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Handicap : le combat de l’association Droit Pluriel pour un droit et une justice accessibles et inclusifs

Handicap : le combat de l’association Droit Pluriel pour un droit et une justice accessibles et inclusifs
Publié le 07/12/2021 à 09:10

Depuis 2009, Droit Pluriel, association reconnue d'intérêt général en 2019, œuvre pour rendre le droit et la justice accessibles à tous. En juillet dernier, le garde des Sceaux avait lui-même déclaré ne pouvoir « tolérer que, dans notre pays, il soit plus difficile pour une personne handicapée d'avoir accès à la justice ». Lancée et dirigée par Anne-Sarah Kertudo et présidée par Fabienne Servan-Schreiber, l’association agit, depuis ses locaux à Montreuil (93), en faveur d’une justice plus inclusive.

 




Le handicap constitue-t-il un frein à l’accès au droit et à la justice ? C’est la question que s’est posée comme point de départ Droit Pluriel, association qui agit depuis 2009 en faveur de l’accès au droit pour tous. Pour y répondre, elle a initialement établi un état des lieux, tant auprès des professionnels du droit que des personnes en situation de handicap. Premier constat : de manière générale, les personnes handicapées sont absentes des maisons de justice, des tribunaux, des cabinets d’avocats, des études notariales ou encore des hôtels de police. Pourquoi ? Ont-elles moins de raisons de faire appel à la justice ? Ne travaillent-elles pas ? Ne divorcent-elles pas ? N’héritent-elles pas ? Ne sont-elles pas victimes ? La situation a de quoi questionner, surtout quand on sait que la discrimination liée au handicap était, en 2018, la première cause de saisine du Défenseur des droits.

 


 

Une réponse matérielle inadaptée


Face à cette désertification, Droit Pluriel s’est plus précisément questionnée quant à l’accessibilité des lieux de justice : les tribunaux et les salles d’audience sont-ils accessibles aux personnes en fauteuil roulant ? Les documents juridiques peuvent-ils facilement être lus par une personne non-voyante ? Les hôtels de police sont-ils équipés pour acueillir des personnes sourdes ?

Dans les faits, l’inaccessibilité matérielle demeure le premier frein. Pourtant, en matière d’insertion des personnes en situation de handicap, on ne peut pas dire que rien n’a été fait, reconnaît la directrice de l’association, Anne-Sarah Kertudo. Des rampes d'accès pour personnes en fauteuil roulant sont par exemple plus fréquemment installées. « Un investissement utile », note-t-elle,

mais qui demeure « largement insuffisant ». En effet, 650 000 personnes sont en fauteuil, quand 1,7 million de personnes sont concernées par un handicap visuel et 5,4 millions par un handicap auditif. Rappelons en outre que depuis la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, « Toute personne handicapée a droit à la solidarité de l'ensemble de la collectivité nationale, qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l'accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté » (article L. 114-1du Code de l'action sociale et des familles). Pourtant, en 2015 « Seuls 15 % des établissements relevant du public étaient (…) aux normes », relève le site Justifit1.

 










Le handicap, un « droit spécifique » ?


De ce service inadapté naît une réelle frustration de la part des personnes en situation de handicap, qui se sentent trop régulièrement exclues des lieux de justice, mises à l’écart, voire illégitimes : « Trop souvent considérées comme “sujets de soin” et non “sujets de droit”, elles finissent tout simplement par s’autocensurer, estimant que ces services ne sont pas pour elles » regrette Anne-Sarah Kertudo.

Cette dernière observe également que lorsqu’elles ont des questions d’ordre juridique, les personnes en situation de handicap ont davantage tendance à demander conseil aux associations spécialisées ou aux travailleurs sociaux, des services qui ne sont pourtant pas compétents en la matière. Ce qui s’explique en grande partie du fait que le désengagement des professionnels du droit : « Les professions du droit considèrent que le handicap est un droit spécifique, délégué aux associations. Ce serait une niche du droit, comme un droit particulier », se désole la directrice de Droit Pluriel.

 


 

Entre malaise et ignorance


La directrice de Droit Pluriel note également le malaise des professions juridiques : « en situation, les professionnels sont perdus », constate-t-elle ; un embarras principalement dû à un manque de connaissance. Aussi, il n’est pas rare que les personnes atteintes de handicap soient mal orientées, mal conseillées par les professionnels du droit eux-mêmes.

Dans une étude notariale, pour commencer : lors d’un rendez-vous pour une signature, certains notaires exigent parfois aux personnes non-voyantes d’être accompagnées de témoins (deux personnes qui ne seraient ni de la famille des intéressées, ni concernées par l’affaire, ce qui tend à complexifier encore davantage la chose), alors que cette précaution n’est « absolument pas nécessaire ».

Autre exemple, à l’hôtel de police, où il est fréquemment demandé aux personnes sourdes de revenir avec un interprète pour pouvoir enregistrer leur plainte. Le Code de procédure (articles 63-1, 102, 121, 345 et 408) permet en effet à toute personne atteinte de surdité d'être assistée, aux différents stades de la procédure, par un dispositif technique, un interprète ou toute personne qualifiée ; et selon l’article R. 93-1 du Code de procédure pénale, la rémunération et les indemnités des interprètes sont prises en charge par le Trésor public au titre des frais de justice. Pourtant, dans les faits, les frais de vacation s’élevant à une centaine d’euros sont très majoritairement à la charge de la personne handicapée. Une inégalité de traitement du justiciable encore une fois liée à une méconnaissance générale qu’Anne-Sarah Kertudo dénonce fermement.

 

 


Un réel manque de formation


Le problème n’est donc pas forcément toujours d’ordre matériel, mais relève également de l’humain. Preuve en est dans les lieux de justice accueillant du public, où des dispositifs visant à faciliter l’accueil des personnes malentendantes ont été installés ; parmi eux, un outil destiné aux malentendants permettant de transférer le son de l’interphone directement au niveau de l’appareil auditif de l’usager. Un service cependant incomplet, puisque le personnel d’accueil ne sait que très rarement l’utiliser – quand il a connaissance de son existence. La directrice de Droit Pluriel, qui parle d’un « effort avorté », estime que le gouvernement tendrait davantage à se cacher derrière ces initiatives pour « cocher des cases », sans porter un réel désir de changement.

Aussi, selon elle, « Le nœud du problème reste le manque de formation ». Pour répondre à ces injustices, l’association entend donc agir sur l’enseignement : via le CNB, les avocats ont désormais voté pour la formation obligatoire de la profession en matière de handicap, et Droit Pluriel intervient également à l’ENM ; un premier pas vers une évolution bien lente, craint Anne-Sarah Kertudo, mais qui a le mérite d’être enclenchée.

 

 


Faciliter l'accès au droit et à la justice


D’autres outils en faveur de l’accès au droit des personnes handicapées ont déjà été mis en place, à commencer par la mallette pédagogique lancée le 22 juillet dernier. Réalisée par Droit Pluriel, en partenariat avec le ministère de la Justice, le Défenseur des droits, l’École nationale de la magistrature, le Conseil national des barreaux, la Chambre nationale des commissaires de justice et la Fédération nationale des associations de conciliateurs de justice, cette mallette a été diffusée auprès des professionnels du droit (magistrats, greffiers, acteurs de l’accès au droit, conciliateurs de justice, avocats, commissaires de justice). Se composant d’un guide pratique, d’un manuel et de vidéos illustrant des situations entre professionnels du droit et personnes handicapées, elle a vocation à offrir aux professions juridiques une meilleure connaissance des différentes situations de handicap, en particulier lorsqu’il est mal connu ou invisible (autisme, par exemple), mais également à les informer du comportement à adopter face aux difficultés inhérentes à chaque handicap. « Nous ne pouvons pas tolérer que, dans notre pays, il soit plus difficile pour une personne handicapée d'avoir accès à la justice, pourtant gardienne des libertés individuelles », a ainsi déclaré le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti lors de son lancement.

Autre exemple : en mars 2020, pour freiner la propagation du virus, l’État avait mis en place un certain nombre de mesures, pas toujours adaptées aux personnes handicapées : les personnes non-voyantes se sont inquiétées quant à la forme de leur autorisation de sortie, devenue le Graal pour effectuer le moindre déplacement, quand les personnes sourdes lisant sur les lèvres se sont senties désemparées face à la généralisation des masques. « Pour répondre à ce vent de panique, Droit Pluriel a lancé la première permanence dématérialisée, 100 % accessible et gratuite », explique la directrice de Droit Pluriel. Un service devenu pérenne aujourd’hui, sous l’appellation d’ « Agir Handicap ». Dans ce cadre, l’association travaille avec des juristes, en interne, mais aussi avec un réseau d’une centaine d’avocats bénévoles formés et présents sur tout le territoire, qui traitent la question d’un justiciable par semaine, par téléphone ou par écrit. Actuellement, elle est d’ailleurs toujours à la recherche d’avocats bénévoles pour enrichir son réseau.

 


 

Favoriser la rencontre


"Nous n'avons pas pour vocation à fournir un service spécifique destiné qu'aux personnes en situation de handicap, pointe la fondatrice de Droit Pluriel, mais la demande est là, alors on s'adapte". Et Anne-Sarah Kertudo sait de quoi elle parle : en 2002, c'est elle qui avait ouvert la première permanence juridique en lange des signes, à la Mairie de Paris. Ce genre de service reste cependant très marginal ; si un autre centre avait ouvert à Lille, ce dernier a depuis fermé ses portes, faute de visiteurs. Car encore faut-il que les personnes sourdes aient connaissance de cette permanence... C'est à ce titre et pour favoriser l'accès aux publics concernées que Droit pluriel travaille actuellement à la création d'une application mobile répertoriant les niveaux d'accessibilité de tous les lieux de justice.  En vue de son lancement prochain, l’association mène actuellement un large travail de recensement sur tout le territoire. "Il y a en effet assez peu de lieux proposant un servie en lange des signes, mais il faut absolument faire connaître ceux qui ont le mérite d'exister" déclare à ce sujet la fondatrice de l'association.  C'est pourquoi est menée en parallèle une action auprès des publics concernés : "Il faut que les personnes handicapées trouvent confiance pour aller dans les lieux de justice et créer cette rencontre", souligne Anne-Sarah Kertudo. 

 

 


 

D’autres actions à venir


Et les chantiers en cours sont encore nombreux ! Droit Pluriel est actuellement engagée dans la formation à la citoyenneté de la jeunesse aveugle et malvoyante : « Il s’agit d’un projet de sensibilisation pour convaincre ces jeunes que l’égalité de traitement leur est due », explique Anne-Sarah Kertudo. Elle a aussi débuté un chantier avec l’APHP portant sur l’hospitalisation psychiatrique sans consentement (qui représente plus d’individus que de personnes incarcérées chaque année). « Nous avons également pour projet de former les associations féministes à la situation des femmes en situation de handicap », poursuit-elle, rappelant que quatre femmes handicapées sur cinq ont déjà été victimes de violences.

Une diversité de projets que l’association mène de front, espérant recueillir le soutien des pouvoirs publics : « Nous travaillons en lien avec la ministre chargée des Personnes handicapées, Sophie Cluzel, mais nous savons que sa marge de manœuvre est délicate. Nous espérons ainsi que notre voix sera entendue, notamment auprès du ministère de la Justice, afin de garantir l’accès au droit et à la justice, pour tous ! », martèle Anne-Sarah Kertudo.

 

1) Site de mise en relation entre particuliers, professionnels et avocats.

 

 

Constance Périn



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