Ce lundi s’ouvrait, au palais
de justice de Paris, le procès du ministre de la Justice. « Une infamie »,
a fustigé Éric Dupond-Moretti, mais aussi « un grand soulagement »
de pouvoir s’expliquer. Représentant le ministère public, Rémy Heitz s’est lui
aussi félicité « de pouvoir enfin aborder publiquement le fond de ce dossier
». Résumé d’une première après-midi de procès dans un climat plutôt serein, à
quelques exceptions près.
« Monsieur
Dupond-Moretti, pouvez-vous décliner votre identité ? » « Monsieur
Éric Dupond-Moretti, né le 20 avril 1961 à Maubeuge. » Cette audience commence
comme n’importe quel procès banal. C’est pourtant une situation inédite qui se
déroule cet après-midi, puisque le procès d’Éric Dupond-Moretti – toujours
ministre de la Justice – pour prise illégale d’intérêt vient de s’ouvrir devant
la Cour de justice de la République (CJR), seule institution habilitée à juger
les ministres pour des actes commis au cours de leurs fonctions, ce lundi 6
novembre à 14h. Ce, sous l’œil attentif des députés Danièle Obono, Julien Bayou,
Bruno Bilde et Philippe Gosselin, la CJR étant composée de 15 juges, dont 6
députés et 6 sénateurs.
Après appel des 23 témoins
qui seront appelés à la barre jusqu’au 17 novembre – parmi lesquels l’ancienne
ministre de la Justice Nicole Belloubet, l’ancien procureur général près la
Cour de cassation François Molins, l’ancien Premier ministre Jean Castex, le
directeur des services judiciaires Paul Huber, et le Premier président de la cour
d’appel de Versailles Jean-François Beynel, chef de l’inspection générale de la
justice au moment des faits –, le président de l’audience Dominique Pauthe procède
à la lecture de l’arrêt de renvoi qui a saisi la Cour de justice de la
République, et se lance dans un rappel des faits extrêmement détaillé. Pendant
ce temps, Éric Dupond-Moretti, assis à une table bordée d’une nappe bleue,
écoute religieusement et prend des notes, lunettes sur le nez.
Le président de l’audience explique
ensuite le fonctionnement de celle-ci, faisant également le rappel de
l’article 68-1 de la Constitution, qui débute ainsi : « Les
membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans
l'exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils
ont été commis. » De quoi mettre d’emblée l’église au milieu du village.
« Vingt minutes après
ma nomination, on m’a déclaré la guerre »
À la suite de son discours de
plus de 75 minutes, Dominique Pauthe donne la parole à Éric Dupond-Moretti. Le
ministre commence son discours d’un air grave. « J’appartiens à la
génération qui utilisait l’expression désormais désuète d’“infamie”.
Pour moi et ma famille, ce procès est une infamie », pointe le prévenu.
« Mais c’est un grand soulagement aussi », explique celui qui
« attend sereinement de pouvoir [s]’expliquer ».
« Vingt minutes après
ma nomination, on m’a déclaré la guerre. J’ai été avocat 36 ans. Certains
avocats m’ont reproché de ne plus l’être, et certains magistrats de l’avoir été »,
fustige Éric Dupond-Moretti. Il poursuit : « Durant trois ans et
demi et jusqu’à ces dernières heures, on a piétiné la présomption d’innocence,
avec des carricatures, des approximations, des mensonges et des injures. On m’a
aussi prêté des intentions qui n’étaient pas les miennes. »

Eric Dupond-Moretti quitte la salle d'audience au terme de cette première journée de procès devant la Cour de justice de la République
Et durant ces trois ans et
demi, pour, dit-il, « ne pas que [son] ministère et [son]
administration ne soient éclaboussés », le garde des Sceaux assure
avoir été dans la retenue en ce qui concerne sa défense : « J’ai
accepté de me faire couvrir d’opprobre. » Éric Dupond-Moretti se lance
ensuite dans une anaphore : « J’entends me défendre dignement.
J’entends me défendre complètement. J’entends me défendre fermement. »
Ouvert, assure-t-il, à toute discussion, il affirme vouloir répondre à toutes
les questions.
« Une victoire :
celle de la vérité et de la justice »
Puis c’est au tour du ministère
public, représenté par Rémy Heitz, de prendre la parole. Celui qui a été nommé en
juillet dernier procureur général de la Cour de cassation décrit un « procès
porteur d’enjeux importants pour Éric Dupond-Moretti, mais aussi pour nos
institutions ». Il appuie également sur le caractère inédit de ce
procès : « Quand on est ministre, comparer dans un procès n’est
pas sans difficultés. Difficulté pour ceux qui vont le juger alors que leur
carrière tient en partie au ministre. Difficulté pour les juges parlementaires
qui découvrent cette fonction. »
Une difficulté également pour
Rémy Heitz, qui connait personnellement une grande partie des témoins appelés à
la barre durant les neuf jours de procès. « Nous devons mettre de côté
la connaissance de telle ou telle personne intervenant dans ce procès.
L’objectivité doit intervenir en amont de l’impartialité. » Comme Éric
Dupond-Moretti avant lui, il a pu se féliciter « de pouvoir enfin
aborder publiquement le fond de ce dossier ». Un dossier sur lequel
Rémy Heitz demande de se focaliser uniquement, car « le dossier est
plus que complet, aucune porte n’est restée ouverte ».
Un dossier complet, « simple
et complexe », assure Rémy Heitz. « Simple car dont les faits
ne durent qu’une saison de 2020. Complexe car il met en cause certaines
composantes de la République. Tout au long de l’instruction, nous avons assisté
à de faux débats », argue-t-il.
Le procureur général de la
Cour de cassation appuie également sur le caractère important de ce procès pour
double prise illégale d’intérêts : « Cette affaire est avant tout
grave. Elle met en cause la probité du garde des Sceaux. Grave car le
prévenu encourt une peine de cinq années d’emprisonnement [et 500 000
euros d’amende]. Elle n’a rien d’anecdotique. » Rémy Heitz termine son
discours par un souhait : « Il ne devra y avoir à l’issue du
procès qu’une victoire, celle de la vérité et de la justice. »
Jacqueline Laffont, avocate
du ministre, s’exprime la dernière lors de cette première après-midi de procès.
Elle se dit prise au dépourvu d’avoir à effectuer un discours aussi tôt dans la
procédure. « Ce n’est pas très coutumier. » Elle accuse Rémy
Heitz d’avoir prononcé un « pré-réquisitoire ». « Nous
souhaitons que [ce procès] se fonde sur les faits et sur le droits. Les choses
sont difficiles de chaque côté de la barre », plaide l’avocate,
dénonçant après, toujours à l’encontre de Rémy Heitz, « des mises en garde
parfaitement inutiles ». Elle conclut : « Vous allez avoir à
vous prononcer sur des faits sur des personnes que vous connaissez
parfaitement, particulièrement, intimement. » Le ton du procès est
donné. Il se terminera le 17 novembre.
Alexis
Duvauchelle