JUSTICE

Face aux détenus souffrant de troubles psy, les surveillants pénitentiaires aux abois

Face aux détenus souffrant de troubles psy, les surveillants pénitentiaires aux abois
Publié le 10/01/2025 à 08:17

A la suite d'un nouvel incident à Fleury-Mérogis dimanche, le syndicat FO Justice s’alarme de l’« explosion » de ces profils « instables » dont la gestion « est de plus en plus dangereuse pour les personnels qui y exercent ». Dans cet établissement pénitentiaire, environ 300 agressions sur agent sont recensées chaque année ; un chiffre qui serait largement sous-estimé.

Après la prise d’otage à Arles vendredi dernier par un détenu au « profil psychiatrique instable » dont la place en prison a été remise en question, notamment par les syndicats, c’est un détenu là encore « connu pour son instabilité psychologique » qui « a mis à rude épreuve les nerfs des personnels » à Fleury-Mérogis, deux jours après, rapporte Force Ouvrière Justice.

L’homme, qui a d’abord mis le feu à sa cellule, a tenté de mordre le mollet d’un agent pénitentiaire alors qu’il était acheminé au quartier disciplinaire. Maîtrisé et placé en cellule disciplinaire, il a ensuite essayé de mettre fin à ses jours, avant d’être finalement hospitalisé pour urgence psychiatrique, raconte le syndicat dans un communiqué.

Depuis son arrivée dans l’établissement, l’individu compte 17 rapports d’incidents pour dégradations et agressions diverses.

300 agressions physiques sur agents par an à Fleury

Avec ce nouvel épisode, la coupe est pleine. « Les profils des détenus atteints de troubles du comportement explosent. Leur gestion (…) est de plus en plus dangereuse pour les personnels qui y exercent », alerte FO Justice.

Le ministère de la Justice parlait de 4 911 violences physiques sur agents en 2022, soit un peu plus qu’en 2018 (4 314). Contacté par le JSS, Didier Kandassamy, secrétaire local de FO Justice, évoque quant à lui plus de 300 agressions recensées à Fleury-Mérogis chaque année ; un chiffre, soutient-il, « bien en-dessous de la réalité », et qui ne prend en compte « que les agressions physiques ».

En la matière, l’administration pénitentiaire distingue la « simple » bousculade d’un coup de poing. Les insultes, elles, ne sont « pas prises en compte dans les statistiques, regrette Didier Kandassamy, alors que c’est le lot quotidien. On est des dépositaires de l’autorité publique : à l’extérieur, ce serait caractérisé comme un outrage. En prison, c’est considéré comme normal. Mais même en prison, le droit doit exister ».

Une charte ministérielle de prévention des phénomènes de violence avait été signée par le garde des Sceaux en 2021. Par ailleurs, un plan pluriannuel de lutte contre les violences en milieu ouvert et en milieu fermé est mis en œuvre depuis le premier semestre 2023.

Insuffisant ? Didier Kandassamy décrit le « grand épuisement des personnels ». « C’est surtout la soudaineté de certaines agressions qui fait peur, l’imprévisibilité. Le dialogue existe, il représente 90 % de notre arme pour désamorcer un conflit, mais il est parfois insuffisant ».  Le représentant syndical déplore encore que les signalements opérés par les agents restent lettre morte. « Les décisions ne sont prises que lorsqu’il y a un passage à l’acte comme une prise d’otage. Bref, quand c’est trop tard ».

Conséquence de tout cela : le secrétaire local de FO Justice évoque « un fort taux d’absentéisme » chez les agents pénitentiaires. Un constat qui avait d’ailleurs été formulé récemment, dans une question au garde des Sceaux, par une sénatrice girondine, qui soulignait que « face aux agressions journalières, le taux d'absentéisme est en constante augmentation, les démissions de plus en plus fréquentes et le nombre de postes proposés est loin de répondre aux attentes réelles ».

« La prison ne saurait être un refuge d’hôpital psychiatrique »

« La prison ne saurait être un refuge d’hôpital psychiatrique sans les moyens alloués, tance par ailleurs FO Justice. Malheureusement, les prisons de la République sont un fourre-tout ». En 2006 déjà, dans un long avis, le Comité consultatif national d’éthique, CCNE, affirmait : « On assiste à un déplacement de l'hôpital psychiatrique vers la prison. »

Si le recensement de ces profils instables est difficilement chiffrable à l’échelle nationale - l’administration pénitentiaire ne communique pas de telles statistiques, semble-t-il -, à l’échelle nationale, 30 à 40 % de détenus seraient atteints de troubles psychologiques ou du comportement, indiquait ce week-end le directeur de la prison de la santé à Paris, invité de RTL. Bruno Clément-Petremann incitait cependant à se méfier de ce chiffre « un peu surévalué si l'on s'en tient à la simple maladie psychiatrique ».

Reste qu’il y aurait trois fois plus de troubles psychiatriques en population carcérale qu’en population générale, si l’on en croit un article publié récemment par l’Inserm, l’organisme public de recherche français dédié à la santé humaine.

« On a d’une part des personnes qui sont malades avant d’être placées sous écrou. Mais aussi une population très vulnérable qui a été exposée dans des proportions importantes à la maltraitance infantile, à des difficultés socioéconomiques, à la précarité. Vous placez des gens fragiles dans l’environnement riche en facteurs de stress qu’est la prison : tout est réuni pour faire émerger des troubles psychiatriques », analysent ses auteurs.

Personnel en sous-effectif vs surpopulation carcérale

Devant l’incarcération massive de personnes atteintes de troubles psychiatriques, la prison « s’est adaptée sans pouvoir faire face à l’ampleur du phénomène », pointait un rapport d’information du Sénat de mai 2010, intitulé « Prison et troubles mentaux : comment remédier aux dérives du système français ? ».

15 ans après, la situation ne s’est pas améliorée. A Fleury, témoigne Didier Kandassamy, une série de mesures a été prise : les ouvertures de cellule se font ainsi souvent à deux agents, voire à trois ; avec un agent gradé. Les rondes de nuit, elles, sont multipliées. Ce qui n’est pas sans poser problème en termes d’effectifs : si l’établissement compte 1 200 surveillants pour 4 400 détenus, chaque ouverture de cellule doublée ou triplée se fait au détriment des autres activités de surveillance.

Des sous-effectifs de personnel couplés à la surpopulation carcérale. Ce fléau bien identifié atteint 156 % dans la plus grande prison d’Europe, versus 126,2 % dans l’hexagone (78 397 détenus dans les prisons françaises pour 62 021 places au 1er août 2024, d'après la direction de l’administration pénitentiaire). « La surpopulation carcérale et les effectifs du personnel sont deux courbes qui s’affrontent : une qui monte, une qui descend. Mathématiquement, ce n’est pas possible. Les prisons deviennent de vraies cocottes-minute », dépeint Didier Kandassamy.

A Fleury-Mérogis, le SMPR, pour « service médico-psychologique régional », unité de soins en santé mentale dédiée à l’accueil des cas « reconnus », a une capacité de 17 places. « Mais comme ce service est saturé, l’administration n’a pas le choix, et doit disperser les autres détenus concernés, qui ne bénéficient pas du suivi adéquat », explique le représentant syndical.

La multiplication des profils instables contribue donc à la surpopulation carcérale et en pâtit en même temps. Par ailleurs, « quand ils dégradent leur cellule, agressent, mettent le feu, les détenus instables sont sanctionnés et envoyés au quartier disciplinaire, mais là-bas non plus ils n’ont pas de place. On ne sait plus où les mettre », soutient Didier Kandassamy.

Face à ces difficultés de gestion, l’administration pénitentiaire a recours à des « classements thérapeutiques ». Les détenus identifiés par les agents comme souffrant de troubles sont « classés » aux ateliers, ou bien en tant qu’auxiliaires de coursive, ou encore en cuisine. « En gros, on les occupe, c’est la ligne directrice. Sauf que lorsque les détenus dégoupillent en cuisine par exemple, donc dans un lieu où ils ont des couteaux à disposition, c’est beaucoup plus dangereux et délicat à gérer que lorsqu’ils font une crise dans leur cellule ».  

L’urgence de nouveaux établissements spécialisés

Ces détenus au profil instable peuvent en outre être facilement manipulables par les autres détenus, et ainsi devenir « des armes par destination », confie le secrétaire local de FO Justice.

Certains, en proie au mal-être et aux conditions dégradées, multiplient par ailleurs les tentatives de suicide. Selon l’Observatoire international des prisons, « 149 personnes se sont donné la mort en prison en 2023. À âge égal, le risque de suicide est ainsi dix fois plus élevé entre les murs qu’à l’extérieur ».

« Surveillant pénitentiaire, médecin, pompier, psychologue… En tant qu’agents pénitentiaires, il faut qu’on endosse plusieurs casquettes, sans compter les responsabilités qui vont avec. Quand un détenu se donne la mort, c’est un échec collectif », constate Didier Kandassamy.

FO Justice réclame aujourd’hui davantage d’établissements spécialisés et un personnel formé, en complémentarité avec le ministère de la Santé. « A court terme, sur Fleury, nous demandons un autre type de structure opérationnelle calqué sur le SMPR », complète Didier Kandassamy.

« On parle beaucoup des narcotrafiquants en ce moment (Gérald Darmanin a annoncé fin décembre être favorable à l’isolement renforcé des « 100 plus grands » narcobandits afin d’éviter qu’ils poursuivent leur trafic depuis la prison, ndlr). On prend acte, mais l’incarcération croissante de personnes aux problèmes psychiatriques est aussi un problème qui doit être pris au sérieux, et c’est urgent ».

Bérengère Margaritelli

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