JUSTICE

EXCLUSIF. Au Conseil d'État, les magistrats veulent faire tomber un décret de la loi Dupond-Moretti

EXCLUSIF. Au Conseil d'État, les magistrats veulent faire tomber un décret de la loi Dupond-Moretti
L'USM et l'Ajmi critiquent le contournement du véhicule législatif pour modifier la procédure pénale
Publié le 07/06/2024 à 15:25
Deux organisations de magistrats attaquent un décret d'application de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire. Elles ne s'estiment pas assez intégrées à la concertation et rappellent que l'évolution de la procédure pénale doit passer par la loi. Le Conseil national des barreaux entend intervenir dans les débats.

L'inscription au rôle du Conseil d'État de ce dossier a pu surprendre. Deux ans après sa publication le 13 avril 2022, le décret 2022-546 détaillant les contours d'application de la loi Dupond-Moretti de 2021 se retrouve devant la juridiction administrative. Deux organisations professionnelles sont à l'origine du recours : l'Union syndicale des magistrats (USM), syndicat majoritaire dans l'ordre judiciaire, et l'Association française des magistrats instructeurs (Afmi). En cause, pour les deux organisations : le contournement par décret de l'habituelle voie législative pour modifier la procédure pénale.

Le recours a été déposé en juin 2022, quelques semaines après la publication du décret ciblé, et les 9000 magistrats du pays en ont été informés d'après le trésorier de l'USM Thierry Griffet. « Il n'y a aucun secret dans ce recours. Simplement, le Conseil d'État, qui a la charge d'ouvrir le contradictoire, n'a pendant un certain temps identifié personne, avant que l'Ordre des avocats ne se manifeste récemment. » En effet, le Conseil national des barreaux (CNB), cité comme intervenant dans le rôle, a produit dans l'urgence un mémoire en défense. Pour le trésorier de l'USM, cette participation tardive au débat explique que le Conseil d'État ait préféré reporter l'audience, initialement prévue le 29 mai.

L’élargissement du droit de copie en cause

Côté barreaux, on s'étonne de ne pas avoir été mis au courant, mais on se satisfait d'avoir pu réagir à temps. « Nous n'avions pas connaissance de ce recours. Je l'ai appris à l'occasion d'une réunion de travail sur un tout autre sujet, assure Philippe Baron du CNB. Nous avons quand même pu produire un mémoire dans l'urgence. » C'est que pour les avocats, l'enjeu est important.

Le CNB a beaucoup œuvré pour essayer d'influencer la rédaction du décret en question. Il se réjouissait d'ailleurs dans un communiqué, au lendemain de la parution du texte, d'avoir obtenu des avancées importantes, notamment sur l'accès aux dossiers des procédures pénales. Le décret instaure un élargissement du droit de copie des dossiers, autorisant les avocats à les réaliser eux-mêmes y compris dans les cas où une simple consultation est prévue. « Nous n'avions pas l'impression que cette mesure pouvait bloquer », se souvient Philippe Baron.

Mais pourquoi les organisations de magistrats attaquent-elles ce décret ? « On ne comprend pas trop, regrette Philippe Baron. Cela remet en cause plusieurs années de discussion avec la chancellerie [alors que c’est] une mesure qui nous semble aller dans le sens de l'égalité des armes ».

Les magistrats tiennent à désamorcer. A l'heure de la dématérialisation, « il est nécessaire que les modes de consultation des dossiers évoluent, estime Thierry Griffet. Mais cela doit passer par la loi. » Le grief principal formulé par l’USM et l’Afmi repose en fait davantage sur la forme que sur le fond. Au printemps 2022, les décrets d'application de la loi dite pour la confiance dans l'institution judiciaire sont peu à peu publiés. Une méthode qui ne convient pas à l'USM.

« La procédure pénale ne relève pas du domaine réglementaire mais de la loi, précise le trésorier du syndicat. Ce recours vise à dire stop aux décrets simples, qui ne sont pas examinés préalablement par le Conseil d'État et auxquels nous ne sommes pas assez associés. » Pour les organisations de magistrats, les mesures attaquées sont trop importantes pour n'être édictées que par des décrets.

L’accord du juge d’instruction, « symbolique » mais « important »

Si la forme dérange, quelques points de fond posent tout de même problème. L'article 10 du décret qui modifie les conditions de copie des dossiers évoquées précédemment, a par exemple « ému » la profession. « Le décret envisage que les copies pourraient être réalisées par l'avocat avant même que le juge d'instruction ne donne son accord. Cet accord ne pose jamais problème, le juge ne le refuse pas, mais c'est un symbole. Cet avis a priori est important », insiste Thierry Griffet.

Le trésorier de l'USM met également en garde contre le risque de fuite, sans toutefois « préjuger de la sincérité des avocats ». Tout en rappelant que son organisation n'est pas fermée à une évolution des modes de consultation, il appelle à prendre le temps de mieux se concerter avant de passer par une loi. Renvoyée, l'audience au Conseil d'État devrait se tenir dans les prochains mois, une fois les positions du CNB examinées.

Louis Faurent

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