son ravissement devant les charrettes de foin tirées par des ânes.

De nombreux Anglais, soucieux de trouver sur la côte mentonnaise un ensoleillement supérieur à celui de Brighton, leur sud ultime, avaient déjà pris possession de la région.

Parmi eux, dix ans plus tôt, l’inventeur (présumé)* du rugby, William Webb Ellis, ayant passé la fin de sa vie à Menton, avait été inhumé dans le cimetière local du Vieux Château dominant la Méditerranée. Au XXe et au XXIe siècles, sa sépulture allait attirer des rugbymans du monde entier venant déposer, qui un fanion d’une fédération sportive, qui un maillot de joueur, qui une cravate d’entraîneur sur cette tombe.


La tombe de William Webb Ellis, inventeur présumé du rugby, dans le cimetière du Vieux Château à Menton (Alpes-Maritimes) ; en incrustation à gauche une statue de Webb Ellis âgé de 16 ans porteur du ballon ovale (fait à l’origine avec une vessie de porc), en haut à droite une plaque commémorative à l’entrée du cimetière rappelant que lors de la coupe du monde de rugby en 2007 en France, les capitaines de toutes les équipes participantes sont venus déposer une gerbe sur la tombe. © Étienne Madranges

Une fête historique traditionnelle

Jusqu’à la Première Guerre mondiale, le carnaval est un moment très attendu. On trouve par exemple dans le journal « Le Petit Marseillais » du 30 janvier 1913 : « Sa Majesté Carnaval faisait mardi soir son entrée triomphale à Menton par un temps des plus doux. Cette année Messire Carnaval se présente à ses sujets sous les traits d’un sultan marocain des plus joyeux, enlevant au moyen d’un criquet la plus belle des Salomé. C’est donc sur les ailes de cet orthoptère du désert, au milieu d’une foule avide, que Carnaval arrive au square Victoria… les confettis parisiens et les serpentins font rage… ».

C’est après la Première Guerre mondiale que les agrumes sont associés aux festivités carnavalesques.

La Fête du Citron naît ainsi en 1934 afin de mettre en valeur ce fruit cultivé à Menton depuis le XIVe siècle. Les jardins de la ville sont aménagés afin de permettre la promotion du célèbre fruit local.

Les gelées et le froid intense du très rigoureux hiver 1956 provoqués par une advection d’air arctique, qui provoquent des milliers de morts, auraient pu entraîner la perte des citronniers. A Cannes et à Nice, plusieurs milliers d’arbres doivent être abattus. En Provence, 5 millions d’oliviers doivent être coupés. Mais les arbres de Menton échappent pour nombre d’entre eux miraculeusement à ce désastre climatique. Certains agrumiculteurs peuvent sauver leurs récoltes. La production est néanmoins sérieusement compromise. L’arrivée du citron espagnol, et le Mal Secco provoqué par un champignon participent ensuite à la réduction de cette production.

Mais la Fête peut continuer. Chaque année, elle se renouvelle avec un thème particulier : Tintin, Pinocchio, le cinéma, le Tour du Monde en 80 jours, les tribulations d’un citron en Chine, Bollywood, Opéras et danses… pour ne citer que quelques exemples.

En 2023, les organisateurs mentonnais de la Fête du Citron décident de retenir pour 2024 un thème qui colle à l’actualité sportive tant nationale que mondiale : les Jeux de la XXXIIIe Olympiade qui vont se dérouler en France, dans la capitale, dans des villes de banlieue et outremer.

Dès la préparation de la manifestation, des contacts sont pris avec le Comité d’Organisation des Jeux. Mais la commune de Menton n’est ni ville d’accueil d’une épreuve olympique, ni partenaire officiel.

Les célèbres cinq anneaux olympiques ne peuvent donc être reproduits… ni avec des citrons, ni avec des oranges… pas même avec quelques zestes… La ville se voit refuser d’utiliser les emblèmes olympiques.

Seul le titre finalement retenu pour la manifestation, « d’Olympie à Menton », permet, dans le respect des règles de protection des insignes et des mots protégés par le CIO, le CNOSF et Paris 2024, d’évoquer une légère connotation olympique.

Les organisateurs sont confrontés à une autre difficulté. La production totale annuelle de citrons de Menton IGP étant d’environ 70 tonnes, il est impossible de les utiliser pour la Fête du Citron qui nécessite d’importantes quantités d’agrumes. Il faut en effet en moyenne chaque année 140 tonnes d’oranges et de citrons. Les fruits sont donc importés des vergers ibériques et arrivent par 4 semi-remorques. Ce sont en définitive des agrumes d’Espagne, fixés au moyen d’un million d’élastiques jaunes et orangés, qui permettent d’orner les jardins de la ville et les corsos. En revanche, au cœur de la cité, ce sont bien des citrons de Menton IGP qui sont proposés à la vente, sous toutes les formes : fruits frais, fruits confits, liqueurs, poudres, conserves.

Et à la fin de la fête, tous les fruits ont été vendus à un coût très réduit afin qu’il n’y ait pas de perte.

En 2024, près de 100 000 personnes sont venues à Menton, dans les jardins et sur la Promenade du Soleil bordée de yuccas reliant la vieille ville au quartier de la Madone, assister aux défilés des corsos et admirer les compositions gigantesques d’agrumes. Le maire a pu constater que cette année était « Une année record dans de nombreux domaines y compris celui de la joie et de la bonne humeur ».


La 90eFête du Citron en 2024 dans les jardins Biovès de Menton (Alpes-Maritimes) sur le thème des Olympiades… sans référence directe aux emblèmes olympiques ; il faut plus d’un million d’élastiques pour attacher les agrumes sur les structures métalliques et les montants grillagés de soutien.
© Étienne Madranges

La protection juridique rigoureuse des insignes olympiques

Les insignes et emblèmes olympiques sont notamment le drapeau avec les cinq anneaux, la devise, l’hymne, la flamme, les torches. Propriétés du Comité International Olympique (CIO situé à Lausanne en Suisse), ils sont protégés par la loi. Les anneaux olympiques, conçus en 1913 par le baron Pierre de Coubertin, sont la pièce maîtresse de l’ensemble. Les mots « Jeux olympiques, Jeux paralympiques » et « Olympiade » sont également protégés dans les mêmes conditions.

Ces emblèmes et mots ne peuvent en conséquence être utilisés qu’avec le consentement écrit du CIO, lequel a un représentant officiel dans chaque pays. En France, ce délégataire, dépositaire officiel des propriétés olympiques, est le Comité National Olympique et Sportif (CNOSF), qui doit veiller à l’interdiction de leur utilisation à des fins lucratives, commerciales et publicitaires sauf autorisation, d’autant que toutes les recettes issues des Jeux et de leur préparation (droits télé et partenaires) permettent le financement des fédérations sportives.

L’article L 141-5 du Code du sport énonce : « Le Comité national olympique et sportif français est propriétaire des emblèmes olympiques nationaux et dépositaire de la devise, de l'hymne, du symbole olympique et des termes " jeux Olympiques " et " Olympiade ".

Le fait de déposer à titre de marque, de reproduire, d'imiter, d'apposer, de supprimer ou de modifier les emblèmes, devise, hymne, symbole et termes mentionnés au premier alinéa, sans l'autorisation du Comité national olympique et sportif français, est puni des peines prévues aux articles L. 716-9 et suivants du code de la propriété intellectuelle ». Ces peines sont de de 4 années d’emprisonnement et 400 000 euros d’amende.

Représentant en France le CIO, le CNOSF est titulaire des droits et veille au respect sur le territoire national de la charte olympique. En prévision des Jeux de 2024, il a, dès 2019, délégué ces droits au Comité d’Organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques (COJO) intitulé « Paris 2024 », seul habilité jusqu’aux Jeux à en autoriser l’utilisation et l’exploitation.


Insignes, symboles et mots olympiques protégés par la loi

Les Mentonnais, faisant communier la tradition, le sport et l’esprit festif, ont célébré à leur façon l’année olympique de la plus belle des manières, avec des couleurs, des animations et de la joie, en continuant à promouvoir leur citron chargé en sucre et en huiles essentielles, aux arômes intenses et à l’acidité modérée.

Il ne reste plus qu’à espérer que l’avalanche de fruits d’or si spectaculairement mise en scène à Menton avec fanfares, défilés et confettis, ayant illustré Olympie en février-mars 2024 dans le cadre de la grande manifestation hivernale inscrite à l’inventaire du patrimoine immatériel, préfigure une avalanche de médailles d’or françaises pendant la période estivale aux jeux de Paris !

Étienne Madranges
Avocat à la cour
Magistrat honoraire
Chronique n° 225

* la légende veut que Webb Ellis (né en 1806, ordonné prêtre et décédé en 1872 à Menton), excellent élève du collège de Rugby (Angleterre) ait lors d’un match de folk football en 1823 pris le ballon à la main pour aller marquer dans l’en-but, établissant ainsi l’acte fondateur du rugby. Les historiens du sport ont par la suite contesté le bien-fondé de cette légende colportée par les camarades de collège de Webb Ellis.


Les 10 empreintes d’histoire précédentes :


D'Olympie à Menton... pourquoi les citrons de la fête n'ont-ils pas eu d'anneaux olympiques ? ;

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