Des biscottes façon « bretonne »
contenant moins de 3 % de beurre, un « extra moelleux façon bouchère »
avec seulement 80 % de viande de bœuf hachée… Il n’est pas rare que les distributeurs,
industriels ou producteurs agricoles profitent du manque d’encadrement entourant
l'affichage des produits d’origine animale pour induire les consommateurs en
erreur. La commission « Droit animal »
du barreau de Paris milite pour « des étiquetages clairs et transparents ».
Denrées alimentaires
d’origine animale ; le consommateur se fait-il tromper ? Telle était l’une des
questions posées par le barreau de Paris lors d’un webinaire organisé vendredi
13 décembre. « Ici, l’entreprise joue sur la notion d'imaginaire,
explique l’éditeur et spécialiste de la grande distribution Olivier Dauvers en
se saisissant d’un paquet de biscottes façon « bretonne ». « La
Bretagne, c'est le beurre salé. » Sur l’emballage, une motte de beurre et une
poignée de sel surfent pleinement sur cette représentation.
« Mais en regardant la liste
des ingrédients, on voit qu’il y a en réalité 12 % de margarine, donc de
graisse végétale, contre moins de 3 % de beurre »,
reprend l’éditeur. Un bel exemple de confusion alimentaire. En d’autres termes,
cette pratique consiste, pour les distributeurs, les industriels ou les
producteurs agricoles, à utiliser les emballages pour « jouer avec le cadre
». « Ces procédés sont “normaux”, poursuit Olivier Dauvers, en
précisant ne pas émettre de jugement moral sur le sujet. Dans sa stratégie
d'entreprise, un fabricant de produits alimentaires cherche souvent à accroître
la valeur perçue de ses produits, à gagner en souplesse d'approvisionnement et
à abaisser son coût de revient. »
Un procédé légal dans 99 à
100 % des cas
Il n’est donc pas rare de
recourir à la confusion alimentaire pour donner à voir le produit au-dessus de
ce qu'il est réellement. « Pour que produire coûte le moins cher possible,
on regarde quel est l'ingrédient le plus cher et on se demande comment on peut
diminuer sa quantité pour faire baisser les coûts », expose Olivier
Dauvers. Ainsi, il devient presque courant de remplacer de l’animal par du
végétal.
Prenons la viande hachée. Si
seuls les produits contenant 99 à 100 % de viande – avec 0 à 1 % de sel ajouté –
peuvent légalement recevoir les dénominations de « viande hachée » ou de «
steak haché » selon la spécification
technique en vigueur, il existe une brèche pour les préparations contenant
au minimum 51 % de viande hachée à la mise en œuvre. Ainsi, « ‘l’extra
moelleux façon bouchère’ [d’une grande entreprise de l’industrie
agroalimentaire], présenté visuellement comme un steak haché, ne contient
que 80 % de viande de bœuf hachée », illustre Olivier Dauvers.
Bien que la mention figure en
petit, en bas de l’emballage, elle respecte la spécification technique,
puisqu’elle reprend la formule : « préparation à x% de viande hachée de
[espèce(s)] et de y (autres ingrédients) » – en l’occurrence, de protéines
végétales de pois. Alors qu’il repose sur une tromperie au niveau du libellé,
ce recours à la confusion alimentaire est complètement légal. « Les procédés
de ce genre le sont dans 99 % des cas, pour ne pas dire 100 % », annonce le
spécialiste de la grande distribution.
En matière de pub, les droits
sont rois
En cause : « il n’existe
aucune disposition légale qui traite spécifiquement de la publicité et de
l'affichage des produits d’origine animale », indique Lorène
Bourdin, avocate et membre de la commission « Droit animal » du barreau de
Paris. La seule limite est l'interdiction des pratiques commerciales
trompeuses, dont le délit est prévu par les articles
L121-2 à L121-5 du Code de la consommation. « Ils visent tout
professionnel qui afficherait un certificat, un label – ou équivalent –
sans avoir obtenu l'autorisation nécessaire de façon à induire en erreur le
consommateur », détaille-t-elle. Résultat : l’acheteur ne décide pas en
connaissance de cause.
L’experte distingue deux
types de publicités trompeuses. D’une part, celles qui présentent faussement un
produit – et tombent ainsi dans le registre du mensonge – de l’autre, celles
qui omettent de signaler un élément essentiel – relevant alors de la dissimulation.
La tromperie peut notamment porter sur les engagements de l’annonceur. « Par
exemple, il peut laisser entendre qu'il est particulièrement soucieux du
bien-être animal, alors qu’il ne remplit pas les conditions affichées sur son
produit », développe Lorène Bourdin. La spécialiste déplore que l’on ne
recense pas, à l’heure actuelle, de condamnation judiciaire pour pratiques
commerciales trompeuses concernant des produits d’origine animale.
« Certains procédés
interrogent. Il y a les affichages où les poulets dansent, les produits
laitiers sur lesquels une vache rit, ou encore le saucisson avec le
cochon qui se réjouit », énumère l’avocate, en rappelant que 80 %
des animaux consommés en France sont issus d’élevages intensifs. Comment alors
expliquer cette absence de condamnation totale ? « Plusieurs droits
fondamentaux s'appliquent en matière de publicité, à savoir la liberté
d'expression, la liberté créative, et la liberté du commerce, indique
Lorène Bourdin. Il existe une autorisation de libre usage pour tout ce qui
tient de la parodie, de l’hyperbole et de l’exagération. » En revanche,
aucune exigence que l’image marketing reflète réellement les conditions de vie
de l'animal.
« L’étiquette est
cruciale »
« C'est rare que le public
connaisse l'élevage d'où proviennent les produits d’origine animale,
assure l’avocate. Cela confirme l'intérêt de mettre en place des étiquetages
révélateurs du mode d'élevage des animaux. » Une demande d'information bien
présente, puisque 96 % des Français sont favorables à un étiquetage des viandes
et des produits laitiers selon le mode d’élevage – plein air ou non – d’après
le sondage du projet CASDAR ACCEPT,
mené entre 2014 et 2017.
Si Lorène Bourdin fait
allusion à l’étiquette, c’est parce que c’est ici que se trouvent les seules
informations dont le public dispose. « Elle est cruciale : tout l'enjeu en
la matière est d'informer le consommateur sur ce qu'il mange », martèle la
professionnelle du droit. À ce titre, les étiquetages font l’objet d’obligations
générales, définies par la DGCCRF – Direction Générale de la Concurrence,
de la Consommation et de la Répression des Fraudes. La dénomination de vente,
la liste des ingrédients, la quantité nette du produit, la date limite de
consommation… Autant de mentions qui doivent figurer sur les produits
préemballés – le plus souvent vendus dans les rayons de libre-service.
Citons le cas particulier de
la viande préemballée, pour laquelle l’indication de l’origine est obligatoire
pour les espèces porcine, ovine, caprine, ainsi que pour la volaille. Si les
lieux d’élevage et d’abattage doivent être portés à la connaissance du
consommateur, celui de naissance de l’animal peut être divulgué sur la base du
volontariat. « Pour la viande bovine, c’est obligatoire », reprend
Lorène Bourdin. Par ailleurs, la mention « Origine » ne peut être
ajoutée que si les pays de naissance, d’élevage, d’abattage et d’élaboration
sont identiques.
Enfin, il existe des mentions
ou expressions réglementées, comme « biologique » et « fermier »,
avec un régime propre, auxquelles on peut opposer les formules comme «
naturel » ou « sans conservateurs ». « Ces dernières sont
apposées uniquement à des fins de marketing, sans cadre légal, souligne
l’intervenante. En tout cas, une obligation s'applique à toutes les denrées
alimentaires : l’étiquetage doit être loyal et précis, et ne doit pas induire
le consommateur en erreur. »
De la profusion à la
confusion
Comme l’indique le rapport Information
du consommateur : privilégier la qualité à la profusion réalisé au nom de
la Commission des affaires économiques et déposé en juin 2022, les
consommateurs n'ont jamais disposé d’autant d'informations sur les produits
qu'ils achètent.
Labels, scores, allégations,
mentions valorisantes, informations obligatoires, simple marketing… « Il est
très compliqué de s'orienter dans cette mer d’informations, estime Lorène
Bourdin. La profusion semble mener à la confusion, tandis que l’illisibilité
des étiquettes, la complexité des informations, les scandales sanitaires et
environnementaux, ainsi que les pratiques trompeuses contribuent à brouiller
l'information… Et, in fine, à limiter son impact sur le choix de consommation.
»
D’autant que les acheteurs ne
peuvent pas systématiquement mener une recherche approfondie pour savoir si les
engagements annoncés sont respectés ou non, ni déduire ce que l'absence de
telle indication ou mention implique en termes de bien-être animal. « Dans
ce contexte, il est essentiel d'avoir des étiquetages spécifiques avec les
critères les plus clairs et plus transparents possibles pour permettre cette
information du consommateur », insiste l’avocate. Et les initiatives dans
ce sens ne manquent pas.
« Une fois encore, nous avons
tenté d'inviter des institutions, en l'occurrence la DGCCRF, qui, après trois
mois à s'être fait désirer, nous a donné une réponse négative,
regrette Marie-Bénédicte Desvallon, avocate, responsable de la commission «
Droit animal » du barreau de Paris et organisatrice du webinaire. Je forme
le vœu, pour 2025, que nous ayons enfin des institutions, des administrations,
qui viennent présenter tous ces rapports qui s'accumulent mais qui ne font pas
forcément bouger les lignes. »
Floriane
Valdayron