Deux organisations de magistrats attaquent un décret d'application de
la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire. Elles ne s'estiment pas
assez intégrées à la concertation et rappellent que l'évolution de la procédure
pénale doit passer par la loi. Le Conseil national des
barreaux entend intervenir dans les débats.
L'inscription au rôle du
Conseil d'État de ce dossier a pu surprendre. Deux ans après sa publication le
13 avril 2022, le décret 2022-546 détaillant les contours d'application de la
loi Dupond-Moretti de 2021 se retrouve devant la juridiction administrative.
Deux organisations professionnelles sont à l'origine du recours : l'Union
syndicale des magistrats (USM), syndicat majoritaire dans l'ordre judiciaire,
et l'Association française des magistrats instructeurs (Afmi). En cause, pour
les deux organisations : le contournement par décret de l'habituelle voie législative pour modifier la procédure pénale.
Le recours a été déposé en
juin 2022, quelques semaines après la publication du décret ciblé, et les 9000
magistrats du pays en ont été informés d'après le trésorier de l'USM Thierry
Griffet. « Il n'y a aucun secret dans ce recours. Simplement, le
Conseil d'État, qui a la charge d'ouvrir le contradictoire, n'a pendant un
certain temps identifié personne, avant que l'Ordre des avocats ne se manifeste
récemment. » En effet, le Conseil national des barreaux (CNB), cité
comme intervenant dans le rôle, a produit dans l'urgence un mémoire en défense.
Pour le trésorier de l'USM, cette participation tardive au débat explique que
le Conseil d'État ait préféré reporter l'audience, initialement prévue le 29
mai.
L’élargissement du
droit de copie en cause
Côté barreaux, on s'étonne de
ne pas avoir été mis au courant, mais on se satisfait d'avoir pu réagir à
temps. « Nous n'avions pas connaissance de ce recours. Je l'ai appris à
l'occasion d'une réunion de travail sur un tout autre sujet, assure
Philippe Baron du CNB. Nous avons quand même pu produire un mémoire dans
l'urgence. » C'est que pour les avocats, l'enjeu est important.
Le CNB a beaucoup œuvré pour essayer d'influencer la rédaction du décret en
question. Il se réjouissait d'ailleurs dans un communiqué, au lendemain de
la parution du texte, d'avoir obtenu des avancées importantes, notamment sur
l'accès aux dossiers des procédures pénales. Le décret instaure un
élargissement du droit de copie des dossiers, autorisant les avocats à les
réaliser eux-mêmes y compris dans les cas où une simple consultation est
prévue. « Nous n'avions pas l'impression que cette mesure pouvait
bloquer », se souvient Philippe Baron.
Mais pourquoi les
organisations de magistrats attaquent-elles ce décret ? « On ne
comprend pas trop, regrette Philippe Baron. Cela remet en cause
plusieurs années de discussion avec la chancellerie [alors que c’est] une
mesure qui nous semble aller dans le sens de l'égalité des armes ».
Les magistrats tiennent à
désamorcer. A l'heure de la dématérialisation, « il est nécessaire que
les modes de consultation des dossiers évoluent, estime Thierry Griffet. Mais
cela doit passer par la loi. » Le grief principal formulé par l’USM et
l’Afmi repose en fait davantage sur la forme que sur le fond. Au printemps
2022, les décrets d'application de la loi dite pour la confiance dans
l'institution judiciaire sont peu à peu publiés. Une méthode qui ne convient
pas à l'USM.
« La procédure pénale
ne relève pas du domaine réglementaire mais de la loi, précise le trésorier
du syndicat. Ce recours vise à dire stop aux décrets simples, qui ne sont
pas examinés préalablement par le Conseil d'État et auxquels nous ne sommes pas
assez associés. » Pour les organisations de magistrats, les mesures
attaquées sont trop importantes pour n'être édictées que par des décrets.
L’accord du juge d’instruction,
« symbolique » mais « important »
Si la forme dérange, quelques
points de fond posent tout de même problème. L'article 10 du décret qui modifie
les conditions de copie des dossiers évoquées précédemment, a par exemple « ému »
la profession. « Le décret envisage que les copies pourraient être
réalisées par l'avocat avant même que le juge d'instruction ne donne son
accord. Cet accord ne pose jamais problème, le juge ne le refuse pas, mais
c'est un symbole. Cet avis a priori est important », insiste
Thierry Griffet.
Le trésorier de l'USM met
également en garde contre le risque de fuite, sans toutefois « préjuger
de la sincérité des avocats ». Tout en rappelant que son organisation
n'est pas fermée à une évolution des modes de consultation, il appelle à
prendre le temps de mieux se concerter avant de passer par une loi. Renvoyée,
l'audience au Conseil d'État devrait se tenir dans les prochains mois, une fois
les positions du CNB examinées.
Louis
Faurent