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États d’urgence : comment les pouvoirs publics s’y adaptent-ils ?

États d’urgence : comment les pouvoirs publics s’y adaptent-ils ?
Publié le 19/03/2021 à 16:01

Depuis 2015, l’état d’urgence est entré dans le quotidien des Français. La troisième conférence du cycle sur les états d’urgence, organisée par le Conseil d’État  le 3 mars dernier, a choisi de donner la parole à trois responsables publics. Comment ces derniers s’adaptent et gèrent les crises au quotidien ? Comment améliorer le droit de l’état d’urgence et l’adapter en fonction des différents risques ? De quelle manière veiller à l’acceptabilité des mesures prises par les citoyens ? Mais aussi, comment préparer un retour progressif à la normale ? Compte rendu.




À cause des menaces terroristes et plus récemment avec la crise sanitaire, les administrations locales et nationales sont, depuis plusieurs années, sous tension pour assurer la sécurité du pays. Des pouvoirs exceptionnels leur ont été confiés pour répondre à l’urgence et mettre en œuvre les mesures nécessaires.

Lors de cette troisième conférence sur les états d’urgence, trois responsables publics ont, grâce à leur expérience, apporté leurs témoignages sur les conséquences de la crise sur les administrations publiques.

Jean-Denis Combrexelle, président de section au Conseil d’État et ancien président de la section du contentieux du Conseil d’État, a animé le webinaire qui a réuni Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) depuis le 13 novembre 2013, le Général Richard Lizurey, directeur général de la Gendarmerie nationale de 2016 à 2019, et Anne Hidalgo, maire de Paris depuis 2014 et première vice-présidente de la métropole du Grand Paris depuis 2016.

 


L’ÉTAT D’URGENCE VÉCU PAR L’AP-HP

Martin Hirsch est revenu sur l’expérience de la crise sanitaire à l’AP-HP, mais aussi sur l’organisation des hôpitaux face aux situations d’urgence.

Pour que ses auditeurs se rendent compte à quel point la situation était tendue en début de crise, le directeur général de l’AP-HP a d’abord rappelé qu’en temps normal, le nombre de lits de réanimation à lAP-HP est denviron 400, soit la moitié de ce que compte l’Île-de-France. Or, au début de la crise de la Covid-19, l’établissement a connu des périodes avec 330 entrées en réanimation par jour. Début avril, quotidiennement, il y avait encore plus de 250 entrées en réanimation… Il a bien évidemment fallu augmenter le nombre de lits de réanimation.

Cela a été fait en des délais extrêmement réduits, ce qui est inimaginable d’ordinaire. Ainsi, un bâtiment de soins critiques (à l’hôpital Henri-Mondor), avec une capacité de 82 lits de réanimation dont l’ouverture était prévue en septembre 2020, a ouvert précipitamment le 8 avril. Les équipes ont pu obtenir des visites de sécurité incendie et de conformité en quelques jours, alors qu’habituellement, il faut plusieurs mois.

En l’espace de deux à trois semaines, a également rappelé Martin Hirsch, 5 000 personnels sur 100 000 ont été contaminés par la Covid, ce qui se traduit par de nouvelles réanimation ou des absences  pendant au moins une semaine.

En outre, à cette période, la consommation de certains types d’équipements ou de médicaments (masques et curare) a été multipliée par 20?ou 30. Parfois en trois jours seulement, les équipes consommaient un mois de stock ! L’AP-HP a donc connu des pénuries très graves de matériel.

« À partir de là, il est évident que toutes les procédures classiques sont vouées à l’échec » a certifié Martin Hirsch.

L’AP-HP a dû s’organiser en conséquence en mettant en place des chaînes de commandement efficaces, différentes de celles qui existent normalement.

 


De nouvelles chaînes de commandement

La direction a mis en place, dans chaque site, un poste de directeur médical de crise – qui n’existe pas dans le Code de la santé publique, mais qui est en filigrane dans les textes sur les Plans blancs – auquel a été conféré un certain nombre de responsabilités afin que la mobilisation puisse s’effectuer rapidement.

Ce poste est nécessaire, par exemple, lorsqu’il faut fermer des blocs, réorienter des personnels et, plus généralement, quand il s’agit de prendre des décisions médicales et organisationnelles.

Dans des situations d’urgence comme celles-ci, il faut aussi être capable de faire de la proximité sur l’ensemble de l’établissement, a ajouté Martin Hirsch. Notamment de faire en sorte que quasiment toutes les informations soient partagées par les 100 000 personnes de l’AP-HP, via des messages quotidiens, des canaux d’information particuliers, des cellules de crise très élargies, etc.

Au plus fort de la crise, afin d’avoir une chance de s’en sortir, il faut également savoir s’affranchir de nombreuses habitudes.

 

Remise en cause de nombreux points

Il y a d’abord la question financi ère. « Si la première préoccupation est de respecter le budget, on a tout faux. Il faut s’en échapper complètement » a affirmé le directeur de l’AP-HP.

Il faut aussi s’écarter des règles du marché qui ne s’appliquent plus vraiment en temps de crise. Par exemple, au début de l’épidémie, il manquait des millions de masques. Il a fallu en accepter des milliers provenant de Chine ou d’ailleurs. Les questions de mise en concurrence ne se sont pas posées. L’état d’urgence ne signifie cependant pas « un état de jungle » a nuancé Martin Hirsch.

En temps de crise, a-t-il continué, le respect de toutes les règles sociales ne vaut plus. Il est par exemple impossible de respecter les horaires de travail, les congés, les affectations, les repos : « on rentre dans un régime d’exception ».

Cependant, on ne passe pas du jour au lendemain à toute une série de règles, d’articles, de négociations établis au fil des années à un moment où l’on s’affranchit totalement de ces normes sociales. C’est pourquoi, durant cette période, les dialogues avec les syndicats ont été renforcés… La direction de l’AP-HP n’est pas allée au-delà de certaines limites.

Un autre aspect majeur concerne les normes de qualité et de sécurité. Dans une situation d’urgence, on peut tomber dans deux écueils : penser qu’on peut entièrement s’en affranchir ou au contraire imaginer qu’on peut les appliquer comme d’habitude.

En réalité, il faut continuer à demander les autorisations requises, mais il faut réduire les délais qui ne sont plus du tout adaptés.

Un exemple : les essais cliniques. Au plus fort de la crise, l’AP-HP n’a pas cessé de demander l’avis du Comité de protection des personnes, ce qui est normalement obligatoire. Mais alors que d’habitude il faut des mois pour l’obtenir, en mars et avril 2020, les membres du Comité se réunissaient le dimanche qui suivait la saisine du jeudi !

Autre illustration : l’usage des données personnelles. « Si on les restreint, on ne sait pas gérer la crise », a assuré le directeur de l’AP-HP, mais il ne faut pas non plus en faire n’importe quoi.

Sur cette question, selon lui, le dialogue avec la CNIL a été bien mené. L’AP-HP a en effet pu obtenir des dérogations, mais cela a été fait « dans des conditions dans lesquelles ont été inventés d’autres modes de garanties ».

Dernier point relevé par Martin Hirsch, l’état d’urgence justifie qu’on soit capable de s’adapter aux différents territoires en France. Or « cela n’est pas toujours prévu dans les textes sur l’état d’urgence » a-t-il pointé.

Quoi qu’il en soit, pour le directeur de l’AP-HP, s’il est essentiel de savoir gérer une crise quand elle est là, il est encore plus essentiel de l’anticiper.

 

« Bien gérer la crise, c’est s’y préparer »

Lors d’une crise, il est essentiel de pouvoir mobiliser un certain nombre d’individus qui ne sont pas mobilisés habituellement. Au printemps 2020, les hôpitaux ont puisé dans des réserves sanitaires, dans des réserves extraterritoriales. Ces réserves ont permis de sauver des vies, mais « cela a été fait dans de très mauvaises conditions » a dénoncé Martin Hirsch.

On pourrait par conséquent prévoir que dès lors qu’un professionnel de santé a son diplôme, il puisse être réquisitionnable (dans certaines conditions) même après son départ en retraite, en cas de crise, a suggéré le haut fonctionnaire.

Cela permettrait, à l’avenir, de faire appel beaucoup plus rapidement et massivement à une réserve beaucoup plus large, a-t-il précisé.

Celle-ci concerne aussi la transformation des outils de production en France. En effet, outre la mise en place de stocks, on doit être apte à reconvertir rapidement des appareils de production – ou imposer la conversion d’appareils de production – pour la fabrication de produits aussi simples que les blouses de protection, qui ont cruellement manqué aux personnels de l’AP-HP au début de la crise.

« L’urgence se prépare. Ça ne veut pas dire qu’on peut tout prévoir, mais on sait désormais quels sont les éléments essentiels en termes de ressources humaines, en termes de logistique, en termes de capacité de production » a assuré Martin Hirsch.

En ce sens, « la loi de préparation de l’état d’urgence me semble aussi importante que la loi de l’état d’urgence une fois qu’on est dedans » a-t-il conclu.


 

UNE CRISE INÉDITE

Le général Richard Lizurey a ensuite insisté sur les caractéristiques de cette crise sanitaire par r apport aux autres crises que le pays a connues, et la manière dont les pouvoirs publics s’y sont adaptés. L’homme sait de quoi il parle, puisque lors du premier confinement, le cabinet du Premier ministre l’a chargé d’une mission « un peu particulière » : avoir un œil extérieur sur l’organisation de l’état d’urgence, au niveau central comme au niveau local.

En préambule de son intervention, l’ancien DG de la Gendarmerie nationale a rappelé qu’il existait une diversité d’états d’urgence. Cette diversité a un impact sur les organisations administratives. Les états d’urgence de 2005 (crise des banlieues), 2015 (attentats terroristes) et de 2020 (crise sanitaire) ont eu des conséquences très différentes sur la gendarmerie, par exemple. Dans les trois cas, il y a eu des couvre-feu, mais ces derniers n’avaient pas le même objectif.

Lors de la crise des banlieues, la gendarmerie a dû intervenir de manière ponctuelle, dans des zones géographiques délimitées, ce qui n’est pas le cas des deux autres états d’urgence. En 2015 et 2020, il fallait agir sur tout le territoire, et pendant plusieurs mois, voire années, car les risques d’attentats et l’épidémie de la Covid-19 ne sont pas encore écartés.

L’état d’urgence de 2015, a quant à lui, conduit à des réponses judiciaires et juridiques (perquisitions, assignations à résidence…). Il a fallu former le personnel, informer les équipes en local.

Concernant la Covid-19, on pourrait se demander, à juste titre, quel est le rapport entre les forces de l’ordre et la situation sanitaire.

Ce rapport réside dans le fait qu’il revient aux gendarmes et aux policiers d’assurer, quotidiennement, le respect des mesures de sécurité sanitaire sur tout le territoire, a précisé Richard Lizurey.

Ce qui est loin d’être évident, du fait même de la nature de cette crise. La crise sanitaire est assurément singulière, car la population est à la fois l’objet de la protection des forces de l’ordre et en même temps une menace, car ce sont les individus eux-mêmes qui transmettent le virus.

D’où la difficulté à prendre des décisions, du fait que celles-ci soient vécues comme des contraintes par certaines personnes alors que ces mesures visent assurément à sécuriser les citoyens dans leur ensemble.

 

Trois facteurs de complexité

Les pouvoirs publics ont en tout cas été « pris dans une telle vague » que ce qui a été préparé en amont n’a pas pu être mis en œuvre, a rapporté l’ancien directeur général de la Gendarmerie nationale.

Ceux-ci ont en outre été confrontés à trois facteurs de complexité.

Le premier d’entre eux s’apparente au fameux « brouillard de guerre » évoqué par le général prussien Carl von Clausewitz au 19e siècle. Plus précisément, il s’agit du climat d’incertitude et du flou des informations dans lesquels nous sommes plongés. « Depuis le début, on n’a aucune certitude dans aucun domaine », a reconnu Richard Lizurey. Par conséquent, les décisions qu’on peut prendre à un instant T peuvent être contredites dès le lendemain.

Ce flou engendre également une ambiguïté quant au rôle de l’expertise scientifique et médicale. Quelle est la marge de manœuvre de l’autorité politique par rapport à l’avis des scientifiques ? « En fait, elle n’en a pas, a affirmé Richard Lizurey, elle est obligée de les suivre, car sinon elle sera ensuite accusée par les médias – qui malheureusement amplifient la situation. »

Dans cette crise, a-t-il insisté, les déterminants de la décision sont donc exclusivement sanitaires.

Le deuxième facteur de complexité auquel se sont confrontés les pouvoirs publics renvoie au confinement et à la quasi généralisation du télétravail qui a fortement affecté l’économie, mais aussi l’administration. Peu habitués à travailler de chez eux, les actifs n’avaient pas forcément le matériel, a expliqué le général.

Le confinement a été malheureusement aussi l’occasion d’une recrudescence de violences intrafamiliales, ce qui a engendré plus de travail pour les forces de l’ordre. « Une partie de la délinquance a augmenté alors que la délinquance des voies publiques a diminué »

a rappelé Richard Lizurey.

Heureusement, durant cette période, l’administration, y compris la gendarmerie, a su s’adapter et aménager des dispositifs, comme la prise de plaintes à distance.

Le troisième facteur de complexité a trait à la gestion multisites de la crise.

Quand une crise se déclare, c’est normalement la cellule interministérielle de crise (CIC) à Beauvau qui est chargée de réunir la totalité des ministères pour analyser la situation, décider et anticiper l’avenir.

Cela n’a pas été le cas pour la crise sanitaire : une multitude de cellules de crise et de centres de décision ont été installés progressivement, et c’est seulement le 16 et 17 mars que la CIC a été activée.

Or, selon le général Lizurey, quand les acteurs et les centres de décision sont multiples, cela peut engendrer des problèmes dans le partage des informations (saturation ou manque d’information).

Le cabinet du Premier ministre a eu du mal à synthétiser l’action de toutes ces cellules. « On a alors mélangé le niveau stratégique avec le niveau de conduite » a reconnu Richard Lizurey, ce qui a conduit à une centralisation excessive des décisions.

Cette centralisation a dévitalisé le niveau local.

« À titre personnel, autant je pense qu’il peut y avoir une intelligence de conception en central, autant l’intelligence de situation est locale » a soutenu l’ancien directeur général de la gendarmerie nationale.

Dans le plan pandémie qui était prévu, a précisé Richard Lizurey, le préfet est normalement le chef de file et le système de santé doit s’intégrer dans ce système préfectoral. Or, cela n’a pas été respecté.

« Cette asymétrie du centre de gravité mérite d’être expertisée pour que justement on puisse dans l’avenir bien préciser les rôles de chacun » a préconisé le général.

 

Le rôle des forces de l’ordre

En période d’état d’urgence, les forces de l’ordre sont placées dans une position assez ambivalente : elles protègent, contrôlent, mais aussi répriment.

Dans le cas de la crise sanitaire, policiers et gendarmes ont été assignés à un rôle de répression. Or, pour Richard Lizurey, « les forces de l’ordre sont là aussi pour protéger, elles sont là au service de leurs concitoyens. Si on les cantonne dans un rôle de répression, à un moment donné on crée les conditions d’une confrontation. »

Celui-ci a en outre précisé que certains policiers et gendarmes vivent parfois très mal les contrôles qu’on leur demande de faire de manière tatillonne. « Peut-être qu’un peu de souplesse ne nuirait pas à la manœuvre », a suggéré l’ancien patron de la Gendarmerie nationale.

Pour finir sur une touche plus positive, ce dernier a salué l’efficacité du plan de déconfinement mis en place en seulement un mois – en avril 2020 – par un « groupe commando » dirigé par Jean Castex, actuellement Premier ministre. « Il y a eu une centaine de réunions interministérielles, un travail acharné pour rendre cela possible » a-t-il conclu.


 

IMPACT DE LA CRISE SANITAIRE SUR NOTRE DÉMOCRATIE

Anne Hidalgo, maire de la capitale depuis 2014, a ensuite fait part de son expérience sur les états d’urgence terroriste et sanitaire, et mis en exergue les conséquences de la crise sanitaire sur le fonctionnement de notre démocratie.

 

Le rôle essentiel de l’information

Comme le général Lizurey, la maire de Paris a rappelé que les crises auxquelles nous sommes confrontés depuis quelques années ne sont pas de même nature. Elles ne supposent donc pas les mêmes outils ni les mêmes formes de commandement.

Alors que la crise des attentats exige une gestion stricte du secret, du fait des enquêtes qui sont faites, dans une crise sanitaire, ce qui compte, c’est justement le partage de l’information. « La question n’est pas de protéger une information qui ne devrait pas être diffusée, mais au contraire de diffuser fortement l’information pour permettre que tout le monde ait à peu près le même niveau d’information » a-t- elle expliqué.

Évoquant un entretien en début de crise avec le professeur Piarroux, la maire de Paris a rapporté que ce dernier lui avait déclaré que la gestion des fake news faisait également partie de la gestion de crise. D’où la nécessité de pouvoir s’appuyer sur des informations scientifiques fiables, pour ensuite prendre des décisions au niveau central.

« Ce n’est pas aux échelons locaux de décider de quelle stratégie de vaccination ou même quel type de médicament ou ce qu’il faut faire à l’hôpital » a précisé l’élue. Il faut cependant que toutes ces informations soient immédiatement partagées. 

Si l’information doit être partagée, « elle doit aussi être adaptée selon les différents cas ». Tous les territoires, et toutes les catégories sociales ne sont en effet pas concernés de la même manière.

Au début de la crise par exemple, les plus touchés par la Covid-19 étaient les hommes CSP +, car ils étaient ceux qui avaient le plus d’interactions sociales. Mais dès que le télétravail a été mis en place, ils n’ont plus été malades.

En parallèle, une autre frange de la population était plus particulièrement contaminée : des hommes également, mais plus précaires et vivant dans de petits logements sur-occupés.

« Cette population contrairement aux CSP + n’a pas connu une amélioration de sa situation », a signalé la maire de Paris.

Bref, selon l’élue, pour gérer une crise sanitaire, il convient avant tout de « quadriller le territoire et d’aller sur le terrain » pour se rendre compte du vécu des citoyens.

 

Mise à mal de notre démocratie

Pour la maire de Paris, le plus inquiétant dans cette gestion de crise, c’est que le gouvernement a mis en place un état d’urgence, un régime d’exception, qu’il convient certes d’instaurer en cas de guerre ou de lutte contre le terrorisme, mais qui n’est pas approprié en cas de crise sanitaire. « La gestion de la crise à partir d’un Conseil de défense ne correspond pas à la nature de la crise que nous vivons » a-t-elle soutenu.

 

Un régime d’exception contestable

Le 23 mars 2020, le Parlement a en effet adopté une loi comprenant trois objets :

report des élections municipales ;

• instauration d’un régime d’urgence sanitaire ;habilitation du gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance.

Pour la maire de Paris, ce régime d’exception pose des problèmes liés à l’état de droit et au strict respect des libertés publiques. La plupart des pays qui luttent aussi contre la Covid n’ont en effet pas adopté de dispositions dexception.

Concernant le report des élections plus précisément, on doit, selon elle, s’interroger sur la légitimité d’une telle mesure.

Le recours à l’exception ne doit en tout cas pas s’inscrire dans la durée. « Quand l’exception devient la règle, la démocratie se fragilise et est en danger » a mis en garde Anne Hidalgo.

Lors de son intervention, l’élue a aussi dénoncé le cadre juridique très flou de cet état d’urgence.

En même temps, le caractère parfois intransigeant de la doctrine mise en avant l’a parfois agacée.

Ayant constaté un nombre de décès important dans les Ephad, l’élue a pensé que pour protéger les personnes âgées, il était nécessaire de tester tout le personnel, les symptomatiques comme les asymptomatiques. Or, on lui a expliqué que la doctrine prévoyait de ne tester que les symptomatiques. Une position incompréhensible, selon elle, car à l’époque, on savait déjà que les asymptomatiques pouvaient transmettre le virus… La maire de Paris a préféré enfreindre la doctrine sur ce point-là.

À l’échelle territoriale heureusement, l’élue a pu expérimenter un dialogue extrêmement fécond entre les divers représentants de l’État, le préfet de police, de région, l’ARS, et l’AP-HP.

 

De l’importance des contre-pouvoirs

Pour Anne Hidalgo, dans une démocratie, en cas de régime d’exception qui dure, le rôle des contre-pouvoirs est essentiel.

Certes, il faut des directives et une chaîne de commandement précises, mais il faut aussi respecter la part de responsabilité de chacun.

Il est en outre indispensable que subsistent des lieux où l’on puisse questionner l’autorité politique et ses prises de décisions sanitaires, mais aussi celles qui touchent à l’état de droit. Ces lieux, c’est d’abord le Parlement, a précisé la maire de Paris.

En début de crise, celui-ci a été saisi en extrême urgence. Ont été mises en place deux missions parlementaires : une mission d’information à l’Assemblée nationale, et une mission de suivi au Sénat. « La mission sénatoriale s’est donné de réelles libertés dans la conduite de ses investigations » a reconnu Anne Hidalgo.

Le rôle du Parlement dans son rôle de contre-pouvoir – ou plutôt d’évaluation – doit toujours être encouragé.

 

La démocratie confinée

Pour la maire de Paris, le confinement de notre économie a eu pour conséquence le confinement de notre démocratie.

Cette remarque renvoie, encore une fois, au report du 2e tour des élections municipales. Pour l’élue, il est en effet contradictoire de laisser les gens prendre le métro, aller dans les supermarchés, mais de leur interdire d’aller voter. Celle-ci a d’ailleurs rappelé que dans des pays comme le Portugal et des régions comme la Catalogne, les élections ont été maintenues dans le respect des consignes sanitaires.

Il est donc urgent aujourd’hui de « déconfiner la démocratie » a insisté Anne Hidalgo.

Pour finir, quels sont les enseignements que l’on peut tirer de cette crise ?

Pour la maire de Paris, cette crise indique « qu’on est arrivé au bout d’un système centralisé et jacobin comme le nôtre ». Cette centralisation nous rend, à son avis, beaucoup plus vulnérables.

Le pouvoir central doit garder la prérogative de la décision dans le domaine sanitaire, mais il doit aussi considérer les élus locaux, les maires dans le rôle qui doit être le leur.

Cette crise indique également qu’il est temps d’améliorer la réponse logistique « dans une complémentarité et une association parfaite dans ce qu’on appelle le couple maire-préfet »

a préconisé la maire de Paris.

La coopération des divers échelons entre eux permettrait en effet, selon elle, d’apporter des réponses « plus agiles » à la situation, et donc de retrouver la confiance des concitoyens, dans un pays où la crise sanitaire s’accompagne, hélas, d’une crise démocratique.


Maria-Angélica Bailly

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