ÉCONOMIE

Grande distribution : zoom sur la confusion alimentaire, ou la tromperie du consommateur en toute légalité

Grande distribution : zoom sur la confusion alimentaire, ou la tromperie du consommateur en toute légalité
Publié le 04/01/2025 à 09:48

Des biscottes façon « bretonne » contenant moins de 3 % de beurre, un « extra moelleux façon bouchère » avec seulement 80 % de viande de bœuf hachée… Il n’est pas rare que les distributeurs, industriels ou producteurs agricoles profitent du manque d’encadrement entourant l'affichage des produits d’origine animale pour induire les consommateurs en erreur.  La commission « Droit animal » du barreau de Paris milite pour « des étiquetages clairs et transparents ».

Denrées alimentaires d’origine animale ; le consommateur se fait-il tromper ? Telle était l’une des questions posées par le barreau de Paris lors d’un webinaire organisé vendredi 13 décembre. « Ici, l’entreprise joue sur la notion d'imaginaire, explique l’éditeur et spécialiste de la grande distribution Olivier Dauvers en se saisissant d’un paquet de biscottes façon « bretonne ». « La Bretagne, c'est le beurre salé. » Sur l’emballage, une motte de beurre et une poignée de sel surfent pleinement sur cette représentation.

« Mais en regardant la liste des ingrédients, on voit qu’il y a en réalité 12 % de margarine, donc de graisse végétale, contre moins de 3 % de beurre », reprend l’éditeur. Un bel exemple de confusion alimentaire. En d’autres termes, cette pratique consiste, pour les distributeurs, les industriels ou les producteurs agricoles, à utiliser les emballages pour « jouer avec le cadre ». « Ces procédés sont “normaux”, poursuit Olivier Dauvers, en précisant ne pas émettre de jugement moral sur le sujet. Dans sa stratégie d'entreprise, un fabricant de produits alimentaires cherche souvent à accroître la valeur perçue de ses produits, à gagner en souplesse d'approvisionnement et à abaisser son coût de revient. » 

Un procédé légal dans 99 à 100 % des cas

Il n’est donc pas rare de recourir à la confusion alimentaire pour donner à voir le produit au-dessus de ce qu'il est réellement. « Pour que produire coûte le moins cher possible, on regarde quel est l'ingrédient le plus cher et on se demande comment on peut diminuer sa quantité pour faire baisser les coûts », expose Olivier Dauvers. Ainsi, il devient presque courant de remplacer de l’animal par du végétal. 

Prenons la viande hachée. Si seuls les produits contenant 99 à 100 % de viande – avec 0 à 1 % de sel ajouté – peuvent légalement recevoir les dénominations de « viande hachée » ou de « steak haché » selon la spécification technique en vigueur, il existe une brèche pour les préparations contenant au minimum 51 % de viande hachée à la mise en œuvre. Ainsi, « ‘l’extra moelleux façon bouchère’ [d’une grande entreprise de l’industrie agroalimentaire], présenté visuellement comme un steak haché, ne contient que 80 % de viande de bœuf hachée », illustre Olivier Dauvers

Bien que la mention figure en petit, en bas de l’emballage, elle respecte la spécification technique, puisqu’elle reprend la formule : « préparation à x% de viande hachée de [espèce(s)] et de y (autres ingrédients) » – en l’occurrence, de protéines végétales de pois. Alors qu’il repose sur une tromperie au niveau du libellé, ce recours à la confusion alimentaire est complètement légal. « Les procédés de ce genre le sont dans 99 % des cas, pour ne pas dire 100 % », annonce le spécialiste de la grande distribution. 

En matière de pub, les droits sont rois

En cause : « il n’existe aucune disposition légale qui traite spécifiquement de la publicité et de l'affichage des produits d’origine animale », indique Lorène Bourdin, avocate et membre de la commission « Droit animal » du barreau de Paris. La seule limite est l'interdiction des pratiques commerciales trompeuses, dont le délit est prévu par les articles L121-2 à L121-5 du Code de la consommation. « Ils visent tout professionnel qui afficherait un certificat, un label ou équivalent sans avoir obtenu l'autorisation nécessaire de façon à induire en erreur le consommateur », détaille-t-elle. Résultat : l’acheteur ne décide pas en connaissance de cause. 

L’experte distingue deux types de publicités trompeuses. D’une part, celles qui présentent faussement un produit – et tombent ainsi dans le registre du mensonge – de l’autre, celles qui omettent de signaler un élément essentiel – relevant alors de la dissimulation. La tromperie peut notamment porter sur les engagements de l’annonceur. « Par exemple, il peut laisser entendre qu'il est particulièrement soucieux du bien-être animal, alors qu’il ne remplit pas les conditions affichées sur son produit », développe Lorène Bourdin. La spécialiste déplore que l’on ne recense pas, à l’heure actuelle, de condamnation judiciaire pour pratiques commerciales trompeuses concernant des produits d’origine animale. 

« Certains procédés interrogent. Il y a les affichages où les poulets dansent, les produits laitiers sur lesquels une vache rit, ou encore le saucisson avec le cochon qui se réjouit », énumère l’avocate, en rappelant que 80 % des animaux consommés en France sont issus d’élevages intensifs. Comment alors expliquer cette absence de condamnation totale ? « Plusieurs droits fondamentaux s'appliquent en matière de publicité, à savoir la liberté d'expression, la liberté créative, et la liberté du commerce, indique Lorène Bourdin. Il existe une autorisation de libre usage pour tout ce qui tient de la parodie, de l’hyperbole et de l’exagération. » En revanche, aucune exigence que l’image marketing reflète réellement les conditions de vie de l'animal. 

« L’étiquette est cruciale »

« C'est rare que le public connaisse l'élevage d'où proviennent les produits d’origine animale, assure l’avocate. Cela confirme l'intérêt de mettre en place des étiquetages révélateurs du mode d'élevage des animaux. » Une demande d'information bien présente, puisque 96 % des Français sont favorables à un étiquetage des viandes et des produits laitiers selon le mode d’élevage – plein air ou non – d’après le sondage du projet CASDAR ACCEPT, mené entre 2014 et 2017. 

Si Lorène Bourdin fait allusion à l’étiquette, c’est parce que c’est ici que se trouvent les seules informations dont le public dispose. « Elle est cruciale : tout l'enjeu en la matière est d'informer le consommateur sur ce qu'il mange », martèle la professionnelle du droit. À ce titre, les étiquetages font l’objet d’obligations générales, définies par la DGCCRF – Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes. La dénomination de vente, la liste des ingrédients, la quantité nette du produit, la date limite de consommation… Autant de mentions qui doivent figurer sur les produits préemballés – le plus souvent vendus dans les rayons de libre-service.

Citons le cas particulier de la viande préemballée, pour laquelle l’indication de l’origine est obligatoire pour les espèces porcine, ovine, caprine, ainsi que pour la volaille. Si les lieux d’élevage et d’abattage doivent être portés à la connaissance du consommateur, celui de naissance de l’animal peut être divulgué sur la base du volontariat. « Pour la viande bovine, c’est obligatoire », reprend Lorène Bourdin. Par ailleurs, la mention « Origine » ne peut être ajoutée que si les pays de naissance, d’élevage, d’abattage et d’élaboration sont identiques. 

Enfin, il existe des mentions ou expressions réglementées, comme « biologique » et « fermier », avec un régime propre, auxquelles on peut opposer les formules comme « naturel » ou « sans conservateurs ». « Ces dernières sont apposées uniquement à des fins de marketing, sans cadre légal, souligne l’intervenante. En tout cas, une obligation s'applique à toutes les denrées alimentaires : l’étiquetage doit être loyal et précis, et ne doit pas induire le consommateur en erreur. » 

De la profusion à la confusion 

Comme l’indique le rapport Information du consommateur : privilégier la qualité à la profusion réalisé au nom de la Commission des affaires économiques et déposé en juin 2022, les consommateurs n'ont jamais disposé d’autant d'informations sur les produits qu'ils achètent.

Labels, scores, allégations, mentions valorisantes, informations obligatoires, simple marketing… « Il est très compliqué de s'orienter dans cette mer d’informations, estime Lorène Bourdin. La profusion semble mener à la confusion, tandis que l’illisibilité des étiquettes, la complexité des informations, les scandales sanitaires et environnementaux, ainsi que les pratiques trompeuses contribuent à brouiller l'information… Et, in fine, à limiter son impact sur le choix de consommation. »

D’autant que les acheteurs ne peuvent pas systématiquement mener une recherche approfondie pour savoir si les engagements annoncés sont respectés ou non, ni déduire ce que l'absence de telle indication ou mention implique en termes de bien-être animal. « Dans ce contexte, il est essentiel d'avoir des étiquetages spécifiques avec les critères les plus clairs et plus transparents possibles pour permettre cette information du consommateur », insiste l’avocate. Et les initiatives dans ce sens ne manquent pas. 

« Une fois encore, nous avons tenté d'inviter des institutions, en l'occurrence la DGCCRF, qui, après trois mois à s'être fait désirer, nous a donné une réponse négative, regrette Marie-Bénédicte Desvallon, avocate, responsable de la commission « Droit animal » du barreau de Paris et organisatrice du webinaire. Je forme le vœu, pour 2025, que nous ayons enfin des institutions, des administrations, qui viennent présenter tous ces rapports qui s'accumulent mais qui ne font pas forcément bouger les lignes. »

Floriane Valdayron

1 commentaire
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GLEMAIN-GRUSSENMEYER
- il y a 4 jours
Bonjour. J'ai lu avec intérêt qu'il y a une commission "droit animal" au Barreau de Paris
J'ai constaté sur place, en Haute Marne, des exploitations immenses de vaches laitières qui portaient la mention : lait pour le Brie de Meaux d'appelation d'origine contôlée. Je regrette si le lait vient de 200KM de Meaux ce n'est pas une origine contrôlée d'autant dans le secteur qui enfouit déchets radioactifs............

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