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Facture exécutoire : les commissaires de justice persistent et signent

Facture exécutoire : les commissaires de justice persistent et signent
Publié le 05/06/2024 à 11:17

La profession continue à défendre le recouvrement amiable des créances B2B non contestées pour éviter de longues procédures aux entreprises, tandis qu’un règlement européen visant à lutter contre les retards de paiement devrait bientôt voir le jour.

Alors qu’un projet de règlement européen pour lutter contre les retards de paiement dans les transactions commerciales est en discussion, et à l'heure de la simplification administrative, le sujet des outils destinés à soutenir les entreprises en matière de recouvrement est remis sur la table par les commissaires de justice (ex-huissiers).

Si ce débat « retrouve une acuité particulière », c’est « car les entreprises cherchent un second souffle », soulignait mercredi 29 mai, à la Chambre nationale des commissaires de justice (CNCJ), Benoît Santoire, son président. L’occasion également, en filigrane, pour ces experts « en bout de chaîne », de réclamer un rôle et une reconnaissance accrus.

La facture exécutoire pour déjudiciariser les impayés

Au centre des discussions, en particulier, il y a la facture exécutoire. Défendue par la profession, et proposée par l’Union nationale des commissaires de justice (UNCJ) au gouvernement et au parlement l’an dernier, cette mesure promet de déjudiciariser le traitement des factures impayées non contestées par les parties.

Objectif : éviter des procédures longues et coûteuses aux dirigeants des TPE/PME, et limiter les impayés, porteurs d’un risque d’effet domino, voire de liquidation judiciaire, puisque selon la Commission européenne, une faillite sur quatre est la conséquence directe des allongements des délais de paiement.

A la CNCJ, le 29 mai, le président B. Santoire a rappelé que les impayés fragilisent les entreprises et plaidé pour la facture exécutoire 

Sans oublier le préjudice pour la puissance publique « qui pâtit du manque à gagner fiscal », précise Benoît Santoire. Chaque année, la France recenserait 56 milliards d’euros de créances en pertes - soit 2 % du PIB -, d’après un chiffre qui circule depuis 2017, établi par un rapport de l’ANCR, syndicat national des cabinets de recouvrement de créances et de renseignements commerciaux.

13 jours de retard en France dans les délais de paiement

Et le contexte actuel n’aide pas. Les délais de paiement, qui ont « explosé en 2020 » avec le Covid, alors qu’ils remontaient péniblement mais sûrement la pente après la grande récession de 2008, ne sont « toujours pas revenus au niveau d’avant crise sanitaire, qui n’était déjà pas parfait », si l’on en croit Pierre Pelouzet, médiateur des entreprises.  Aujourd’hui, le retard moyen s’élève à 13 jours en France : « A cause des tensions actuelles - inflation, guerres -, on repart sur le mauvais chemin », regrette-t-il.

 « Qui aurait envie de proposer un service, de vendre ses produits à une entreprise ou une administration sans savoir quand il va être payé ? interroge rhétoriquement Pierre Pelouzet. Les chefs d’entreprise français, quand ils ont 10 factures devant eux, savent que cinq d’entre elles vont être payées à l’heure, cinq ne le seront pas, et il doit deviner lesquelles. C’est dramatique pour la compétitivité, la trésorerie et la confiance ».

Le problème des délais de paiement va de pair avec un autre  écueil : bien souvent, les entreprises ne « savent pas gérer le crédit client », observe pour sa part Sylvie Casenave-Péré, PDG de Posson Packaging, société spécialisée dans l’emballage. Pour la dirigeante, le nerf de la guerre, c’est le cash : « Si vous n’avez pas d’argent, vous ne pouvez rien négocier. Or, générer du cash, c’est facile : ça peut paraître contre-intuitif, mais il suffit de réduire l’activité. Parfois, plus, c’est moins. »

Toutefois, de l’avis de Patrice Gras, président de l’UNCJ, bien que l’impayé soit un risque, « ce n’est pas une fatalité », d’autant que 90 % des entreprises débitrices seraient en réalité solvables, et parmi elles, un grand nombre ferait « simplement preuve d’inertie ». « En tant qu’officiers publics et ministériels, nous pouvons apporter la sécurité juridique », plaide-t-il.

Pour les commissaires de justice, « une chance de se raccommoder avec les entreprises »

La procédure de recouvrement telle qu’envisagée, inspirée de la procédure simplifiée de recouvrement des petites créances en matière de créances civiles, ainsi que du droit belge, coûterait ainsi une cinquantaine d’euros, affirmait le syndicat dans un communiqué de 2023. Avec la facture exécutoire, la profession brandit ainsi une solution qu’elle veut simple, rapide et économique, « car sur le terrain, le petit artisan n’a pas de responsable juridique, et il court toute la journée », rappelle Patrice Gras.

 « La première phase, amiable, serait diligentée par le commissaire de justice », synthétise la professeure de droit privé Natalie Fricero. Saisi par le créancier, le commissaire de justice aurait pour mission de trouver une solution amiable dans un délai de 30 jours, échéance qu’elle juge « contraint[e], mais raisonnable et adapté[e] aux enjeux économiques ».

Natalie Fricero en est convaincue : cette solution, qui tient compte « concrètement » de la situation du débiteur pour aménager une solution, permettra de garantir la pérennité des relations commerciales grâce à une issue « qui ne résulte pas de l’application de la loi ». « C’est tellement difficile de faire exécuter des décisions de justice auprès d’entrepreneurs parfois désespérés, ajoute Sylvie Casenave-Péré. Ce projet est une chance pour la profession de se raccommoder avec les entreprises ».

Si des dispositifs existent déjà (amendes, « name and shame », médiation…), la proposition a aussi le mérite d’anticiper l’application du règlement européen en préparation qui s’imposera bientôt à la France et que Matignon voit d’un mauvais œil. Ce nouveau texte vise, pour l’heure, un délai de paiement maximal d’un mois pour toutes les transactions commerciales, et envisage des recours volontaires à des mécanismes de règlement extrajudiciaire. « Avec la facture exécutoire, on obéirait donc à la lettre ! » commente Natalie Fricero.

En Belgique, avec la RCI, « l’objectif est atteint »

En attendant que cette proposition trouve sa concrétisation en France, en Belgique, on se réjouit des chiffres édifiants obtenus par la « procédure RCI », ou procédure de recouvrement des créances incontestées des entreprises, lancée en 2016. Mieux : on estime que « l’objectif est atteint ».

« Aujourd’hui, 212 000 procédures sont passées par ce système, se félicite Quentin Debray, président de la Chambre nationale des huissiers de justice belges. Nous avons récupéré 340 millions d’euros grâce à ce dispositif », qui accuse un taux de contestation de seulement 1,21% et agit comme un « filtre » qui vient « pomper » les jugements par défaut.

Cette procédure, ajoute Quentin Debray, s’inscrit dans la lignée de l’application de la directive de 2011 actuellement en vigueur, qui prévoit un délai de paiement de 30 jours, pour les opérations B2B, pouvant être porté à 60 jours ou plus à condition de ne pas constituer un « abus manifeste ». « C’est dans ce cadre que la profession a formulé sa proposition », explique-t-il, avec un crédo : être actrice du changement. « Actuellement, le monde politique ne décide plus vraiment, ce sont les experts qui apportent des projets de loi plus que les ministres ».

Chez nos voisins, le fonctionnement diffère très légèrement de celui imaginé par les commissaires de justice français : après avoir reçu un mandat délivré par avocat, l’huissier se rend chez un débiteur avec une sommation de payer dans un délai - là aussi - d’un mois. S’ouvre alors une période de négociation destinée à mettre les entreprises d’accord.

« Nous ne sommes pas des facteurs de luxe »

« En tant que garants de l’Etat de droit, c’est notre rôle de faire en sorte que la décision de justice soit effective. Nous ne sommes pas des facteurs de luxe, nous sommes là pour apporter une plus-value, martèle Quentin Debray. Nous allons chez les gens, nous les rencontrons, nous sommes des facilitateurs de solutions », affirme-t-il.

Véritable défenseur de la RCI, Quentin Debray considère que cet outil permet d’ouvrir le champ de la discussion, « contrairement à la citation traditionnelle qui ne permet pas de négociation, et où l’on est bloqué par la date d’audience ». « Nous avons en main le timing, que l’on peut accélérer ou ralentir selon les besoins », se réjouit le président de la Chambre nationale des huissiers de justice belge.

De quoi inspirer Marie-Claude Drapeau, vice-présidente de la Chambre des huissiers de justice du Québec, qui se dit « impressionnée » par les résultats de son confrère belge. D’autant que le Québec n’est « pas loin de cette réalité », puisque la province réalise déjà une perception à l’amiable depuis 2002, « qui permet d’aller chercher [un grand nombre] de sommes et d’alléger les tribunaux », rapporte la vice-présidente.

Les commissaires de justice seront-ils à la hauteur ?

De son côté, Natalie Fricero en est certaine : le dialogue assure la survie de l’entreprise et la pérennité des relations commerciales. « Aujourd’hui, on entre dans une société de dialogue, non pas car nous sommes des bisounours, mais car le dialogue produit des solutions qui satisfont les besoins économiques ».

Alors, qu’est-ce que l’on attend, au gouvernement ? « Il faut que l’on s’en entretienne avec la Chancellerie, mais il n’y a pas de blocage identifié », indiquait la ministre déléguée chargée des Entreprises, Olivia Grégoire, sur BFM TV, en octobre dernier. Si les entreprises françaises ont donc de quoi espérer des jours meilleurs - à condition toutefois que la facture exécutoire soit entérinée -, les commissaires de justice français seront-ils à la hauteur ?

En effet, un rapport de la DGCCRF publié jeudi 30 mai suggère que plus de 40 % des 161 professionnels du recouvrement de créances contrôlés en 2022 « méconnaissent en partie la réglementation applicable ». Une publicité qui n’est guère la bienvenue, alors que le règlement européen couve.

Bérengère Margaritelli

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