Depuis
2015, l’état d’urgence est entré dans le quotidien des Français. La troisième
conférence du cycle sur les états d’urgence, organisée par le Conseil d’État le 3 mars dernier, a choisi de donner la
parole à trois responsables publics. Comment ces derniers s’adaptent et gèrent
les crises au quotidien ? Comment améliorer le droit de l’état d’urgence
et l’adapter en fonction des différents risques ? De quelle manière
veiller à l’acceptabilité des mesures prises par les citoyens ? Mais
aussi, comment préparer un retour progressif à la normale ? Compte rendu.
À cause des menaces terroristes et plus récemment avec la crise sanitaire, les
administrations locales et nationales sont, depuis plusieurs années, sous
tension pour assurer la sécurité du pays. Des pouvoirs exceptionnels leur ont
été confiés pour répondre à l’urgence et mettre en œuvre les mesures nécessaires.
Lors de cette troisième conférence sur les états d’urgence, trois
responsables publics ont, grâce à leur expérience, apporté leurs témoignages
sur les conséquences de la crise sur les administrations publiques.
Jean-Denis Combrexelle, président de section au Conseil d’État et ancien
président de la section du contentieux du Conseil d’État, a animé le webinaire
qui a réuni Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance
publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) depuis le 13 novembre
2013, le Général Richard Lizurey, directeur général de la Gendarmerie nationale
de 2016 à 2019, et Anne Hidalgo, maire de Paris depuis 2014 et première vice-présidente de la métropole du Grand Paris depuis 2016.
L’ÉTAT
D’URGENCE VÉCU
PAR L’AP-HP
Martin Hirsch est revenu sur l’expérience de la crise sanitaire à l’AP-HP,
mais aussi sur l’organisation des hôpitaux face aux situations d’urgence.
Pour que ses auditeurs se rendent compte à quel point la situation était
tendue en début de crise, le directeur général de l’AP-HP a d’abord rappelé
qu’en temps normal, le nombre de lits de réanimation à l’AP-HP
est d’environ 400, soit la moitié de ce que compte l’Île-de-France. Or,
au début de la crise de la Covid-19, l’établissement a connu des périodes avec
330 entrées en réanimation par jour. Début avril, quotidiennement, il y avait
encore plus de 250 entrées en réanimation… Il a bien évidemment fallu augmenter le
nombre de lits de réanimation.
Cela a été fait en des délais extrêmement réduits, ce qui
est inimaginable d’ordinaire. Ainsi, un bâtiment de soins critiques (à
l’hôpital Henri-Mondor), avec une capacité de 82 lits de réanimation dont
l’ouverture était prévue en septembre 2020, a ouvert précipitamment le 8 avril.
Les équipes ont pu obtenir des visites de sécurité incendie et de conformité en
quelques jours, alors qu’habituellement, il faut plusieurs mois.
En l’espace de deux à trois semaines, a également rappelé
Martin Hirsch, 5 000 personnels sur 100 000 ont été contaminés par la Covid, ce
qui se traduit par de nouvelles réanimation ou des absences pendant au moins une semaine.
En outre, à cette période, la consommation de certains
types d’équipements ou de médicaments (masques et curare) a été multipliée par
20?ou 30. Parfois en trois jours seulement, les équipes consommaient un mois de
stock ! L’AP-HP a donc connu des pénuries très graves de matériel.
« À partir de là, il
est évident que toutes les procédures classiques sont vouées à l’échec » a
certifié Martin Hirsch.
L’AP-HP a dû s’organiser en conséquence en mettant en place
des chaînes de commandement efficaces, différentes de celles qui existent normalement.
De nouvelles chaînes de
commandement
La direction a mis en place, dans chaque site, un poste de directeur
médical de crise – qui n’existe pas dans le Code de la santé publique, mais qui
est en filigrane dans les textes sur les Plans blancs – auquel a été conféré un
certain nombre de responsabilités afin que la mobilisation puisse
s’effectuer rapidement.
Ce poste est nécessaire, par exemple, lorsqu’il faut fermer des blocs, réorienter
des personnels et, plus généralement, quand il s’agit de prendre des décisions
médicales et organisationnelles.
Dans des situations d’urgence comme celles-ci, il faut aussi être capable
de faire de la proximité sur l’ensemble de l’établissement, a ajouté Martin
Hirsch. Notamment de faire en sorte que quasiment toutes les informations
soient partagées par les 100 000 personnes de l’AP-HP, via
des messages quotidiens, des canaux d’information particuliers, des cellules de
crise très élargies, etc.
Au plus fort de la crise, afin d’avoir une chance de s’en sortir, il faut
également savoir s’affranchir de nombreuses habitudes.
Remise en cause de nombreux
points
Il y a d’abord la question financi ère. « Si la première préoccupation
est de respecter le budget, on a tout faux. Il faut s’en échapper complètement
» a affirmé le directeur de l’AP-HP.
Il faut aussi s’écarter des règles du marché qui ne
s’appliquent plus vraiment en temps de crise. Par exemple, au début de
l’épidémie, il manquait des millions de masques. Il a fallu en accepter des
milliers provenant de Chine ou d’ailleurs. Les questions de mise en concurrence
ne se sont pas posées. L’état d’urgence ne signifie cependant pas « un état de jungle » a nuancé Martin
Hirsch.
En temps de crise, a-t-il continué, le respect de toutes
les règles sociales ne vaut plus. Il est par exemple impossible de respecter
les horaires de travail, les congés, les affectations, les repos : « on rentre dans un régime d’exception ».
Cependant, on ne passe pas du jour au lendemain à toute une
série de règles, d’articles, de négociations établis au fil des années à un
moment où l’on s’affranchit totalement de ces normes sociales. C’est pourquoi,
durant cette période, les dialogues avec les syndicats ont été renforcés… La
direction de l’AP-HP n’est pas allée au-delà de certaines limites.
Un autre aspect majeur concerne les normes de qualité et de
sécurité. Dans une situation d’urgence, on peut tomber dans deux écueils :
penser qu’on peut entièrement s’en affranchir ou au contraire imaginer qu’on
peut les appliquer comme d’habitude.
En réalité, il faut continuer à demander les autorisations
requises, mais il faut réduire les délais qui ne sont plus du tout adaptés.
Un exemple : les essais cliniques. Au plus fort de la
crise, l’AP-HP n’a pas cessé de demander l’avis du Comité de protection des
personnes, ce qui est normalement obligatoire. Mais alors que d’habitude il
faut des mois pour l’obtenir, en mars et avril 2020, les membres du Comité se
réunissaient le dimanche qui suivait la saisine du jeudi !
Autre illustration : l’usage des données personnelles. « Si on les restreint, on ne sait pas gérer la
crise », a assuré le directeur de l’AP-HP, mais il ne faut pas non plus en
faire n’importe quoi.
Sur cette question, selon lui, le dialogue avec la CNIL a
été bien mené. L’AP-HP a en effet pu obtenir des dérogations, mais cela a été
fait « dans des conditions dans
lesquelles ont été inventés d’autres modes de garanties ».
Dernier point relevé par Martin Hirsch, l’état d’urgence
justifie qu’on soit capable de s’adapter aux différents territoires en France.
Or « cela n’est pas toujours prévu dans les textes sur l’état d’urgence » a-t-il
pointé.
Quoi qu’il en soit, pour le directeur de l’AP-HP, s’il est essentiel
de savoir gérer une crise quand elle est là, il est encore plus essentiel de
l’anticiper.
« Bien gérer la crise, c’est
s’y préparer »
Lors d’une crise, il est
essentiel de pouvoir mobiliser un certain nombre d’individus qui ne sont pas
mobilisés habituellement. Au printemps 2020, les hôpitaux ont puisé dans des
réserves sanitaires, dans des réserves extraterritoriales. Ces réserves ont
permis de sauver des vies, mais « cela a
été fait dans de très mauvaises conditions » a dénoncé Martin Hirsch.
On pourrait par conséquent prévoir que dès lors qu’un
professionnel de santé a son diplôme, il puisse être réquisitionnable (dans
certaines conditions) même après son départ en retraite, en cas de crise, a
suggéré le haut fonctionnaire.
Cela permettrait, à l’avenir, de faire appel beaucoup plus rapidement et massivement
à une réserve beaucoup plus large, a-t-il précisé.
Celle-ci concerne aussi la transformation des outils de production en
France. En effet, outre la mise en place de stocks, on doit être apte à reconvertir
rapidement des appareils de production – ou imposer la conversion d’appareils
de production – pour la fabrication de produits aussi simples que les blouses
de protection, qui ont cruellement manqué aux personnels de l’AP-HP au début de
la crise.
« L’urgence se
prépare. Ça ne veut pas dire qu’on peut tout prévoir, mais on sait désormais
quels sont les éléments essentiels en termes de ressources humaines, en termes
de logistique, en termes de capacité de production » a assuré Martin Hirsch.
En ce sens, « la loi de préparation de l’état d’urgence
me semble aussi importante que la loi de l’état d’urgence une fois qu’on est
dedans » a-t-il conclu.
UNE
CRISE INÉDITE
Le général Richard Lizurey a ensuite insisté sur les caractéristiques de
cette crise sanitaire par r apport
aux autres crises que le pays a connues, et la manière dont les pouvoirs
publics s’y sont adaptés. L’homme sait de quoi il parle, puisque lors du
premier confinement, le cabinet du Premier ministre l’a chargé d’une mission «
un peu particulière » : avoir un œil extérieur sur l’organisation de l’état
d’urgence, au niveau central comme au niveau local.
En préambule de son intervention, l’ancien DG de la
Gendarmerie nationale a rappelé qu’il existait une diversité d’états d’urgence.
Cette diversité a un impact sur les organisations administratives. Les états
d’urgence de 2005 (crise des banlieues), 2015 (attentats terroristes) et de
2020 (crise sanitaire) ont eu des conséquences très différentes sur la
gendarmerie, par exemple. Dans les trois cas, il y a eu des couvre-feu, mais
ces derniers n’avaient pas le même objectif.
Lors de la crise des banlieues, la gendarmerie a dû
intervenir de manière ponctuelle, dans des zones géographiques délimitées, ce
qui n’est pas le cas des deux autres états d’urgence. En 2015 et 2020, il
fallait agir sur tout le territoire, et pendant plusieurs mois, voire années,
car les risques d’attentats et l’épidémie de la Covid-19 ne sont pas encore
écartés.
L’état d’urgence de 2015, a quant à lui, conduit à des
réponses judiciaires et juridiques (perquisitions, assignations à résidence…).
Il a fallu former le personnel, informer les équipes en local.
Concernant la Covid-19, on pourrait se demander, à juste
titre, quel est le rapport entre les forces de l’ordre et la situation
sanitaire.
Ce rapport réside dans le fait qu’il revient aux gendarmes
et aux policiers d’assurer, quotidiennement, le respect des mesures de sécurité
sanitaire sur tout le territoire, a précisé Richard Lizurey.
Ce qui est loin d’être évident, du fait même de la nature
de cette crise. La crise sanitaire est assurément singulière, car la population
est à la fois l’objet de la protection des forces de l’ordre et en même temps
une menace, car ce sont les individus eux-mêmes qui transmettent le virus.
D’où la difficulté à prendre des décisions, du fait que
celles-ci soient vécues comme des contraintes par certaines personnes alors que
ces mesures visent assurément à sécuriser les citoyens dans leur ensemble.
Trois facteurs de complexité
Les pouvoirs publics ont
en tout cas été « pris dans une telle
vague » que ce qui a été préparé en amont n’a pas pu être mis en œuvre, a
rapporté l’ancien directeur général de la Gendarmerie nationale.
Ceux-ci ont en outre été confrontés à trois facteurs de
complexité.
Le premier d’entre eux s’apparente au fameux « brouillard de guerre » évoqué par le
général prussien Carl von Clausewitz au 19e siècle. Plus
précisément, il s’agit du climat d’incertitude et du flou des informations dans
lesquels nous sommes plongés. « Depuis le
début, on n’a aucune certitude dans aucun domaine », a reconnu Richard
Lizurey. Par conséquent, les décisions qu’on peut prendre à un instant T
peuvent être contredites dès le lendemain.
Ce flou engendre également une ambiguïté quant au rôle de
l’expertise scientifique et médicale. Quelle est la marge de manœuvre de
l’autorité politique par rapport à l’avis des scientifiques ? « En fait, elle
n’en a pas, a affirmé Richard Lizurey, elle est obligée de les suivre, car
sinon elle sera ensuite accusée par les médias – qui malheureusement amplifient
la situation. »
Dans cette crise, a-t-il insisté, les déterminants de la
décision sont donc exclusivement sanitaires.
Le deuxième facteur de complexité auquel se sont confrontés
les pouvoirs publics renvoie au confinement et à la quasi généralisation du
télétravail qui a fortement affecté l’économie, mais aussi l’administration.
Peu habitués à travailler de chez eux, les actifs n’avaient pas forcément le
matériel, a expliqué le général.
Le confinement a été malheureusement aussi l’occasion d’une
recrudescence de violences intrafamiliales, ce qui a engendré plus de travail
pour les forces de l’ordre. « Une partie de la délinquance a augmenté alors que
la délinquance des voies publiques a diminué »
a rappelé Richard Lizurey.
Heureusement, durant cette période, l’administration, y
compris la gendarmerie, a su s’adapter et aménager des dispositifs, comme la
prise de plaintes à distance.
Le troisième facteur de complexité a trait à la gestion
multisites de la crise.
Quand une crise se déclare, c’est normalement la cellule
interministérielle de crise (CIC) à Beauvau qui est chargée de réunir la
totalité des ministères pour analyser la situation, décider et anticiper
l’avenir.
Cela n’a pas été le cas pour la crise sanitaire : une
multitude de cellules de crise et de centres de décision ont été installés
progressivement, et c’est seulement le 16 et 17 mars que la CIC a été activée.
Or, selon le général Lizurey, quand les acteurs et les
centres de décision sont multiples, cela peut engendrer des problèmes dans le
partage des informations (saturation ou manque d’information).
Le cabinet du Premier ministre a eu du mal à synthétiser
l’action de toutes ces cellules. « On a alors mélangé le niveau stratégique
avec le niveau de conduite » a reconnu Richard Lizurey, ce qui a conduit à une
centralisation excessive des décisions.
Cette centralisation a dévitalisé le niveau local.
« À titre personnel,
autant je pense qu’il peut y avoir une intelligence de conception en central,
autant l’intelligence de situation est locale » a soutenu l’ancien
directeur général de la gendarmerie nationale.
Dans le plan pandémie qui était prévu, a précisé Richard
Lizurey, le préfet est normalement le chef de file et le système de santé doit
s’intégrer dans ce système préfectoral. Or, cela n’a pas été respecté.
« Cette asymétrie du
centre de gravité mérite d’être expertisée pour que justement on puisse dans
l’avenir bien préciser les rôles de chacun » a préconisé le général.
Le rôle des forces de l’ordre
En période d’état d’urgence, les forces de l’ordre sont placées
dans une position assez ambivalente : elles protègent, contrôlent, mais aussi répriment.
Dans le cas de la crise sanitaire, policiers et gendarmes ont été assignés
à un rôle de répression. Or, pour Richard Lizurey, « les forces de l’ordre
sont là aussi pour protéger, elles sont là au service de leurs concitoyens. Si
on les cantonne dans un rôle de répression, à un moment donné on crée les
conditions d’une confrontation. »
Celui-ci a en outre précisé que certains policiers et gendarmes
vivent parfois très mal les contrôles qu’on leur demande de faire de manière tatillonne.
« Peut-être qu’un peu de souplesse ne
nuirait pas à la manœuvre », a suggéré l’ancien patron de la Gendarmerie
nationale.
Pour finir sur une touche plus positive, ce dernier a salué
l’efficacité du plan de déconfinement mis en place en seulement un mois – en
avril 2020 – par un « groupe commando »
dirigé par Jean Castex, actuellement Premier ministre. « Il y a eu une centaine de réunions interministérielles, un travail
acharné pour rendre cela possible » a-t-il conclu.
IMPACT
DE LA CRISE SANITAIRE SUR NOTRE DÉMOCRATIE
Anne Hidalgo, maire de la capitale depuis 2014, a ensuite fait part de son
expérience sur les états d’urgence terroriste et sanitaire, et mis en exergue
les conséquences de la crise sanitaire sur le fonctionnement de notre
démocratie.
Le rôle essentiel de
l’information
Comme le général Lizurey, la maire de Paris a rappelé que les crises
auxquelles nous sommes confrontés depuis quelques années ne sont pas de même
nature. Elles ne supposent donc pas les mêmes outils ni les mêmes formes de
commandement.
Alors que la crise des attentats exige
une gestion stricte du secret, du fait des enquêtes qui sont faites, dans une
crise sanitaire, ce qui compte, c’est justement le partage de l’information. « La question n’est pas de protéger une
information qui ne devrait pas être diffusée, mais au contraire de diffuser
fortement l’information pour permettre que tout le monde ait à peu près le même
niveau d’information » a-t- elle expliqué.
Évoquant un entretien en début de crise avec le professeur
Piarroux, la maire de Paris a rapporté que ce dernier lui avait déclaré que la
gestion des fake news faisait également partie de la gestion de crise. D’où la
nécessité de pouvoir s’appuyer sur des informations scientifiques fiables, pour
ensuite prendre des décisions au niveau central.
« Ce n’est pas aux
échelons locaux de décider de quelle stratégie de vaccination ou même quel type
de médicament ou ce qu’il faut faire à l’hôpital » a précisé l’élue. Il faut
cependant que toutes ces informations soient immédiatement partagées.
Si l’information doit être partagée, « elle doit aussi être adaptée selon les différents cas ». Tous les
territoires, et toutes les catégories sociales ne sont en effet pas concernés
de la même manière.
Au début de la crise par exemple, les plus touchés par la
Covid-19 étaient les hommes CSP +, car ils étaient ceux qui avaient le plus
d’interactions sociales. Mais dès que le télétravail a été mis en place, ils
n’ont plus été malades.
En parallèle, une autre frange de la population était plus
particulièrement contaminée : des hommes également, mais plus précaires et vivant dans de petits logements
sur-occupés.
« Cette population
contrairement aux CSP + n’a pas connu une amélioration de sa situation », a
signalé la maire de Paris.
Bref, selon l’élue, pour gérer une crise sanitaire, il
convient avant tout de « quadriller le
territoire et d’aller sur le terrain » pour se rendre compte du vécu des
citoyens.
Mise à mal de notre démocratie
Pour la maire de Paris, le plus inquiétant dans cette gestion de crise,
c’est que le gouvernement a mis en place un état d’urgence, un régime
d’exception, qu’il convient certes d’instaurer en cas de guerre ou de lutte
contre le terrorisme, mais qui n’est pas approprié en cas de crise sanitaire. « La gestion de la crise à partir d’un Conseil de défense ne correspond
pas à la nature de la crise que nous vivons » a-t-elle soutenu.
Un régime d’exception contestable
Le 23 mars 2020, le Parlement a en effet adopté une loi
comprenant trois objets :
•
report des élections municipales
;
• instauration d’un régime d’urgence sanitaire ;• habilitation
du gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance.
Pour la maire de Paris, ce régime d’exception pose des problèmes liés à
l’état de droit et au strict respect des libertés publiques. La plupart des
pays qui luttent aussi contre la Covid n’ont en effet pas adopté de dispositions d’exception.
Concernant le report des élections plus précisément, on doit, selon elle,
s’interroger sur la légitimité d’une telle mesure.
Le recours à l’exception ne doit en tout cas pas
s’inscrire dans la durée. « Quand
l’exception devient la règle, la démocratie se fragilise et est en danger »
a mis en garde Anne Hidalgo.
Lors de son intervention, l’élue a
aussi dénoncé le cadre juridique très flou de cet état d’urgence.
En même temps, le caractère parfois
intransigeant de la doctrine mise en avant l’a parfois agacée.
Ayant constaté un nombre de décès
important dans les Ephad, l’élue a pensé que pour protéger les personnes âgées,
il était nécessaire de tester tout le personnel,
les symptomatiques comme les asymptomatiques. Or, on lui a expliqué que la
doctrine prévoyait de ne tester que les symptomatiques. Une position incompréhensible, selon
elle, car à l’époque, on savait déjà que les asymptomatiques pouvaient
transmettre le virus… La maire de Paris a préféré enfreindre la doctrine sur ce
point-là.
À l’échelle territoriale heureusement, l’élue a pu
expérimenter un dialogue extrêmement fécond entre les divers représentants de
l’État, le préfet de police, de région, l’ARS, et l’AP-HP.
De l’importance des
contre-pouvoirs
Pour Anne Hidalgo, dans une démocratie, en cas de régime d’exception qui dure, le
rôle des contre-pouvoirs est essentiel.
Certes, il faut des directives et une chaîne de commandement
précises, mais il faut aussi respecter la part de responsabilité de chacun.
Il est en outre indispensable que subsistent des lieux où
l’on puisse questionner l’autorité politique et ses prises de décisions
sanitaires, mais aussi celles qui touchent à l’état de droit. Ces lieux, c’est
d’abord le Parlement, a précisé la maire de Paris.
En début de crise, celui-ci a été saisi en extrême urgence.
Ont été mises en place deux missions parlementaires : une mission d’information
à l’Assemblée nationale, et une mission de suivi au Sénat. « La mission sénatoriale s’est donné de
réelles libertés dans la conduite de ses investigations » a reconnu Anne
Hidalgo.
Le rôle du Parlement dans son rôle de contre-pouvoir – ou
plutôt d’évaluation – doit toujours être encouragé.
La démocratie confinée
Pour la maire de Paris, le confinement de notre économie a eu pour
conséquence le confinement de notre démocratie.
Cette remarque renvoie, encore une fois, au report du 2e tour
des élections municipales. Pour l’élue, il est en effet contradictoire de
laisser les gens prendre le métro, aller dans les supermarchés, mais de leur
interdire d’aller voter. Celle-ci a d’ailleurs rappelé que dans des pays comme
le Portugal et des
régions comme la Catalogne, les élections ont été maintenues dans le respect
des consignes sanitaires.
Il est donc urgent aujourd’hui de « déconfiner la démocratie » a insisté Anne Hidalgo.
Pour finir, quels sont les enseignements que l’on peut
tirer de cette crise ?
Pour la maire de Paris, cette crise indique « qu’on est arrivé au bout d’un système
centralisé et jacobin comme le nôtre ». Cette centralisation nous rend, à
son avis, beaucoup plus vulnérables.
Le pouvoir central doit garder la prérogative de la
décision dans le domaine sanitaire, mais il doit aussi considérer les élus
locaux, les maires dans le rôle qui doit être le leur.
Cette crise indique également qu’il est temps d’améliorer
la réponse logistique « dans une
complémentarité et une association parfaite dans ce qu’on appelle le couple
maire-préfet »
a préconisé la maire de Paris.
La coopération des divers échelons entre eux permettrait en
effet, selon elle, d’apporter des réponses «
plus agiles » à la situation, et donc de retrouver la confiance des
concitoyens, dans un pays où la crise sanitaire s’accompagne, hélas, d’une
crise démocratique.
Maria-Angélica Bailly