A la suite d'un nouvel incident à
Fleury-Mérogis dimanche, le syndicat FO Justice s’alarme de l’« explosion »
de ces profils « instables » dont la gestion « est de plus en
plus dangereuse pour les personnels qui y exercent ». Dans cet
établissement pénitentiaire, environ 300 agressions sur agent sont recensées chaque
année ; un chiffre qui serait largement sous-estimé.
Après la prise d’otage à Arles
vendredi dernier par un détenu au « profil psychiatrique instable » dont
la place en prison a été remise en question, notamment par les syndicats, c’est
un détenu là encore « connu pour son instabilité psychologique »
qui « a mis à rude épreuve les nerfs des personnels » à Fleury-Mérogis,
deux jours après, rapporte Force Ouvrière Justice.
L’homme, qui a d’abord mis le
feu à sa cellule, a tenté de mordre le mollet d’un agent pénitentiaire alors qu’il
était acheminé au quartier disciplinaire. Maîtrisé et placé en cellule
disciplinaire, il a ensuite essayé de mettre fin à ses jours, avant d’être
finalement hospitalisé pour urgence psychiatrique, raconte le syndicat dans un
communiqué.
Depuis son arrivée dans l’établissement,
l’individu compte 17 rapports d’incidents pour dégradations et agressions
diverses.
300 agressions physiques sur
agents par an à Fleury
Avec ce nouvel épisode, la
coupe est pleine. « Les profils des détenus atteints de troubles du
comportement explosent. Leur gestion (…) est de plus en plus dangereuse pour
les personnels qui y exercent », alerte FO Justice.
Le ministère de la Justice parlait
de 4 911 violences physiques sur agents en
2022, soit un peu plus
qu’en 2018 (4 314). Contacté par le JSS, Didier Kandassamy, secrétaire
local de FO Justice, évoque quant à lui plus de 300 agressions recensées à Fleury-Mérogis chaque
année ; un chiffre, soutient-il, « bien en-dessous de la réalité »,
et qui ne prend en compte « que les agressions physiques ».
En la matière, l’administration
pénitentiaire distingue la « simple » bousculade d’un coup
de poing. Les insultes, elles, ne sont « pas prises en compte
dans les statistiques, regrette Didier Kandassamy, alors que c’est le
lot quotidien. On est des dépositaires de l’autorité publique : à l’extérieur,
ce serait caractérisé comme un outrage. En prison, c’est considéré comme
normal. Mais même en prison, le droit doit exister ».
Une charte ministérielle de
prévention des phénomènes de violence avait été signée par le garde des Sceaux en
2021. Par ailleurs, un plan pluriannuel de lutte contre les violences en milieu
ouvert et en milieu fermé est mis en œuvre depuis le premier semestre 2023.
Insuffisant ? Didier
Kandassamy décrit le « grand épuisement des personnels ». « C’est
surtout la soudaineté de certaines agressions qui fait peur, l’imprévisibilité.
Le dialogue existe, il représente 90 % de notre arme pour désamorcer un conflit,
mais il est parfois insuffisant ». Le représentant syndical déplore encore que
les signalements opérés par les agents restent lettre morte. « Les décisions
ne sont prises que lorsqu’il y a un passage à l’acte comme une prise d’otage.
Bref, quand c’est trop tard ».
Conséquence de tout cela :
le secrétaire local de FO Justice évoque « un fort taux d’absentéisme »
chez les agents pénitentiaires. Un constat qui avait d’ailleurs été formulé
récemment, dans une question
au garde des Sceaux, par une sénatrice girondine, qui soulignait que « face
aux agressions journalières, le taux d'absentéisme est en constante
augmentation, les démissions de plus en plus fréquentes et le nombre de postes
proposés est loin de répondre aux attentes réelles ».
« La prison ne
saurait être un refuge d’hôpital psychiatrique »
« La prison ne
saurait être un refuge d’hôpital psychiatrique sans les moyens alloués,
tance par ailleurs FO Justice. Malheureusement, les prisons de la République
sont un fourre-tout ». En 2006 déjà, dans un long
avis, le Comité consultatif national d’éthique, CCNE, affirmait : « On
assiste à un déplacement de l'hôpital psychiatrique vers la prison. »
Si le recensement de ces
profils instables est difficilement chiffrable à l’échelle nationale - l’administration
pénitentiaire ne communique pas de telles statistiques, semble-t-il -, à l’échelle nationale, 30 à
40 % de détenus seraient atteints de troubles psychologiques ou du comportement,
indiquait ce week-end le directeur de la prison de la santé à Paris, invité de
RTL. Bruno Clément-Petremann incitait cependant à se méfier de ce chiffre « un
peu surévalué si l'on s'en tient à la simple maladie psychiatrique ».
Reste qu’il y aurait trois
fois plus de troubles psychiatriques en population carcérale qu’en population
générale, si l’on en croit un article
publié récemment par l’Inserm, l’organisme public de recherche français dédié à
la santé humaine.
« On a d’une part des
personnes qui sont malades avant d’être placées sous écrou. Mais aussi une
population très vulnérable qui a été exposée dans des proportions importantes à
la maltraitance infantile, à des difficultés socioéconomiques, à la précarité.
Vous placez des gens fragiles dans l’environnement riche en facteurs de stress
qu’est la prison : tout est réuni pour faire émerger des troubles
psychiatriques », analysent ses auteurs.
Personnel en sous-effectif vs
surpopulation carcérale
Devant l’incarcération
massive de personnes atteintes de troubles psychiatriques, la prison « s’est
adaptée sans pouvoir faire face à l’ampleur du phénomène », pointait un
rapport d’information du Sénat de mai 2010, intitulé « Prison et troubles
mentaux : comment remédier aux dérives du système français ? ».
15 ans après, la situation ne
s’est pas améliorée. A Fleury, témoigne Didier Kandassamy, une série de mesures
a été prise : les ouvertures de cellule se font ainsi souvent à deux
agents, voire à trois ; avec un agent gradé. Les rondes de nuit, elles,
sont multipliées. Ce qui n’est pas sans poser problème en termes d’effectifs :
si l’établissement compte 1 200 surveillants pour 4 400 détenus, chaque ouverture
de cellule doublée ou triplée se fait au détriment des autres activités
de surveillance.
Des sous-effectifs de
personnel couplés à la surpopulation carcérale. Ce fléau bien identifié atteint
156 % dans la plus grande prison d’Europe, versus 126,2 % dans l’hexagone (78
397 détenus dans les prisons françaises pour 62 021 places au 1er août 2024, d'après la direction de l’administration pénitentiaire). « La surpopulation
carcérale et les effectifs du personnel sont deux courbes qui s’affrontent :
une qui monte, une qui descend. Mathématiquement, ce n’est pas possible. Les prisons
deviennent de vraies cocottes-minute », dépeint Didier Kandassamy.
A Fleury-Mérogis, le SMPR, pour
« service médico-psychologique régional », unité de soins en santé
mentale dédiée à l’accueil des cas « reconnus », a une capacité de 17
places. « Mais comme ce service est saturé, l’administration n’a pas le
choix, et doit disperser les autres détenus concernés, qui ne bénéficient pas
du suivi adéquat », explique le représentant syndical.
La multiplication des profils
instables contribue donc à la surpopulation carcérale et en pâtit en même
temps. Par ailleurs, « quand ils dégradent leur cellule, agressent,
mettent le feu, les détenus instables sont sanctionnés et envoyés au quartier
disciplinaire, mais là-bas non plus ils n’ont pas de place. On ne sait plus où
les mettre », soutient Didier Kandassamy.
Face à ces difficultés de gestion,
l’administration pénitentiaire a recours à des « classements
thérapeutiques ». Les détenus identifiés par les agents comme souffrant de
troubles sont « classés » aux ateliers, ou bien en tant qu’auxiliaires
de coursive, ou encore en cuisine. « En gros, on les occupe, c’est la
ligne directrice. Sauf que lorsque les détenus dégoupillent en cuisine par
exemple, donc dans un lieu où ils ont des couteaux à disposition, c’est beaucoup
plus dangereux et délicat à gérer que lorsqu’ils font une crise dans leur cellule ».
L’urgence de nouveaux
établissements spécialisés
Ces détenus au profil instable
peuvent en outre être facilement manipulables par les autres détenus, et ainsi
devenir « des armes par destination », confie le secrétaire
local de FO Justice.
Certains, en proie au
mal-être et aux conditions dégradées, multiplient par ailleurs les tentatives
de suicide. Selon
l’Observatoire international des prisons, « 149 personnes se sont
donné la mort en prison en 2023. À âge égal, le risque de suicide est ainsi dix
fois plus élevé entre les murs qu’à l’extérieur ».
« Surveillant pénitentiaire,
médecin, pompier, psychologue… En tant qu’agents pénitentiaires, il faut qu’on
endosse plusieurs casquettes, sans compter les responsabilités qui vont avec. Quand
un détenu se donne la mort, c’est un échec collectif », constate
Didier Kandassamy.
FO Justice réclame aujourd’hui
davantage d’établissements spécialisés et un personnel formé, en
complémentarité avec le ministère de la Santé. « A court terme, sur Fleury,
nous demandons un autre type de structure opérationnelle calqué sur le SMPR »,
complète Didier Kandassamy.
« On parle beaucoup
des narcotrafiquants en ce moment (Gérald Darmanin a annoncé fin
décembre être favorable à l’isolement renforcé des « 100 plus grands »
narcobandits afin d’éviter qu’ils poursuivent leur trafic depuis la prison,
ndlr). On prend acte, mais l’incarcération croissante de personnes aux
problèmes psychiatriques est aussi un problème qui doit être pris au sérieux, et
c’est urgent ».
Bérengère
Margaritelli