La profession continue à
défendre le recouvrement amiable des créances B2B non contestées pour éviter
de longues procédures aux entreprises, tandis qu’un règlement européen visant à
lutter contre les retards de paiement devrait bientôt voir le jour.
Alors qu’un projet de règlement
européen pour lutter contre les retards de paiement dans les transactions
commerciales est en discussion, et à l'heure de la simplification administrative, le sujet des outils destinés à soutenir les entreprises
en matière de recouvrement est remis sur la table par les commissaires de
justice (ex-huissiers).
Si ce débat « retrouve
une acuité particulière », c’est « car les entreprises
cherchent un second souffle », soulignait mercredi 29 mai, à la
Chambre nationale des commissaires de justice (CNCJ), Benoît Santoire, son président. L’occasion
également, en filigrane, pour ces experts « en bout de chaîne »,
de réclamer un rôle et une reconnaissance accrus.
La facture exécutoire pour
déjudiciariser les impayés
Au centre des discussions, en
particulier, il y a la facture exécutoire. Défendue par la profession, et
proposée par l’Union nationale des commissaires de justice (UNCJ) au
gouvernement et au parlement l’an dernier, cette mesure promet de déjudiciariser le
traitement des factures impayées non contestées par les parties.
Objectif : éviter des procédures longues et coûteuses
aux dirigeants des TPE/PME, et limiter les impayés, porteurs d’un risque
d’effet domino, voire de liquidation judiciaire, puisque selon la Commission
européenne, une faillite sur quatre est la conséquence directe des allongements
des délais de paiement.
A la CNCJ, le 29 mai, le président B. Santoire a rappelé que les impayés fragilisent les entreprises et plaidé pour la facture exécutoire
Sans oublier le préjudice pour la puissance
publique « qui pâtit du manque à gagner fiscal », précise
Benoît Santoire. Chaque année, la France recenserait 56 milliards d’euros de
créances en pertes - soit 2 % du PIB -, d’après un chiffre qui circule depuis
2017, établi par un rapport de l’ANCR, syndicat national des cabinets de
recouvrement de créances et de renseignements commerciaux.
13 jours de retard en France dans les délais de
paiement
Et le contexte actuel n’aide
pas. Les délais de paiement, qui ont « explosé en 2020 » avec
le Covid, alors qu’ils remontaient péniblement mais sûrement la pente après la
grande récession de 2008, ne sont « toujours pas revenus au niveau
d’avant crise sanitaire, qui n’était déjà pas parfait », si l’on en
croit Pierre Pelouzet, médiateur des entreprises. Aujourd’hui, le retard moyen s’élève à 13 jours
en France : « A cause des tensions actuelles - inflation, guerres
-, on repart sur le mauvais chemin », regrette-t-il.
« Qui aurait envie de proposer un service,
de vendre ses produits à une entreprise ou une administration sans savoir quand
il va être payé ? interroge rhétoriquement Pierre Pelouzet. Les chefs
d’entreprise français, quand ils ont 10 factures devant eux, savent que cinq
d’entre elles vont être payées à l’heure, cinq ne le seront pas, et il doit
deviner lesquelles. C’est dramatique pour la compétitivité, la trésorerie et la
confiance ».
Le problème des délais de
paiement va de pair avec un autre écueil :
bien souvent, les entreprises ne « savent pas gérer le crédit client »,
observe pour sa part Sylvie Casenave-Péré, PDG de Posson Packaging, société
spécialisée dans l’emballage. Pour la dirigeante, le nerf de la guerre, c’est
le cash : « Si vous n’avez pas d’argent, vous ne pouvez rien
négocier. Or, générer du cash, c’est facile : ça peut paraître contre-intuitif,
mais il suffit de réduire l’activité. Parfois, plus, c’est moins. »
Toutefois, de l’avis de
Patrice Gras, président de l’UNCJ, bien que l’impayé soit un risque,
« ce n’est pas une fatalité », d’autant que 90 % des
entreprises débitrices seraient en réalité solvables, et parmi elles, un grand
nombre ferait « simplement preuve d’inertie ». « En
tant qu’officiers publics et ministériels, nous pouvons apporter la sécurité
juridique », plaide-t-il.
Pour les commissaires de
justice, « une chance de se raccommoder avec les entreprises »
La procédure de recouvrement
telle qu’envisagée, inspirée de la procédure simplifiée de recouvrement des
petites créances en matière de créances civiles, ainsi que du droit belge,
coûterait ainsi une cinquantaine d’euros, affirmait le syndicat dans un communiqué
de 2023. Avec la facture exécutoire, la profession brandit ainsi une solution
qu’elle veut simple, rapide et économique, « car sur le terrain, le petit
artisan n’a pas de responsable juridique, et il court toute la journée »,
rappelle Patrice Gras.
« La première phase, amiable, serait diligentée
par le commissaire de justice », synthétise la professeure de droit
privé Natalie Fricero. Saisi par le créancier, le commissaire de justice aurait
pour mission de trouver une solution amiable dans un délai de 30 jours, échéance
qu’elle juge « contraint[e], mais raisonnable et adapté[e] aux enjeux
économiques ».
Natalie Fricero en est
convaincue : cette solution, qui tient compte « concrètement »
de la situation du débiteur pour aménager une solution, permettra de garantir
la pérennité des relations commerciales grâce à une issue « qui ne
résulte pas de l’application de la loi ». « C’est tellement
difficile de faire exécuter des décisions de justice auprès d’entrepreneurs
parfois désespérés, ajoute Sylvie Casenave-Péré. Ce projet est une
chance pour la profession de se raccommoder avec les entreprises ».
Si des dispositifs existent
déjà (amendes, « name and shame », médiation…), la proposition a aussi le
mérite d’anticiper l’application du règlement européen en préparation qui
s’imposera bientôt à la France et que Matignon voit d’un mauvais œil. Ce
nouveau texte vise, pour l’heure, un délai de paiement maximal d’un mois pour
toutes les transactions commerciales, et envisage des recours volontaires à des
mécanismes de règlement extrajudiciaire. « Avec la facture exécutoire,
on obéirait donc à la lettre ! » commente Natalie Fricero.
En Belgique, avec la RCI,
« l’objectif est atteint »
En attendant que cette
proposition trouve sa concrétisation en France, en Belgique, on se réjouit des
chiffres édifiants obtenus par la « procédure RCI », ou procédure de recouvrement
des créances incontestées des entreprises, lancée en 2016. Mieux : on
estime que « l’objectif est atteint ».
« Aujourd’hui, 212 000
procédures sont passées par ce système, se félicite Quentin Debray,
président de la Chambre nationale des huissiers de justice belges. Nous avons
récupéré 340 millions d’euros grâce à ce dispositif », qui accuse un taux de contestation de
seulement 1,21% et agit comme un « filtre »
qui vient « pomper » les jugements par défaut.
Cette procédure, ajoute
Quentin Debray, s’inscrit dans la lignée de l’application de la directive de 2011
actuellement en vigueur, qui prévoit un délai de paiement de 30 jours, pour les
opérations B2B, pouvant être porté à 60 jours ou plus à condition de ne pas
constituer un « abus manifeste ». « C’est dans ce
cadre que la profession a formulé sa proposition », explique-t-il,
avec un crédo : être actrice du changement. « Actuellement, le
monde politique ne décide plus vraiment, ce sont les experts qui apportent des projets
de loi plus que les ministres ».
Chez nos voisins, le
fonctionnement diffère très légèrement de celui imaginé par les commissaires de
justice français : après avoir reçu un mandat délivré par avocat,
l’huissier se rend chez un débiteur avec une sommation de payer dans un délai -
là aussi - d’un mois. S’ouvre alors une période de négociation destinée à mettre
les entreprises d’accord.
« Nous ne sommes pas
des facteurs de luxe »
« En tant que garants
de l’Etat de droit, c’est notre rôle de faire en sorte que la décision de
justice soit effective. Nous ne sommes pas des facteurs de luxe, nous
sommes là pour apporter une plus-value, martèle Quentin Debray. Nous
allons chez les gens, nous les rencontrons, nous sommes des facilitateurs de
solutions », affirme-t-il.
Véritable défenseur de la
RCI, Quentin Debray considère que cet outil permet d’ouvrir le champ de la
discussion, « contrairement à la citation traditionnelle qui ne
permet pas de négociation, et où l’on est bloqué par la date d’audience ».
« Nous avons en main le timing, que l’on peut accélérer ou ralentir
selon les besoins », se réjouit le président de la Chambre nationale
des huissiers de justice belge.
De quoi inspirer Marie-Claude
Drapeau, vice-présidente de la Chambre des huissiers de justice du Québec, qui
se dit « impressionnée » par les résultats de son confrère
belge. D’autant que le Québec n’est « pas loin de cette réalité »,
puisque la province réalise déjà une perception à l’amiable depuis 2002,
« qui permet d’aller chercher [un grand nombre] de sommes et d’alléger
les tribunaux », rapporte la vice-présidente.
Les commissaires de justice
seront-ils à la hauteur ?
De son côté, Natalie
Fricero en est certaine : le dialogue assure la survie de
l’entreprise et la pérennité des relations commerciales. « Aujourd’hui,
on entre dans une société de dialogue, non pas car nous sommes des bisounours,
mais car le dialogue produit des solutions qui satisfont les besoins économiques ».
Alors, qu’est-ce que l’on attend, au gouvernement ? « Il faut que l’on s’en entretienne avec
la Chancellerie, mais il n’y a pas de blocage identifié », indiquait la
ministre déléguée chargée des Entreprises, Olivia Grégoire, sur BFM TV, en
octobre dernier. Si les entreprises françaises ont donc de quoi espérer des
jours meilleurs - à condition toutefois que la facture exécutoire soit entérinée -, les
commissaires de justice français seront-ils à la hauteur ?
En effet, un rapport de la DGCCRF publié
jeudi 30
mai suggère que plus de 40 % des 161 professionnels du recouvrement de créances
contrôlés en 2022 « méconnaissent en partie la réglementation
applicable ». Une publicité qui n’est guère la bienvenue, alors que le
règlement européen couve.
Bérengère Margaritelli