Le
31 janvier dernier, l’Assemblée nationale adoptait en première lecture la proposition
de loi visant à créer l’homicide routier et à mieux lutter contre la violence
routière. « Une
réforme symbolique » pour
certains, « une
nécessité » pour d’autres, en
tout cas un thème qui, au regard du vote, faisait consensus toutes tendances
politiques confondues, et devrait donc perdurer.
Malgré les nombreux efforts
du législateur français pour contrôler la violence routière, celle-ci demeure
marquée depuis des décennies. Les statistiques révèlent une augmentation du
désordre sur les routes, due aux comportements inadaptés et irresponsables de
quelques automobilistes. Selon l'Observatoire national interministériel de la
sécurité routière, en 2022, les accidents mortels causés par des facteurs
comportementaux tels que la vitesse excessive (28 %), la conduite en état
d'ivresse (23 %) et la consommation de stupéfiants (13 %) sont en augmentation.
« Le nombre de condamnations prononcées par la justice est également un
indicateur important, démontrant l'aggravation des comportements des chauffards. Deux tiers
des affaires, portant sur des atteintes involontaires, ont été commises avec
une ou plusieurs circonstances aggravantes », précise Jean-Michel Haziza,
docteur en droit pénal, à l’occasion d’une conférence sur ce sujet organisée à
l’Institut de Sciences criminelles et de la justice de Bordeaux.
La proposition de loi,
adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale le 31 janvier 2024, puis
par le Sénat le 27 mars, entend apporter des changements significatifs au cadre
juridique actuel. Face aux conducteurs au comportement délibérément dangereux sur la route, le caractère
involontaire de l'infraction, de l'homicide ou des blessures causés à d'autres
usagers pose des problèmes croissants, de l'avis des
associations de victimes qui ont pu s’exprimer auprès du gouvernement. Ainsi, «
elles ont considéré que le terme 'involontaire' n'était plus pertinent et plus
adapté à la réalité », souligne Jean-Michel Haziza. Selon la Fédération
nationale des victimes de la route, la nouvelle qualification permettra de
faire évoluer les mentalités et les comportements, favorisant ainsi une prise
de conscience supplémentaire.
Les peines changent peu
Les changements proposés
comprennent la rédaction d'un chapitre inédit dans le Code pénal intitulé « des
homicides et blessures routières ». Il qualifie et sanctionne ces infractions
de manière autonome et indépendante. L'homicide routier y est réprimé par
l’article 221-18 du Code pénal. L’homicide involontaire demeure.
« Cette nouvelle proposition
de loi n’est-elle que symbolique ? À mon sens, non. Effectivement, les peines resteront inchangées. Toutefois, il y aura cinq nouvelles circonstances aggravantes », précise le docteur en droit
pénal. « Ces circonstances incluent la consommation volontaire de
drogue ou d’alcool, l'omission de porter secours, l'usage du téléphone
portable, le refus d’obtempérer, et le rodéo urbain. Mais il n'y aura pas
d'aggravation de l’amende. Les peines pour homicide commis avec une
circonstance aggravante restent de 7 ans d'emprisonnement et 100 000 euros
d'amende, et de 10 ans et 150 000 euros d'amende avec deux circonstances
aggravantes. Il y a un léger changement formel, mais non pas sur le fond. »
De rares peines
complémentaires obligatoires plus sévères sont toutefois prévues, telles que
l'annulation du permis de conduire et l'interdiction de conduire un véhicule
sans système anti-démarrage pour les condamnés en état d’ébriété. « La
grande nouveauté, c’est la confiscation du véhicule du propriétaire qui aura
prêté son véhicule à une autre personne en sachant que ce conducteur allait
commettre une infraction », conclut Jean-Michel Haziza.
Patrick Dupérié, avocat à Bordeaux, rebondit sur cette hypothèse : «
C’est très compliqué à prouver. On se rajoute des difficultés. »
Les évènements médiatisés catalyseurs de propositions de loi ?
D’après Patrick Dupérié, la
réaction des parlementaires sur le sujet est arrivée à la suite d’accidents
très médiatisés. Il mentionne deux affaires marquantes : celle de l’humoriste
Pierre Palmade, impliqué dans un accident mortel en février 2023, et celle du
restaurateur multi-étoilé Yannick Alléno, dont le fils a été tué par un
automobiliste ivre et sans permis
en mai 2022. « Ces incidents, soulignés par les médias,
ajoutés au nombre incommensurable de personnes victimes de comportements
complètement irresponsables, ont poussé le législateur à agir », observe l'avocat.
La qualification spécifique
d'homicide routier a pour objectif de renforcer la valeur symbolique de
l’infraction telle que l’indique la 10e recommandation du comité
interministériel de la sécurité routière de juillet 2023. Pour le ministre de la justice Éric
Dupond-Moretti, ministre de la Justice, « la justice,
parfois, par son langage, ajoute au malheur des victimes et de leurs familles ». « C'est pourquoi il est de notre devoir que notre droit n'aggrave pas, par ses
mots, la souffrance des victimes. » La terminologie choisie vise ainsi à rendre
le texte plus compréhensible et acceptable socialement.
Le texte connait des
oppositions, dont celle de la FNUJA
Le texte ne fait toutefois pas l'unanimité. Certaines le considèrent comme « une mesure
phare », tandis que d'autres
le voient comme une initiative
politique ou un simple « gadget législatif ». Le sénateur Francis Szpiner, rapporteur à la chambre
haute, exprime par exemple des réserves quant à la distinction
entre les homicides routiers et les homicides involontaires. Il dénonce la
catégorisation « des victimes de première classe et des victimes de
seconde classe ». La sénatrice
Marie-Pierre de La Gontrie lui répond : « Tous les deuils se valent, mais
tous les actes répréhensibles ne se valent pas. »
Patrick
Dupérié
résume : « … beaucoup de vrai dans cette réponse, mais le débat reste
ouvert ». Parallèlement à une poignée de parlementaires, se manifeste la
divergence de la Fédération nationale des unions de jeunes avocats (FNUJA), qui critique sévèrement la proposition de loi, qualifiant l'initiative de «
scandaleuse ». L'association formule principalement trois reproches.
D’abord, selon elle, l’atteinte à la
distinction entre infractions intentionnelles et non intentionnelles, le texte
proposé mélange des comportements volontaires (comme la consommation d'alcool
ou l'utilisation du téléphone au volant) avec des résultats involontaires (les
accidents), définissant ainsi une infraction hybride. Ensuite, il crée un délit
mixte qui heurte, selon la FNUJA, la logique juridique traditionnelle. Enfin,
le texte serait une atteinte aux délais imposés par la loi Badinter de 1985. La
FNUJA s’oppose à l'impact potentiel de cette loi sur les procédures
d'indemnisation des victimes d'accidents.
Faut-il de la clémence ou de
la sévérité ?
Patrick
Dupérié
revient sur un cas récent jugé par le tribunal correctionnel de Lille, qui illustre la complexité et les controverses entourant les peines
infligées dans le cadre de la législation actuelle sur les homicides et blessures routiers.
C’est le cas d'une femme de
30 ans, jugée le 10 mai 2024 pour un accident survenu quatre ans plus tôt, qui
cumulait plusieurs infractions : conduite sous l’emprise de l'alcool et du cannabis, récidive de conduite sans
permis, et excès de vitesse (plus de 100 km/h dans une zone limitée à 50 km/h).
La conductrice avait percuté un véhicule de police en intervention, tuant le
fonctionnaire au volant et blessant grièvement son collègue passager.
Après une détention
provisoire de trois mois, la prévenue a été placée sous contrôle judiciaire.
Lors de son procès, le parquet a requis sept ans de prison ferme, une amende de
750 euros et une interdiction de repasser le permis de conduire pendant dix ans.
Le tribunal l’a finalement condamnée à six ans de prison ferme avec mandat de
dépôt différé, annulant son permis de conduire, avec interdiction de le
repasser durant trois ans. La réaction ne s'est pas fait attendre : immédiatement, les avocats des parties civiles ont dénoncé une peine dérisoire et insultante.
L'expérience de Patrick Dupérié l’amène à pointer
la difficulté de concilier les attentes des victimes et de la société avec les
principes de justice. De son point de vue, les théoriciens du droit, détachés,
offrent une perspective plus équilibrée que les praticiens, souvent émotionnellement
impliqués. Ce cas lillois illustre bien les défis et les désaccords inhérents à
l'application de la loi sur les accidents routiers.
Hugo Bouqueau