JUSTICE

Éric Dupond-Moretti à la barre pour son procès devant la Cour de justice de la République

Éric Dupond-Moretti à la barre pour son procès devant la Cour de justice de la République
Publié le 06/11/2023 à 17:44

Ce lundi s’ouvrait, au palais de justice de Paris, le procès du ministre de la Justice. « Une infamie », a fustigé Éric Dupond-Moretti, mais aussi « un grand soulagement » de pouvoir s’expliquer. Représentant le ministère public, Rémy Heitz s’est lui aussi félicité « de pouvoir enfin aborder publiquement le fond de ce dossier ». Résumé d’une première après-midi de procès dans un climat plutôt serein, à quelques exceptions près.

« Monsieur Dupond-Moretti, pouvez-vous décliner votre identité ? » « Monsieur Éric Dupond-Moretti, né le 20 avril 1961 à Maubeuge. » Cette audience commence comme n’importe quel procès banal. C’est pourtant une situation inédite qui se déroule cet après-midi, puisque le procès d’Éric Dupond-Moretti  toujours ministre de la Justice  pour prise illégale d’intérêt vient de s’ouvrir devant la Cour de justice de la République (CJR), seule institution habilitée à juger les ministres pour des actes commis au cours de leurs fonctions, ce lundi 6 novembre à 14h. Ce, sous l’œil attentif des députés Danièle Obono, Julien Bayou, Bruno Bilde et Philippe Gosselin, la CJR étant composée de 15 juges, dont 6 députés et 6 sénateurs.

Après appel des 23 témoins qui seront appelés à la barre jusqu’au 17 novembre – parmi lesquels l’ancienne ministre de la Justice Nicole Belloubet, l’ancien procureur général près la Cour de cassation François Molins, l’ancien Premier ministre Jean Castex, le directeur des services judiciaires Paul Huber, et le Premier président de la cour d’appel de Versailles Jean-François Beynel, chef de l’inspection générale de la justice au moment des faits –, le président de l’audience Dominique Pauthe procède à la lecture de l’arrêt de renvoi qui a saisi la Cour de justice de la République, et se lance dans un rappel des faits extrêmement détaillé. Pendant ce temps, Éric Dupond-Moretti, assis à une table bordée d’une nappe bleue, écoute religieusement et prend des notes, lunettes sur le nez.

Le président de l’audience explique ensuite le fonctionnement de celle-ci, faisant également le rappel de l’article 68-1 de la Constitution, qui débute ainsi : « Les membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis. » De quoi mettre d’emblée l’église au milieu du village.

« Vingt minutes après ma nomination, on m’a déclaré la guerre »

À la suite de son discours de plus de 75 minutes, Dominique Pauthe donne la parole à Éric Dupond-Moretti. Le ministre commence son discours d’un air grave. « J’appartiens à la génération qui utilisait l’expression désormais désuète d’infamie. Pour moi et ma famille, ce procès est une infamie », pointe le prévenu. « Mais c’est un grand soulagement aussi », explique celui qui « attend sereinement de pouvoir [s]’expliquer ».

« Vingt minutes après ma nomination, on m’a déclaré la guerre. J’ai été avocat 36 ans. Certains avocats m’ont reproché de ne plus l’être, et certains magistrats de l’avoir été », fustige Éric Dupond-Moretti. Il poursuit : « Durant trois ans et demi et jusqu’à ces dernières heures, on a piétiné la présomption d’innocence, avec des carricatures, des approximations, des mensonges et des injures. On m’a aussi prêté des intentions qui n’étaient pas les miennes. »

Eric Dupond-Moretti quitte la salle d'audience au terme de cette première journée de procès devant la Cour de justice de la République

Et durant ces trois ans et demi, pour, dit-il, « ne pas que [son] ministère et [son] administration ne soient éclaboussés », le garde des Sceaux assure avoir été dans la retenue en ce qui concerne sa défense : « J’ai accepté de me faire couvrir d’opprobre. » Éric Dupond-Moretti se lance ensuite dans une anaphore : « J’entends me défendre dignement. J’entends me défendre complètement. J’entends me défendre fermement. » Ouvert, assure-t-il, à toute discussion, il affirme vouloir répondre à toutes les questions.

« Une victoire : celle de la vérité et de la justice »

Puis c’est au tour du ministère public, représenté par Rémy Heitz, de prendre la parole. Celui qui a été nommé en juillet dernier procureur général de la Cour de cassation décrit un « procès porteur d’enjeux importants pour Éric Dupond-Moretti, mais aussi pour nos institutions ». Il appuie également sur le caractère inédit de ce procès : « Quand on est ministre, comparer dans un procès n’est pas sans difficultés. Difficulté pour ceux qui vont le juger alors que leur carrière tient en partie au ministre. Difficulté pour les juges parlementaires qui découvrent cette fonction. »

Une difficulté également pour Rémy Heitz, qui connait personnellement une grande partie des témoins appelés à la barre durant les neuf jours de procès. « Nous devons mettre de côté la connaissance de telle ou telle personne intervenant dans ce procès. L’objectivité doit intervenir en amont de l’impartialité. » Comme Éric Dupond-Moretti avant lui, il a pu se féliciter « de pouvoir enfin aborder publiquement le fond de ce dossier ». Un dossier sur lequel Rémy Heitz demande de se focaliser uniquement, car « le dossier est plus que complet, aucune porte n’est restée ouverte ».

Un dossier complet, « simple et complexe », assure Rémy Heitz. « Simple car dont les faits ne durent qu’une saison de 2020. Complexe car il met en cause certaines composantes de la République. Tout au long de l’instruction, nous avons assisté à de faux débats », argue-t-il.

Le procureur général de la Cour de cassation appuie également sur le caractère important de ce procès pour double prise illégale d’intérêts : « Cette affaire est avant tout grave. Elle met en cause la probité du garde des Sceaux. Grave car le prévenu encourt une peine de cinq années d’emprisonnement [et 500 000 euros d’amende]. Elle n’a rien d’anecdotique. » Rémy Heitz termine son discours par un souhait : « Il ne devra y avoir à l’issue du procès qu’une victoire, celle de la vérité et de la justice. »

Jacqueline Laffont, avocate du ministre, s’exprime la dernière lors de cette première après-midi de procès. Elle se dit prise au dépourvu d’avoir à effectuer un discours aussi tôt dans la procédure. « Ce n’est pas très coutumier. » Elle accuse Rémy Heitz d’avoir prononcé un « pré-réquisitoire ». « Nous souhaitons que [ce procès] se fonde sur les faits et sur le droits. Les choses sont difficiles de chaque côté de la barre », plaide l’avocate, dénonçant après, toujours à l’encontre de Rémy Heitz, « des mises en garde parfaitement inutiles ». Elle conclut : « Vous allez avoir à vous prononcer sur des faits sur des personnes que vous connaissez parfaitement, particulièrement, intimement. » Le ton du procès est donné. Il se terminera le 17 novembre.

Alexis Duvauchelle

2 commentaires
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Alain MARTIN
- il y a 2 ans
ce procès est bien une honte pour nos institutions
F de L avocat honoraire
- il y a 2 ans
Ce procès inédit qui s'ouvre a une odeur de souffre. Il souligne combien cette incrimination de prise illégale d'intérêts peut être mise à toutes les sauces et couvrir toutes les avanies, les rancunes, les détestations...Mais en définitive, c'est un peu "clochemardesque" de constater que le reproche qui sert de prétexte à ce banal règlement de compte est d'avoir poursuivi une enquête ouverte par un autre et qui ne fait pas grief puisqu'elle n'a pas abouti, sans conséquence pour quiconque ... si ce n'est celui qui en est formellement l'auteur. Quelle inconséquence et quelle honte pour nos institutions.

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